Ce n’est très probablement qu’une coïncidence, mais les événements de Toliara se sont produits à quelques jours de la période de vacances judiciaires, qui commencent jeudi et dureront jusqu’au 15 janvier. Par conséquent, chaque jour de grève des magistrats pèse particulièrement lourd, notamment en matière pénale : faute de jugement, des prévenus vont rester au moins un mois de plus en détention préventive et auront le déplaisir de goûter aux joies des fêtes à l’ombre des murailles, alors qu’ils sont présumés innocents jusqu’au prononcé d’un jugement. Inversement, faute de prorogation du délai de garde à vue, de dangereux suspects pourraient se retrouver libres comme l’air.
Il faut avoir été confronté avec la Justice, personnellement ou à travers un proche, pour prendre pleinement conscience du pouvoir remis entre les mains des juges. Dans les ordonnances édictées par ceux-ci, on lit non pas « au nom de la Loi », mais « au nom du Peuple malgache ». Un tel pouvoir n’est supportable que s’il est strictement soumis à des règles précises. Dura lex, sed lex : la loi est dure, mais c’est la loi, nous dit la maxime. La locution s’applique au commun des mortels, mais elle devrait s’appliquer encore plus strictement à ceux qui sont chargés d’appliquer le droit.
Hélas, sous prétexte de juger en conscience, la sentimentalité la plus subjective a envahi nos tribunaux et commissariats. Cette sentimentalité est hélas encouragée par une opinion publique pas toujours consciente de la fragilité de l’équilibre des textes. Bon nombre de malgaches sont aujourd’hui ulcérés par l’attitude des policiers de Toliara ; l’on peut se demander si les mêmes n’auraient pas applaudi la rébellion si la personne qui était emprisonnée avait eu la réputation d’être un Robin des Bois et non pas un shérif de Nottingham. Quant à l’automobiliste qui est impliqué dans un accident mortel, les foules d’aujourd’hui ne tolèrent même plus qu’il ne soit pas immédiatement jeté à Antanimora, quelles que soient les circonstances.
Cette dangereuse sentimentalité est la porte ouverte à une mauvaise administration de la Justice et un évident encouragement à la corruption. Faut-il alors encore en rajouter, traiter le mal par le mal ?
Même si les circonstances sont exceptionnelles, l’on doit finalement trouver inacceptable que des magistrats se mettent en grève sans respecter les procédures applicables, ne serait-ce qu’en matière de préavis. Hélas, depuis 2009, la subjectivité est plus que jamais de règle, chacun voit l’(in)Justice à sa porte et il est bien difficile d’aller à contre courant avec une ministre qui se vante d’être une reny mpivavaka [1] et une avocate vedette qui confond méthodes de communication et code de procédure pénale.
Coïncidence ou pas ?
Si la survenance des événements de Toliara a surpris, leur lieu d’apparition ne constitue pas vraiment une surprise. Depuis longtemps, le fonctionnement de la Justice dans cette ville avait mauvaise réputation ; ce n’est nullement excuser les abjects gestes policiers que de remarquer qu’ils s’inscrivent clairement dans un cercle vicieux. Mais on retrouve des ingrédients de ce cercle dans de nombreuses juridictions de province ; des juridictions trop petites où, au lieu de contre-balancer mutuellement leur travail comme cela devrait être la règle, juges du Parquet et officiers de police judiciaire, juges du Siège et avocats se connaissent depuis trop longtemps et n’arrivent plus à maintenir une distance entre eux.
Il est alors particulièrement curieux que l’on ait laissé le policier Guillaume Jean Raphael Randriamamonjy être jugé à Toliara même. Une bonne administration de la Justice n’aurait-elle pas exigé que le jugement soit délocalisé dans une autre ville, afin de favoriser la sérénité des débats ? Si cela avait été fait, le substitut Michel Rahavana serait-il encore en vie ?
À cette question, la ministre Razanamahasoa, comme par hasard elle-même issue de la juridiction de Toliara, n’aura sans doute pas à répondre publiquement. Car à elle, personne ne songe apparemment à demander des comptes.