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La confrontation de la loi et des faits.

La confrontation de la loi et des faits.
Constatation d’une atteinte à l’intérêt protégé.

Le consentement de la victime est inopérant lorsque l’intérêt protégé est indisponible. Tel est le cas de la vie et de l’intégrité corporelle, attributs inviolable de la personne humaine: Cour de cassation (Chambres Réunies, et après délibération. en Chambre du conseil) 15 décembre 1837 (arrêt P...).

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Qualification des faits - constatation d’une atteinte à l’ordre social - actes accomplis en état de nécessité non punissables.

Trib.corr. Château-Thierry 4 mars 1898

et Amiens 22  avril 1898 (D.1899 II 329).

Dlle M...

 

Le Tribunal -  Attendu que la fille M..., prévenue de vol, reconnaît avoir pris un pain dans la boutique du boulanger P... ; qu’elle exprime très sincèrement ses regrets de s’être laissée aller à commettre cet acte;

Attendu que la prévenue a à sa charge un enfant de deux ans, pour lequel personne ne lui vient en aide, et que, depuis un certain temps, elle est sans travail, malgré ses recherches pour s’en procurer; qu’elle est bien notée dans sa commune et passe pour laborieuse et bonne mère; qu’en ce moment, elle n’a d’autres ressources que le pain de trois kilos et les quatre livres de viande que lui délivre, chaque semaine, le bureau de bienfaisance de C... , pour elle, sa mère et son enfant;

Attendu qu’au moment où la prévenue a pris un pain chez le boulanger P..., elle n’avait pas d’argent, et que les denrées qu’elle avait reçues étaient épuisées depuis trente-six heures; que ni elle ni sa mère n’avaient mangé pendant ce laps de temps, laissant pour l’enfant les quelques gouttes de lait qui étaient dans la maison; qu’il est regrettable que, dans une société bien organisée, un membre de cette société, surtout une mère de famille, puisse manquer de pain autrement que par sa faute; que lorsqu’une pareille situation se présente, et qu’elle est, comme pour la fille M..., très nettement établie, le juge peut et doit interpréter humainement les inflexibles prescriptions de la loi;

Attendu que la misère et la faim sont susceptibles d’enlever à tout être humain une partie de son libre arbitre, et d’amoindrir en lui, dans une certaine mesure, la notion du bien et du mal; qu’un acte ordinairement répréhensible perd beaucoup de son caractère frauduleux, lorsque celui qui le commet n’agit que par l’impérieux besoin de se procurer un aliment de première nécessité sans lequel la nature se refuse à mettre en oeuvre notre constitution physique; que l’intention frauduleuse est encore atténuée, lorsqu’aux tortures aiguës de la faim vient se joindre, comme dans l’espèce, le désir, si naturel chez une mère, de les éviter au jeune enfant dont elle a la charge; qu’il en résulte que tous les caractères de l’appréhension frauduleuse librement et volontairement perpétrée ne se retrouvent pas dans le fait accompli par la fille M..., qui s’offre à désintéresser le boulanger P... sur le premier travail qu’elle pourra se procurer; qu’en conséquence, il y a lieu de la renvoyer des fins des poursuites...

Sur appel du ministère public.

 

La Cour -  Considérant que les circonstances exceptionnelles de la cause ne permettent pas d’affirmer que l’intention frauduleuse ait existé, au moment où la fille M...  a commis l’acte qui lui est reproché; que le doute doit profiter à la prévenue;

Sans adopter les motifs des premiers juges ; confirme le jugement dont il est fait appel...

Note. : Que l’on se tourne vers les moralistes ou les juristes, la doctrine traditionnelle était nettement en ce sens.

Thomas d’Aquin, « Somme théologique » II-II, quest. 66, art. 7 : Se servir du bien d’autrui que l’on a dérobé dans un cas d’extrême nécessité n’est pas un vol à proprement parler; car, du fait de cette nécessité, ce que nous prenons pour conserver notre vie devient nôtre.

Muyart de Vouglans, « Les lois criminelles de France » (Paris 1783) p.279 : Si le vol n’est fait que par nécessité, comme lorsqu’étant pressé par une faim extrême, l’on vole du pain ou autre chose comestible, l’on n’est point dans le cas d’être puni comme voleur.

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Qualification des faits - constatation d’une atteinte à l’ordre social - actes accomplis en état de nécessité non punissables.

Colmar 6 décembre 1957 (D. 1958 357).

R....

 

En droit. - Attendu que la reconnaissance de l’état de nécessité est un des fondements du droit ; que toutes les civilisations juridiques évoluées, dégagées du légalisme initial le consacrent, soit dans la loi, soit dans la doctrine et la jurisprudence; ce qui caractérise l’état ou « l’effet » de nécessité, c’est « la situation dans laquelle se trouve une personne, qui, pour sauvegarder un intérêt supérieur, n’a d’autre ressource que d’accomplir un acte défendu par la loi pénale » (note Charles de Visscher, citée dans Foriers. « L’état de nécessité en droit pénal », p. 343) ;

Attendu qu’il est invoqué d’ordinaire pour la défense de l’ordre public (affaire M... H..., Revue jurid. d’Alsace 1956, p. 289), ou pour la sauvegarde de la vie humaine, ou pour justifier soit l’appropriation de denrées indispensables à l’entretien de la vie en cas d’extrême pénurie (Amiens 22 avril 1898, S. 1899 II 1), soit l’emploi de moyens irréguliers pour procurer à une famille, dans une période de crise aiguë du logement, l’abri dont elle ne saurait se passer (Trib.corr. Colmar, 27 avril 1956, D. 1956, 500);

Attendu que si l’état de nécessité est une notion strictement exceptionnelle, il serait contraire à son esprit d’en limiter l’application à la défense d’intérêts matériels fussent-ils vitaux; qu’on doit l’étendre à la protection des intérêts moraux supérieurs, tel l’honneur de la personne ou du foyer qui, pour l’honnête hom­me, ont autant de prix que la vie ; qu’il convient donc de rechercher dans l’examen du point de fait si le prévenu, au moment où il a décidé de pénétrer dans la résidence de sa femme, pouvait craindre très sérieusement que sa fille courût un danger moral grave et immédiat, et si le dommage qu’il a causé à la société en enfreignant la loi et à sa femme en s’introduisant chez elle peut être mis en balance avec cette menace;

En fait. - Attendu qu’il ressort d’un nouvel examen des faits de la cause que la jeune D... se trouvait en danger moral auprès de sa mère, qui l’associait à sa vie sensuelle, tout entière axée sur le plaisir; qu’en constatant le 8 juin 1957 que sa femme faisait entrer chez elle des connaissances de rencontre, ce danger ne pouvait manquer d’apparaître plus pressant à R... ; que R... y a paré en expulsant les deux intrus ;

Attendu que la Cour ne peut suivre les premiers juges quand ils déclarent que « même si le prévenu s’était soucié de l’honneur de sa fille, le délit serait constitué, étant donné que l’accès du logement de sa femme lui était interdit par l’ordonnance de non conciliation »; que c’est là perdre de vue que la nécessité d’une intervention immédiate dans un logement dont l’accès est interdit peut l’emporter dans la balance des impératifs sur l’obligation de respecter cette interdiction; que si le feu s’était déclaré dans le logement en question, personne n’aurait pu faire grief à R... d’y avoir pénétré, même de force, pour sauver ses enfants, malgré l’ordonnance présidentielle; qu’en l’espèce le danger qui menaçait sa fille était autre; qu’il n’en était pas moins grave; qu’il est impossible d’admettre, comme le fait le jugement, que la présence de deux hommes dans l’appartement éliminait tout danger pour sa fille, puisque c’est précisément de ces hommes, connaissances de rencontre, que venait le danger;

qu’on ne peut faire grief à un père d’avoir fait passer le souci de l’intégrité morale de la fille avant toute autre considération; que le préjudice causé à la société et à la dame R... est moindre que les suites fâcheuses qui pouvaient résulter d’agissements capables de pervertir sa fille; qu’au surplus, cette intervention, si elle fut brutale, se réduit à un fait unique et que, R... s’étant retiré aussitôt après avoir expulsé les intrus et corrigé sa fille, on ne saurait y voir un parti pris de troubler l’existence de son épouse dans la résidence que lui avait assignée l’ordonnance présidentielle ; que l’intention de compromettre son épouse, que le tribunal croit voir chez l’inculpé, est peu vraisemblable, puisque, à l’époque, le procès de divorce avait déjà été plaidé (audience du 28 mai) et que l’enquête et une procédure en conservation de preuve avait amplement démontré l’inconduite de sa femme; que si R... fit prendre des photos par un de ses amis, c’est, selon toute vraisemblance, pour justifier son initiative de prouver que sa femme éduquait mal sa fille;

qu’ainsi, l’état de nécessité justifiant l’acte de R..., il échet de réformer le jugement choqué d’appel et de relaxer R... ...

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Qualification des faits - constatation d’une atteinte à l’ordre social - actes accomplis en état de nécessité non punissables.

Trib.pol. Avesnes-sur-Helpe 12 décembre 1964 (Gaz.Pal. 1965 I 91)

B...

Attendu qu’il résulte des explications et des justifications produites aux débats que les faits imputés au prévenu ne sauraient constituer une contravention relevée à sa charge;

Attendu que s’il a légèrement chevauché une ligne jaune continue, c’est uniquement pour éviter de percuter deux piétons imprudents qui traversaient la chaussée sans s’inquiéter qu’une voiture arrivait à ce moment;

Attendu qu’il ne saurait être reproché au prévenu d’avoir effectué la manœuvre  incriminée, qui a eu pour effet d’éviter un grave accident;

Par ces motifs... Relaxe le prévenu et le renvoie des fins de la poursuite sans peine ni dépens.

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Qualification des faits – existence d’un trouble porté à l’ordre social – condition non remplie lorsque l’acte prohibé a été accompli par suite d’un état de nécessité.

Cass.crim. 28 juin 1958 (D. 1958 693 note M.R.M.P.)

L...

Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier sa décision ; et que l’insuffisance des motifs équivaut à l’absence de motifs ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et de ceux des motifs du jugement que confirme cet arrêt, que le 16 janvier 1956 vers 11 h., sur la route nationale 165, L... conduisait sa voiture Peugeot 203, à une vitesse d’environ 80 km/h, lorsque la portière avant droite, pour une cause inconnue, s’étant ouverte, sa femme et son enfant furent projetés sur la chaussée, que L..., cherchant à les retenir de la main droite, et ne tenant plus son volant que de sa main gauche, braqua à gauche afin, dit l’arrêt, «d’éviter d’écraser sa femme et son enfant»; que sa voiture vint de ce fait se placer en travers de la chaussée devant une voiture Simca qui, conduite par Le G..., circulait en sens inverse à 80 km/h; que les deux véhicules entrèrent en collision et que les époux Le G..., ainsi qu’un nommé P..., passager de L..., furent grièvement blessés;

Attendu que, pour relaxer L... de la prévention de blessures par imprudence relevée contre lui, et débouter les époux Le G... de leur action civile, l’arrêt attaqué se borne à déclarer «que la manœuvre ainsi opérée, qui a évité un accident plus grave que celui objet de la poursuite, si elle constituait une infraction au code de la route, ne relève pas de la loi pénale en raison de la nécessité où le prévenu s’est trouvé d’agir ainsi qu’il l’a fait»;

Mais attendu qu’en limitant ses explications à cette pure affirmation, l’arrêt attaqué n’a pas justifié sa décision; qu’en effet les juges d’appel auraient dû démontrer, d’une part, que la manœuvre accomplie par le prévenu pouvait seule permettre d’éviter l’accident qu’il redoutait, à l’exclusion de toute autre manœuvre moins périlleuse pour les tiers; d’autre part, que le risque hypothétique de blessures auquel sa femme et son enfant se trouvaient exposés, à défaut de cette manœuvre, était de nature à entraîner des conséquences plus redoutables que le péril certain et très grave auquel, par cette manœuvre, il a exposé les époux Le G... ainsi que son propre passager; qu’enfin il n’avait pas créé lui-même ce prétendu état de nécessité en laissant sa femme et son enfant prendre place à ses côtés dans une voiture dont la portière était sujette à s’ouvrir soit d’elle-même, soit par une fausse manœuvre de sa femme ou de son enfant;

Par ces motifs, casse...

NOTE. On observera que l’arrêt rapporté prononce une cassation pour insuffisance de motifs, mais qu’il profite de cette occasion pour préciser les conditions de l’état de nécessité ; ce qui constitue une reconnaissance implicite de ce classique moyen de défense (nécessité n’a point de loi).

Sur les conditions de l’état de nécessité voir les observations de M. le professeur Vitu rapportées ci-après (décisions Dame C... et Dame M...).

Un arrêt de la Cour d’appel de Colmar du 6 décembre 1957 (D.1959 357 note Bouzat) venait de juger que : la reconnaissance de l’état de nécessité est un des fondements du droit, que toutes les civilisations juridiques évoluées, dégagées du légalisme initial, le consacrent, soit dans la loi, soit dans la doctrine et la jurisprudence, et que ce qui caractérise l’état de nécessité, c’est la situation dans laquelle se trouve une personne qui, pour sauvegarder un intérêt supérieur, n’a d’autre ressource que d’accomplir un acte défendu par la loi pénale.

 

Responsabilité pénale – causes de non-imputabilité - contrainte morale – exemples.

Dijon 19 décembre 1984 (Gaz.Pal. 1985 I 256)

Dame C...

Trib.corr. Agen 22 mai 1985 (Gaz.Pal. 1985 II 587

Dame M...

Ces deux décisions ont été commentées par M. le professeur Vitu (Rev.sc.crim. 1986 87), qui nous a autorisé à reproduire ses observations.

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Arrêt de la Cour d’appel de Dijon du 19 décembre 1984

Dame C...

La Cour,

Attendu que les époux C... ont été renvoyés devant le Tribunal correctionnel de Dijon pour ne pas avoir à Dijon, les 3 octobre, 17 octobre, 7 novembre, 21 novembre 1981, 6 février, 20 février, 6 mars, 20 mars, 3 avril, 17 avril, 12 août, 26 août, 28 août et 9 septembre 1982, alors qu’il avait été statué sur la garde du mineur F. C..., par ordonnance de placement provisoire du juge des enfants du 10 août 1981 et par jugement d’assistance éducative avant dire droit du 4 août 1982, représenté le mineur à son père qui avait le droit de le réclamer.

Attendu que la condamnation de L. C... et de son épouse née C. C... pour non-représentation d’enfant est intervenue dans les circonstances suivantes

F. C... est né le 16 janvier 1980 du concubinage de B. C..., décédée le 22 juin 1981 et de M. B... . Il a été reconnu par ses deux parents.

Par ordonnance du 10 août 1981 le juge des enfants de Dijon a confié provisoirement F. à la garde de ses grands-parents maternels, les époux C..., organisé un droit de visite au profit du père et ordonné une enquête sociale.

Par jugement du 4 août 1982 la garde de l’enfant a été maintenue aux époux C... pour une nouvelle période de quatre mois à condition que ceux-ci respectent le droit de visite et d’hébergement du père.

Attendu qu’il résulte de l’information et des débats que, B... s’est heurté à l’opposition des prévenus lorsqu’il a tenté d’exercer son droit de visite et d’hébergement ; que sans doute pour certains incidents les prévenus ont justifié de la maladie de leur petit-fils par la production de certificats médicaux et qu’à plusieurs reprises, ils ont accepté que le père rencontre son fils à leur domicile; que toutefois et singulièrement en quittant subrepticement leur domicile à Dijon avec l’enfant sans prévenir le père, les prévenus n’ont pas exécuté l’obligation mise à leur charge par les décisions de justice.

Mais attendu qu’il résulte des documents produits aux débats que F. C... est atteint d’une broncho-pneumophatie chronique; que le professeur T..., chef du service de pédiatrie et pneumologie de l’enfant à l’hôpital Trousseau à Paris, atteste dans un certificat du 26 octobre 1984 que « l’état de santé de l’enfant F. C... nécessite une surveillance médicale régulière, conjointement exercée par le médecin de famille et par une équipe hospitalo-universitaire spécialisée en pneumologie pédiatrique, un traitement quotidien de kinésithérapie respiratoire de désencombrement effectué par une personne compétente dans cette technique chez l’enfant et à chaque menace de sa maladie par antibiothérapie lourde » ; que deux des enfants des prévenus B. C..., mère de F. et Gérald C... sont décédés de cette même maladie pulmonaire respectivement le 22 juin 1981 et en 1983 ; que dès lors, les déclarations des prévenus selon lesquelles ils sont obsédés par l’état de santé de leur petit-fils et par la nécessité de le protéger en toutes circonstances peuvent être prises en considération.

Attendu d’autre part, que les époux C... ont déclaré à l’instruction et à l’audience qu’ils craignaient également de voir B... M. mettre à profit l’exercice du droit de visite et d’hébergement pour emmener F. en Algérie et de perdre ainsi à tout jamais leur petit-fils ; qu’ils ont indiqué que cette crainte se fondait sur le fait que B... est d’origine algérienne, que, bien qu’ayant une famille en France, il a conservé des liens avec l’Algérie où son père est enterré et qu’au cas d’enlèvement ils n’auraient aucune possibilité juridique pour reprendre F. et le ramener en France ;

Attendu que ces craintes qualifiées avec légèreté « d’arguments spécieux » par les premiers juges ne sauraient être considérées comme vaines lorsqu’il résulte de documents émanant du ministère de la Justice «qu’un millier environ d’enfants sont déplacés par an de France à l’étranger et retenus illégalement hors de notre territoire et que cinquante pour cent de ces déplacements et de ces rétentions se réalisent dans les pays du Maghreb » ;

Attendu qu’il s’ensuit que les prévenus en s’opposant à l’exercice du droit de visite et d’hébergement de B... et en commettant ainsi l’infraction reprochée ont cédé à une contrainte morale irrésistible résultant de menaces d’enlèvement ou de la crainte d’un mal suffisamment pressant pour leur petit-fils et abolissant leur volonté et leur liberté de choix; que l’existence de cette contrainte morale au temps de l’action et au sens de l’art. 64 C.pén. étant prouvée, constatée et admise, les prévenus doivent en conséquence être exonérés de toute responsabilité pénale ;

Attendu qu’en raison de cette cause d’irresponsabilité pénale, il convient de débouter la partie civile de sa demande et de la décharger de la totalité des frais.

Par ces motifs, statuant publiquement et contradictoirement ; réformant le jugement entrepris ; vu l’art. 64 C. pén.

Dit que L. C... et C... C. épouse C... ont commis le délit qui leur est reproché en raison d’une contrainte morale irrésistible ;

renvoie, en conséquence, les prévenus des fins de la poursuite ; laisse les dépens à la charge du Trésor public.

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Arrêt du tribunal correctionnel d’Agen du 22 mai 1985

Dame M...

Le Tribunal,

Attendu que E...u M.-D. épouse M... est prévenue de n’avoir pas, à Agen, courant décembre 1984 et janvier 1985, dans le délai légal de la prescription, alors qu’il avait été statué sur l’exercice du droit de visite du mineur Y. M... par décision de justice en date du 21 novembre 1984, représenté ce mineur à celui qui avait le droit de le réclamer;

Attendu que l’intéressée ne conteste pas avoir refusé de présenter son enfant dont elle avait la garde à son père J. M... alors détenu à la maison d’arrêt d’Agen pour tentative de vol et assassinat ;

Attendu qu’elle déclare ne pas avoir eu le courage d’emmener l’enfant qui n’avait pas le souvenir de son père, voir celui-ci en prison car elle n’avait pas pu, devant la difficulté d’expliquer à l’enfant que son père qu’il ne connaissait pas était en prison et les raisons pour lesquelles il était incarcéré;

Attendu qu’elle fait plaider la contrainte morale irrésistible gui résultait, pour elle, de la menace que lui semblait représenter l’exercice du droit de visite pour son très jeune enfant et fait état de l’arrêt de la Cour d’appel d’Agen en date du 29 avril 1985 qui a infirmé la décision en référence du Juge de la mise en état du Tribunal de grande instance d’Agen fixant le droit de visite ;

Attendu que si la matérialité des faits est indiscutable, l’ordonnance du juge de la mise en état référencée étant exécutoire par provision, il n’en reste pas moins que Mme M... née E...u M.-D. peut faire valoir à bon droit qu’elle a cédé à une contrainte morale irrésistible résultant de l’incarcération du père sous la prévention d’assassinat et des risques sous évalués ainsi que l’a jugé la Cour d’appel que le milieu carcéral ne peut manquer de produire chez un aussi jeune enfant ;

Attendu que l’existence de cette contrainte morale au temps de l’action et au sens de l’art. 64 C.pén. étant établie, la prévenu doit être exonérée de toute responsabilité pénale.

Par ces motifs, jugeant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ;

Vu l’art. 64 C.pén.

Relaxe E...u M.-D. épouse M... des fins de la poursuite sans peine ni dépens.

NOTE : Cliquez pour prendre connaissance des Observations de M. le professeur André VITU intitulées : Contrainte morale ou état de nécessité.

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COUPS ET BLESSURES - HOMICIDE PAR IMPRUDENCE - ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE L’INFRACTION - NÉCESSITÉ DE L’EXISTENCE D’UN DOMMAGE.

Cass.crim. 12 décembre 1972  (Gaz.Pal. 1973 I 285).

E...-S...

Sur le moyen de cassation pris de la violation des art. 319 et 320 C.pén., 567, 591 et s. C.pr.pén., défaut et contradiction de motifs, manque de base légale...

Attendu que tout jugement ou arrêt doit être motivé ; que l’insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que selon les constatations de l’arrêt attaqué la dame G... a été renversée par une voiture conduite par K... tandis qu’elle traversait un carrefour en agglomération; qu’une seconde voiture conduite par E...-S... passa alors sur son corps, l’entraînant sur une distance de 19,50 m. et le déchiquetant ;

Attendu que la Cour d’appel a estimé que le tribunal avait à bon droit déclaré les deux automobilistes coupables l’un et l’autre du délit d’homicide involontaire sur la personne de la dame G..., les fautes d’imprudence, d’inattention et d’inobservation des règlements commises par chacun d’eux ayant contribué à la mort de la victime, tout en énonçant qu’il n’était pas possible de déterminer si celle-ci était déjà décédée à la suite du premier choc occasionné par la voiture de K... ;

Mais attendu que les juges d’appel n’ont pu sans se contredire admettre que la preuve n’était pas rapportée que la dame G... était encore en vie au moment où le véhicule du demandeur l’avait heurtée, et considérer que ce second accident avait contribué à la mort de cette dernière ;

Par ces motifs, - Casse...

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Qualification des faits – Délits de mise en danger d’autrui – Nécessité que l’acte reproché ait été la cause du risque constaté.

Cass.crim. 16 février 1999 (Bull.crim. n°24 p.55) :

Le délit de mise en danger d’autrui n’est constitué que si le manquement défini par l’art. 223-1 C.pén. a été la cause directe et immédiate du risque auquel a été exposé autrui.

 

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Qualification des faits – atteinte à l’intérêt protégé - ERREUR SUR LA PERSONNE - CIRCONSTANCE INDIFFÉRENTE - INFRACTION CONSTITUÉE.

Cass.crim. 18 février 1922  (S. 1922 I 329, note J.A. Roux).

Affaire Ben T...

Vu les articles 2 et 295 C.pén.

Attendu que l’homicide commis avec l’intention de donner la mort est qualifié meurtre par l’art. 295 C.pén. ; que l’intention homicide est caractérisée, dès lors que le coupable à la volonté de donner la mort, et alors même qu’il a tué une personne autre que celle qu’il se proposait d’atteindre ;

Attendu, en fait, qu’il résulte du rapport dressé en vertu de l’art. 108 C.just.milit., que l’accusé à tiré sur A. Ben M..., mais qu’il a atteint et tué M. Ben T... ; que ce fait a été déféré au conseil de guerre comme constituant à la fois une tentative d’homicide volontaire sur la personne d’A. Ben M... et un homicide involontaire sur la personne de M. Ben T... ;

Attendu que ledit fait ne présentait pas le caractère d’une tentative d’homicide volontaire, puisque la mort s’en était suivie, qu’il ne présentait pas davantage le caractère d’un homicide involontaire, puisque l’accusé aurait agi dans une intention homicide; que les réponses faites par le Conseil de guerre aux questions qui lui avaient été posées sont d’ailleurs contradictoires et inconciliables entre elles, puisqu’elles s’appliquent à un même fait, qui a été déclaré à la fois volontaire et involontaire...

Par ces motifs; casse le jugement rendu par le Conseil de guerre...

Note. - Voir de même : Cass. 2e civ. 15 décembre 1965 (L...).

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Qualification - constatation de l’atteinte à l’intérêt protégé - loi protégeant l’intégrité physique de tout être humain - tiers atteint par maladresse ou erreur - circonstance indifférente - délit constitué.

Cass. 2e civ. 15 décembre 1965 (Gaz.Pal. 1966 I 240)

L...

Sur le moyen pris de la violation de l’art. 1382 C.civ., de l’art. 10 C.pr.pén., des art. 6 à 9 du même Code, 309 C.pén., et 7 de la loi du 20 avril 1810, insuffisance de motifs, manque de base légale...

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que, le 28 décembre 1952, après une discussion, Ch. L... a lancé, de la rue, un projectile sur sa mère, qui se trouvait à la fenêtre, que, ne l’ayant pas atteinte, il en lança un second, qui brisa une vitre dont les éclats atteignirent le jeune A. L... qui dut subir l’énucléation de l’œil droit;

Attendu que Dlle L..., agissant ès qualités, a assigné par exploit du 21 avril 1961, Ch. L..., en réparation du préjudice subi par son fils; que Ch. L... a soutenu qu’il ne pouvait avoir commis que le délit de blessures par imprudence et qu’en conséquence l’action civile, comme l’action publique, se trouvait prescrite, plus de 3 ans s’étant écoulés depuis les faits;

Attendu que le pourvoi reproche à la Cour d’appel d’avoir, pour déclarer que le délai de prescription était en l’espèce de 10 ans, considéré que les faits tombaient sous l’application de l’art. 309 al.3 C.pén., alors que, la volonté de blesser la victime faisant défaut, Ch. L... ne se serait rendu coupable que du délit de blessures involontaires;

Mais attendu que l’arrêt observe que Ch. L... avait lancé ses projectiles avec l’intention d’atteindre sa mère et que si des blessures avaient été reçues non par la personne qu’il voulait atteindre mais par une autre, il n’en était pas moins punissable dans les termes de l’art. 309 C.pén., qui vise les coups et blessures volontaires, qu’il était responsable, non seulement des conséquences qu’il avait prévues et voulues, mais aussi de toutes celles qui ont pu se produire; que ces violences ayant été suivies de la perte d’un oeil, la prescription de l’infraction qu’il avait commise était donc de 10 ans;

Attendu qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’appel n’a pas violé les textes visés au moyen; Par ces motifs,

Rejette...

Note. - Il a de même été jugé que le fait de viser une personne et d’en tuer une autre constitue un homicide intentionnel : Cass.crim. 18 février 1922 (ci-dessus).

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qualification des faits - CONSENTEMENT DE LA VICTIME - CARACTÈRE INOPÉRANT - DUEL PUNISSABLE.

Cour de cassation (Chambres Réunies, après délibération en la Chambre du conseil) 15 décembre 1837, (S. 1838 15 conclusions Dupin).

P...

Vu les articles 295, 296, 297, 302, 309 et 310 du Code pénal ;

Attendu que, si la législation spéciale sur les duels a été abolie par les lois de l’assemblée constituante, on ne saurait induire de cette abolition une exception tacite en faveur du meurtre commis et des blessures et coups volontaires portés par suite de duel; que sous le Code des délits et des peines de 1791, ces meurtres, blessures et coups étaient restés sous l’empire du droit commun ; que le décret d’ordre du jour du 29 messidor an II ne se réfère qu’au Code militaire, et n’est relatif qu’à de simples provocations de militaires d’un grade inférieur envers leur supérieur; que le Code de l’an 4 a été rédigé dans le même esprit que celui de 1791, et ne contient aucune disposition nouvelle sur cette matière ;

Attendu que les dispositions des art. 295 et 296 C.pén. sont absolues et ne comportent aucune exception; que les prévenus des crimes prévus par ces articles doivent être dans tous les cas poursuivis; que si, dans les cas prévus par les art. 327, 328, et 329 du même Code, les chambres du conseil et les chambres d’accusation peuvent déclarer que l’homicide, les blessures et les coups ne constituent ni crime, ni délit, parce qu’ils étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d’autrui, on ne saurait admettre que l’homicide commis, les blessures faites et les coups portés dans un combat singulier, résultat funeste d’un concert préalable entre deux individus, aient été autorisés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même, puisqu’en ce cas le danger a été entièrement volontaire, la défense sans nécessité, et que ce danger pouvait être évité sans combat ;

Attendu que, si aucune disposition législative n’incrimine le duel proprement dit et les circonstances qui préparent ou accompagnent cet acte homicide, aucune disposition de loi ne range ces circonstances au nombre de celles qui rendent excusables le meurtre, les blessures et les coups; que c’est une maxime inviolable de notre droit public, que nul ne peut se faire justice à soi-même; que la justice est la dette de la société tout entière, et que toute justice émane du roi, au nom du­quel cette dette est payée (art. 48 de la Charte) ; que c’est une maxime non moins sacrée de notre droit public, que toute convention contraire aux bonnes mœurs et à l’ordre public est nulle de plein droit (art. 6 C.civ.); que ce qui est nul ne saurait produire d’effet, et ne saurait, à plus forte raison, paralyser le cours de la justice, suspendre l’action de la vindicte publique, et suppléer au silence de la loi pour excuser une action qualifiée crime par elle et condamnée par la morale et le droit naturel ;

Attendu qu’une convention par laquelle deux hommes prétendent transformer de leur autorité privée un crime qualifié en action indifférente ou licite, se remettre d’avance la peine portée par la loi contre ce crime, s’attribuer le droit de disposer mutuellement de leur vie et usurper ainsi doublement les droits de la société, rentre évidemment dans la classe des conventions contraires aux bonnes mœurs et à l’ordre public; que si, néanmoins, malgré le vice radical d’une telle convention, on pouvait l’assimiler à un fait d’excuse légal, elle ne saurait être appréciée qu’en Cour d’assises, puisque les faits d’excuse, admis comme tels par la loi, ne doivent point être pris en considération par les chambres du conseil et les chambres d’accusation, et ne peuvent être déclarés que par le jury ;

Qu’il suit de là que toutes les fois qu’un meurtre a été commis, que des blessures ont été faites ou des coups portés, il n’y a pas lieu, par les juges appelés à prononcer sur la prévention ou l’accusation, au cas où ce meurtre, ces blessures ou ces coups ont eu lieu dans un combat singulier dont les conditions ont été convenues entre l’auteur du fait et sa victime, de s’arrêter à cette convention prétendue; qu’ils ne peuvent, sans excéder leur compétence et sans usurper les pou­voirs des jurés, surtout sous l’empire de la loi du 28 avril 1832, statuer sur cette circons­tance, puisque, lors même qu’elle pourrait constituer une circonstance atténuante, ce serait aux jurés qu’il appartiendrait de la décla­rer; que si, aux termes de la loi constitutionnelle de l’État (Charte, art. 56), aucun changement ne peut être effectué à l’institution des jurés que par une loi, les tribunaux ne sauraient, sans porter atteinte à cette disposition et à cette institution, restreindre, et moins en semblable matière qu’en toute autre, la compétence et la juridiction des jurés;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que, le 29 janvier dernier, P... a, dans un combat singulier, donné la mort à B...; que néanmoins la Cour royale de Bourges a déclaré n’y avoir lieu à suivre contre ledit P..., par le motif que ce fait ne rentre dans l’application d’aucune loi pénale en vigueur, et ne constitue ni crime ni délit ;

Qu’en jugeant ainsi, ladite Cour a expressément violé les art. 295, 296, 297 et 302, C.pén., et faussement appliqué l’art. 328 du même Code ;

Casse...

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Qualification - circonstances exonératoires - consentement de la victime inopérant dans les matières d’ordre public.

Cass.crim. 1er juillet 1937 (Gaz.Pal. 1937 II 358, S. 1938 1 193, note Tortat).

B... (arrêt dit des « stérilisés de Bordeaux »)

Sur le moyen pris de la violation des art. 59, 60, 309, 311 C.pén., et 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale...

Attendu qu’il résulte des constatations de l’arrêt attaqué et de celles du jugement correctionnel, dont cet arrêt a adopté les motifs, d’une part, que B... a pratiqué des incisions aux parties génitales et sectionné les canaux déférents de plusieurs individus, et notamment de P..., et, d’autre part, que ce dernier, en vue de ces opérations, a mis, en connaissance de cause, sa chambre à la disposition dudit B...;

Attendu que pour déclarer B... coupable de coups et blessures commis volontairement et avec préméditation, et déclarer P... complice de ces délits, la Cour a décidé que les prévenus ne pouvaient invoquer le consentement des opérés comme exclusif de toute responsabilité pénale, ceux-ci n’ayant pu donner le droit de violer, sur leurs personnes, les règles régissant l’ordre public;

Attendu qu’en statuant ainsi, l’arrêt attaqué, loin de violer les textes de loi visés au moyen, en a fait une exacte application;

Attendu, en effet, qu’aux termes des art. 327, 328 et 329 C.pén., les blessures faites volontairement ne constituent ni crime ni délit, lorsqu’elles ont été commandées, soit par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d’autrui; que hors ces cas et ceux où la loi les autorise à raison d’une utilité par elle reconnue, les crimes et délits de cette nature doivent, suivant les circonstances déterminées par les art. 309 et s. C.pén., donner lieu à condamnation contre les auteurs et complices; que, notamment, le fait que les victimes auraient consenti aux violences n’est pas exclusif de la préméditation;

Qu’ainsi le moyen doit être rejeté...

NOTE. Garçon (Code pénal annoté, 1e éd., art. 295 n°235 : Les coups et blessures volontaires ne sont pas justifiés par le consentement de la victime. C’est ce qui a été jugé, peu après la promulgation du Code pénal, dans une espèce où un individu avait mutilé un conscrit en lui coupant une phalange du pouce droit (Cass.crim. 13 août 1813, S ;Chr.)

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Qualification - loi incriminant un acte de commission - impossibilité, en principe, pour les juges de sanctionner une simple omission.

Trib.corr. Poitiers 11 octobre 1901

Poitiers 20 novembre 1901 (D. 1902­ II 81).

M... (affaire dite de la séquestrée de Poitiers).

Le Tribunal -  Attendu qu’il est établi que, depuis long­temps déjà, la dlle B. M..., atteinte d’aliénation mentale, a été tenue privée de soins dans une chambre obscure, insuffisamment aérée, dépendant de l’habitation de sa mère à Poitiers; que, dans ces derniers temps surtout, elle a été laissée dans un état épouvantable de saleté et de dénuement; que le 23 mai 1900, elle a été trouvée, dans cette même chambre, étendue sur une paillasse pourrie, au milieu de débris de nourriture en putréfaction et de bêtes immondes, le corps complètement nu et enveloppé seulement d’une couverture sale et trouée, la chevelure remplie d’ordure, les ongles des pieds et des mains démesurément longs;

Attendu que le fait de mettre ou de maintenir en semblable état une personne, alors qu’elle est dans l’impossibilité de s’y sous­traire, constitue un attentat contre elle par violences et voies de fait, et tombe sous application de l’art. 311 C.pén.;

Attendu que les débats révèlent que l’auteur des actes délictueux commis à l’encontre de la dlle B. M... est sa mère, aujourd’hui décédée, laquelle a toujours tenu close la chambre de sa fille, a toujours refusé les objets nécessaires à son entretien, et a, sous prétexte de ne pas la déranger contre son gré, rigoureusement prescrit de laisser où elle était;

Mais que les débats révèlent aussi que M... s’est rendu, par aide et assistance, complice de ces mêmes actes; que cette complicité résulte de ce que, ne pouvant, quoi qu’il en dise, et ainsi que le prouvent d’ailleurs les tentatives faites pour lui faire placer sa sœur dans un asile, ignorer les détestables agissements de sa mère et l’affreuse situation de sa sœur, il a accepté, en définitive, le fait accompli et y a participé par son intervention et ses visites journalières à la pauvre recluse; que, spécialement, pendant les cinq semaines qui ont précédé le 23 mai 1901, sa mère alitée lui a donné mis­sion de veiller sur sa sœur  ainsi qu’il le reconnaît lui-même dans son interrogatoire du 10 août 1901 où il dit : - « Je n’allais pas plus à deux ou trois fois par jour dans la chambre de ma sœur, je ne donnais pas aux domestiques des ordres, mais de simples recommandations. Si, après avoir vu ma sœur, je repassais dans la chambre de ma mère, c’était pour quelle sût que j’avais rempli ma mission »; qu’ayant, de ce fait, le droit et le devoir de s’enquérir de l’état et des besoins de sa sœur, il l’a maintenue dans cet état sans s’enquérir de ses besoins, n’a pris d’autre soin que de tenir la porte close, comme le prescrivait sa mère; que, prévenu par sa femme, qui le tenait des bonnes, que la vermine se montrait sur le lit de Blanche, il a feint de ne rien savoir, ne s’en est pas ému, et a laissé cette vermine envahir l’immonde grabat où sa sœur, épuisée, lui était livrée sans défense;

Attendu que, malgré la gravité du fait relevé par la prévention et aussi de la gravité du délit, il y a lieu, pour l’application de la peine, de tenir compte à M... de son état d’esprit qui, au dire de nombreux témoins, est de nature à atténuer sa responsabilité, de sa faiblesse de caractère, et de la domination excessive exercée sur lui par sa mère; enfin, des démarches tentées auprès de sa mère pour faire placer sa sœur dans une maison de santé;

Par ces motifs, dit M... coupable de s’être, à Poitiers, depuis moins de trois ans, rendu complice du délit de violences de la nature de celles prévues et punies par l’art. 311 C.pén. sur la personne de la dlle B. M..., en aidant et as­sistant, avec connaissance, l’auteur desdites violences dans les faits qui les ont préparées et facilitées ou ceux qui les ont consommées; le condamne à quinze mois d’emprisonnement et aux dépens...

Sur appel de M... M....

La Cour -  Attendu qu’il résulte de l’instruction et des débats que l’internement ou la séquestration de la demoiselle M... étaient nécessités par son état mental; - Que, pendant les premières années de cet internement, les soins nécessaires ne lui ont pas fait défaut. mais qu’après la mort de son père et quoique certains documents et surtout la testament de la veuve M... témoignent qu’elle avait pour sa fille une affection, d’ailleurs intermittente et déréglée, B. M... a été laissée, pendant de longues années, dans une chambre sans air et sans lumière sur un grabat immonde et dans un état de malpropreté impossible à décrire; - Que, si une alimentation abondante et même dispendieuse ne pa­raît lui avoir jamais manqué, l’absence complète de surveillance et de soins a rendu cette précaution inutile, et que, sans l’intervention opportune des magistrats, la méthode barbare qui avait présidé à son traitement, n’aurait pas tardé à avoir pour elle une issue fatale;

Attendu que ces faits ont justement excité la réprobation publique et qu’ils font peser sur la mémoire de la veuve M... une responsabilité morale dont on ne saurait exagérer la gravité;

Mais attendu qu’en ce qui concerne plus particulièrement M. M..., les faits de la cause ne peuvent tomber sous le coup d’une disposition pénale; qu’on ne saurait, en effet, comprendre un délit de violences ou de voies de fait sans violences; - Qu’il n’est établi contre M... et même à la charge de sa mère aucun acte de ce genre, en dehors des faits de séquestration dont la chambre des mises en accusation a écarté le principe, et que, si certains jurisconsultes pensent qu’un délit d’omission peut quelquefois y suppléer, ce n’est qu’autant que cette omission porte sur un devoir incombant juridiquement à son auteur;

Attendu que la loi du 19 avril 1898 prévoit, il est vrai, le fait de quiconque a privé un mineur de quinze ans des aliments ou des soins qui lui étaient dus, au point de compromettre sa santé; mais que cette loi nouvelle n’a pas été étendue aux aliénés; - Qu’elle suppose elle-même que le mineur ainsi privé de soins était confié, tout au moins pour les recevoir, à celui qui les a refusés;

Attendu qu’il n’apparaît point que M... ait jamais eu cette situation vis-à-vis de sa sœur; que, pas plus dans les dernières semaines de son existence qu’auparavant, la veuve M... n’a supporté aucune atteinte à son autorité absolue, surtout de la part de son fils, qui n’habitait pas avec elle, qu’elle n’aimait pas et qu’elle a déshérité; que la mission qu’elle lui avait confiée, pendant cette dernière période, de veiller sur sa sœur n’implique aucun abandon de cette autorité; qu’il n’est, d’ailleurs, pas établi qu’elle ait été donnée; que M... l’a toujours niée et que les témoignages formels, aussi bien que les actes des domestiques qui auraient dû servir à son exécution, en sont nettement exclusifs;

Qu’en tout cas, il n’est nullement démontré que ce soit avec une volonté consciente et bien délibérée que l’appelant aurait participé, soit comme coauteur, soit comme complice, et en les supposant légalement criminels ou délictueux aux actes dont sa mère paraît avoir été seule responsable; que, sans doute, malgré ses infirmités, d’ailleurs partielles, il n’est pas permis de croire que M... ait ignoré l’état lamentable dans lequel se trouvait sa sœur, et que le rôle purement passif auquel il a cru devoir se résigner ainsi que sa froide impassibilité, qui ne lui a inspiré aucune démarche efficace, méritent le blâme le plus sévère; que sa conduite ne tombant pas, néanmoins, sous le coup de la loi pénale à laquelle les juges ne sauraient suppléer, il y a lieu pour la Cour de prononcer son acquittement.

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qualification - ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE L’INFRACTION d’homicide par imprudence - LIEN DE CAUSALITÉ - NOTION.

Cass.crim. 18 octobre 1995 (Bull.crim. n° 314 p. 862, Gaz.Pal. 1996 I Chr. p.13).

B...

Attendu que les articles 319 ancien et 221-6 nouveau du Code pénal, réprimant le délit d’homicide involontaire, n’exigent pas que la faute du prévenu en ait été la cause exclusive, directe ou immédiate ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que B... a fait exécuter par une entre­prise de terrassement, sur une parcelle de terre lui appartenant située dans le périmètre protégé d’un pipe-line, des travaux au cours desquels la canalisation a été perforée par une pelleteuse; que l’explosion des gaz qui se sont échappés a provoqué un incendie dans lequel ont péri plusieurs personnes ;

Attendu qu’après avoir déclaré B... coupable de contravention à l’arrêté préfectoral du 22 janvier 1975, pour avoir entrepris ces travaux sans avoir préalablement effectué la déclaration prescrite par cette réglementation, prenant ainsi le risque de percer la conduite, les juges d’appel, pour relaxer le prévenu du chef d’homicides involontaires, énoncent que « divers manquements » qu’ils décrivent, « imputables à des tiers, sont autant d’éléments qui échappent à la responsabilité de ce dernier »;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, la Cour d’appel, qui a déduit l’absence de lien de causalité, entre l’inobservation des règlements retenue à la charge du prévenu et les décès constatés, de la seule existence de fautes concurrentes imputables à des tiers, a méconnu le principe ci-dessus énoncé...

La cassation est encourue de ce chef...

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Lien de causalité – Notion – Nécessité.

Cass.crim. 7 janvier 1980 (Bull.crim. n° 10 p.24) : S’il est vrai que l’art. 319 C.pén. n’exige pas, pour recevoir application, qu’un lien de causalité direct et immédiat existe entre la faute du prévenu et le décès de la victime, encore faut-il que l’existence de ce lien de causalité soit certaine.

Cass.crim. 14 février 1996 (Dame L... et autres c. Dame G..., pourvoi n° N 95-81.765 D /854) : Ni l’art. 319 ancien, ni l’art. 221-6 nouveau C.pén. n’exigent qu’un lien de causalité directe et immédiat existe entre la faute du prévenu et le décès de la victime; il suffit que l’existence d’un lien de causalité soit certaine.

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Le lien de causalité dans les infractions d’imprudence.

Sur l’exigence d’un lien de causalité, voir: Cass.crim. 18 octobre 1995 (arrêt B...).

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Qualification - actes punissables - obstacles à la qualification - force majeure - notion.

Cass.crim. 8 février 1936 (D. 1936 I 44).

R...

Sur le moyen unique pris de la violation des art. 7 et 8 de la loi du 3 décembre 1849, 64 C.pén., 1146 C.civ. et 7 de la loi du 20 avril 1810, en ce que l’arrêt attaqué aurait refusé de considérer comme un cas de force majeure l’impossibilité matérielle dans laquelle s’est trouvé le prévenu de déférer à la mesu­re d’expulsion dont il avait été l’objet :

Attendu que R..., poursuivi pour infraction à un arrêté d’expulsion pris contre lui, le 15 octobre 1931, par le ministre de l’Intérieur et régulièrement notifié, a, devant la Cour d’appel, prétendu qu’il avait été dans l’impossibilité de se conformer audit arrêté et a demandé, par conclusions, à prouver « qu’il avait été successivement refoulé sur le territoire français par les gouvernements de tous les pays limitrophes »;

Mais attendu que l’offre en preuve ainsi formulée ne tendait pas à établir que le prévenu avait été dans l’impossibilité absolue de quitter le territoire français; que, notamment, il n’en résultait pas que R... n’eût pu se rendre dans un pays non limitrophe de la France; que, dès lors, en rejetant comme dépourvue de pertinence l’offre en preuve de R... et en statuant ainsi qu’elle l’a fait, la Cour d’appel, loin de violer les textes visés par le moyen, en a fait, au contraire, une exacte application;

Par ces motifs, rejette...

Note. - Cass.crim. 18 février 1922 (Gaz.Pal. 1922 I 513), dans une espèce moins connue où un livreur invoquait les nécessités de sa profession pour stationner en deuxième file, a jugé que « la force majeure résulte seulement d’un événement indépendant de la volonté humaine et ne pouvant être ni prévu ni conjuré » et que les difficultés, à les supposer même très considérables, que G... aurait pu rencontrer pour se conformer aux prescriptions de l’arrêté de police qu’il a enfreint, ne peuvent être assimilées à une impossibilité absolue.

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ELÉMENT MORAL DES délits INVOLONTAIRES - FAUTE – jurisprudence ancienne IDENTIfiant LA FAUTE PÉNALE ET LA FAUTE CIVILE.

Cass.crim. 18 novembre 1986 (Bull.crim. n° 890 p.343)

G... c. S...

Sur le moyen de cassation pris de la violation des art. 2, 3, 593, 470-1 C.pr.pén., 1382 C.civ., 3 et 4 de la loi du 5 juillet 1985, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale...

Attendu que, la faute pénale définie par l’art. 319 C.pén. étant identique à celle que prévoient les art. 1382 et 1383 C.civ., le juge qui relaxe un prévenu du chef de blessures involontaires ne peut retenir à la charge de celui-ci une faute quasi délictuelle en relation de cause à effet avec l’accident à l’origine desdites blessures ;

Attendu, en outre, que l’auteur d’une infraction est tenu à la réparation intégrale du dommage qui en résulte pour une victime à laquelle aucune faute n’est imputée, même s’il n’en est pas le seul responsable ;

Attendu, d’une part, qu’en raison de la relaxe prononcée en faveur de M-A. G..., il était acquis que cette conductrice n’avait commis aucune maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements en relation de cause à effet avec l’accident qui avait provoqué les blessures de S...; que les juges ne pouvaient, dès lors, laisser à la charge de l’intéressée une part du dommage qu’elle avait elle-même subi sans caractériser l’existence d’une faute distincte ayant concouru à la production dudit dommage ;

Attendu, d’autre part, que l’indemnisation accordée à G... ne pouvait être limitée dès lors, qu’aucune faute n’était alléguée à la charge de ce passager; qu’au surplus, en l’état des dispositions des articles 1er et 3 de la loi du 5 juillet 1985, déclarés applicables aux instances en cours, une faute de sa part lui serait désormais inopposable puisqu’elle ne pourrait, en l’espèce, être la cause exclusive de l’accident ;

D’où il suit que la cassation est encourue...

Note. - L’identité de la faute pénale et de la faute civile était admise, au siècle dernier, aussi bien par les Chambres civiles que par la Chambre criminelle de la Cour de cassation : Cass. 2e civ. 18 décembre 1912 (B... et autre c. L... et L..., ci-dessus).

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Élément moral de l’infraction – Notion de faute délibérée (art. 121-3 al.4 C.pén.).

Cass.crim. 12 septembre 2000 (Bull.crim. n° 268 p.791) sommaire :

Justifie sa décision la Cour d’appel qui déclare un chef d’entreprise coupable d’homicide involontaire à la suite du décès d’un salarié dans l’éboulement d’une tranchée non étayée ou blindée, après avoir relevé que le prévenu avait pris la décision de ne pas utiliser le matériel de blindage dont l’installation est prescrite par l’art. 72 du décret du 8 janvier 1965. Une telle faute constitue en effet une faute délibérée.

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Qualification – Qualification des infractions objectives – Ministère public dispensé d’avoir à rapporter la preuve d’une faute.

Cass.crim. 28 avril 1977 (Bull.crim. n°148 p.365, F...) :

Le délit de pollution de cours d’eau, prévu et puni par l’art. 434-1 C.rural, a seulement le caractère d’une infraction matérielle ; le fait qu’elle incrimine, d’avoir laissé s’écouler dans une rivière des substances toxiques, implique une faute dont la preuve n’a pas à être spécialement rapportée par le Ministère public, et dont le prévenu ne peut être exonéré que par la force majeure.

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Qualification des faits - constatation de l’élément moral - préméditation – circonstance aggravante résultant toujours de l’existence d’un guet-apens (opinion discutable)

Cass.crim. 22 février 1989 (Gaz.Pal. 1989 II 593 note Doucet, Bull.crim. n°89 p.237, Rev.sc.crim. 1989 737, observations Levasseur).

F... K...

La Cour,

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 296 et 60 C.pén., 349 et 593 C.pr.pén. :

En ce que l’arrêt attaqué a condamné K... du chef de complicité de l’assassinat commis par A... sur la personne d’E... ;

alors que la Cour et le jury réunis ont répondu affirmativement à la question sur la circonstance aggravante de guet-apens et négativement à la question sur la circonstance aggravante de préméditation; que ces réponses sont contradictoires, le guet-apens supposant nécessairement la préméditation; qu’ainsi, le fait principal punissable n’est pas légalement caractérisé;

Vu lesdits articles ;

Attendu que le guet-apens comporte nécessairement le dessein formé à l’avance de commettre le crime et que, lorsqu’il s’agit d’un meurtre, il ne peut s’entendre que de l’intention d’attenter à la personne d’un individu déterminé, intention conçue avant l’action et maintenue pendant l’attente qui constitue le guet-apens ; qu’en conséquence le guet-apens suppose nécessairement la préméditation;

Attendu en l’espèce que K... a été condamné pour complicité d’assassinat, l’auteur principal ayant, quant à lui, été déclaré coupable de meurtre aggravé après qu’il eut été répondu négativement à la question concernant la circonstance aggravante de préméditation et affirmativement à celle posée sur le guet-apens;

Qu’en statuant ainsi par une décision entachée de contradiction, la Cour d’assises a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;

Que la cassation est donc encourue de ce chef ; Par ces motifs…

Casse

NOTE. Observations Georges Levasseur (reproduites avec l’autorisation de l’auteur).

L’arrêt rendu le 22 février 1989 par la Chambre criminelle (Bull.crim. n°89, D. 1989. I.R. 191, Gaz.Pal. 1er août 1989, note J.-P. Doucet) a attiré l’attention mais n’a pas considérablement éclairci les rapports existant entre ces deux circonstances aggravantes.

Dans une affaire mettant en cause un acteur principal et son complice, ce dernier (auteur du pourvoi) avait été condamné pour complicité d’assassinat. En ce qui concerne l’auteur principal, la Cour d’assises avait répondu affirmativement sur le fait d’avoir volontairement donné la mort, de façon affirmative encore sur la circonstance aggravante de guet-apens, mais négativement sur celle de préméditation.

La Cour d’assises avait bien fait de poser une question distincte sur chacune de ces deux circonstances aggravantes, du moins s’il faut en croire les arrêts rendus les 19 octobre 1977 (Bull.crim. n°312), 1er mars 1978 (Bull.crim. n°81) et 9 octobre 1981 (Bull.crim. n°97 et nos obs. cette Revue, 1983.79) qui ont affirmé que ces deux circonstances sont distinctes l’une de l’autre, que leurs caractères propres sont déterminés par deux dispositions différentes du Code pénal et qu’en conséquence elles devaient faire l’objet de deux questions distinctes, comportant chacune une réponse. Le 4 août 1984 (Bull.crim. n°268 et nos obs. cette Revue 1985.807) la Chambre criminelle avait cependant admis que ces deux circonstances ayant le même effet avaient pu faire l’objet d’une question alternative («avec préméditation ou guet-apens»), laquelle n’était pas entachée de complexité. Le 3 octobre 1984 (Bull.crim. n°284 et nos obs. cette Revue 1985.808, n° 1-I), la Chambre criminelle avait approuvé le président d’avoir posé deux questions distinctes, même si l’arrêt de renvoi prévoyait les deux circonstances comme alternatives.

C’est dans ces conditions que l’arrêt du 22 février 1989 a cassé l’arrêt attaqué, lui reprochant d’être entaché de contradiction du fait que l’auteur principal était reconnu coupable d’avoir agi de guet-apens mais non pas avec préméditation.

La seule explication de cet ensemble déconcertant réside dans le fait que, pour la jurisprudence, le guet-apens implique nécessairement la préméditation. La Chambre criminelle l’a affirmé à maintes reprises (Crim. 4 juin 1812, S. 1813. 1. 50; Crim. 15 sept. 1853, Bull. crim. n° 460 ; Crim. 26 sept. 1867, Bull. crim. n° 212 ; Crim. 29 mars 1877, Bull. crim. n° 96). Si cette analyse était exacte, on ne s’expliquerait pas que les auteurs du Code pénal aient créé deux circonstances aggravantes alors qu’une seule (celle de préméditation) eut suffi.

La vérité est que si le guet-apens implique souvent la préméditation, il peut parfaitement y avoir guet-apens sans préméditation, car il suppose une traîtrise qui peut être commise sur le champ ou à peu près. Voir nos observations cette Revue, 1983.79 et surtout les excellents développements de J.-P. Doucet à la Gazette du Palais sous le présent arrêt, citant très à propos Muyart de Vouglans et Merlin de Douai, et faisant valoir que la loi du 28 avril 1832, ayant «consacré la notion subjective d’intention criminelle», a donné son autonomie à la notion de préméditation «puisque l’on peut définir celle-ci comme une intention criminelle réfléchie».J.-P. Doucet rappelle que Garçon (art. 298, 1ère éd. n° 28, 2e éd. par Rousselet, Patin et Ancel n° 30) avait affirmé que «le guet-apens n’exclut pas forcément l’exécution du crime sous l’empire d’une impulsion passionnée».

Nous sommes heureux que ce commentaire ait établi que l’opinion que nous soutenons depuis toujours (V. notre Droit pénal spécial, Les Cours de droit, 1964, p. 73-74; adde Rép.pén. Dalloz v° Homicide, n° 42) était historiquement fondée et rationnellement défendue par d’excellents auteurs (V. aussi Vitu, Droit pénal spécial, n° 1722).

Nous ne pouvons donc que partager les regrets de ce commentateur que «la Cour de cassation s’en soit tenue à une doctrine manifestement dépassée» et qu’elle «n’ait pas saisi cette occasion de dégager la notion subjective de préméditation de sa gangue objective».

 

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Qualification des faits – élément moral de l’infraction – prise en considération des mobiles (non).

Cass.crim. 8 février 1977 (Bull.crim. n°52 p.120)

Époux L...

Sur le moyen unique de cassation [proposé par la partie civile] pris de la violation de l’article 379 du Code pénal;

Attendu que le délit de vol est constitué quel que soit le mobile qui a inspiré son auteur dès lors que la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui est constatée;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et du jugement dont il a adopté les motifs non contraires qu’après avoir arraché les fleurs et les vases dont la demoiselle A... avait orné la tombe de M...-C..., les époux L... les ont jetés dans une décharge;

Attendu, en l’état de ces constatations, qu’en se bornant à énoncer pour écarter la prévention de vol desdits époux L..., que les agissements de ces derniers avaient été inspirés par la haine, la Cour d’appel n’a pas donné une base légale à sa décision;

Qu’en effet, en s’emparant pour les détruire, d’ornements qu’ils savaient ne pas leur appartenir, les prévenus, qui se sont approprié ces biens sans droit, ont commis une soustraction frauduleuse, leur mobile ne pouvant être retenu autrement que pour l’application de la peine;

Qu’ainsi l’arrêt encourt la cassation

NOTE. La présente décision n’appelle guère d’observations, lorsqu’elle observe que les mobiles ne sauraient être pris en compte lors de la qualification des faits. Il en est ainsi parce qu’un mobile n’est pas un fait, et ne ressort même que rarement des faits.

Il est plus intéressant d’examiner l’élément moral des deux incriminations présentement susceptibles de couvrir les faits reprochés. D’abord le vol : cette incrimination subjective, qui protège le possesseur d’un bien, suppose l’intention de le déposséder ; ensuite la destruction de biens : cette incrimination objective, qui protège l’intégrité des biens d’autrui, suppose une dégradation effective résultant d’un acte volontaire de violence. On voit bien que le mobile de haine est indifférent à la qualification de vol et plus encore à celle de destruction du bien d’autrui. La raison pour laquelle l’acte a été accompli ne sera prise en considération que lors de l’appréciation du niveau de culpabilité de l’agent, et de la détermination de la sanction adéquate.

Il importe aussi de souligner que les juges doivent suivre les faits dans leur ordre chronologique. Or, dès l’instant où les prévenus ont pris possession des fleurs et vases, la victime en a été dépossédée, et le délit de vol s’est trouvé définitivement constitué. Les actes ultérieurs ne pouvaient plus mettre cette qualification en échec.

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qualification - ÉLÉMENT MORAL - MOBILE INDIFFÉRENT – coup dommageable porté par jeu – délit de violence volontaire.

Cass.crim. 7 juin 1961 (Bull.crim. n° 290 p.559)

G...

Sur le moyen de cassation pris de la violation des art. 309 et 320 C.pén., ensemble violation de l’art. 7 de la loi du 20 avril 1810...

Attendu que le délit de violences volontaires est constitué lorsqu’il y a un acte volontaire de violence, quel que soit le mobile qui a inspiré cet acte et alors même que son auteur n’aurait pas voulu le dommage qui en est résulté ;

Attendu qu’il appert de l’arrêt attaqué que, 1e 29 mars 1959, G... et H... travaillaient ensemble dans un atelier de l’usine des « Aciéries de C... » lorsque G..., qui maniait un tuyau de caoutchouc éjectant de l’air comprimé à une pression de 7 kg, a, pour plaisanter, appliqué l’extrémité de ce tuyau sur le fondement de son camarade; que l’air éjecté pénétrant dans l’anus de la victime, à travers ses vêtements, a provoqué un éclatement du péritoine et que cette lésion a entraîné une interruption de travail jusqu’au 15 octobre 1959 ;

Attendu que pour infirmer le jugement qui avait déclaré G... coupable de violences volontaires sur la personne de H..., la Cour d’appel retient que le prévenu n’a pas eu l’intention de porter atteinte à l’intégrité corporelle de H... et qu’il a seulement commis une imprudence en manipulant, sans précaution suffisante, un outil de travail dans le but de faire une plaisanterie ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi la Cour d’appel s’est fondée, pour disqualifier l’infraction, sur le motif qui a déterminé l’acte du susnommé, alors que sont constatés, d’autre part, tous les éléments légaux du délit prévu par l’art. 309 C.pén. et notamment le caractère volontaire de l’acte;

D’où il suit que, si l’arrêt attaqué est définitif quant à l’action publique, en l’absence de pourvoi du Ministère public, la décision, quant aux intérêts civils, n’est pas justifiée ;

Par ces motifs : Casse...

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Qualification des faits - constatation de l’élément moral - circonstances exclusives - sommeil de l’intéressé (oui).

Cass.crim. 19 octobre 1922 (D. 1922 I 233).

B... M... ben S...

Sur le moyen pris de la violation de l’art. 21 de la loi du 15 juillet 1845 et de l’art. 78 du décret du 11 novembre 1917 :

Attendu qu’il résulte du jugement attaqué que le prévenu B... M... Ben S...d a pris, à Hussein Dey (Alger), le 24 avr. 1922, un billet de 3e classe à destination de Bougie, et le train 57, qui passe à Beni Mansour, à 2 heures du matin, dans la nuit; que les voyageurs pour Bougie doivent descendre à Beni Mansour pour prendre l’embranchement de Bougie et que le train 57, après arrêt à Beni Mansour, repart dans la direction de Constantine, point terminal; que, sur ce dernier parcours, à Saint-Douat, l’agent de la Compagnie, K... M..., trouva le prévenu sur une banquette, profondément endormi, et dut le secouer pour le réveiller; qu’invité à produire son billet, B... remit sans hésiter le billet Hussein Dey-Bougie; que B... donna comme explication que, malade (fait confirmé par le caïd du douar où il habite), il s’était endormi, après avoir demandé à ses compagnons de route, que, d’ailleurs, il ne connaissait pas, de le réveiller à Beni Mansour, ce que ceux-ci avaient négligé de faire;

Attendu que, dans ces conditions, le jugement constate que le prévenu a dépassé involontairement la station de Beni Mansour;

Attendu que les infractions aux décrets et arrêtés relatifs à la police et à l’exploitation des chemins de fer existent indépendamment de la bonne foi du prévenu; que la matérialité de l’acte suffit, mais qu’il faut qu’il ait été volontairement accompli;

Attendu que, si c’est à tort que le jugement attaqué s’est fondé sur la bonne foi du prévenu pour le renvoyer des fins de la poursuite, il résulte des circonstances relevées au jugement que l’acte n’a pas été volontaire et qu’ainsi la décision de relaxe est justifiée;

Rejette...

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Qualification des faits - constatation de l’élément moral - circonstances exclusives - ivresse de l’intéressé (non).

Cass.crim.  29 janvier 1921 (S. 1922-1-186 note Roux).

T...

Sur le moyen pris de la violation par fausse application de l’art. 65 du décret-loi disciplinaire et pénal du 24 mars 1852, en ce que le jugement attaqué déclare le demandeur coupable d’avoir laissé partir son navire sans se rendre à bord, alors qu’il justifiait d’un cas de force majeure;

Attendu que la force majeure ne peut résulter que d’un événement indépendant de la volonté humaine et que celle-ci n’a pu ni prévoir ni conjurer;

Attendu qu’il est constaté par les juges du fond, devant lesquels le moyen a été une première fois soulevé, que T... a été mis en état d’arrestation, pour ivresse, dans la ville du Havre, quelques heures avant le départ du paquebot Savoie, sur lequel il était embarqué; qu’il a été conduit au poste de police et qu’il y était encore détenu au moment du départ du navire;

Attendu que les éléments légaux de la force majeure, exclusive du délit, ne se rencontraient pas dans l’espèce; qu’en effet, en admettant que la détention de T... au poste de police l’ait mis dans l’impossibilité absolue de se rendre à son bord, cette détention, occasionnée par la faute qu’il avait commise en se mettant en état d’ivresse, n’a pas constitué un événement qu’il n’ait pu éviter;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé...

Rejette...

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Qualification - constatation de l’existence de l’élément moral - causes d’exonération - erreur de droit inévitable.

Cass.crim. 23 juin 1893 (D. 1893 I 616)

G...

Sur le premier moyen pris de la violation de l’art. 65 C.pén. et de la fausse appli­cation des art. 1, 2 et 3 de la loi des 19-24 juillet 1793, 425, 426, 427 et 429 C.pén. et de l’art. 3 du décret des 13-19 janvier 1791, relatif aux spectacles, en ce que l’arrêt atta­qué, constatant à la charge de G... des faits de contrefaçon artistique, aurait relaxé le prévenu en se fondant sur l’absence d’intention délictueuse, résultant de l’ignorance de la loi;

Attendu que, en matière de contrefaçon artistique ou littéraire, le prévenu est fondé à exciper de sa bonne foi pour écarter l’application de la loi pénale; que l’ignorance de la loi ne saurait constituer une excuse suffisante, mais que l’arrêt attaqué constate que G..., chef d’orchestre du théâtre de B..., en faisant copier et en louant à D..., directeur de théâtre, certaines partitions d’orchestre éditées par les demandeurs, n’a fait que continuer des errements depuis longtemps suivis à B... , et qui paraissaient autorisés par les éditeurs; que l’arrêt a pu juridiquement induire de ces circonstances la bonne foi de G..., et que son appréciation sur ce point échappe au contrôle de la Cour de cassation...

Rejette...

NOTE. La question de l’erreur de droit se posait avec acuité sous le régime de l’ancien Code pénal, qui n’avait pas abordé le sujet. En règle générale, les juges s’en tenaient au principe au principe voulant que nul n’est sensé ignorer la loi pénale. Mais, dans certains cas extrêmes, où la bonne foi du prévenu était entière, quelques tribunaux ont prononcé une relaxe en observant que le défendeur n’avait pas eu conscience d’enfreindre la loi. Outre l’arrêt ci-dessus, voir la décision ci-dessous.

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Qualification –Constatation de l’existence de l’élément moral – Causes d’exonération – Erreur de droit (ancien Code pénal).

Cass.crim. 9 octobre 1958 (Gaz.Pal. 1958 II 319, Syndicats de la m...), sommaire :

Le prévenu qui a manifesté le souci de se mettre en règle avec la loi en s’adressant à l’administration, et en se conformant à l’avis du ministre, doit être relaxé en l’absence de l’élément intentionnel nécessaire pour constituer le délit.

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Qualification –Constatation de l’existence de l’élément moral – Causes d’exonération – Erreur de droit (nouveau Code pénal).

Cass.crim. 24 novembre 1998 (Gaz.Pal. 1999 I Chr.53, Le B...), sommaire :

Pour faire bénéficier, à bon droit, de l’art. 122-3 C.pén. B..., gérant d’une entreprise de déménagements, poursuivi pour avoir, en violation de l’art. L.212-7 C. trav., toléré, à douze reprises en un mois, une prolongation excessive de la durée de travail effectif de ses salariés, le jugement attaqué relève que l’intéressé n’a fait qu’appliquer les clauses d’un accord professionnel élaboré sous l’égide d’un médiateur désigné par le Gouvernement et faisant référence au Code du travail; il en déduit que le prévenu soutient, à bon droit, n’avoir pu penser que les stipulations de cet accord étaient moins favorables pour les travailleurs que les prescriptions légales.

En effet, le Tribunal, a pu admettre que l’erreur invoquée résultait, en l’espèce, d’une information erronée fournie par l’Administration, représentée aux négociations préalables à la signature de l’accord illicite.

Note. Cass.crim. 17 février 1998 (Bull.crim. n°60 p.162) avait précisé le sens de la législation nouvelle : Selon l’art. 122-3 C.pén., l’erreur sur le droit n’entraîne une exonération pénale que si la personne qui s’en prévaut n’a pas été en mesure de l’éviter.

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Qualification - constatation de l’élément moral - causes d’exonération - erreur de fait recevable.

Cass.crim. 6 novembre 1963 (Gaz.Pal. 1964 I 65)

M...

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation de l’art. 356 C.pén.;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, qui a prononcé la relaxe de M..., prévenu d’enlèvement sans fraude ni violence d’une mineure de 18 ans, qu’un doute sérieux existe sur le point de savoir si le prévenu avait eu connaissance de la minorité de 18 ans de Jeanne X..., dont l’aspect physique, la mentalité, le comportement étaient de nature à lui permettre de tenir pour exact l’âge de 19 ans que sa maîtresse lui avait indiqué être le sien et alors qu’elle jouissait notoirement à Perpignan, de la part de ses parents, d’une liberté de conduite sans rapport avec le jeune âge qu’elle avait en réalité; que l’arrêt ajoute qu’il n’apparaît pas que M...e ait agi en connaissance de cause et qu’il n’ait pas été induit en erreur sur l’âge de Jeanne X... au moment de la perpétration de l’enlèvement; que, dès lors, l’élément intentionnel de l’infraction n’est pas caractérisé;

Attendu qu’en déclarant, pour les motifs ci-dessus rappelés, que la preuve de l’intention délictuelle faisait défaut, l’arrêt a justifié sa décision; qu’en effet, lorsque l’agent aura pu raisonnablement se tromper sur l’âge de la personne détournée et croire qu’elle était majeure de 18 ans, il n’y a pas délit; que l’appréciation de la Cour, qui n’est entachée d’aucune contradiction, est, à ce sujet, souveraine et que le moyen n’est pas fondé...

Rejette...

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Constatation de l’élément moral.

L’élément moral de l’infraction devant être recherché dans les faits, le mobile qui a poussé le prévenu à agir ne peut être pris en considération à ce stade du raisonnement, mais seulement lors de l’individualisation de la peine : Cass.crim. 7 juin 1961 (arrêt G..., ci-dessous)

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qualification – pouvoir de disqualification et requalification des juges – nécessité que le prévenu ait été mis en mesure de recentrer sa défense.

Cass.crim. 12 septembre 2001 (Bull.crim. n°177 p.577, Gaz.Pal. 7 septembre 2002 note Monnet)

V... et G...

Sur le moyen complémentaire proposé pour C. G..., pris de la violation des articles 121-6, 121-7, 458 et 430 de la loi du 24 juillet 1966 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

Vu l’article 388 du Code de procédure pénale, ensemble l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article préliminaire du Code de procédure pénale ;

Attendu que, s’il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c’est à la condition que le prévenu ait été en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que C. G..., renvoyé devant le tribunal correctionnel pour entrave aux vérifications et aux contrôles du commissaire aux comptes B. G... et condamné par les premiers juges sous la même qualification, a été déclaré coupable par la cour d’appel de complicité du délit d’entrave commis par R. V..., sans avoir été invité à se défendre sur cette nouvelle qualification ;

Attendu qu’en cet état, la Cour d’appel a méconnu le sens et la portée des tex­tes susvisés et le principe sus-énoncé ;

D’où il suit que la cassation est encourue

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Disqualification et requalification judiciaire.

Si les juges peuvent en principe disqualifier les faits dont ils ont été saisis, tel n’est pas le cas après intervention d’une loi d’amnistie : Cass.crim. 12 février 1925 (F..., ci-dessous X 5°



22/10/2013
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