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Cycle Droit et technique de cassation

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CASS-mbl-09

Cycle Droit et technique de cassation

Le manque de base légale

Jean-Pierre Ancel

Président de chambre honoraire à la Cour de cassation

Jeudi 3 décembre 2009

2

«

Le pourvoi en cassation tend à faire censurer par la Cour de cassation la nonconformité

du jugement qu’il attaque aux règles de droit ».

(Art 604 CPC)

Le recours extraordinaire qu’est le pourvoi en cassation est soumis à des cas

d’ouverture en nombre limité. La justice est, en effet, rendue souverainement par les juges du

fond, qui statuent en fait et en droit.

En ce qui concerne le fond du droit, le cas d’ouverture est la

violation de la loi. Les

textes anciens parlaient de «

contravention expresse à la loi ». Pour prononcer une cassation,

il fallait constater une violation expresse à un texte ayant valeur de loi. Et la Cour de cassation

a décliné les diverses formes de cette contravention à la loi : méconnaissance directe, fausse

interprétation, fausse application, refus d’application.

Cependant, cette panoplie de cas de cassation est rapidement apparue insuffisante pour

censurer des jugements qui comportaient des motifs, mais des motifs insuffisants pour

permettre de vérifier si la loi avait été correctement appliquée par les juges. Au regard du

texte applicable – et appliqué – le jugement apparaît comme insuffisant dans sa motivation ;

sa « base légale » est incomplète, voire absente. La Cour de cassation a rapidement admis

qu’il y avait là un cas d’ouverture à cassation – et ce, dès le début du 19

ème siècle. Ce cas a

pris – au début du 20

ème siècle – la dénomination de « manque de base légale ».

Et il a connu un développement important, jusqu’à devenir un cas d’ouverture

« fourre-tout », au point que l’on pourrait toujours casser un arrêt pour manque de base

légale !

Voyons ce qu’il en est.

Essai d’une définition

En principe, le manque de base légale traduit un défaut de motivation, d’où découle

une mauvaise application du droit.

La décision des juges du fond est incomplète au regard du texte appliqué ; elle ne

comporte pas tous les éléments qui permettent de mettre en oeuvre la règle de droit.

Prenons l’exemple le plus simple : les juges font application de l’article 1382 ; ils

retiennent l’existence d’une faute et d’un préjudice, mais ils omettent de caractériser le lien de

causalité entre les deux – cependant condition nécessaire de l’application du texte. Leur

décision comporte donc un grave défaut, le raisonnement juridique est incomplet, la décision

« manque de base légale ».

Il existe donc une parenté évidente entre manque de base légale, d’une part, et défaut

de motifs ou violation de la loi, d’autre part. Le manque de base légale serait donc « une sorte

de » défaut de motifs, ou de violation de la loi.

Il y a, en fait, une

carence dans la motivation, qui conduit à une erreur dans

l’application de la règle de droit.

3

Le manque de base légale se distingue donc nettement du

défaut de motifs et de la

violation de la loi

:

- ce n’est pas un défaut de motifs – qui serait sanctionné comme tel, sans que le fond

du droit soit abordé. Il s’agit d’une

insuffisance de motifs. Les motifs existent, mais

ils ne suffisent pas à démontrer que la règle de droit a été exactement appliquée.

- Ce n’est pas davantage une violation de la loi, à proprement parler, mais

l’insuffisance de motifs ne permet pas de dire si la règle de droit a été correctement

mise en oeuvre.

Si nous reprenons notre exemple : il y a une insuffisance de motifs au regard des

conditions légales de la responsabilité civile, qui exigent la réunion des trois éléments ; le

juge devait relever un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Il en résulte, non une violation de la loi (1382 CCIV) à proprement parler, mais une

mauvaise application du texte. Le jugement censuré manque de base légale.

Nous sommes donc en présence, à la fois, d’une défaillance de motivation –

s’apparentant au défaut de motifs, vice majeur des jugements – et d’une mise en oeuvre

incorrecte de la règle de droit – assez proche, il faut le reconnaître, d’une violation de la

loi.

Nous pourrions donc conclure de tout cela que le manque de base légale participe de la

double nature du défaut de motifs et de la violation de la loi. C’est un défaut de motivation

qui entraîne une mauvaise application de la loi. Deux bonnes raisons, donc, de censurer la

décision qui contient ce double vice.

Le manque de base légale serait-il, alors, le cas d’ouverture « idéal » du recours en

cassation ? Henri Motulsky n’était pas loin de le penser, en qualifiant le manque de base

légale de « pierre de touche de la technique juridique

1 ». Le manque de base légale est

alors défini comme « une faille dans le raisonnement juridique, autrement dit

une faute de

technique juridique ».

Du moins le manque de base légale « parfait », le modèle, qui démontre que le juge a

omis, dans son application de la règle de droit, un élément essentiel de cette règle : il y a

donc une erreur de droit. Mais, le plus souvent, le manque porte sur la constatation des

faits ; c’est donc une défaillance de la motivation de fait – et non de droit – qui est

sanctionnée. Pour reprendre notre exemple, il fallait que le juge explique pourquoi la faute

retenue avait causé le préjudice.

Nous nous trouvons donc à la confluence du fait et du droit. L’exemple montre bien

que c’est le fait qui détermine le droit

2. Le manque de base légale « parfait » recouvre le

cas de « l’insuffisance des constatations de fait au regard de la règle de droit mise en

oeuvre » (

Ph.Blondel, op. cit.)3

1

H. Motulsky, in « Ecrits – Etudes et notes de procédure civile », Dalloz, 1973, p. 31 s.

2

Cf. sur ce point les pénétrantes analyses de Philippe Blondel in Mélanges en l’honneur d’André Ponsard : « Le

manque de base légale, son avenir ».

3

Cette définition est reprise par les auteurs : E. Faye, A. Besson, J. Boré, A. Perdriau, Y. Chartier, M-N et X.

Bachellier.

4

Le juge de cassation va préciser, dans chaque cas, quelles sont les « constatations

nécessaires » à la mise en oeuvre de la règle de droit considérée.

(L’on remarquera que, dans le bulletin des arrêts, les « titres » des arrêts de cassation

pour manque de base légale se terminent par « Constatations nécessaires » - les arrêts de

rejet du même grief se terminant par « Constatations suffisantes »).

Et cette insuffisance de constatation de faits indispensables à la mise en oeuvre du droit

apparaît bien comme la condition nécessaire du manque de base légale. En effet, si les

constatations de fait du juge sont complètes et suffisantes, l’application de la règle étant

erronée, le juge de cassation pourra toujours procéder par

substitution d’un motif de pur

droit

au motif de droit erroné du jugement attaqué. Alors que si les constatations de fait

sont insuffisantes, le juge de la légalité – tenu par la distinction du fait et du droit – ne

pourra pas intervenir.

Mais il reste que, si l’insuffisance de la motivation du juge du fond concerne le fait,

l’erreur qui en découle est une erreur

de droit, consistant en une mauvaise application de

la règle de droit ; le juge a fait application de la responsabilité civile, alors que ses

constatations de fait ne le lui permettaient pas.

Le manque de base légale a donc pour effet de censurer une erreur de droit des juges

du fond. En cela, ce cas d’ouverture répond parfaitement à la définition de la cassation, en

ce qu’il permet de sanctionner « la non-conformité du jugement à la règle de droit », selon

l’article 604 CPC.

*

Mécanisme du manque de base légale

4

Deux remarques générales s’imposent ici :

1- Le grief de manque de base légale échappe à l’exception de nouveauté.

2- Le grief ne s’applique pas aux seules qualifications contrôlées par la Cour de

cassation.

1- Le moyen n’est pas nouveau

On sait que le moyen, mélangé de fait et de droit, qui n’a pas été proposé aux juges du

fond, est irrecevable comme « nouveau ». Il s’agit, évidemment, d’une application du

principe selon lequel la Cour de cassation ne peut connaître du fait, réservé à

l’appréciation souveraine des juges du fond.

4

V. J. Boré « La cassation en matière civile », n°2012 et s.

A. Besson, Encycl. Dalloz, Cassation, n° 1448 et s.

5

Le manque de base légale échappe à la nouveauté, du simple fait que ce moyen ressort

de la décision attaquée elle-même ; il est révélé par cette décision ; il ne peut donc être

considéré comme nouveau.

2- Le moyen s’applique hors du domaine des qualifications contrôlées par la Cour de

cassation

Il est certain que le domaine des qualifications juridiques contrôlées par la Cour de

cassation sera le domaine privilégié du manque de base légale : ainsi de la notion de faute

en matière de responsabilité civile.

Mais le contrôle de légalité de la Cour de cassation s’exerce également dans le

domaine de l’appréciation souveraine des juges du fond ; la Cour doit vérifier que les

juges du fond ont effectivement exercé leur pouvoir souverain d’appréciation sur tel

élément d’une définition légale, non contrôlée par la Cour de cassation. Ainsi, si l’erreur

substantielle est laissée au pouvoir souverain, la Cour de cassation censure l’arrêt qui a

omis de rechercher si, dans une vente d’oeuvre d’art, les vendeurs n’avaient pas agi « dans

la conviction erronée » que l’oeuvre n’était pas d’un grand maître (1° civ, 22 février 1978

D.78,601, note

Malinvaud).

L’appréciation des juges du fond est souveraine, mais la Cour de cassation contrôle

qu’elle s’exerce dans le respect de la définition légale.

*

Pour ce qui est du fonctionnement du manque de base légale, force est de constater

que la jurisprudence est foisonnante et, à dire vrai, peu précise, laissant apparaître le

caractère très souple du grief de manque de base légale. Trop souple, d’ailleurs, car ce

grief autorise la remise en cause du fait souverainement jugé par les juges du fond.

Ainsi, à côté du manque de base légale « parfait », il existe le « pseudo » - manque de

base légale qui, prenant l’apparence du grief, ne tend en réalité qu’à remettre en cause

l’appréciation des faits. Le « modèle » de ce type de grief est le pourvoi formé en matière

de divorce pour faute, reprochant à la cour d’appel un manque de base légale au regard de

l’article 242 du code civil pour avoir retenu – ou rejeté- l’existence de la faute alléguée à

l’encontre d’un époux.

Le manque de base légale parfait – nous l’avons vu – suppose que l’appréciation de

fait omise conditionne l’application de la règle de droit ; le véritable manque de base

légale se caractérise donc par la proximité du fait avec l’application de la norme.

*

Quant à la forme des arrêts de la Cour de cassation statuant sur le moyen de manque

de base légale, il suffit d’indiquer :

- que les arrêts de rejet du grief, après avoir relevé les motifs jugés suffisants,

concluent :

6

« Qu’en l’état de ses constatations ou énonciations, la cour d’appel a légalement justifié sa

décision ».

- que les arrêts de cassation précisent que la cour d’appel « s’est bornée à... » et a

statué « sans rechercher… ; sans préciser... ; sans s’expliquer sur... ; sans

constater… ou relever ... », en quoi la cour d’appel « n’a pas donné de base légale

à sa décision» , ou « n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son

contrôle ».

5

*

Après avoir envisagé la nature et le mécanisme du manque de base légale, il nous reste

à préciser quelles sont ses fonctions.

*

Fonctions du manque de base légale

Sa fonction principale, nous venons de la définir : c’est la censure d’un jugement nonconforme

à la règle de droit.

Mais ce cas d’ouverture original a d’autres fonctions : pédagogique, d’abord, et, plus

généralement, à l’égal de la violation de la loi, une fonction de création ou de précision de

la norme juridique.

=

Fonction pédagogique

D’un point de vue en quelque sorte pédagogique, la cassation pour manque de base

légale va avoir une fonction d’orientation à l’égard du juge de renvoi. Bien souvent, cette

forme de cassation sera, pour cela, préférée à la violation de la loi, par ailleurs

caractérisée.

Il s’agit, en soulignant la carence d’un jugement, d’indiquer au juge de renvoi dans

quel sens et par quel raisonnement juridique il convient de statuer.

Un exemple typique est donné par un arrêt de la 1

ère chambre civile du 3 janvier 2006.

La juge français avait fait droit à la fin de non-recevoir tirée de l’existence d’un

divorce prononcé au Maroc, sans vérifier que ce jugement étranger satisfaisait aux

conditions de régularité internationale posées par les Conventions franco-marocaines et le

Protocole n°VII additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.

5

V. A.Perdriau, « La pratique des arrêts civils de la Cour de cassation, n° 45 s.

7

L’arrêt de la cour d’appel est cassé, pour

manque de base légale, les juges du fond

s’étant borné à retenir que le divorce avait été prononcé par les juridictions marocaines

« sans rechercher si la décision étrangère, pour être reconnue en France, respectait

toutes les conditions de régularité internationale, notamment au regard de l’ordre public

international de procédure et de fond ».

Nous sommes ici très près d’une

violation de la loi, par refus d’application. Mais le

juge de cassation a préféré expliquer au juge de renvoi ce qu’il convenait de faire – et que

n’avait pas fait le juge cassé : vérifier la régularité internationale du jugement étranger au

regard des textes internationaux applicables, et plus spécialement au regard de l’ordre

public international (allusion, ici, à la jurisprudence restrictive sur les répudiations

prononcées, notamment, au Maroc).

Il s’agit bien d’un manque de base légale parfait : il existe une insuffisance de

motivation qui porte sur un élément légal (la vérification de la régularité internationale du

jugement étranger), mélangé de fait et de droit, et cette carence conduit à une erreur dans

l’application de la règle de droit.

*

= Fonction normative

6

Nous nous proposons de montrer comment le manque de base légale, à l’instar de la

violation de la loi, participe à l’oeuvre normative de la Cour de cassation.

Cette oeuvre normative se manifeste de plusieurs façons – principalement deux :

- soit la Cour de cassation donne l’interprétation de la norme,

- soit elle contribue à son évolution, allant parfois jusqu’à la création d’une norme

nouvelle. C’est le rôle purement créateur de droit de la Cour de cassation.

Voyons comment notre manque de base légale peut s’insérer dans ce processus normatif.

Bien entendu, traditionnellement, l’on affirme que le rôle créateur de la Cour de cassation

s’exprime par le moyen de la

violation de la loi. C’est, en effet, en censurant cette

violation que la Cour va avoir l’occasion d’énoncer sa doctrine, sous la forme de l’attendu

de principe – appelé familièrement « chapeau »- qui va donner tous les éléments de la

règle méconnue.

Cette opinion doit cependant être nuancée, car de nombreux arrêts de rejet ont un

contenu normatif important, parfois créateur de normes. Ainsi, dans le droit de l’arbitrage

international – par nature de source essentiellement jurisprudentielle -, les règles

fondamentales ont été souvent posées par des arrêts de rejet. Ainsi, le principe fondateur

6

Nous renvoyons ici à l’étude, approfondie, que Dominique Foussard a consacré à la question dans « La Cour

de cassation et l’élaboration du droit « -Economica -2004

sous le titre : « Manque de base légale et création de

la règle » ;

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de l’autonomie de la clause d’arbitrage trouve t-il son origine dans un arrêt de rejet (l’arrêt

Gosset

, du 7 mai 1963, Bull. n°246 (1)), dont la doctrine a été précisée par un autre arrêt

de rejet (

Dalico, du 20 décembre 1993, Bull. n° 372). De même, l’affirmation de

l’arbitrabilité du litige relatif à un contrat international conclu par une personne publique

résulte d’une rédaction au rejet (

Galakis, 2 mai 1966, D. p.575). Or, il ne s’agissait rien de

moins que d’écarter la prohibition de compromettre pour les personnes publiques,

résultant des textes.

La créativité jurisprudentielle n’est donc pas réservée aux seuls arrêts de cassation.

Et elle ne s’exprime pas seulement dans les arrêts de cassation pour violation de la loi.

Un résultat à peu près équivalent – l’élégance de rédaction en moins – peut être obtenu

au moyen d’une cassation pour manque de base légale.

=

quant à l’interprétation de la norme

Reprenons l’exemple – déjà cité – de la cassation d’un arrêt qui avait rejeté l’action en

nullité de la vente d’un tableau pour erreur sur la substance. La cassation intervient pour

manque de base légale ; il est reproché à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si le

vendeur – qui avait cru vendre une oeuvre mineure, alors qu’après la vente, le tableau avait

été attribué à un grand maître - n’avait pas agi, au moment de la vente « dans la conviction

erronée » que l’oeuvre n’était pas de la main du maître.

Voici livrée une forme de définition de l’erreur sur la substance par la Cour de

cassation, et donc, une condition d’application de ce vice du consentement. Nous sommes

bien dans le domaine du droit, mais c’est au juge du fond de rechercher la circonstance de

fait (la « conviction erronée ») qui va déterminer l’application du droit.

Ici, le manque de base légale a servi à préciser la notion juridique d’erreur sur la

substance et les conditions de sa mise en oeuvre.

=

quant à l’affirmation de la norme

Le manque de base légale est, pour la Cour de cassation, l’occasion de réaffirmer la

norme méconnue par les juges du fond.

Dans le droit de l’arbitrage est énoncé un principe fondamental, « selon lequel il

appartient à l’arbitre de statuer sur sa propre compétence ». La jurisprudence en a déduit

une règle de priorité de la compétence arbitrale par rapport à la compétence du juge

étatique, lorsqu’il est saisi. Le juge étatique doit donc se déclarer incompétent et renvoyer

le litige aux arbitres, sous une seule exception : qu’il constate que la convention

d’arbitrage est « manifestement nulle ou inapplicable ». C’est la seule hypothèse dans

laquelle la juridiction de l’Etat peut se déclarer compétente à l’égard d’un litige soumis à

l’arbitrage.

9

La Cour de cassation contrôle très strictement l’application de cette règle, et casse la

décision du juge étatique qui se reconnaît compétence sans relever le caractère nul ou

inapplicable de la convention d’arbitrage.

Nous avons sur ce sujet un excellent exemple de cassation pour manque de base

légale :

1° civ, 16 novembre 2004,

Rev. Arb. 2005, p.674

L’arrêt de cassation relève que la cour d’appel s’est reconnue compétente pour un

litige soumis à l’arbitrage, « sans relever la nullité ou l’inapplicabilité manifeste de la

convention d’arbitrage, seule de nature à faire obstacle au principe susvisé, qui consacre la

priorité de la compétence arbitrale pour statuer sur l’existence, la validité et l’étendue de

la convention d’arbitrage », et qu’ainsi, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa

décision ».

Bel exemple de « manque de base légale parfait », qui rappelle le juge du fond au

respect de la norme juridique.

Autre exemple, le rappel à la norme, adressé au juge du fond qui a omis de faire

application de la Convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de

l’enfant et, plus spécialement de la notion d’intérêt de l’enfant considéré comme

« primordial », en vertu de l’article 3.1 du traité :

1° civ, 13 mars 2007

, Bull. civ. I, n°103.

L’arrêt vise à la fois l’article 3.1 de la Convention de New York, et l’article 373-2 du

code civil, selon lequel le juge statue sur la résidence de l’enfant « selon ce qu’exige

l’intérêt de l’enfant ».

Dans un attendu de principe (« chapeau » de tête) il définit le contenu des normes

visées.

Et dans le conclusif, il censure la cour d’appel qui a statué « par des motifs sans

rapport avec l’intérêt de l’enfant considéré comme primordial, ce qu’elle n’a pas

recherché », d’où il est conclu que la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Cet arrêt est remarquable en ce que – exactement comme l’aurait fait un arrêt de

cassation pour violation de la loi – il comporte, en tête, un attendu de principe qui définit

la doctrine de la Cour de cassation quant à l’application directe de l’article 3.1 de la

Convention de New York.

=

quant à la création de la norme

C’est le point ultime de la technique du manque de base légale ; le cas où ce moyen

permet à la Cour de cassation de faire évoluer le droit.

L’exemple est tiré de la matière de l’exequatur des jugements étrangers. Les

conditions de la reconnaissance et de l’exécution en France des jugements étrangers ont

10

été définies par un arrêt célèbre de la 1

ère chambre civile, du 7 janvier 1964 (Munzer,

Grands arrêts de DIP, n° 41 p.367). Parmi ces conditions figurait que le juge étranger « ait

fait application de la loi compétente d’après les règles de conflit françaises ».

L’évolution du droit international – et la confiance accrue dans les jugements étrangers

– ont fait que cette condition est apparue comme excessive, en ce qu’elle imposait

universellement les règles françaises de conflit de lois. La première chambre civile

souhaitait l’abandonner, ou, à tout le moins, y substituer l’exigence que le juge étranger ait

fait application de la loi « appropriée », c'est-à-dire de la loi la plus proche du litige.

L’abandon de cette exigence d’application, par le juge étranger, de la règle française

de conflit de lois est intervenu en 2007 (

Cornelissen, 20 février 2007, GP spécial

Contentieux judiciaire international, n° 123 du 3 mai 2007, note M-L Niboyet).

L’arrêt qui nous intéresse est du 4 juillet 2006, donc antérieur à l’arrêt

Cornelissen,

mais il l’annonce, en quelque sorte. Voici comment :

Il s’agissait de l’effet en France d’un jugement suédois de reconnaissance de paternité

naturelle. La cour d’appel avait admis la reconnaissance de ce jugement en France, en le

considérant comme régulier, mais sans se prononcer sur la loi appliquée par le juge

étranger.

L’arrêt est cassé, pour manque de base légale, la cour d’appel n’ayant pas recherché

« si le jugement étranger remplissait toutes les conditions de régularité internationale tant

au regard de la compétence du juge saisi,

que de l’application au litige de la loi

appropriée

».

Dans son conclusif de cassation, la 1

ère chambre civile invite le juge de renvoi à

vérifier que le juge étranger a bien fait application au litige « de la loi appropriée » - et

non plus, comme l’exigeait l’arrêt

Munzer, de la loi désignée par la règle de conflit

française. L’évolution de la règle de droit est manifeste, et c’est la structure spécifique du

manque de base légale qui a permis de la réaliser.

*

11

Aussi est-il permis de conclure – au moins provisoirement – que le manque de base

légale est un véritable cas d’ouverture à cassation :

- en ce qu’il permet de censurer une forme d’erreur dans le raisonnement juridique

des juges du fond, erreur suffisamment grave pour que la décision qui en est

affectée ne puisse pas être maintenue ;

- en ce qu’il est l’un des modes d’exercice, par la Cour de cassation, de son activité

normative, lui donnant l’occasion de préciser les conditions d’application de la loi,

voire même de faire évoluer cette application.

En ce sens, l’on peut affirmer que le manque de base légale participe pleinement à l’oeuvre

de la Cour de cassation, en tant que gardienne du droit.



14/04/2013
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