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Demain les détenus iront peut-être aux audiences... en stop

Par Michel Huyette


  Nous avons tous bien compris le message transmis en boucle depuis maintenant de nombreux mois : le gouvernement, mettant en avant l'existence de restrictions budgétaires, a décidé de réduire considérablement les moyens des services publics, notamment par la réduction très importante du nombre des agents de l'Etat.

   Si le personnel des hôpitaux exprime de plus en plus ses inquiétudes, si les enseignants s'alarment de ne plus être en mesure d'exercer pleinement leurs missions éducatives, la justice n'est pas épargnée par cette problématique, comme le montre l'actualité de ces derniers jours. Mais revenons un tout petit peu en arrière pour commencer.

  Depuis la nuit des temps, les détenus qui doivent comparaître devant un juge sont transférés de leur prison au palais de justice par des policiers ou des gendarmes. Cela mobilise chaque semaine un très grand nombre de personnes de ces deux corps.

   Les coupes budgétaires ayant atteint le ministère de l'intérieur et celui de la défense, et faute de personnes en nombre suffisant pour assurer les missions de maintien de l'ordre, le gouvernement a décidé, pour soulager ces deux ministères, que les transfèrements devraient être assurés par l'administration pénitentiaire (AP), rattachée au ministère de la justice, et qui gère les prisons. Le système est en cours d'expérimentation.

   Le problème, c'est que le personnel de l'administration pénitentiaire est déjà bien occupé, et à des tâches essentielles. Pourtant, il faut bien remplacer les milliers de policers et gendarmes assurant jour après jour les transfèrements par autant de surveillants de l'AP. Il aurait dès lors été plutôt logique, et raisonnable, de ne procéder au transfert de charges qu'une fois assuré un recrutement suffisant d'agents de l'AP afin que cette administration puisse réellement et efficacement prendre le relai des précédentes.

   Et bien non. Cela ne fonctionne jamais comme cela. C'est un peu comme certaines lois, par exemple la collégialité de l'instruction. Une loi de décembre 1985 avait prévu des chambres de l'instruction intervenant lors des étapes les plus importantes de l'instruction. Mais faute de moyens ce texte a été abrogé avant même son entrée en vigueur par une loi de décembre 1987. Il en va de même de l'instauration d'une formation collégiale de l'instruction, prévue par une loi de 2007, et dont l'entrée en vigueur a plusieurs fois été reportée, faute de moyens puis à cause d'un projet, aujourd'hui abandonné, de suppression du juge d'instruction....

   Quoi qu'il en soit, les effets pervers de cette incapacité à prévoir d'abord les moyens, ensuite la modification des règles, ne se sont pas fait attendre, comme l'ont récemment signalé de nombreux magistrats.

 
   A Nancy, un détenu envers lequel il n'existait aucune raison d'être bienveillant a été remis en liberté au seul motif que l'administration pénitentaire ne l'a pas conduit au tribunal malgré la demande expresse des magistrats, faute de personnel pour assurer cette mission.

   Il faut savoir en effet qu'en procédure pénale, et s'agissant de la détention, la loi prévoit à de nombreuses reprises qu'un juge doit revoir la situation de la personne emprisonnée et rendre une nouvelle décision pour prolonger le titre de détention si cela est nécessaire. Mais la loi prévoit aussi, heureusement, que l'audience doit se tenir en présence des intéressés. Et quand ils ne sont pas là, les juges doivent renvoyer l'examen de l'affaire à une autre audience... qui peut être à une date postérieure à la date limite de validité du titre de détention en cours.  Plus de titre de détention, plus de détention. Dès lors l'intéressé est obligatoirement remis en liberté, même s'il s'agit du pire des criminels.

  Cela n'est pas un cas isolé. Ces derniers jours les magistrats très inquiets ont à plusieurs reprises tiré la sonnette d'alarme et signalé de très nombreux dysfonctionnements.

  A titre d'exemple, dans tout le département de Meurthe et Moselle, il n'y a que 6 personnes de l'AP pour assurer les transfèrements alors que les besoins sont estimés à plus du double pour le seul tribunal de Nancy. C'est pourquoi l'AP a fait savoir aux magistrats qu'elle ne serait pas en mesure d'assurer un certain nombre de transfèrements, alors qu'il semblerait que l'un concerne une affaire de viol et deux autres une affaire de stupéfiants.

   A Thionville, un juge d'instruction s'est vu opposer trois refus de transfèrement de la part de l'AP et de la gendarmerie. Il n'aura donc pas dans son bureau les individus pour lesquels il instruit un dossier et devra lui aussi reporter les débats avec les risques procéduraux précités. En effet il s'agissait dans un cas d'une confrontation, et dans les deux autres du débat sur la prolongation de la détention.
  Et dans cette ville, et au-delà du seul service de l'instruction, 9 refus de transfèrement ont déjà été portés à la connaissance des magistrats.


  Au TGI de Metz il y a eu ces derniers jours 4 refus d'extraction à l'instruction et un chez le juge des enfants.

  A Moulins, des demandes d'extraction ont été transmises à l'AP en août pour des audiences en octobre, et les refus, qui "pleuvent" selon l'expression d'un collègue, ont été transmis cette semaine seulement.


  C'est pourquoi il pourrait être judicieux de proposer aux détenus de se rendre au tribunal par leur propres moyens, en leur suggérant de faire du stop pour que cela ne coûte rien, et en leur demandant le plus aimablement possible de ne pas en profiter pour se faire la belle.


  Tout ce qui précède ne nécessite pas de longs commentaires (lire ici). C'est ainsi, chacun se fera sa propre opinion sur la façon dont les évolutions décidées sont gérées.

  Ce qui est autrement plus grave, c'est la remise en liberté d'un individu pouvant être dangereux, avec évidemment un risque de récidive. Il est assez difficile à comprendre que le gouvernement ait autorisé les services de police et de gendarmerie à refuser de remplacer les services de l'AP en cas de défaillance.

  Il n'en reste pas moins qu'un détail est à relever.

  Quand un individu est remis en liberté par la justice et qu'il récidive, quand bien même les raisons de ne pas le maintenir en détention étaient réelles et fortes, aussitôt les magistrats sont montrés du doigt et la population est encouragée à les lyncher sur la place publique.

   Mais vous aurez sans doute remarqué que quand bien même un détenu a été remis en liberté à cause de l'incapacité de l'administration de gérer les problèmes de transfèrement, cette fois-ci c'est le silence total.


  C'est sans doute la faute à personne.



09/09/2011
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