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Que peut nous apprendre l’erreur judiciaire sur la Justice ? 1/8

Que peut nous apprendre l’erreur judiciaire sur la Justice ? 1/8

Le 10 mars 2010. Auteur: Lucie Jouvet
Article classé dans Sciences Humaines

 

Lucie Jouvet, Docteure en sociologie, nous propose son analyse sur l’erreur judiciaire, dont nous pourrons découvrir les étapes sous forme de « feuilleton » hebdomadaire, en suivant le sommaire proposé ci-dessous (vous pouvez accéder aux différentes parties en cliquant sur les liens)

L’erreur judiciaire et le droit, une dualité inséparablesocio-erreurjudiciare
Roland Agret l’écorché vif
Patrick Dils le docile
1 L’enquête : le modelage du masque de coupable
2 Le Procès : le sacre du masque
3 La remise en cause d’un statut judiciaire : premières fissures avant le bris du masque
4 Le procès en révision : la pose d’un nouveau masque
Pour ne pas conclure
Bibliographie sélective
L’erreur judiciaire et le droit, une dualité inséparable

Les crimes et les délits sont inhérents au droit. Dans l’analyse du fonctionnement de la justice, il n’y a ni crime ni délit en dehors de la loi. De fait, à partir du moment où l’on définit des limites, leur transgression constitue une infraction. Autrement dit, n’en plaise à notre cher Président pour parvenir à une criminalité zéro, il faudrait avoir une tolérance absolue. Ainsi, l’édiction de règles juridiques formelles et leur mise en oeuvre entraînent, de fait, la potentialité d’erreurs dans les jugements. « Errare humanum est » est un vieil adage qui de tout temps trouve des applications lorsqu’un jugement s’avère « injuste ».

Mais la reconnaissance des erreurs judiciaires est difficile à admettre pour l’institution. Le droit évolue avec la société, les recours également. Aussi bien, les recours varient dans la forme comme dans le fond selon les époques et les acteurs impliqués (1). La justice de Dieu ou du peuple reste souveraine. Force est de constater que quel que soit l’époque ou le lieu, l’erreur est symboliquement coûteuse pour les pouvoirs en place.

Étudier l’erreur judiciaire constitue une puissante modalité d’analyse d’une institution : la Justice. Mais analyser un tel phénomène ne se résume pas à étudier les « simples » drames qui nourrissent exceptionnellement nos journaux. L’erreur judiciaire, dérapage criant de l’appareil de Justice, sert d’analyseur du fonctionnement « normal » du monde judiciaire. De fait, observer le « dysfonctionnement » d’une institution révèle en négatif ses modes habituels de fonctionnement (2).

L’erreur judiciaire est un vecteur d’analyse puissant pour appréhender la société dans ses modalités de production de normes et de déviances, pour mieux lire le fonctionnement de différents champs (3) (judiciaire, médiatique, associatif…) et, in fine, pour appréhender la construction sociale de la vérité.

L’homme de la rue emploie souvent le terme d’erreur judiciaire à tort et à travers. Par exemple lorsqu’un individu suspecté d’être « coupable » n’est pas condamné faute de preuves, ou à l’inverse lorsque quelqu’un semblant « innocent » est condamné ; ou encore lorsqu’un individu est gracié (comme le cas d’Omar Raddad (4) ou de Christian Ranucci (5) ), ou qu’une sanction pénale apparaît disproportionnée. L’erreur judiciaire sera ici définie comme le cas de tout individu ayant été condamné en cour d’Assises, et dont un procès en révision pour les mêmes faits a abouti à l’acquittement du condamné ; c’est-à-dire quand l’institution judiciaire a officiellement reconnu « son erreur ». Ce phénomène est rare (seuls 6 cas avérés ont été reconnus entre 1945 et 2002 ), et va nous permettre de lire en négatif comment se construit une identité judiciaire : criminel ou innocent.

Prochainement, nous nous pencherons plus particulièrement sur deux cas avérés d’erreur judiciaire. Le cas de Roland Agret condamné en 1973 à 15 ans de réclusion pour avoir (selon l’accusation de l’époque) commandité un double meurtre, et acquitté en 1985 ; puis celui de Patrick Dils, condamné à la réclusion à perpétuité en 1989 pour le double meurtre de deux enfants, et acquitté en 2002.

Ensuite, tour à tour, nous suivrons les quatre phases remarquables qui s’enchaînent lors de la remise en cause légale d’un arrêt criminel :
Le modelage du masque de coupable. Il s’agit ici de l’édification d’un statut judiciaire ; comment sont fabriqués des responsables lorsqu’un crime est mis au jour.
Le sacre du masque : le criminel. C’est la mise en scène du crime lors du procès avec la reconnaissance du rôle de chacun. C’est l’entérinement d’une vérité judiciaire sur le crime.
Les premières fissures avant le bris du masque. Pendant la période d’expiation (détention), une nouvelle version de la réalité commence à être véhiculée. On saisit alors comment le statut du criminel vient à être ébranlé.
La pose d’un nouveau masque : l’innocent. Cette dernière phase voit la mise en place d’un nouveau statut judiciaire. Le crime initial est revisité, et ceux qui avaient initialement été déclarés coupables deviennent, sous ce nouvel éclairage, des victimes innocentes.

(1) Garnot Benoît, l’erreur judiciaire de Jeanne d’Arc à Roland Agret, Editions Imago 2004

(2) C’est l’idée avancée par Bachelard lorsqu’il écrit : « Ce n’est pas en pleine lumière, mais au bord de l’ombre que le rayon, en se diffractant, nous confie ses secrets » G. BACHELARD, La formation de l’esprit scientifique, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970, p.241.

(3) Notion clé chez Pierre Bourdieu, se définissant comme des microcosmes possédant leurs enjeux, objets, intérêts, règles, valeurs spécifiques

(4) Jardinier, condamné en 1994 à 18 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de sa patronne Ghislaine Marchal le 23 juin 1991, Omar Raddad a toujours nié avoir commis ce meurtre. Il sera gracié partiellement par le Président de la République Jacques Chirac, qui a réduit sa peine de 4 ans et 8 mois.

(5) Jeune homme condamné à mort et exécuté le 28 juillet 1976 pour le meurtre d’une fillette qui eut lieu le 3 juin 1974, dans la région de Marseille. Ranucci avait passé des aveux après une longue garde à vue, mais il a ensuite déclaré avoir subi des pressions et s’est rétracté. Lors de son procès, il a refusé d’utiliser une stratégie de défense qui pouvait lui faire éviter la peine capitale, préférant clamer son innocence. Une grâce présidentielle lui a été refusée par le Président de la République Valéry Giscard d’Estaing.

(6) Jean Dehays, Jean Marie Deveaux, Roland Agret, Guy Mauvillain, Rida Daalouche, Patrick Dils.

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