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Suicide de Pauline, 12 ans: une enfance fusillée

Suicide de Pauline, 12 ans: une enfance fusillée

Par Géraldine Catalano, l’Express.

 
Suicide de Pauline, 12 ans: une enfance fusillée
Pourquoi Pauline, 12 ans, s’est-elle suicidée au fusil de chasse le 2 janvier dernier?

J.P. Guilloteau pour L’Express

C’était le 2 janvier dernier, veille de rentrée des classes, dans une bourgade proche de Lens. Pourquoi Pauline, 12 ans, s’est-elle suicidée cette nuit-là au fusil de chasse? A cause de l’école où elle était harcelée, affirment ses parents. Quand la douleur se mue en combat. 

Elle écrase sa cigarette d’une main fiévreuse, il entame son second paquet de la journée. Sous leurs yeux qui se dérobent s’étalent les photos qu’ils connaissent par coeur: Pauline à la plage, Pauline dans le jardin du petit pavillon d’Eleu-dit-Leauwette (Pas-de-Calais), Pauline avec ses frères, radieuse et presque bronzée, lors d’un séjour à Djerba en 2007.  

Le dernier souvenir avant le fracas n’en finit pas de hanter les époux Fourment. C’était le 2 janvier 2012. Comme des millions de Français, le couple se remettait en famille des festivités réveillonnesques dans le moelleux de leur canapé. La nuit avait été courte, les vacances touchaient à leur fin, sur l’écran plat du salon, Manfred, le mammouth de L’Age de glace, faisait des bonds. Béatrice, la maman, est montée la première: son réveil sonne à 2 heures chaque matin et la route est longue jusqu’à Lokeren, au-delà de la frontière, où la jeune femme de 33 ans emballe de la viande au kilo pour 2500 euros par mois. Olivier, le père, désosseur, qu’un accident du travail a partiellement privé de l’usage de sa jambe droite, s’est chargé de coucher les enfants. “Pauline a un peu râlé. Quand je lui ai rappelé qu’il y avait école le lendemain, son visage a immédiatement changé”, se souvient le robuste moustachu, qui s’effondre. Ce sont les cris de Thomas, l’aîné des deux garçons, qui ont lancé l’alerte, inutile. Il était près de minuit. Pauline venait de se tuer au fusil de chasse dans le salon familial. Elle avait 12 ans.  

>> Lire l’interview du psychiatre Xavier Pommereau, spécialiste de l’adolescence: “Aspirés trop vite vers le monde des ados” 

La violence du mode opératoire, la jeunesse de la victime ont sidéré la paisible commune de 3000 habitants située près de Lens. Dans cette bourgade où les petites maisons en briques rouges sont disposées sagement, comme dans un jeu de construction, tout le monde connaissait “Paupau”, tout le monde l’appréciait. Comment un être à peine sorti de l’enfance peut-il décider d’en finir avec la vie? La lettre laissée par l’adolescente ne livre aucune explication à son geste fou. Pauline, décrite par tous comme délicate et discrète, parle de “bisous” à ses grands-parents, de “parties de pêche et de loto” avec ses proches, avant de conclure lapidairement: “Mort aux profs”. Trois petits mots pour résumer une immense plaie intérieure? Oui, affirment les parents, qui parlent d’un “calvaire” vécu par l’enfant à l’école et ont porté plainte contre le proviseur du collège Jean-Jaurès pour non-assistance à personne en danger.  

Elle avait si peur de prendre le bus qu’elle préférait rentrer à pied, alors que nous habitons à plusieurs kilomètres de l’école 

Depuis septembre, Pauline était scolarisée en classe de sixième de cet établissement situé en ZEP et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne s’y plaisait pas. La jeune fille comptait cinquante heures d’absence, ses résultats étaient “honorables mais perfectibles”, selon le principal. Bâti au début des années 1970 non loin d’anciennes habitations minières gangrenées par le chômage, Jean-Jaurès ne connaît pas plus de violence que ses rivaux lensois. Pas plus, mais pas moins non plus: “Dès la deuxième semaine de septembre, les brimades ont commencé”, racontent les parents de Pauline. Crachats, insultes, bousculades… l’enfant était souvent la cible d’une petite poignée de collégiennes, plus âgées qu’elle pour la plupart. Pour quel motif? Peut-être en raison de son fort caractère, de son indifférence assumée pour la mode. Peut-être pour rien. “On l’a traînée à terre, on l’a traitée de face de rat et de garçon manqué. Elle avait si peur de prendre le bus qu’elle préférait rentrer à pied, alors que nous habitons à plusieurs kilomètres de l’école”, s’emporte Béatrice, qui s’était plainte auprès du chef d’établissement. “Ils nous ont dit qu’ils allaient régler le problème et ils ne l’ont pas fait. La veille de sa mort, Pauline avait confié au fils d’un de nos amis qu’elle se faisait frapper à l’école et qu’elle en avait marre“, poursuit le père. 

L’école a prévenu que Pauline présentait un risque suicidaire

Les parents de PaulineLes parents de Pauline

J.P. Guilloteau pour L’Express

Du côté du collège, on assure avoir pris la mesure du problème et lancé tous les signaux d’alerte: les jeunes filles s’étaient fait recadrer en classe par leur professeur principal et avaient écopé de quelques heures de retenue. Depuis, la situation semblait apaisée. Pauline consultait chaque semaine l’assistante sociale. Le 1er décembre, le proviseur et son adjoint avaient convoqué Béatrice et Olivier Fourment pour les aviser que leur fille présentait un risque suicidaire. “Ils ont conseillé un suivi psychologique et l’éloignement de toute arme à feu du domicile”, confirme une source proche de l’enquête. Chez les Fourment, on chasse le gibier d’eau à la hutte, et en famille. Pauline, qui accompagnait souvent son père dans la Somme, aimait guetter l’approche des oies cendrées ou des palombes dans la petite cabane d’affût dissimulée sous les herbes hautes. “Depuis une paire d’années, je laisse les armes là-bas, mais je devais partir quelques jours plus tard pour chasser dans le Nord…” Les mots se perdent, rattrapés par l’impensable scénario du drame : avant de retourner le fusil contre elle, Pauline a avalé des comprimés et tenté maladroitement d’en finir à l’aide d’un couteau. Qui aurait pu soupçonner une telle détermination chez l’adolescente, fan de Pierre Perret et de Mylène Farmer? Qui, vraiment, était Pauline?  

Encore un peu enfant malgré sa tête de plus que ses camarades et ce corps qui s’éveillait, la gamine aux tee-shirts larges et aux pantalons de survêt laissait deviner un être à la fois doux et insoumis. Secret, surtout. Depuis quelques semaines, Pauline ne se confiait plus aux adultes. A ses parents, elle assurait que tout allait bien à l’école, avant d’allumer mécaniquement sa console de jeux. Même silence, passé les grilles du collège. “Au conseil de classe de la mi-décembre, le proviseur adjoint lui a demandé si les soucis avec ses camarades étaient terminés, et elle a répondu oui”, se désole l’un de ses professeurs, qui évoque une élève “très gentille, mais aussi très réservée”.  

“Il faut tenir bon en sixième et cinquième, après ça se calme”

“Les brimades n’ont été que le déclencheur d’un mal-être profond. Ce drame est avant tout celui de l’incommunicabilité”, estime l’enseignant, qui défend le bilan pédagogique de Jean-Jaurès, même s’il reconnaît un problème d’encadrement. “Deux surveillants pour 600 élèves durant la récréation, c’est bien trop peu. D’autant que les élèves sont plus difficiles qu’il y a vingt ans.” Aux abords du collège, R., inscrit en troisième, ne dit pas autre chose: “Certains profs sont bons mais, en cours, les chaises et les tables volent parfois.” “La surveillance est pourrie. On arrive à fumer dans les couloirs, parfois même à se filmer avec notre portable, et il m’est arrivé de recevoir des coups. Il faut tenir bon en sixième et cinquième. Après, ça se calme”, dit une autre. 

Des cas nombreux

Depuis début 2012, une dizaine de très jeunes adolescents se sont donné la mort. Parmi eux, une collégienne de 14 ans, retrouvée pendue le 10 janvier à Lieusaint (Essonne). Le 12, un enfant de 11 ans s’est tué dans le Calvados. Le 25 janvier, une fillette de 11 ans a été retrouvée pendue à Challans (Vendée). Le dernier cas remonte au 12 avril: deux ados de 12 et 13 ans ont tenté de se suicider par absorption de médicaments dans leur collège de Draveil (Essonne). Elles ont heureusement été sauvées. 

Depuis le drame, le temps est comme suspendu à Eleu. Au bar-tabac, Jean-Pierre Pernaut débite dans le vide des nouvelles du ciel et de la crise. Peu de monde dans les rues, personne non plus dans le pavillon de la rue Maurice-Camphin, où la chambre tapissée de rose et de blanc est restée intacte. Béatrice et Olivier Fourment ont déménagé dans une ville voisine et compilent sans relâche les témoignages, comme celui de cette jeune fille qui raconte dans une lettre avoir subi la même expérience que Pauline en 2009, avant d’obtenir une dérogation pour un établissement d’Avion. Thomas, l’aîné des deux garçons Fourment, écrit beaucoup, lui aussi. A celle qui était son inséparable et qu’il a vu partir, cette nuit-là, il confie ses journées, sa douleur, sa colère. Puis il va déposer les pages griffonnées près de la petite tombe du cimetière communal. Thomas entrera au collège en septembre prochain.  



28/04/2012
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