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PARLE DE MORALE, D’ÉTHIQUE, de L'ASE sic!!!!

 

Les Cahiers de l'Actif - N°276/277

 

 

 

17

 

Éthique et Déontologie :

 

 

implications pour les professionnels

 

 

I. DE QUOI PARLE-T-ON LORSQUE

 

L’ON PARLE DE MORALE, D’ÉTHIQUE,

 

DE DÉONTOLOGIE OU DE DROIT ?

 

Ces trois mots ont en commun de faire référence à ce qu’il faut faire ou pas

 

faire. Bref, à des règles de conduite, au permis et au défendu, à une certaine

 

notion du bien et du mal.

 

L’étymologie nous est de peu de secours : morale vient du latin

 

“mores”

(la

coutume), éthique du grec

 

 

“the ethe”

(les moeurs).

La tradition catholique préférait parler de morale ; la tradition protestante

 

d’éthique. Dans le langage actuel, la morale ayant pris un petit goût de

 

vieux, on préfère parler d’éthique, mot qui fait plus moderne, même s’il

 

date d’Aristote. On accepte mal qu’on nous fasse la morale ; on comprend

 

mieux que l’on rappelle des exigences éthiques.

 

 

 

Morale, éthique,

 

déontologie et droit

 

Pierre

 

Verdier*

 

Fondation

 

La Vie au Grand Air

 

*Pierre Verdier est ancien membre du Conseil Supérieur de l'Adoption et Président

 

du Conseil de Famille des Pupilles de l'État de Paris, Président de la CADCO :

 

Coordination des Actions pour le Droit à la Connaissance des Origines ; depuis

 

1990 Directeur général de la Fandation La Vie au Grand Air.

 

Après avoir défini les concepts de morale, d'éthique et de

 

déontologie, l'auteur analyse les motivations d'une demande

 

d'éthique toujours plus accrue en travail social et sur les bases

 

nécessaires à l'émergence d'une éthique sociale commune.

 

Dossier

 

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Les Cahiers de l'Actif - N°276/277

 

On emploie même ce mot à toutes les sauces :

 

n

 

 

on oppose éthique de conviction à éthique de compétence ;

 

 

n

 

 

on disserte sur une éthique de l’incertain qui traverserait le champ

éducatif et qui rencontrerait une éthique de la responsabilité ;

 

 

 

n

 

 

on avance des concepts tels qu’éthique de conviction, de responsabilité,

de discussion ;

 

 

 

n

 

 

d’autres (je cite ici Boris Libois, dans Éthique de l’information) distinguent

les éthiques descriptives, les éthiques stratégiques, l’éthique

 

normative et l’éthique réflexive ;

 

 

 

n

 

 

la bioéthique, née en Amérique, il y a maintenant plus de vingt ans, a

eu son ère de succès, il suffit de recenser les publications qui s’y

 

réfèrent ;

 

 

 

n

 

 

on comprend qu’ Etchegoyen ait pu écrire un livre intitulé “La valse

des éthiques”.

 

Pour ma part, j’emploierai donc ces termes en des sens très précis que je

 

souhaite clarifier dès le départ :

 

 

 

n

 

la morale

peut être définie comme « l’ensemble des règles de conduite

socialement considérées comme bonnes » ;

 

 

 

n

 

l’éthique

, c’est « l’ensemble des principes qui sont à la base de la

conduite de chacun ».

 

L’éthique est plus théorique que la morale ; elle se veut davantage tournée

 

vers une réflexion sur les fondements de la morale. Elle s’efforce de

 

déconstruire les règles de conduite qui forment la morale, les jugements de

 

bien et de mal qui se rassemblent au sein de cette dernière.

 

La morale est un ensemble de règles propres à une culture ; elle s’impose à

 

l’individu de l’extérieur, même si elle est ensuite intériorisée : tu ne voleras

 

pas le bien d’autrui, tu ne mentiras pas. Ces règles varient d’une culture à

 

l’autre. On peut parler de morale chrétienne, de morale bourgeoise ; la ruse

 

était une valeur chez les grecs anciens, elle est inacceptée dans d’autres

 

cultures. Platon légitime l’euthanasie et l’eugénisme :

 

 

 

“Tu établiras une discipline et une jurisprudence se bornant à donner

 

des soins aux citoyens qui seront bien constitués de corps et d’âme.

 

Quand à ceux qui ne sont pas sains de corps, on les laissera mourir”

 

(La République).

 

 

“Que l’élite des hommes ait commerce avec l’élite

des femmes et au contraire le rebut avec le rebut ; que les rejetons des

 

premiers soient élevés et non les seconds”

 

 

 

.

 

 

Les Cahiers de l'Actif - N°276/277

 

 

 

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Éthique et Déontologie :

 

 

implications pour les professionnels

 

 

L’éthique est une « métamorale » ; elle interroge les jugements qui se rassemblent

 

au sein de cette dernière. Elle est oeuvre de déconstruction et de

 

refondation. Elle concerne la théorie et la fondation, les bases même des

 

prescriptions ou des jugements moraux.

 

Bien sûr, il y a aussi un élan créateur dans toute morale ; mais très vite cet

 

élan se solidifie en prescriptions que l’éthique interroge, soupçonne et met à

 

distance.

 

 

1

 

 

Vous voyez se dessiner la difficile mission assignée aux divers Comités

 

d’éthique : être une interrogation, un questionnement des pratiques. Mais

 

un questionnement par rapport à quoi ? Non plus par rapport à la loi, cela

 

c’est le rôle des Tribunaux ; non pas par rapport aux règles de déontologie

 

ou de morale, qui relèvent d’autres instances. Alors par rapport

 

à quoi ? Par rapport à des valeurs. Mais, nous y reviendrons,

 

il n’y a pas de valeur en soi, les valeurs sont toujours

 

relatives. C’est moi qui attache de la valeur à ceci ou à cela.

 

Qu’est-ce qui permet aujourd’hui de dire qu’une loi est juste

 

ou ne l’est pas ? Nous l’ignorons. A défaut nous nous fions,

 

mais jusqu’à un certain point seulement, à un consensus. Est

 

bien, ce que tout le monde, après débat, estime aujourd’hui

 

bien. Mais nous sentons bien que ce n’est pas tout à fait satisfaisant.

 

La déontologie

 

 

 

, c’est « l’ensemble des règles de bonne conduite dont une

profession se dote pour régir son fonctionnement au regard de sa mission ».

 

Ces règles ne sont pas seulement morales ; elles peuvent être techniques ou

 

juridiques.

 

Ces règles de déontologie peuvent être édictées par le gouvernement, sous

 

forme de décret : tel est le cas du code de déontologie médicale, dont la

 

dernière version résulte du décret du 6 septembre 1995, de celui des infirmiers,

 

des sages femmes, etc.

 

Ou bien il s’agit d’un consensus à l’intérieur d’une profession, mais dans ce

 

cas il ne s’impose pas : par exemple l’ANAS a élaboré un code de déontologie

 

pour les assistants sociaux, le syndicat des psychologues un code de

 

déontologie pour les psychologues.

 

 

1.

Jacqueline Russ, La pensée éthique contemporaine, Que sais-je 1995.

“L’éthique

 

est une

 

métamorale

 

 

 

 

Dossier

 

20

 

 

 

Les Cahiers de l'Actif - N°276/277

 

En matière de travail social, il n’y a pas de code à valeur réglementaire, mais

 

l’ANCE, sous la conduite dynamique de Jean-Pierre Rosenczveig a adopté

 

en mai 1996 un document appelé « Des références déontologiques pour

 

l’action sociale ».

 

Et puis, il y a l’ordre de

 

la loi

. J’appelle loi, dans cet exposé, la loi juridique ;

c’est à dire pas la loi symbolique qui est immuable, indiscutable,

 

intransgressible ; mais la loi juridique qui se caractérise par trois éléments :

 

 

 

1.

 

 

 

c’est un texte,

 

2.

 

 

 

voté en termes analogues par l’Assemblée nationale et par le Sénat,

 

3.

 

 

 

et qui s’impose à tous.

C’est à dire que la loi se définit par trois caractères :

 

 

1.

 

 

un caractère objectif

: la loi (du latin legere lire) ça se lit ; c’est ce qui

est écrit ;

 

 

2.

 

 

un caractère légitime

: ce n’est pas n’importe qui, qui

fait la loi ;

 

 

3.

 

 

un caractère général

: elle est la même pour tous.

En dehors de cela, on n’est pas dans des rapports de loi,

 

mais dans l’arbitraire, la force ou la violence. Le droit, c’est

 

ce qui protège de la violence.

 

La loi élaborée démocratiquement détermine les rapports

 

entre les hommes en définissant l’espace des droits et des

 

devoirs.

 

Ainsi le code pénal a posé que les atteintes sexuelles d’un majeur sur un

 

mineur de 15 ans, même sans violence, contrainte, menace ou surprise

 

étaient un délit et que celui-ci était aggravé s’il était dû à un parent ou à une

 

personne ayant autorité. Ce faisant la loi définit la place de l’enfant, la place

 

de l’adulte, la place des parents, la place de l’éducateur ou de l’enseignant.

 

Si on n’est pas dans des rapports de droit, on est dans la toute puissance, dans

 

le plaisir et dans des rapports de force ; c’est seulement la loi du plus fort.

 

Or la loi, élaborée démocratiquement, nous dit quelle est la place de chacun

 

et quel est le cadre dans lequel nous devons inventer nos pratiques. Contrairement

 

à ce que l’on pourrait craindre, elle est facteur de liberté, puisque

 

dans un cadre négocié et connu on peut agir librement : connaître le code de

 

la route n’est pas une gène pour conduire, c’est au contraire un facteur de

 

sécurité.

 

 

“Éthique, morale,

 

déontologie sont

 

soumis à la loi”

 

Les Cahiers de l'Actif - N°276/277

 

 

 

21

 

Éthique et Déontologie :

 

 

implications pour les professionnels

 

 

Éthique, morale, déontologie sont soumis à la loi, et il n’y a que dans des cas

 

très exceptionnels que l’on peut en conscience violer la loi. En acceptant

 

d’être sanctionné en conséquence par le même système légal.

 

II. POURQUOI UNE DEMANDE D’ÉTHIQUE

 

ACCRUE EN TRAVAIL SOCIAL ?

 

Je pointerai, pour ma part, et toujours dans le domaine de l’action sociale,

 

quatre raisons :

 

1.

 

 

 

la fin des certitudes,

 

2.

 

 

 

la montée de l’individualisme,

 

3.

 

 

 

l’arrivée des technologies nouvelles, notamment dans le traitement

de l’information, mais aussi dans les sciences de la vie,

 

 

4.

 

 

 

un besoin d’assurance accru et une crainte de responsabilités accrus.

 

2.

 

1

La fin des certitudes

 

 

Nous avons déjà mentionné la perte des repères traditionnels. Je crois pouvoir

 

dire qu’il y a besoin accru de déontologie parce qu’il y a perte des

 

règles de morale.

 

Par exemple, pendant longtemps on savait ce que c’étaient que des parents :

 

un homme et une femme qui ont des enfants et qui les élèvent. Et cela nous

 

aidait drôlement lorsque nous étions appelés à étudier une demande d’agrément

 

pour une assistante maternelle ou des personnes qui désiraient adopter

 

un enfant.

 

Aujourd’hui, on a des couples homosexuels - deux hommes ou deux femmes

 

- qui font une demande d’agrément et veulent adopter des enfants.

 

Bien sûr qu’ils ne peuvent être géniteurs, mais peuvent-ils ou ne peuvent-ils

 

pas être parents ? Personne ne peut le dire. Les bases font défaut. La seule

 

réponse est de chercher ensemble.

 

2.

 

2

La montée de l’individualisme

 

 

L’individualisme, c’est l’attitude qui privilégie l’individu par rapport à la

 

collectivité. Quand se dissolvent les idéologies, les systèmes explicatifs totalisants,

 

alors naissent les formes contemporaines de l’individualisme, propices

 

à l’apparition de nouvelles règles de conduite. Je veux dire par là que

 

l’on recherche aujourd’hui davantage l’accomplissement de la personne

 

plutôt que le respect de règles ou de contraintes diverses. Peut-on accepter

 

Dossier

 

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Les Cahiers de l'Actif - N°276/277

 

qu’un homme meure pour sauver un peuple (c’est ce qu’on invoquait pour

 

justifier la torture) : on en est de moins en moins sûr.

 

D’où un appel à l’éthique et à des assurances déontologiques chaque fois qu’il

 

peut y avoir conflit entre les intérêts et les besoins de l’individu et ceux de

 

l’ordre social : par exemple l’article 2 du Code de déontologie médicale, nous

 

dit que le médecin est « au service de l’individu et de la santé publique ».

 

Que faire lorsqu’il paraît y avoir opposition entre les deux :

 

n

 

 

une personne séropositive qui n’informe pas son partenaire ;

 

 

n

 

 

les choix imposés par la nécessité de maîtriser les dépenses de santé

et les soins aux personnes que l’on sait perdues, ou très âgées ;

 

 

 

n

 

 

tout ce qui touche à la médecine prédictive : peut-on laisser naître un

enfant infirme, voire sans cerveau comme cela s’est présenté récemment

 

en Italie ?

 

 

 

n

 

 

la réanimation néonatale : jusqu’où ne pas aller trop loin ?

Et ce problème de choix entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif n’est

 

pas exclusif aux médecins : il se retrouve pour les journalistes, les chercheurs,

 

les industriels....

 

Se rattachent à cette montée de la valeur attachée à la personne beaucoup de

 

textes contemporains : l’interruption volontaire de grossesse qui veut que la

 

prise en considération de la détresse de la femme l’emporte sur la vie du

 

foetus, la réaffirmation du secret professionnel dans le nouveau code pénal,

 

qui cède devant l’assistance à personne en péril, toutes les dispositions relatives

 

à la protection des libertés...

 

 

 

2.

 

3

L’arrivée des technologies nouvelles

 

 

C’est dans le domaine des techniques que les progrès ont été le plus rapides

 

et les plus déstabilisants et où apparaissent des menaces et des dangers

 

divers.

 

Il a fallu quelques années, assez récentes, puisque cela date du XXème

 

siècle, pour concevoir que les richesses naturelles, le pétrole, l’eau, l’air,

 

n’étaient pas inépuisables.

 

Il a fallu quelques années pour s’apercevoir que les moteurs pouvaient polluer

 

dangereusement la cité. Le temps du monde fini a commencé.

 

Et pour en venir à des domaines qui touchent le travail social, je citerai deux

 

points sur lesquels les progrès nous interpellent :

 

Les Cahiers de l'Actif - N°276/277

 

 

 

23

 

Éthique et Déontologie :

 

 

implications pour les professionnels

 

 

1.

 

 

 

le traitement de l’information,

 

2.

 

 

 

les techniques des sciences de la vie.

Mais il y en a d’autres, bien évidemment.

 

L’information est bien sûr pouvoir. Dès l’invention de l’imprimerie les pouvoirs

 

politiques ou religieux se sont méfiés de ce moyen de diffusion rapide et

 

difficilement contrôlable des idées. Avec l’informatique la circulation et l’utilisation

 

des informations personnelles devient encore plus rapide et facile.

 

 

2.

 

4

Un besoin d’assurance et une crainte

des responsabilités accrus

 

 

 

Être responsable, étymologiquement, c’est être en capacité de répondre de

 

ses actes.

 

Le travailleur social a-t-il des comptes à rendre ? Bien

 

sûr comme tout citoyen et comme tout salarié.

 

Cependant c’est une idée récente que ceux qui se vouent

 

ou se dévouent pour l’intérêt général aient des comptes à

 

rendre :

 

n

 

il n’y a guère que 100 ans, depuis l’arrêt

Blanco

 

 

(1873) que la responsabilité de l’État peut être recherchée

 

pour les dommages causés aux particuliers par le

 

fait des personnes qu’il emploie, et encore cet arrêt dispose

 

qu’elle ne peut être régie par les principes qui sont

 

établis par le code civil pour les rapports de particulier à particulier et

 

qu’il y aura un régime et des tribunaux particuliers ;

 

n

 

jusqu’au milieu du XIXème siècle on pouvait plaider que

“le médecin

dans l’exercice de sa profession, n’est soumis pour ses prescriptions,

 

ordonnances, opérations de son art à aucune responsabilité”

 

 

 

sauf

 

 

“si, oubliant qu’il est médecin et se livrant aux passions, aux

vices, aux imprudences de l’homme, il occasionne par un fait répréhensible,

 

un préjudice réel au malade...”

 

 

2

On sait comment les choses

ont évolué vers la notion d’obligations de moyens, et aussi vers la

 

recherche d’indemnisation même sans faute des aléas thérapeutiques,

 

suite, notamment, aux affaires du sang contaminé par le virus du

 

SIDA ;

 

 

 

2.

Plaidoirie de Maître Mérieux sous Cass. req. 18 juin 1835, citée par Dominique

Thouvenin in, La responsabilité médicale, Flammarion 1995.

 

“Comme tout

 

citoyen et salarié,

 

le travailleur social

 

a des comptes

 

à rendre”

 

Dossier

 

24

 

 

 

Les Cahiers de l'Actif - N°276/277

 

n

 

 

en ce qui concerne la justice, l’irresponsabilité de l’État va durer encore

plus longtemps que pour les autres secteurs de la fonction publique

 

:

 

 

 

“Ce n’est qu’avec la loi du 7 février 1933 que l’État se voit

déclaré civilement responsable de ses juges et ce n’est qu’un siècle

 

après l’arrêt Blanco que le législateur (loi du 5 juillet 1972) traite du

 

fonctionnement défectueux des services de justice.”

 

 

 

3

 

 

n

 

 

de même la mise en cause de la responsabilité des travailleurs sociaux

du fait de leur profession est-elle assez récente.

 

On constate de plus en plus aujourd’hui, une généralisation de la responsabilité

 

:

 

 

 

.

 

 

par soucis d’équité,

 

 

.

 

 

par refus du fatalisme,

 

 

.

 

 

par volonté d’indemnisation des victimes,

 

 

.

 

 

en raison de la généralisation des systèmes d’assurances aussi,

Il n’est donc pas étonnant que les services sociaux et éducatifs - polyvalence

 

de secteur, AEMO, établissements, assistantes sociales...- aient de plus en

 

plus fréquemment des comptes à rendre devant la société (responsabilité

 

politique ou pénale), devant leur employeur (responsabilité professionnelle

 

ou disciplinaire) devant la victime (responsabilité civile ou administrative

 

suivant le lieu de travail).

 

Il est certain qu’il y a dans les demandes de comités et surtout dans celles de

 

références déontologiques, un important besoin de protection. Ce n’est pas

 

par hasard que l’on entend si souvent ce lapsus

 

 

 

“on est protégé par le secret

professionnel”

 

 

 

, alors qu’il n’est pas une protection mais une obligation.

Certains se disent qu’il vaut mieux faire la police entre soi, afin d’éviter

 

d’avoir des comptes à rendre à la société. C’est une sorte d’approche corporatiste.

 

Par exemple, les garagistes disent

 

 

 

“les juges ne peuvent pas nous

juger, jugeons-nous nous-même”

 

 

, ou le médecins disent

“que peuvent entendre

les juges à la médecine ?”

 

 

 

Il y a un peu l’idée de se dire

 

 

“dotons nous de nos propres règles, pour

éviter qu’on vienne nous chercher des noises”

 

 

 

. Il est en partie légitime

qu’une profession s’auto-organise et s’autorégule ; mais jusqu’à un certain

 

point seulement, seulement dans le cadre de la loi.

 

 

 

3.

Starck, Roland et Boyer, Obligations, Litec 1991, p. 489.

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25

 

Éthique et Déontologie :

 

 

implications pour les professionnels

 

 

III. QUELLES BASES POUR

 

UNE ÉTHIQUE SOCIALE COMMUNE ?

 

Une difficulté pour fonder une réflexion éthique et pour développer ce qu’on

 

appelle des éthiques appliquées : bioéthique, éthique de l’information, éthique

 

de l’environnement, éthique des affaires, éthique sociale, c’est que les

 

repères traditionnels se sont estompés. Les bases habituelles, ontologiques,

 

métaphysiques, religieuses, ont disparu. La crise des fondements affecte

 

aussi l’éthique. Mais c’est bien pour cela que s’impose une réflexion éthique,

 

comme déconstruction et refondation.

 

Il semble cependant qu’il y ait des points de convergence.

 

3.

 

1

La réintroduction de la personne

dans l’action sociale.

 

 

 

Sans doute est-ce lié à la place que l’on accorde à la

 

valeur de la personne.

 

C’est à rattacher à ce qu’on appelle parfois d’un terme

 

un peu inadapté

 

“la montée de l’individualisme”

. Cela

veut dire que le but de l’action sociale ce n’est pas seulement

 

la défense de la paix sociale, mais c’est d’abord le

 

respect de celui qu’on appelle

 

 

l’usager, disons mieux,

la

personne

 

 

 

, de son autonomie, de son histoire. Cela on le

retrouve dans tous les textes sur la déontologie, références

 

de l’ANCE, ou code de l’ANAS, comme dans la Convention Internationale

 

des droits de l’enfant qui pose l’intérêt supérieur de l’enfant comme

 

critère premier.

 

Par exemple il peut être intéressant d’inventorier comment on désigne le

 

client dans les textes de lois. Je prendrai pour exemple les textes sur la

 

protection de l’enfance :

 

 

 

1.

 

 

 

Les premiers textes sur l’assistance à l’enfance désignaient l’enfant sous

le terme général d’

 

orphelin

et appelaient les établissements d’accueil

des

 

 

orphelinats

. La mission assignée aux services était alors claire : il

fallait

 

 

remplacer

des parents absents, morts ou inconnus. Il convenait

d’organiser des placements (terme lui-même significatif !) de substitution.

 

Plus tard, lorsque le mot orphelin paraîtra inadapté on parlera de

 

 

 

“Le but de l’action

 

sociale, c’est

 

d’abord le respect

 

de la personne”

 

Dossier

 

26

 

 

 

Les Cahiers de l'Actif - N°276/277

 

« Pupilles et assimilés », ce qui, par rapport à la place assignée aux parents,

 

signifie la même chose.

 

 

“Pupilles et assimilés, trois mots assassins”

 

 

dira un jour un pédopsychiatre, le docteur Jean-Claude Delaporte.

 

Assassins, parce qu’effectivement ils tuaient symboliquement les parents.

 

2.

 

 

 

La loi de 1889, permettra pour la première fois à un tribunal de prononcer

la déchéance de la puissance paternelle contre des parents soit

 

maltraitants, soit pernicieux. Elle va introduire une nouvelle population.

 

Elle désignera les enfants par le terme de « moralement abandonnés ». Il

 

ne s’agira plus alors seulement de remplacer, mais bien de

 

protéger

les

enfants contre leurs parents, jugés dangereux.

 

 

 

3.

 

 

 

Après la logique de la substitution, c’est sous cette logique de la protection

que l’on va fonctionner jusque vers les années 1970. A ce moment

 

là, plusieurs groupes de réflexion montreront que les résultats de ce type

 

de prise en charge n’étaient pas à la hauteur des investissements humains

 

et financiers engagés. Le Ministre de l’époque (Robert Boulin) confiera

 

à Antoine Dupont-Fauville la mission d’étudier les résultats de l’aide

 

sociale à l’enfance et de faire des propositions. Les rapporteurs vont

 

énoncer que la réponse au « cas social » comme on disait à l’époque, ne

 

pouvait pas être seulement sociale. Que l’enfant séparé est un enfant

 

blessé ; qu’il ne s’agit pas de remplacer, de protéger, mais de

 

soigner

. De

là date la mise en place de nouveaux professionnels, la constitution d’équipes

 

pluridisciplinaires et un mode de travail différent sur le modèle médical

 

prédominant à l’époque (on parle de

 

 

soin

et non d’éducation, on

compte les capacités des établissements en

 

 

lits

et non en places, on abuse

du terme approche

 

 

clinique

sans s’inquiéter du sens réel de ce mot...).

On ne parlera plus d’orphelin ou de pupille, mais d'« enfant en difficulté

 

» qu’il faut

 

 

“prendre en charge”

. Quand aux parents objets de

soins, ils sont un peu considérés comme des malades, en tous cas déficients.

 

Souvent on dit dans les grilles statistiques « parents carencés ».

 

 

 

4.

 

 

 

Dix ans plus tard, en 1980, le rapport Bianco-Lamy viendra introduire

une logique nouvelle : il mettra en évidence que jusqu’ici les services

 

publics et privés ont fait beaucoup pour les enfants et les familles en

 

difficultés, mais ont insuffisamment permis aux enfants et à leurs parents

 

d’être les acteurs de leur histoire.

 

Dès sa première page, le rapport souligne le poids du passé, la compétition

 

des pouvoirs et l’importance des absents. Et les grands absents des

 

services de l’aide sociale à l’enfance, ce sont, dit le rapport Bianco-Lamy,

 

les parents, les enfants et les familles d’accueil. Non absents physiquement,

 

bien sûr, mais en capacité d’exprimer leur avis ou de le voir prendre

 

en compte. Chacun de nous a pu entendre mille fois, à cette époque :

 

 

“On m’a placé et déplacé mais on ne m’a jamais demandé mon avis”

 

 

 

.

 

Les Cahiers de l'Actif - N°276/277

 

 

 

27

 

Éthique et Déontologie :

 

 

implications pour les professionnels

 

 

L’hypothèse du rapport Bianco-Lamy et des lois qui vont s’en suivre

 

(6 juin 1984 essentiellement) c’est que, certes, il y a des familles défaillantes,

 

mais que ce n’est pas en les remplaçant, en agissant à leur

 

place qu’on résoudra durablement leur situation ; c’est au contraire en

 

leur reconnaissant des droits et en leur donnant les moyens d’exercer

 

leurs droits qu’on les fera sortir de leur défaillance. C’est un retournement

 

de perspective : on passe de l’intérêt pour l’enfant aux droits de

 

l’enfant.

 

On entre donc dans une nouvelle période où on ne parlera plus d’orphelin,

 

de pupille, d’enfant en difficulté, mais d’usager. Le mot

 

 

“usager”

 

 

entre pour la première fois dans le droit social par une loi de 1985 sur les

 

conseils d’établissements qui prévoit que « dans les institutions sociales

 

visées par la loi de 75, les usagers, les familles et les salariés sont associés

 

au fonctionnement de l’établissement par la biais notamment de conseils

 

d’établissement ».

 

Le terme de « contrat » ou de « démarche contractuelle » se répand de

 

plus en plus et va devenir une pratique sociale générale après la réforme

 

à l’étude de la loi de 1975..

 

Comme il apparaît dans ce rappel de terminologie, l’image que l’on a des

 

parents

 

 

a aussi évolué : on est passé du père absent, au père déchu

puis aux

parents

 

défaillants pour en être aujourd’hui aux usagers

du service avec qui

nous sommes engagés dans une mission de « coéducation ».

 

La mission assignée aux services se modifie en conséquence : il fallait d’abord

 

 

 

remplacer

 

 

les parents absents ou gommés, puis protéger

l’enfant contre

ses parents réputés dangereux, puis

 

soigner

le lien défectueux et aujourd’hui

 

 

soutenir

 

 

 

. Soutenir, c’est se tenir dessous pour faire tenir debout.

Mais il faut bien relever que, dans cet édifice, aucune étape n’annule la

 

précédente, mais la complète : c’est un peu comme des couches de peinture,

 

toutes nécessaires.

 

 

3.

 

2

La responsabilité

 

 

Peut-être face à la fragilisation et à la précarisation du monde, le principe de

 

responsabilité est réaffirmé.

 

Deux applications :

 

n

 

 

d’abord, pour reprendre les motifs de quête déontologique que nous

avons énoncés plus haut, c’est à dire :

 

 

 

.

 

 

parce que les règles de conduite deviennent floues,

 

 

.

 

 

parce que le monde évolue vite et nous bouscule,

 

 

Dossier

 

28

 

 

 

Les Cahiers de l'Actif - N°276/277

 

.

 

 

parce que nos responsabilités peuvent être engagées devant les

tribunaux,

 

 

 

.

 

 

parce que l’usager a pris une nouvelle place,

il y a de plus en plus un devoir de compétence. Se former, travailler, fait

 

partie de notre responsabilité, et cela tous les codes de déontologie le relèvent.

 

 

 

n

 

 

Ensuite, nous sommes de plus en plus conscients de notre responsabilité

pour l’avenir. Nous savons maintenant que nous sommes responsables

 

du monde que nous laisserons à nos enfants. Ceci a des

 

incidences pour tout ce qui touche la bioéthique, la recherche, les

 

manipulations génétiques, mais aussi le type de famille que nous

 

permettons, les jeunes que nous formons ou aidons, et aussi pour tout

 

ce qui touche à la conservation de l’information. Être responsable,

 

c’est avoir conscience qu’on n’est pas seul au monde.

 

 

 

3.

 

3

La régulation

 

 

Bien sûr les options éthiques sont personnelles. Lorsqu’on parle d’éthique

 

appliquée, ou d’éthique de service, on est proche de la déontologie.

 

Mais pour peser tous les aspects d’un problème, pour soutenir cette remise

 

en cause, ce questionnement permanent, il est important de prévoir des

 

lieux de régulation.

 

Le législateur et beaucoup de professions en ont mis en place : citons la

 

COB (commission de l’organisation bancaire), la CNIL, le CSA, le Comité

 

national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé créé par un décret

 

de 1983, les nombreux comités locaux, régionaux, hospitaliers, de spécialités,

 

comme les comités de l’Assistance publique de Paris créés en 1981,

 

non prévus par la loi.

 

Il est important que les professions sociales aient aussi ces lieux de régulation.

 

L’ANCE pour sa part, a mis en place un Comité des avis déontologiques

 

que l’on peut solliciter pour avis.

 

Travail social et éthique, travail social et responsabilité, travail social et engagement,

 

travail social et citoyenneté doivent selon nous avoir partie liée.

 

Dans tous les cas il s’agit du respect et de la promotion de l’Autre. De

 

l’Autre un et indivisible.

 

Les Cahiers de l'Actif - N°276/277

 

 

 

29

 

Éthique et Déontologie :

 

 

implications pour les professionnels

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIE

 

Pierre Verdier

 

 

 

est l'auteur de :

 

• L'autorité parentale, le droit en plus

 

 

, Bayard Éditions, Paris, 1993.

 

 

• L'enfant en miettes

 

 

,

Dunod Éditeur, Paris, 1997 (5ème édition).

 

• L'adoption aujourd'hui

 

 

,

Bayard Éditions, Paris, 1994 (5ème édition).

 

• On m'a jamais demandé mon avis

 

 

,

(avec Marieke AUCANTE), Éditions

Robert Laffont, Collection "Réponses", 1990.

 

 

• Le guide de l'Aide Sociale à l'Enfance

 

 

,

Bayard Éditions, Paris, 1995

(4ème édition).

 

 

• Enfant de personne

 

 

,

(avec Geneviève DELAISI), Éditions Odile Jacob,

Paris, 1994.

 

 

• Face au secret de ses origines. Le droit d'accès au dossier des enfants

 

abandonnés

 

 

,

(avec Martine DUBROC), Dunod, 1996.

 

• Le secret professionnel en travail social

 

 

,

(avec J.P. ROSENCZVEIG),

Coédition Dunod et Jeunesse et Droit, 1996.

 

 

• Ces enfants dont personne ne veut

 

 

,

(avec Marieke AUCANTE), Dunod

Éditeur, 1997, (L'adoption des enfants dits inadoptables).

 

 

• Le Droit à la connaissance de son origine : un droit de l'homme,

 

(avec Nathalie MARGIOTTA), Jeunesse et Droit, 1998.

 



14/05/2011
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