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Justice et police Polémiques autour de la condamnation de policiers malhonnêtes

 

 

Justice et police

Samedi 11 décembre 2010 6 11 /12 /Déc /2010 13:58

Par Michel Huyette

  Voici quelques jours, sept policiers ont comparu devant un tribunal correctionnel. Il leur était reproché, selon les medias, d'avoir exercé des violences sur un homme qu'ils avaient, en plus, mensongèrement accusé de tentative d'homicide. Plus précisément, ils prétendaient que les blessures de l'un d'entre eux étaient le fait d'une personne qu'ils poursuivaient alors qu'en vérité elles avaient pour origine une collision avec un autre véhicule de police. Et par ailleurs, ils avaient frappé cet homme alors qu'il était à terre et rédigé une toute autre version de l'incident, tout aussi fausse, dans leurs procès verbaux. Bref, ces policiers, qui semble-t-il n'ont pas contesté les faits dans leur principe, ont délibérément falsifié la réalité et rédigé des procès verbaux au contenu mensonger.

  Le ministère public, après avoir à l'audience sévèrement critiqué le comportement de ces policiers, en parlant notamment de "méthodes de gestapo" (1), avait requis des peines d'emprisonnement avec sursis allant de six mois à une année. Mais le tribunal, appréciant autrement la gravité des infractions commises par ces policiers, a prononcé des peines allant jusqu'à une année d'emprisonnement ferme (2). Il a été également décidé, pour certains d'entre eux, de ne pas faire obstacle à l'inscritption de la sanction sur leur casier judiciaire, ce qui peut entraîner leur révocation de la police.

  Aussitôt les syndicats de policiers ont dénoncé ces sanctions, et le soir même du jugement plusieurs dizaines d'entre eux sont allés s'exprimer bruyamment devant le palais de justice y compris en utilisant leur véhcule de service.

  C'est ensuite le ministre de l'intérieur qui a déclaré, toujours selon les medias, que "sans naturellement méconnaître la nature des faits qui ont été reprochés aux policiers, ce jugement, dans la mesure où il condamne chacun des sept fonctionnaires à une peine de prison ferme, peut légitimement apparaître, aux yeux des forces de sécurité, comme disproportionné". Il s'est ensuite réjoui que le ministère public ait fait appel de la décision, dans le but, logiquement, qu'elle soit réduite en appel (3).


  Ce qui vient de se passer appelle quelques observations.

  Il n'est sans doute pas utile de s'arrêter très longtemps sur les réactions outrées des syndicats de policiers. Le corporatisme étant ce qu'il est, ils sont d'une certaine façon dans leur rôle en défendant dans toutes les circonstances, même les moins faciles, ceux qui sont non seulement des membres de la même profession mais aussi des électeurs potentiels. Au demeurant, le contenu de certains communiqués est tellement excessif que les syndicats signataires se ridiculisent eux-mêmes sans qu'il soit utile d'ajouter quoi que ce soit.

   Ce qui est plus ennuyeux, ce sont les réactions politiques et notamment celle du ministre de l'intérieur.

   Ce que l'on constate d'abord, c'est que le ministre, s'il a rapidement fait comprendre qu'il trouvait injustifiée la sanction des policiers malhonnêtes, n'a jamais exprimé son avis, même indirectement, sur la gravité des faits qui ont conduit ces policiers devant un tribunal correctionnel. Il n'a pas non plus fait savoir quelles sont les sanctions qui lui semblent les plus appropriés face à ce genre d'infractions. 

  Pourtant, pour pouvoir utilement porter une appréciation sur une condamnation prononcée par une juridiction pénale, il faut préalablement avoir analysé les faits reprochés. Commenter une sanction  judiciaire sans avoir mesuré la gravité des faits poursuivis n'a pas de sens. Or, selon les comptes-rendus des médias, à aucun moment le ministre de l'intérieur n'a donné son opinion sur la gravité des mensonges et des falsifications opérées par des policiers assermentés.


   Toutefois, il est difficile de considérer ces faits autrement que comme très graves. 

  D'abord parce que le fait d'accuser un individu d'avoir exercé des violences contre des policiers est susceptible de l'envoyer devant un tribunal correctionnel si ce n'est devant une cour d'assises.  Ce qui n'est quand même pas rien. Il serait utile que les policiers, le préfet et le ministre nous expliquent plus avant ce qui les incite à considérer que de la part de policiers accuser mensongèrement un citoyen innocent de tentative de meurtre n'est vraiment pas bien grave.

  Ensuite parce que ces mensonges sont le fait de policiers, investis d'une mission de service public, et dont le travail consiste à défendre les citoyens et non pas à les accuser mensongèrement. 

  Enfin par ce qu'en agissant ainsi, ces policiers prennent le risque de jeter le discrédit sur l'ensemble des procédures de police. On imagine bien dans les semaines et les mois qui viennent des avocats venir plaider devant les juridictions correctionnelles de France le doute quant à la véracité des procédures de police en donnant comme exemple les falsifications dont se sont rendus coupables les policiers qui viennent d'être sanctionnés.



   Il n'empêche que le constat de la gravité des infractions poursuivies devant une juridiction pénale ne nous indique pas à lui seul la mesure de la sévérité des sanctions qui doivent être prononcées.  Dans notre affaire, deux questions distinctes se sont posées.

  La première concerne la peine à prononcer, en termes de prison avec sursis ou de prison sans sursis. Chacun se fera sa propre opinion.

  Mais il serait intéressant de savoir ce qui a conduit le ministère public à prendre des réquisitions très modérées : est-ce une initiative du seul substitut d'audience ? A-t-il reçu des instructions écrites du procureur de la République comme mentionné dans un quotidien du soir ? Et quelles raisons ont alors justifié de telles instructions/réquisitions ?

  Il ne faudrait quand même pas oublier que quand il y a une distorsion entre les réquisitions et le jugement, c'est peut être parce que les juges ont été excessivement sévères. Mais ce peut être tout autant parce que le ministère public a bien mal apprécié la gravité des faits...

  La deuxième question, peut-être comparativement plus importante, concerne l'opportunité de permettre à ces hommes qui ont triché de continuer à travailler au sein de la police. Autrement dit, il s'agit d'apprécier s'ils doivent être ou non révoqués.



   Quoi qu'il en soit, les réactions policières et politiques consistant à soutenir les policiers condamnés  en laissant de côté ou en ignorant délibérément la gravité des faits qu'ils ont commis sont susceptibles de troubler considérablement le fonctionnement démocratique de la société. En effet, que peuvent comprendre des citoyens quand ils entendent directement ou de façon implicite, dans la bouche des responsables politiques, que de la part de policiers mentir, tricher, falsifier des procès-verbaux, accuser injustement un citoyen qui n'a rien fait, ne mérite pas finalement une sanction bien sévère.

  On ne peut s'empêcher de repenser à cet ancien ministre de l'intérieur, récemment condamné par la cour de justice de la république, et qui en son temps avait publiquement, à la sortie d'un conseil des ministres, affirmé devant les caméras qu'il couvrirait les policiers quel que soit leur comportement. Dans les mois qui ont suivi, le nombre des bavures policières a augmenté comme jamais dans l'histoire de la police.



  Alors est-il opportun, en 2010 et dans une société démocratique, de faire passer comme message à ceux qui délibérément ignorent les règles déontologiques de base  qui doivent guider leur comportement quotidien qu'ils seront soutenus, au moins en partie, même en cas de violation flagrante et inacceptable de ces règles ?

  Est-il opportun, en ne reprochant rien aux policiers venus manifester devant la palais de justice, en uniforme et avec leur véhicule de fonction, d'inciter tous les mécontents des décisions de justice à s'en prendre à l'institution et à les encourager à faire pression sur elle par l'intimidation ?

   Au demeurant, les policiers, dont le comportement irréprochable est l'une des conditions pour qu'ils obtiennent la confiance de leurs concitoyens, ne se rendent peut-être pas compte des ravages qui peuvent être les conséquences d'attitudes purement corporatistes.


   Il n'est pas illégitime de réfléchir collectivement sur les sanctions les plus appropriés quand des policiers, ou d'autres membres de professions exerçant un service public d'importance, commettent des actes gravement fautifs. Cela peut d'ailleurs concerner les magistrats tout autant que les policiers.

   Mais lorsque les équilibres fondamentaux sont remis en question, notamment lorsque ceux qui agissent à l'envers de ce que leur devoir exige  sont soutenus par ceux qui ont  pourtant pour mission de veiller à la préservation de ces équilibres, c'est l'ensemble de la société qui se retrouve en danger.

   C'est pour toutes ces raisons que ce qui se passe est extrêmement préoccupant.

 

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1. Il semblerait qu'une enquête administrative ait été ouverte à cause des propos tenus. Il s'agira alors de préciser où s'arrête la liberté de parole des magistrats du ministère public mentionnée à l'article 33 (texte ici) du code de procédure pénale.
2. Peines qui, cela n'a pas été assez souligné, sont immédiatement aménageables, c'est à dire que très probablement ces policiers, à supposer même que la prison ferme soit confirmée en appel, ne passeront pas une seule journée en détention. Et qui, objectivement, sont relativement faibles eu égard aux peines (15 ans de prison) encourues pour les "faux" commis par des dépositaires de l'autorité publique, dont font partie les fonctionnaires de police, et qui sont énoncées à l'article 441-4 du code pénal (textes ici). En effet, quand une personne qui risque 15 ans de prison repart avec 1 année de prison, habituellement les commentateurs considèrent que la juridiction a été très indulgente......
3. Après la première mise en ligne de cet article, on lit dans la presse que le Préfet du département, spécialement nommé par le président de la République, est allé dans un commissariat pour "rendre visite aux sept policiers condamnés". Mais pour leur transmettre quel message ? Il est peu probable que ce soit pour leur manifester personnellement sa désapprobation. Et on attend toujours qu'un membre du gouvernement ou un élu du même bord dise que ce qu'on fait ces policiers est inadmissible



03/02/2011
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