B) La typologie des renvois
B) La typologie des renvois
Le code de procédure pénale ne distingue que trois types de renvois. Il s'agit du renvoi d'un tribunal à un autre, pour cause de suspicion légitime, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice215(*)et celui pour cause de sûreté publique216(*). Cependant, seuls les renvois représentant des garanties contre la partialité seront intéressés ici. C'est à ce titre qu'il convient de se pencher d'une part sur, le renvoi pour cause de suspicion légitime comme garantie principale d'impartialité (1) et d'autre part sur, le renvoi pour cause de sûreté publique comme garantie secondaire d'impartialité (2).
1) Le renvoi pour cause de suspicion légitime comme garantie principale d'impartialité
La « suspicion » traduit l'idée d'un « sentiment de défiance que suscite la juridiction »217(*). La suspicion légitime peut être définie comme un sérieux motif laissant penser que les juges ne peuvent, en raison, de leurs tendances ou intérêts, se prononcer avec impartialité218(*). Elle peut aussi être conçue comme un soupçon de partialité contre la juridiction saisie, permettant à la juridiction supérieure, à la demande d'une partie, de dessaisir la première et de renvoyer l'affaire devant une autre juridiction de même nature219(*). Elle traduit l'idée d'une crainte légitime, due à toutes circonstances, autres que celles liées aux tendances et intérêts des juges composant une juridiction220(*).
Ainsi, il y aura renvoi pour cause de suspicion légitime, si l'ensemble des magistrats est incapable de se prononcer d'une manière impartiale et par conséquent, le renvoi ne s'opèrera que lorsque la valeur qu'il est destiné à garantir n'est pas respectée par les membres de la juridiction221(*). Lorsque le soupçon de partialité frappe dans son entier la juridiction régulièrement saisie d'un litige, le renvoi demandé pour cause de suspicion légitime, vise à soustraire à la juridiction soupçonnée, le litige, pour le transmettre à une juridiction de même ordre et de même degré222(*).Mais le plaideur est appelé à prouver l'existence d'un réel et sérieux soupçon annihilant l'impartialité. De ce fait, le demandeur est tenu de fonder sa suspicion sur des éléments à la fois précis et objectifs, revêtant une certaine gravité223(*).
Le renvoi pour cause de suspicion légitime est ainsi une garantie d'impartialité puisqu'elle permet de dessaisir une juridiction présentant des risques de partialité pour une autre juridiction, a priori impartiale. Il est une garantie principale car il a pour objectif principal d'annihiler tout pré-jugement, défavorable à l'impartialité de la juridiction saisie. Lorsqu'il est exercé, il touche la juridiction dans sa collégialité, c'est-à-dire l'entièreté de celle-ci. Toutefois lorsqu'il concerne une juridiction à juge unique, tel le juge d'instruction, le renvoi reste plus concevable que la récusation, bien qu'un seul juge soit visé225(*). En effet, il s'agit moins d'un préjugé né d'une intervention dans la procédure ou d'un parti pris du juge, que d'un préjugé propre à l'existence de l'instance pénale. De plus, on assiste à un dessaisissement automatique de la juridiction saisie ainsi qu'à un renvoi de la cause vers une autre juridiction habilitée à en connaitre par prorogation de compétence.
L'environnement interne de la juridiction est ici l'élément déterminant, celui là même qui permet de différencier le renvoi pour cause de suspicion légitime des autres types de renvoi.
2) Le renvoi pour cause de sûreté publique comme garantie secondaire d'impartialité
La sûreté publique induit de manière expresse la cause du renvoi. Elle est l'une des trois composantes de la notion d'ordre public226(*). L'ordre public est relatif aux règles nécessaires au bon fonctionnement des institutions sociales. On se convainc alors de l'existence entre la sûreté publique et l'ordre public, d'un « lien ombilical» et par conséquent il parait normal que tout trouble susceptible de faire obstacle à l'indépendance et à l'impartialité de la juridiction, puisse motiver le renvoi pour cause de sûreté publique227(*).
En France, les parties se sont toujours vues refuser l'initiative pour provoquer un tel renvoi. L'appréciation de l'opportunité du renvoi, fut confiée au ministre de la justice et par lui, au pouvoir exécutif, mais avec une exclusion des parquetiers hiérarchiquement subordonnés228(*).
Le renvoi pour cause de sûreté publique se différencie du renvoi pour cause de suspicion légitime. Dans le cas du renvoi pour cause de sûreté publique, c'est l'environnement extérieur qui fait pression sur la juridiction, telle la pression exercée par les médias. Or la suspicion légitime induit des causes de renvoi qui résident au sein même de la juridiction. Ainsi dans le cadre de la suspicion légitime, l'élément déterminant est l'environnement interne de la juridiction, alors que dans le cadre de la sûreté publique, il s'agit de l'environnement malsain qui entoure le « cadre géo judiciaire du tribunal»229(*).
Dominée par la notion de sauvegarde de l'ordre public, le renvoi pour cause de sûreté publique peut être ordonné si le procès est susceptible d'entraîner des scènes de désordre ou des tentatives d'évasions concentrées. Dans ce sens, il .est une garantie secondaire d'impartialité230(*).En effet, si aucune décision impartiale ne peut être prise dans un contexte dominé par des pressions diffuses, c'est bien la preuve que par le dépaysement de l'affaire qu'il entraine, le renvoi pour cause de sûreté publique, stigmatise les éventuels risques de partialité. Mais il est une garantie secondaire, car préserver l'impartialité n'est pas la mission première qui lui a été assigné. La preuve, la sureté publique induit irrémédiablement l'objet du renvoi : à savoir la préservation de la paix et de la sécurité de la cité. 231(*)
Cependant qu'en est-il de l'exercice de ces différents mécanismes ?
* 215 Le renvoi dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, semble destiné à préserver l'avancée du procès, des entraves tenant à l'organisation et au fonctionnement interne du service public de la justice. La bonne administration de la justice défend des valeurs que les parties ne sont pas à même d'apprécier, puisqu'elles ne sont pas destinées à préserver leurs intérêts particuliers. Ainsi, lorsqu'un condamné à une peine privative de liberté est détenu au siège de la juridiction de condamnation, et que ni le juge d'instruction, ni le procureur de la république ou le tribunal de ce lieu de détention ne peuvent connaitre des infractions qui lui sont imputées, seul le ministère public pourra demander le renvoi. Ce renvoi semble être opéré pour le bon fonctionnement de la justice.
* 216 Cf. Article 534 du code de procédure pénale
* 217 JOSSERAND (S.), op. cit., p 115
* 218GUILLIEN (R.), et VINCENT (J.) (Sous la direction de), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 13éd, p 532
* 219 CORNU (G.), (Sous la direction de), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 7°éd, 2004 p 800
* 220 ASSOUMOU (C.E.), les garanties d'impartialité du juge dans le code de procédure pénale, mémoire de DEA, Université de Yaoundé II, 1998, p 48
* 221 JOSSERAND (S.), op. cit., p 115
* 222 DEFFERRARD (F.), la suspicion légitime, Paris, L.G.D.J, 2000, p 267
* 223 224 DEFFERRARD (F.), op. cit., p268
* 225 ASSOUMOU (C.E.), op. cit., ,p 49
* 226 Aux termes des dispositions de l'article L 131-2 du code des communes en vigueur en France, l'ordre public consiste en la tranquillité, la sécurité et la salubrité publique
* 227 ASSOUMOU (C.E.), op. cit., p 47
* 228 JOSSERAND (S.), l'impartialité du magistrat en procédure pénale, Paris, LGDJ, 1998,
p119
* 229 ASSOUMOU (C.E.), op. cit., p 49
* 230 ASSOUMOU (C.E.), op. cit., p 57
* 231 JOSSERAND (S.), op. cit., p119
Paragraphe 2 : L'exercice du renvoi face à un pré-jugement secrètement porté
La mise en oeuvre du renvoi nécessite que l'on connaisse la procédure de renvoi (A), mais aussi que l'on en maîtrise la portée (B).
A) La procédure de renvoi
Le code de procédure pénale ne prévoit que trois dispositions pour traiter du renvoi232(*). Plus précisément, quel que soit le type de renvoi visé, l'article 534 dudit texte renvoie aux lois et règlements régissant la Cour suprême233(*). Mais il faut déjà préciser que le texte234(*) régissant la haute juridiction ne réglemente que la procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime, bien que, au Bénin, le droit positif répressif235(*) distingue trois sortes de renvois236(*).
Le droit de demander le renvoi pour cause de suspicion légitime, appartient au procureur général près la Cour suprême, au ministère public près la juridiction saisie, à l'inculpé ainsi qu'à la partie civile237(*). Ces derniers présentent en effet une requête à cette fin, et la signifie aux autres parties, qui eux doivent dans les dix jours déposer leur mémoire au greffe de la Cour suprême238(*). La chambre judiciaire de la Cour suprême est la juridiction compétente pour admettre ou rejeter le renvoi. Ainsi, lorsqu'elle admet l'existence d'une suspicion légitime, elle ordonne la suspension des poursuites devant les juges du fond, et renvoie l'affaire devant la juridiction qu'elle désigne. Elle peut renvoyer, toutefois devant la même formation, mais autrement composée.
Il est toutefois important de noter que la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime ne peut être orientée devant l'une quelconque des formations de la Cour suprême239(*).
Mais qu'en est-il de la portée d'un tel outil procédural ?
B) La portée du renvoi
Le renvoi a pour conséquence d'entraîner un dépaysement de l'affaire. Il dessaisit une juridiction territorialement compétente, pour confier la cause à une juridiction territorialement incompétente, mais qui le devient par prorogation de compétence. Le dessaisissement touche l'ensemble des membres composant la juridiction, ce qui montre qu'il ne s'attache pas à la personne du magistrat, mais au lieu d'exercice de leurs tâches240(*). Le renvoi de par son effet ou sa portée se distingue de la récusation. Mais il n'en demeure pas moins que le renvoi a pour effet le dessaisissement de chacun des juges composant la juridiction. Cependant, ce dessaisissement ne se fonde point sur la personne ou l'activité du juge comme dans le cadre de la récusation. Le fondement du dessaisissement de chacun des juges est plutôt inhérent à leur appartenance à la juridiction, car c'est bien leur qualité de membre de la juridiction qui fonde la mise à l'écart241(*). Le choix d'une juridiction de renvoi géographiquement éloignée de celle dessaisie traduit l'exclusion de la procédure d'un « périmètre institutionnel » soumis à la même hiérarchie judiciaire242(*). La demande vise à obtenir que l'affaire soit enlevée à la juridiction soupçonnée et transmise pour y être jugée à une autre juridiction, de même ordre et de même degré243(*) .
Puisque la situation actuelle du juge crée chez le justiciable, la crainte que ce magistrat n'offre pas lui-même et la juridiction au sein de laquelle il opère, n'offre pas avec lui, des garanties suffisantes d'impartialité244(*) , on peut en déduire que la finalité poursuivie par le renvoi, est la préservation de l'indépendance et de l'impartialité de la juridiction. Dans le cadre de la suspicion légitime, il est une garantie principale d'impartialité, alors que dans le cadre du renvoi pour cause de sûreté publique, il est une garantie secondaire d'impartialité.245(*) En effet, la vocation première du renvoi pour cause de sureté publique, reste la préservation de la paix et de la sécurité dans la cité246(*). Cependant, ce serait une erreur de considérer la protection de l'ordre public comme seul but de ce renvoi, car aucune décision ne peut objectivement se prendre en cas de troubles agitant la juridiction. L'on en déduit que le renvoi pour cause de sureté publique doit être demandé pour éviter un procès bâclé teinté aux couleurs des pressions les plus fortes. Dans ce sens, ce renvoi présente bien une finalité cachée ou lointaine qui est celle d'assurer l'impartialité de la juridiction saisie247(*).
Enfin, la portée du renvoi, nécessite que l'on ne l'exerce pas aux lieux et places de la récusation, car les deux mécanismes ne sont pas d'une égale portée. Cette confusion parait plus flagrante lorsqu'il s'agit de s'interroger sur la possibilité ou non de récuser plusieurs juges ou tous les membres d'une même juridiction.
Certes, plusieurs récusations peuvent être exercées au cours de la même cause, contre différents juges. Mais lorsque l'exercice de plusieurs récusations, est tel, qu'il entraine une impossibilité pour le tribunal de statuer, elle doit s'analyser en un renvoi pour cause de suspicion légitime. Cette position a été suivie en droit béninois, notamment par la Cour constitutionnelle, dans une de ses décisions. La Cour a en effet, considéré « qu'en demandant à la Haute Juridiction d'écarter de la connaissance du litige tous les membres composant la juridiction de jugement pour cause de partialité, le requérant sollicite en réalité le dessaisissement de ladite juridiction pour cause de suspicion légitime »248(*) .
En marge de ces garanties d'impartialité, le plaideur dispose aussi, lorsque la partialité est effective, de moyens pouvant lui permettre de réparer le tort qu'il a subi, ou de réprimer le vice de partialité.
* 232 Ceci se déduit de la lecture du titre V, du livre IV, du code de procédure pénale, intitulé « Des règlements de juges et des renvois d'un tribunal à un autre »
* 233 Ainsi, ces dispositions seront complétées par celle de l'article 66 de la loi n°2004-20 du 17 Août 2007 portant règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême
* 234 Il s'agit en l'occurrence de la loi n°2004-20 du 17 Août 2007 portant règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême
* 235 Il est important de spécifier qu'il s'agit ici du droit et de la procédure pénale car il n'existe pas de renvoi pour cause de suspicion légitime en procédure civile au Bénin.
* 236 En effet, l'article 534 du CPP distingue trois types de renvois : le renvoi pour cause de suspicion légitime, celui pour cause de sureté publique et le renvoi dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice
* 237 Cf. Article 66 alinéa 1er de la loi n°2004-20 du 17 Août 2007 portant règles de procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême
* 238 Cf. Article 66 alinéa 2 de la loi précitée
* 239 Cf. Article 66 in fine de la loi précitée.
* 240 JOSSERAND (S.),op. cit p 96
* 241 JOSSERAND (S.),op. cit p 97
* 242 JOSSERAND (S.),op. cit., p99
* 243 DEFFERRARD (F.), la suspicion légitime, Paris, L.G.D.J, 2000, p287
* 244 DEFFERRARD (F.), op. cit., p 281
* 245 ASSOUMOU (C.E.), les garanties d'impartialité du juge dans le code de procédure pénale, mémoire de DEA, Université de Yaoundé II, 1998,p 57
* 246 JOSSERAND (S.),op. cit., p 119
* 247 ASSOUMOU (C.E.), op. cit., p 57
* 248 Décision DCC 01-105 du 10 décembre 2001, Cour constitutionnelle, HOUNNOU A. Sévérin, Recueil des décisions et avis, 2001,
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