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UN JUGE à La Une Etienne Rigal, juge des plus faibles

Etienne Rigal, juge des plus faibles

by lagazettedeputeaux 

Etienne Rigal, juge des plus faibles

Par Claire Chartier

 

 

Il est le héros du dernier livre d'Emmanuel Carrère, D'autres vies que la mienne. Portrait d'Etienne Rigal, juge spécialiste de la consommation.

Le voici, avec sa voix frêle et son corps robuste. Un corps de bon vivant, qui a su faire ami-ami avec la jambe factice que l'on devine sous le pantalon. Etienne Rigal promène sa patte folle depuis l'âge de 18 ans. Souvenir éternel d'un cancer du péroné, conclu par une amputation. De cette mauvaise blague de l'existence il a tiré un axiome: "Tout ce qui vient de moi est à moi." La maladie, les faux pas, les actes dont on n'est pas fier, comme ceux qui vous grandissent.

 

Il faut bien commencer par là pour raconter Etienne Rigal, 46 ans, juge spécialiste de la consommation et personnage lumineux du dernier livre d'Emmanuel Carrère, D'autres vies que la mienne (POL). Juge contre l'exclusion est une formule qui convient mieux à ce coléreux silencieux, pesant chacun de ses mots, fuyant la compassion facile. Comme en écho à cette jambe dont la vie l'a privé, il ne supporte pas l'idée que des citoyens soient bannis du "corps de la société" - c'est son expression - pour avoir joué à la roulette russe avec leur compte bancaire. "Le cancer m'a appris l'indulgence envers moi-même, dit-il. Pourquoi ferais-je la morale à des gens qui ont fait des erreurs, alors que moi je passe sur les miennes?"

 

Le défenseur des surendettés

 

Retenu et complexe, Etienne Rigal a bousculé la tradition judiciaire en osant défendre les droits des mauvais payeurs. Ces surendettés, les fautifs de l'histoire, qui claquent plus qu'ils ne gagnent et ne se présentent même pas devant le juge. Comme Emmanuel Carrère, on aurait aimé se trouver à Vienne (Isère), dans les années 1990, pour assister aux audiences d'Etienne, jeune magistrat au tribunal d'instance de la ville. Dans cette juridiction tranquille au bord du Rhône, il révèle des qualités d'emmerdeur hors pair. Très vite, les organismes de crédit n'en peuvent plus de ce "juge rouge" - lui se dit social-démocrate - qui les coince en dénonçant leurs publicités aux caractères pattes de mouche (inférieurs au corps 8 réglementaire) et les clauses irrégulières de leurs contrats... "Etienne est un juriste déterminé", résume sobrement son ami le juge Philippe Florès, l'un de ses anciens camarades de lutte. Méticuleux, parfois tranchant, le magistrat impose peu à peu par ses jugements la légitimité de son action : il est fondé à relever une injustice dont la victime ne s'est pas plainte. Parce que la loi est là pour tout le monde. Et qu'elle protège les esprits faibles contre ceux qui veulent en profiter. Les Cofidis et Cofinoga contre-attaquent. Au printemps 2000, la Cour de cassation siffle la fin de la récréation.

 

Il y a tout de même une justice. Année 2000 encore, mais au mois d'octobre, cette fois. Le magistrat est à son bureau, occupé à feuilleter des revues juridiques. Il tombe soudain sur un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). Il y est question d'une société de crédit obligeant par contrat ses emprunteurs mécontents à déposer plainte au tribunal de Barcelone, ville où l'officine a son siège. Un juge catalan décrète la clause abusive. La CJCE lui donne raison. Cette jurisprudence permet à Etienne et à sa collègue Juliette de repartir en campagne. Il se tourne à son tour vers la CJCE, avec succès. Grâce à lui, les juges d'instance peuvent désormais faire valoir les droits des débiteurs à leur place, s'il y a lieu. Et les débiteurs, plaider leur cause sans délai de prescription. Etienne est aujourd'hui vice-président du tribunal de grande instance de Lyon. "J'ai l'impression d'avoir rempli mon contrat envers moi et envers les autres, glisse-t-il. C'est une chance incroyable. Tout le reste, c'est du rab."

 



22/02/2012
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