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La déchéance parentale

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La déchéance parentale

Denise Bombardier   15 octobre 2005  Société
Enfin, la réforme de la Loi sur la protection de la jeunesse! Enfin, la reconnaissance, à travers cette réforme, de l'incapacité parentale! Au pays du Québec, lieu privilégié de la rédemption, les parents indignes, dysfonctionnels, irresponsables ou tout simplement mentalement inaptes à élever des enfants se font depuis des décennies confirmer dans leurs errances face à leurs enfants par une loi qui fait de leur droit parental un dogme absolu. Comme l'a si bien montré le film de notre confrère Paul Arcand, on donne la chance aux parents de se réformer au détriment, hélas, de ces pauvres enfants trimbalés d'un foyer d'accueil à l'autre avec l'espoir que papa ou maman se ressaisisse. Comme cela peut prendre des années, pendant ce temps, les enfants perdent leur enfance et hypothèquent leur vie d'adulte.

Cette philosophie rigide du droit parental qu'on relativise dans les autres provinces et aux États-Unis, par exemple, où on favorise l'adoption plus rapidement en cas d'incapacités des parents, n'est-elle pas aussi un refus de reconnaître qu'il existe une telle réalité que la déchéance parentale? Nous vivons dans une société où l'exercice du jugement sur les autres rebute, où le pardon est accordé a priori, où la culpabilisation de l'autre est considérée comme une violence faite à autrui et où le droit des parents a prérogative sur le droit de l'enfant. À ce jour, on a renvoyé leurs enfants à des pères incestueux et on a rendu la garde d'autres petits à leurs mères droguées et dysfonctionnelles, comme si les liens du sang avaient préséance absolue sur les liens du coeur.

Ce qu'on reconnaît encore plus difficilement, semble-t-il, c'est la déchéance maternelle. Qu'il y ait des pères abuseurs, indignes, irresponsables, on est prêt à le constater, et elles sont nombreuses, celles qui l'affirment haut et fort et qui, à la limite, donnent à penser que cela est dans la normalité du genre masculin. Quand il s'agit d'indignité maternelle, la réticence se fait sentir lorsque ne s'érigent pas les idéologues de la vertu féminine. Si bien qu'on ne définit pas les uns et les autres selon les mêmes épithètes. Une mère inapte, négligente au point de mettre en péril la santé de son enfant, est qualifiée de victime de ses propres manques, de dépressive abandonnée à son triste sort, alors qu'un père négligent ou drogué est évidemment décrit par les termes «irresponsable», «sans-coeur» et «abuseur». Il y a de la vérité dans les deux cas, bien sûr, mais une mauvaise mère est, aux yeux de plusieurs, une réalité inacceptable. Ceci tend à démontrer qu'en matière de perception des sexes, les stéréotypes et les préjugés ont la vie dure. Cela laisse de plus supposer qu'il nous est insupportable, sinon douloureux, d'accepter qu'une femme qui porte l'enfant dans son sein puisse ne pas l'aimer ou l'aimer si mal qu'elle en arrive à le maltraiter, à ne pas pouvoir surmonter ses démons, son égoïsme, et, pire, à subordonner cet amour à celui qu'elle porte à un autre, mari ou amant tyrannique pour l'enfant. Comment, en effet, expliquer qu'une mère offre en pâture sexuelle à son partenaire la chair de sa chair? Or ces horreurs se commettent au quotidien. «J'ai dit à ma mère que son chum m'abusait et, le lendemain, elle m'a dit qu'elle allait le marier parce qu'elle l'aimait», raconte une jeune fille dans Les Voleurs d'enfance.

Des générations d'enfants maltraités n'ont pas pu être adoptés par des couples qui rêvaient d'en avoir et qui ont parcouru la planète pour aller en chercher. La loi et les structures qui en découlent ont construit un univers illusoire dans lequel des parents incapables de l'être ont été encadrés par des professionnels de tout genre qui se sont épuisés à tenter de les remettre dans le droit chemin, c'est-à-dire celui les ramenant à leurs enfants dont ils étaient plus ou moins les bourreaux. Cet acharnement à maintenir vivant le mythe du parent meilleur gardien de l'enfant relève davantage de la pensée magique, voire religieuse, que de la réalité. Il faut avoir vécu dans la béatitude pour sacraliser de la sorte la fonction parentale. En d'autres termes, socialiser les parents au détriment des enfants est un étrange choix de société. Comment ne pas relier ce choix à la génération qui a mis en place cette Loi sur la protection de la jeunesse, la même qui a affirmé avec force ces fameux droits des enfants, qui, concrètement, permettent à des gamines de 14 ans de se faire avorter sans que leurs parents le sachent puisque les médecins sont tenus au secret médical de par la loi.

Entre la foi dans la rédemption de parents indignes ou incapables et l'abandon à eux-mêmes d'enfants de 14 ans sous le couvert du respect de leur autonomie, il y a des contradictions abusives qui en disent long sur nos névroses collectives inconscientes. Dans les cas de figure qui nous concernent, la déresponsabilisation des adultes est patente. Répétons-le encore: la vertu est l'ennemi du bien. Quant à l'amour qu'on clame pour les enfants, il est peut-être de bon aloi qu'il soit l'objet de nos méditations futures.



30/01/2011
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