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chroniques judiciaires Procès Perret, de l’art et du danger d’être témoin

 

 

 

 

 

 

C’est ce que l’on appelle un “coup” d’audience. Un de ces épisodes qui enchantent la mémoire du palais et dont on devine déjà qu’il se racontera et se racontera encore, embelli, enrichi, enjolivé. On le doit à Me Francis Szpiner.

Delfeil de Ton est, avec ses “lundis”, l’un des chroniqueurs les plus anciens et les plus renommés du Nouvel Observateur. L’écrivain et journaliste est venu déposer, mercredi 23 mars, devant la 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, à la demande de la défense de sa consoeur, Sophie Delassein, poursuivie en diffamation par le chanteur Pierre Perret.

Il est le dernier témoin à se présenter à la barre. Membre de l’association des Amis de Paul Léautaud, figure intellectuelle réputée, il lui revient de mettre en doute la version du chanteur sur la réalité des relations qu’il dit avoir entretenues avec le célèbre écrivain misanthrope.

Face au tribunal, Delfeil de Ton, de son vrai nom Henri Roussel, se montre drôle et détendu. Il conte le Paris du milieu des années 50 qu’il a connu étudiant, son Quartier latin parsemé de bouquinistes. Il parle de Léautaud, de la connaissance aiguë qu’il a de son oeuvre et de la vie du personnage. Et il en vient à l’objet de ce procès.

Tout, dit-il, dans ce que Pierre Perret raconte de ses rencontres avec Léautaud est “invraisemblable”.

“Invraisemblable”, cette promenade du chanteur, boulevard Saint-Michel en compagnie de l’écrivain.

- Perret dit qu’ils vont chez Gibert Jeune pour acheter des livres. Mais si Paul Léautaud avait dû acheter des livres, il serait allé chez les bouquinistes de la rue de Médicis ou de la rue de Tournon. Jamais chez Gibert!

A son banc, Me Szpiner esquisse un sourire.

Encore plus “invraisemblable”, selon Delfeil de Ton, ce récit de Pierre Perret mettant en scène un Léautaud découvrant Line Renaud à Bobino ou écoutant le jeune homme lui chanter le Gorille ou La mauvaise réputation de Georges Brassens. Tellement “invraisemblable” qu’il en rit au micro.

Me Szpiner feint la fatigue et ferme les yeux.

Delfeil de Ton poursuit son réquisitoire. Il assure tranquillement que dès la première lecture du livre de Pierre Perret consacré à Paul Léautaud - Adieu M. Léautaud - il a ressenti “un malaise, une gêne”.

- Dans ce livre, explique le journaliste, on n’apprend rien sur Léautaud qui n’ait déjà été raconté ailleurs. C’est simple, chez tous ceux qui connaissent bien Léautaud, pas un ne croit à ces rencontres avec Perret!

Me Szpiner sourit, encore une fois.

Et puis, vient le coup de grâce. Delfeil de Ton s’en prend à Gallimard, qui a osé commettre le crime d’évacuer, pour des raisons mercantiles, le lettré Pascal Pia de la préface des Choix de pages du Journal littéraire de Paul Léautaud afin de la confier à Pierre Perret.

- Passer de Pascal Pia à Pierre Perret! se lamente Delfeil de Ton.

A son banc, Me Szpiner pose un regard gourmand sur celui qui accable autant son client. Le président se tourne vers lui.

- Maître, vous avez la parole, pour interroger le témoin.

Me Szpiner ouvre une mince chemise. En extrait une feuille imprimée. Lit, doucement, d’un ton neutre, un article de journal.

- “Perret avait 20 ans. Il arrivait de sa province pour faire son service militaire à Paris. L’admiration le poussait. Il s’est présenté, “le 26 août 1954 exactement” chez Paul Léautaud. Lequel, alors âgé de 82 ans et célèbre depuis peu (…) le reçut une fois, deux fois, une dizaine de fois, l’accompagne dans les librairies du Quartier latin pour lui procurer les livres qu’il devait connaître. 

Dans Adieu Léautaud, que réédite Lattès, Pierre Perret raconte comment il chantait à Léautaud, qui ne le connaissait pas, le répertoire de Brassens et comment, en retour, Léautaud lui récitait du Francis Jammes. 

L’avocat poursuit sa lecture. L’auteur y reprend sans distance aucune l’anecdote de Léautaud sortant de Bobino où il a entendu chanter Line Renaud. Puis il chute son papier sur cette simple phrase: “Pierre Perret passe à l’Olympia du 9 décembre au 4 janvier.”

Me Szpiner se tait. A la barre, Delfeil de Ton se tourne vers lui et lui demande:

- Qui a écrit ça?

On perçoit la pointe de mépris dans le “ça”.

Me Szpiner:

- Delfeil de Ton.

- Qui???

- Delfeil de Ton.

L’avocat tend au journaliste la copie de la page du Nouvel observateur, consacrée aux “lundis” de Delfeil de Ton et datée de 1986 dont il vient de faire la lecture. Le journaliste  retourne le papier en tout sens. Beau joueur, il sourit.

- Je ne m’en souviens pas. Vraiment, je ne m’en souviens pas. Si je m’en étais souvenu, je ne serais pas venu faire le cornichon ici!

Le président suspend quelques minutes l’audience.



24/03/2011
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