liens parents enfant sefca Europe

Catherine Rollet, Les carnets de santé des enfants, La Dispute, coll. « Corps santé société », 2008.

 

Texte intégral

1Catherine Rollet est spécialiste de l'histoire de la protection de l'enfance et de l'histoire des populations. Dans cet ouvrage, elle explore la genèse du carnet de santé des enfants. Elle fait remonter l'histoire de ce dernier au milieu du 19ème siècle, lorsque, pour lutter contre la mortalité infantile, des médecins imaginent de nouveaux outils destinés à suivre au jour le jour la santé physique et morale de l'enfant. Les premiers modèles de carnets de santé proposés par les médecins sont ainsi le pilier de l'« acculturation des mères à une nouvelle manière de coopérer avec les médecins ». C'est le début de la médicalisation de la famille et de l'enfance.

2Sous la IIIème République, ces initiatives prennent de l'ampleur et on observe une grande variété de supports pouvant être assimilés à des carnets de santé, édités par des médecins, des ingénieurs ou des fabricants de produits pour enfants qui y incluent des publicités. Ces carnets sont extrêmement divers dans leur forme, allant des feuillets détachables destinés aux mesures anthropométriques jusqu'aux beaux livres illustrés qui comprennent des espaces réservés aux « premiers mots » de bébé, à la liste de ses jouets préférés, à ses dessins... Cette variété renvoie bien sûr à différentes fonctions, les carnets oscillant entre le livre de souvenirs, le carnet de conseils et le carnet médical.

3A partir de l'étude d'un corpus de carnets allant de la fin du XIXe siècle à l'entre-deux-guerres, C. Rollet dessine un paysage très diversifié, qualitativement comme socialement, des types de carnets ainsi que de leur remplissage. Ce travail est l'occasion de souligner les marges de manœuvres trouvées par les mères face à la domination des médecins et de mettre en évidence des modèles « profanes » mobilisés par certaines femmes déjà coutumières d'autres formes d'écriture de la vie quotidienne. La question du sens de ces écritures féminines est particulièrement intéressante : S'agit-il uniquement de noter pour mieux soigner l'enfant ? Ces écrits ne traduisent-ils pas aussi la volonté de laisser un témoignage du rôle féminin le plus valorisé à l'époque, celui de mère, ou encore de conserver une trace de la vie fugitive de l'enfant ?

4Quelle que soit l'hétérogénéité des carnets étudiés, leur utilisation demeure cantonnée à la sphère privée des relations familiales ou entre patient et médecin. Mais dès le tournant du siècle, un certain nombre de personnalités (médecins, parlementaires) y voient un potentiel outil de protection de la population infantile et de prévention des maladies. Toutefois, ce n'est que juste avant la seconde guerre mondiale, en 1939, qu'un carnet de santé officiel, destiné à tous les enfants, est établi. Il devient obligatoire en 1942, mettant fin à des débats vieux d'un demi-siècle, centrés sur les notions de secret médical et de respect de la vie privée. Le carnet de santé est désormais un instrument de santé publique et de gestion des populations, ce qui atteint un paroxysme avec l'introduction de trois certificats de santé obligatoires en 1970.

5C. Rollet interprète ainsi l'histoire du carnet de santé comme celle d'une « désappropriation progressive du carnet (...) initialement entre les mains des mères sous la surveillance des médecins de famille, au profit des acteurs de la santé publique ». Toutefois, elle met en avant une tendance récente au mouvement inverse dans un certain nombre de pays industrialisés : en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Suède ou en Australie, les carnets de santé sont repensés pour permettre une plus grande implication (empowerment) des parents et des adolescents.

6La restitution des travaux visant une refonte du carnet en 2004-2005, en France, montre cependant que les avancées en ce sens au sein de l'hexagone demeurent timides. Le carnet de santé français est en effet prisonnier de sa complexité : alors que d'autres pays dissocient les fonctions de suivi médical, d'études épidémiologiques, de suivi de la croissance des enfants et d'éducation à la santé, le modèle français les rassemble en un seul outil qu'il est donc difficile de laisser à l'initiative des parents. Par ailleurs, la question de l'informatisation des données sur la santé des populations semble de plus en plus d'actualité, appelant probablement une rénovation du carnet de santé et du système de suivi médical dans son ensemble



02/12/2011
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi