liens parents enfant sefca Europe

Les nouveaux visages de la prostitution infantile

Les nouveaux visages de la prostitution infantile

Le Point.fr

À l’heure où la violence faite aux enfants devient grande cause nationale 2014, le rapport sur l’exploitation sexuelle des mineurs dresse un bilan alarmiste.
Photo d'illustration
Photo d’illustration ©       Valéry Hache /       AFP

Pour financer ses études, Emma s’interroge : vaut-il mieux travailler comme serveuse au McDo pendant un mois ou passer un week-end à se prostituer ? Cette adolescente sexuellement libérée fait le calcul : au bout du compte, le gain est le même. Sa dignité en prendra-t-elle un coup ? Elle n’y pense même pas. Ce concept vieillot détone dans le contexte de sexualisation débridée chevillée à l’impératif de jouissance. Sa liberté ? Emportée dans le tourbillon pervers qui lui fait croire que c’est elle qui la commande. "Il n’existe qu’une seule liberté, c’est celle de l’acheteur qui s’offre des prostituées parce qu’il a de l’argent", s’est indigné le député Guy Geoffroy, rapporteur de la mission d’information parlementaire sur la prostitution, en ouverture du colloque sur l’exploitation sexuelle des mineurs qui s’est tenu à la Maison du barreau de Paris le 21 novembre.

De la précarité au recrutement

La prostitution des enfants a un bel avenir devant elle, voyant même rajeunir sa population au fil des ans. On estime à quelque trois millions le nombre de mineurs qui se prostituent, un phénomène qui se développe sur le terreau de la précarité matérielle et sociale des victimes. "Les jeunes filles issues de minorités ethniques et les enfants des rues ou abandonnés par leur famille ont plus de risques que les autres de tomber dans la prostitution", a rappelé Dominique Charpenel, psychanalyste, chargée de l’accueil des victimes à la Fondation Scelles. La pauvreté, c’est bien le coeur du problème, a confirmé le lieutenant-colonel Éric Panloup qui a fait part de sa longue expérience de terrain en Europe du Sud-Est.

"En Moldavie, 100 % des jeunes filles que j’ai rencontrées venaient de familles pauvres qui dysfonctionnent. Les parents avaient confié leurs enfants à un voisin, un oncle ou autre, et les petites étaient ensuite vendues ou recrutées par un petit ami proxénète pour être prostituées." Anéanti dans l’oeuf, le libre arbitre de la jeune fille convaincue d’aller travailler à Paris comme aide ménagère et forcée à se prostituer dans un appartement n’a donc pas droit au chapitre…

Résultat : la pauvreté des uns fait le lucre des autres. Et de la prostitution à l’exploitation sexuelle et à la traite, il n’y a qu’un pas. "La traite est le meilleur moyen pour les réseaux d’alimenter le marché de la prostitution, et ces derniers ciblent les familles vulnérables qui sont prêtes à envoyer leurs enfants en échange de quelque chose", indique Frédéric Boisard, chef de projet à la Fondation Scelles. De nombreux enfants, persuadés que c’est le seul moyen de subvenir aux besoins de leur famille, acceptent ainsi d’être exploités. Nombre d’entre eux en périssent après avoir été kidnappés. "En Algérie, 276 enfants ont disparu en 2012, nombre d’entre eux ont été retrouvés assassinés et ayant subi des violences sexuelles, 13 enfants par heure disparaissent en Inde", s’alarme l’édition 2013 du rapport mondial de la Fondation Scelles à paraître début décembre.

Le tourisme sexuel en ligne de mire des associations

L’exploitation sexuelle des enfants se nourrit aussi du "tourisme sexuel" qui connaît un essor géographique considérable. D’après la cartographie de la prostitution établie par la Fondation Scelles, les destinations désormais concernées recouvrent une grande partie du globe. Quatre grandes régions abritent ce type d’abus : l’arc asiatique (Japon, Philippines, Cambodge, Thaïlande, Corée du Sud, Inde), les côtes touristiques africaines (Maroc, Namibie, Madagascar, Kenya, Sénégal, Madagascar, Tanzanie, Afrique du Sud), l’arc latino-américain (Caraïbes, côtes mexicaines, Colombie, Brésil) et certains pays du Moyen Orient.

L’un des moyens de combattre un tel fléau est de faire réagir la conscience collective. C’est précisément ce levier que l’ECPAT (End Child Prostitution and Trafficking) entend actionner au moyen d’un outil prometteur : une plateforme de signalement sur Internet. N’importe quelle personne confrontée à une situation d’abus sexuel pourra ainsi la signaler en ligne, de façon anonyme si elle le souhaite. Ce projet qui verra le jour en mars 2014 est mené en partenariat avec 16 autres pays européens et les polices locales. "L’objectif de ce site est à la fois de dissuader les éventuels auteurs et de faciliter les enquêtes policières, explique Guillemette Vuillard, responsable de programme. Le partage d’informations permet de recouper des éléments d’un futur dossier et d’obtenir des témoignages. L’objectif est aussi d’offrir un outil de réponse à des personnes qui ne connaissent pas le levier à activer pour partager leurs inquiétudes." Une telle initiative a tout son sens dans un contexte où il est très difficile de lutter contre des réseaux qui se font de plus en plus discrets pour s’adapter à la mobilité du marché du sexe et qui recrutent leurs proies sur Internet.

Nouvelles cibles : les jeunes filles des cités françaises

L’essor du marché du sexe n’est pas seulement le fait des pays qui accueillent le tourisme sexuel ou dont certaines pratiques culturelles poussent des familles à vendre leurs enfants sur les marchés ou à les exposer dans des "sex tiange", ces cabanes philippines qui abritent un petit supermarché de la prostitution. Les pays occidentaux participent aussi de ce mouvement. "Aux États-Unis qui est pourtant un pays prohibitionniste, on dénombre 100 000 mineurs prostitués et pour la seule ville de New York environ 4 000 mineurs victimes de traite, dont la plupart le sont à des fins d’exploitation sexuelle. En Russie, pays également prohibitionniste, le nombre de mineurs prostitués avoisinerait 50 000", révèle l’édition 2013 du rapport mondial sur l’exploitation sexuelle. Aux Pays-Bas, le phénomène des loverboys est en pleine expansion. Ces jeunes hommes (ou jeunes femmes s’il s’agit de lovergirls) séduisent des collégiennes de 12 à 16 ans, les manipulent, les droguent et les prostituent. 278 victimes de ces loverboys ont été identifiées en 2012.

La France n’est pas non plus épargnée par l’exploitation sexuelle qui concerne au premier chef la Guyane. Outre les mineurs importés de l’étranger pour être prostitués en France, que penser de ce phénomène récent évoqué par Éric Panloup où "de jeunes Françaises des cités sont recrutées par des proxénètes pour être exploitées par des réseaux de jeunes délinquants qui se sont orientés vers le marché du proxénétisme, car il n’y avait plus de place sur celui du trafic de drogue" ?



24/11/2013
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi