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Polémique autour du futur Défenseur des droits

 

 

Polémique autour du futur Défenseur des droits

Par François Koch, (l'Express.fr)

 

 
  
  

Eric Molinié, nouveau président de la Halde, souhaite que son institution reste une "filiale indépendante" du Défenseur des droits.  

AFP PHOTO BERTRAND LANGLOIS

Programmée depuis 2008, la création d'un grand Défenseur des droits individuels devait être consensuelle. Elle est devenue très polémique. Histoire d'un psychodrame politique loin d'être joué.

 

Ce 11 janvier, l'Assemblée nationale examine le projet de création du Défenseur des droits. Ce devait être une simple formalité. Il n'en sera rien. L'idée de créer en France une institution chargée de mieux défendre les libertés individuelles a été proposée par le comité Balladur sur la réforme de la Constitution, et notamment l'un de ses membres, Jack Lang. Mais, en juillet 2008, la loi qui en résulte avait renvoyé le choix du périmètre du nouvel organisme à un second texte. 

Trop vieux

Les députés ont décidé ce mardi en commission que la fonction de Défenseur des droits ne pourra être excercée que par une personnalité ayant "moins de 68 ans au jour de sa nomination".  
Cette disposition exclut de facto les anciens ministres Bernard Kouchner (né le 1er novembre 1939) et Jack Lang (né le 2 septembre 1939), deux personnalités souvent citées pour ce poste.  

Du coup, la définition de ce territoire est devenue un objet très politique. Le pouvoir est soupçonné, parfois à juste titre, de chercher à se débarrasser d'institutions qu'il juge encombrantes en les fondant dans la nouvelle entité. L'exercice, qui aurait dû être consensuel, s'est transformé en singulière chamaillerie au sein même de la majorité, comme le prouve son histoire parlementaire, très mouvementée. 

Acte I: Sénat, juin 2010

Le projet regroupe le Médiateur de la République (né en 1973), le Défenseur des enfants (2000) et la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS, 2000). Dès 2009, la Défenseure des enfants, Dominique Versini, ancienne ministre de Jean-Pierre Raffarin, protestait: "Beaucoup moins d'enfants et de parents s'adresseront à une institution dont le nom n'est pas immédiatement explicite." Versini ajoutait que ses homologues sont autonomes dans 37 pays européens. Et dans 18 sur les 27 de l'Union européenne. 

 

La Défenseure des enfants Dominique Versini arrive au palais de l'Elysée pour remettre au Président Nicolas Sarkozy son rapport "adolescents en souffrance, un plaidoyer pour une véritable prise en charge", le 20 Novembre 2007 à Paris.  

AFP PHOTO / ERIC FEFERBERG

Les arguments de la Défenseure font mouche auprès des sénateurs, réputés sensibles à tout ce qui touche aux libertés publiques. Si bien que 27 d'entre eux, membres des groupes UMP et de l'Union centriste, déposent un amendement sauvegardant l'organisme. Ils le font voter. Mais, dès le lendemain, l'Elysée tape du poing sur la table et obtient immédiatement un second vote contraire. "Je n'ai toujours pas compris pourquoi le gouvernement nous a imposé ce soudain revirement", confie Hugues Portelli, sénateur du Val-d'Oise, et seul élu UMP à refuser de tourner casaque. "J'ai payé mon indépendance, confie Versini, lorsque je me suis exprimée sur la justice des mineurs ou à cause de mes critiques sur la présence d'enfants d'étrangers dans des centres de rétention." 

Avant le Défenseur des enfants, la Halde avait subi un traitement similaire. En avril 2010, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, née en 2005, était ajoutée au projet. Ses combats, il est vrai, ont agacé le pouvoir ou de grandes entreprises, comme BNP Paribas, Airbus, etc., lorsqu'elle les a accusés de discrimination à l'égard d'un fonctionnaire ou d'un salarié. 

Nouvellement nommée à la tête de la Halde, l'UMP Jeannette Bougrab promettait, dans Le Monde: "Je me battrai comme une tigresse pour sauver cette institution." Bougrab a réussi... sa propre exfiltration, devenant secrétaire d'Etat cinq mois plus tard.  

Acte II: Assemblée nationale, janvier 2011

Dès l'automne, la polémique est relancée par un tandem improbable, Christian Vanneste (député UMP du Nord), réputé pour ses positions très conservatrices, et René Dosière (PS, Aisne). Les deux élus publient alors un rapport sur les 42 autorités administratives indépendantes qui contredit le projet du gouvernement: ils proposent de regrouper la CNDS et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté en dehors du périmètre du Défenseur des droits. "Parce que tous deux exercent la surveillance des établissements pénitentiaires", justifie Vanneste. Exemple: lorsqu'un détenu se dit victime du mauvais fonctionnement d'une prison, s'il met en cause un surveillant, cela relève de la CNDS, sinon du Contrôleur général. Et, donc, parfois des deux. 

"Je salue la qualité des travaux de MM. Vanneste et Dosière, et je partage bien des conclusions de leur excellent rapport", lance, le 30 novembre, le garde des Sceaux, Michel Mercier, devant l'Assemblée nationale. Cet enthousiasme ne va pas jusqu'à soutenir la proposition de fusion des deux élus, puisque la CNDS est maintenue au sein du Défenseur des droits... Quant au Contrôleur général, il sera absorbé en 2014, au terme du mandat de son responsable actuel, Jean-Marie Delarue. Et cela contre les avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme et du Comité contre la torture des Nations unies, favorables au maintien de l'autonomie de cette institution. "La seule motivation de la majorité UMP, c'est de supprimer les institutions qui dérangent le pouvoir", soutient Jean-Jacques Urvoas, député (PS) du Finistère. En mettant en cause des policiers pour les gardes à vue abusives ou des fouilles à corps injustifiées, la CNDS a en effet fortement irrité des hiérarques et des syndicalistes du ministère de l'Intérieur. 

Qui choisira le Défenseur des droits, décision essentielle vu l'étendue de son champ de compétence? Dans plusieurs pays européens, ce pouvoir appartient au Parlement, à une majorité des trois cinquièmes. Le projet français prévoit l'inverse: le Défenseur des droits sera désigné par le président de la République, sauf opposition des trois cinquièmes des parlementaires. "L'exécutif ne risque donc pas grand-chose, et, de plus, il a raté l'occasion de respecter l'esprit de la réforme institutionnelle de 2008, censée donner plus de pouvoir aux représentants de la nation", critique Vanneste. Il propose donc que les adjoints du futur Défenseur des droits, eux, soient élus par les trois cinquièmes du Parlement. Dans le même esprit, le nouveau président de la Halde, Eric Molinié, souhaite que son institution soit une "filiale indépendante" du Défenseur des droits. "C'est un contresens, une divagation, réplique Pierre Morel-A-L'Huissier, député (UMP) de Lozère et rapporteur du projet à l'Assemblée nationale. Les cinq adjoints seront nommés par le Défenseur des droits, sans consultation du Parlement, sinon on donnera naissance à un monstre à cinq têtes, source de zizanie." 

Acte III: Seconde lecture, printemps

Si le projet est adopté en l'état par la majorité, la troisième partie de la pièce devrait se jouer au printemps, lors de la seconde lecture par le Parlement. Elle s'annonce houleuse. Le Défenseur des enfants réduit à un simple "collaborateur" du Défenseur des droits, "sans pouvoir propre", selon les mots du garde des Sceaux: la pilule sera difficile à faire avaler aux sénateurs, après la bataille qu'ils ont menée en juin et les diktats que l'Elysée leur a imposés. 

Le projet définitivement adopté, restera le choix du capitaine. "La qualité de l'institution dépendra de celle de son dirigeant", lâche Pierre Morel-A-L'Huissier. La chancellerie reconnaît que l'enjeu est capital: il faut trouver une figure de haut niveau, une autorité morale. "Un profil transcourants, ni partisan ni idéologue, qui convainc l'opposition", ajoute Christian Vanneste. Pendant longtemps, seuls Jack Lang et Bernard Kouchner étaient cités. Le premier répète qu'il n'est pas intéressé et commence à être entendu. Le second n'est pas jugé crédible. Du coup, des parlementaires de la majorité poussent la candidature de la députée (UMP) Françoise de Panafieu, future victime de la fusion de deux circonscriptions électorales parisiennes. Visiblement, le pouvoir n'a pas (encore?) trouvé son Robert Badinter ou sa Simone Veil. 



28/01/2011
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