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Moi, jurée d'assises Claudie Brouillet a été tirée au sort pour juger aux assises

Moi, jurée d'assises

Par Estelle Saget, (l'Express)

Claudie Brouillet a été tirée au sort pour juger aux assises. Rencontre avec l'un de ces citoyens ordinaires, alors que le chef de l'Etat veut élargir le rôle des jurys populaires.

 

Trois fois de suite, le tirage au sort l'a désignée. Claudie Brouillet, habitante de Rezé (banlieue de Nantes), n'en revient toujours pas que son nom soit finalement sorti d'une urne pour lui octroyer la place de juré dans le procès en appel d'une affaire de pédophilie. Comme prise de vertige, elle calcule et recalcule les probabilités: seulement 1 chance sur 1300 d'être piochée dans la liste électorale de sa mairie, puis 1 sur 22 d'être retenue pour la cour d'assises de Nantes, et enfin 1 sur 3 de l'être pour le procès lui-même. Dans sa vie quotidienne, le hasard lui est rarement aussi "favorable", souligne, avec une pointe d'ironie, cette mère et grand-mère de 59 ans. "Quand mes enfants étaient petits, combien de fois je leur ai demandé de compléter un bulletin pour remporter le caddie rempli à ras bord, à l'entrée du Super U, sans jamais gagner..."  

Le principe des jurés populaires veut que tout citoyen âgé de 23 à 70 ans puisse se retrouver embarqué, sans préavis, dans la même aventure que Claudie Brouillet. Et cela pourrait devenir relativement courant si cette pratique réservée, pour l'instant, aux assises, était étendue en correctionnelle, une réforme souhaitée par le président de la République, Nicolas Sarkozy. 

100 scènes sexuelles numérotées

Le pavillon est aussi peu tape-à-l'oeil que sa propriétaire. Cheveux parsemés de filaments gris, chemisier sobre sous son gilet lie-de-vin, Claudie Brouillet craint quand même, sur le seuil de sa porte, qu'on ne se méprenne sur ses intentions. En publiant Jurée d'assises. Dans les abîmes de l'enfance violentée (éd. de l'Atelier), elle ne cherche "ni l'attention ni la gloire". Simplement à témoigner d'une mission aussi éprouvante que gratifiante, remplie en 2007 sur "réquisition civique", selon sa propre expression. Rappelons, pour situer un procès hors norme, que le dossier contenait, entre autres, 100 scènes sexuelles numérotées et répertoriées, impliquant jusqu'à une trentaine d'adultes et enfants réunis dans une même pièce. 

Suis-je légitime pour juger autrui? 

Confrontée au versant sombre de la société, Claudie Brouillet en est ressortie convaincue que chacun peut accéder à la rédemption. "Sur le banc des accusés, j'ai vu des barbares, des têtes de brute, des caïds, raconte cette croyante et salariée de l'Eglise catholique. J'ai cherché leur part d'humanité et, plusieurs fois, je l'ai trouvée." Elle retient aussi la sensation d'avoir formé, avec les 11 autres jurés, un vrai équipage, solidaire et fraternel. "Le tirage au sort, dans son arbitraire absolu, légitimait seul la présence de chacun, écrit-elle. Pour une affaire d'aussi grande importance que de juger des hommes au nom du peuple français, il n'y avait pas de critères de compétence. Cela était tellement différent de nos ateliers, de nos entreprises, de nos services, où rien ne se fait désormais sans profil de poste et sans évaluation !" Educatrice spécialisée de formation, elle n'avait ni connaissances ni a priori sur le jury populaire. Elle plébiscite aujourd'hui un système conçu de telle sorte qu'il protège chacun du doute. "Bien entendu, je me suis posé l'inévitable question "Suis-je légitime pour juger autrui ?" et la réponse était forcément non, analyse Claudie Brouillet. Mais ma voix, seule, ne peut jamais être déterminante, c'est toujours un collectif qui se prononce." Et c'est ainsi que la jurée n° 11 a pu reprendre le cours normal de son existence, les sprints pour attraper le tramway, les réunions dans les salles paroissiales à la nuit tombée, après que le tribunal eut prononcé des peines allant jusqu'à vingt-huit ans de réclusion criminelle. 




27/02/2011
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