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Enfant enlevé, justices opposées.Un Français se bat pour revoir sa fille, gardée à Prague par sa mère tchèque.

 

Par GROSJEAN Blandine

Juridiquement, on appelle ces affaires «aspects civils de

l'enlèvement international d'enfants». Concrètement, il y a une photo de l'enfant, des jugements en langue étrangère et quelques traductions approximatives prenant le contre-pied de décisions françaises. Et la même absence insupportable pour le parent qui s'est fait voler son enfant. Il existe pourtant deux types de dossiers: ceux qui mettent aux prises un Français et un ressortissant d'un des quarante Etats ayant ratifié la convention de la Haye du 25 octobre 1980 (lire ci-contre). Et les autres, dont celui de Christian Damane, responsable d'une chaîne d'hypermarchés, qui vit à Mercurol, dans la Drôme. La mère est tchèque. La fillette s'appelle Karen Damane, elle a eu 2 ans le 5 septembre dernier et son père Christian ne l'a plus vue depuis le 31 janvier 1995. Départ inexpliqué. Ce jour-là, il trouve la maison vide à son retour du bureau. Karin, sa compagne, leur fille Karen et le chien sont sur la route de Prague. Karin a vidé un de leurs comptes communs, expédié en République tchèque une quinzaine d'appareils électroménagers et détruit toutes les photos de leurs dix ans de vie commune. Les voisins, entendus par les gendarmes drômois, racontent tous que le couple semblait bien s'entendre et vivait sur un train confortable. Les parents s'occupaient bien de la petite, le père lui était très attaché. Christian Damane se rend à Prague, pour tenter de comprendre et embrasser sa fille. Il ne voit que la grand-mère, qui le rassure en lui parlant d'une dépression passagère de Karin. Il retrouve un homme étrange, aujourd'hui recherché par la police pour avoir participé à un trafic de pièces détachées en utilisant notamment le domicile de Christian Damane à son insu. Ce monsieur Wlk, un ami de la grand-mère, lui propose de réaliser une vidéo de la petite fille et des photos en échange de 15 000 F. Christian Damane paye. Il n'aura jamais les photos, mais ne cesse depuis de débourser pour tenter de garder le contact. Mandats, colis, avocats, détectives. Il a englouti des dizaines de milliers de francs en pure perte. Sauf sur le territoire français où le tribunal de grande instance de Paris lui a attribué le 22 janvier 1996 un droit de visite et d'hébergement et a intimé l'interdiction aux parents de conduire l'enfant, sans l'accord de l'autre, hors des territoires tchèques et français. Mais la République tchèque n'ayant pas ratifié la convention de la Haye, cette injonction n'a aucune portée. Le jugement est pourtant en théorie directement applicable en République tchèque si l'on se réfère à la convention franco-tchèque de 1984 sur la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière familiale. En théorie, car comme le rappelle Alain Cornec, avocat parisien spécialisé dans ce genre de dossiers, ces batailles-là ne se gagnent que sur le territoire de l'adversaire. Et là-bas, les choses s'annoncent plutôt mal.

Huit mois après sa fugue, et des déplacements incessants dans la banlieue pragoise, Karin accepte soudainement que Christian Damane rencontre sa fille. Il se rend immédiatement au domicile de la grand-mère maternelle. Trois colosses l'accueillent en le jetant à terre. Il se fait rosser et se retrouve au commissariat central de Prague, accusé d'activités terroristes. L'ambassade de France dépêche un de ses représentants, une plainte est déposée et Christian Damane repart avec des excuses officielles mais sans avoir vu sa fille. C'est à cette époque qu'il commence à perdre pied. Il bombarde de fax toutes les relations pragoises de Karin, adresse des courriers comminatoires au consulat de France et tente d'approcher par tous les moyens ceux qui font la justice à Prague. Il irrite. Seule, l'arrière-grand-mère de Karen accepte de lui donner quelques nouvelles et répond à ses courriers. Destination Australie. Quelques mois plus tard, Karin Jezek devient madame Chalupa, après un mariage express avec un Australo-Tchèque. Par deux fois, elle tente d'obtenir un visa pour l'Australie, afin de rejoindre son mari affirme-t-elle, pour soustraire l'enfant à son père rétorque ce dernier. L'ambassade d'Australie à Vienne, alertée par les autorités françaises a refusé jusqu'à présent de délivrer un visa pour la fillette. Le 23 novembre 1995, soit deux mois avant la décision française, la mère obtient un jugement provisoire du tribunal du district de Prague-Ouest. La fillette est confiée à sa mère, et la requête du père visant à l'empêcher de quitter le territoire tchèque est rejetée: «Vu que l'enfant mineure et la mère ont toutes deux la nationalité tchèque, c'est donc le tribunal de la République tchèque qui est compétent pour prendre des décisions dans l'affaire de la garde de l'enfant mineure», estime le tribunal. «Nationalisme primaire»? Éternel problème. En France, Karen est réputée française, comme sa mère, naturalisée depuis 1992. «Dans ces dossiers, reconnaît-on diplomatiquement à la chancellerie, il est habituel que les juridictions atomisées appliquent le droit local par méconnaissance du droit international.» Les avocats, eux parlent de «nationalisme primaire». Les pays arabes ou les ex-républiques socialistes ne sont pas les seuls à protéger leurs ressortissants. C'est avec l'Allemagne, pourtant signataire de la convention internationale de la Haye de 1980, que le contentieux est le plus rude, ce pays ne reconnaissant pas l'autorité parentale conjointe lorsque les parents ne sont pas mariés. Au tribunal de grande instance de Paris, les magistrats avaient conseillé à Christian Damane de s'en tenir à une demande de droit de visite sans exiger la garde de l'enfant, considérée comme «irréaliste». Christian Damane a fait appel. En avril dernier, le tribunal de Prague a confirmé le premier jugement. Aucune mention n'était faite du jugement français rendu trois mois auparavant. Si, comme le craint Christian Damane, la justice tchèque refuse de rendre exécutoire le jugement français, la situation deviendra inextricable.



02/12/2011
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