Deux «éducateurs» condamnés pour violences
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Le tribunal correctionnel de Grenoble vient de condamner deux « éducateurs » à trois mois d’emprisonnement avec sursis, l’interdiction d’exercer la profession d’éducateur pendant cinq ans et à verser 6000 francs de dommages et intérêts à un jeune majeur qu’ils ont frappé dans le cadre de leur exercice professionnel. L’affaire remonte au 30 juillet 1998 et elle se passe au réfectoire du Prado du Colombier à Bressieux (Isère). Les jeunes y sont réputés pour être difficiles. Ce jour-là, l’un d’entre eux refuse de participer aux activités d’après dîner mises en place par les éducateurs. C’est un jeune sans famille, en tout début de procédure de Placement jeune majeur (PJM) et qui, au cours de l’instruction, déclarera aux magistrats que sa chambre au Prado est son seul lien d’ancrage dans la vie. Il vient tout juste d’avoir ses dix-huit ans et, ce soir là, par bravade, il lance aux éducateurs qu’il est maintenant libre de vivre sa vie et de faire ce qu’il lui plaît. Le propos est de trop, semble-t-il, car il a le don de faire sortir de leurs gonds les deux « éducateurs » présents ce soir-là. En fait, ils n’ont d’éducateur que la fonction. En effet, le premier est embauché dans le cadre d’un Contrat emploi solidarité (CES). L’affaire en cours révèle malheureusement qu’il possède déjà un casier judiciaire. Cela ne l’empêche pas d’être apprécié par les jeunes du Prado et, pour la circonstance, d’être le plus modéré des deux dans le « passage à tabac » du jeune. Aussi, pour madame le procureur Sophie Fouché, le hasard qui le fait être prescrit ce soir-là fait-il bien mal les choses. Le second « éducateur » est, quant à lui, en cours de formation… mais d’éducateur technique. Il a un CAP agricole et il s’occupe de la ferme du Prado. Lui aussi traîne derrière lui des antécédents plutôt sévères, dont notamment des actes de violence particulièrement graves commis à l’encontre de jeunes. Donc, ce soir-là, les deux éducateurs sortent violemment le jeune du réfectoire et lui infligent une première correction. Celui-ci s’échappe et s’enferme dans sa chambre. Le passage à l’acte violent aurait pu et aurait dû s’arrêter là. Mais les deux « éducateurs » poursuivent le jeune et tentent de pénétrer dans sa chambre en passant par la fenêtre. À la vue de quoi, le jeune cède et ouvre sa porte ; la chambre est mise à sac. Plus tard, les gendarmes confieront aux magistrats avoir été choqués par la découverte de l’état des lieux et de celui du gamin. Auparavant, le jeune s’est enfui du foyer et a trouvé refuge auprès du maire de la commune. Conduit chez un médecin, celui-ci constate les traces de coups entraînant une incapacité de six jours.
Au tribunal, les deux « éducateurs » bafouillent sans trop y croire quelques arguments sur la nécessité de ne pas laisser ces jeunes dire ou faire n’importe quoi et ils évoquent une sorte de droit à une violence légitime face à des jeunes réputés difficiles. Face aux reproches sur le saccage de la chambre, ils affirment que cette violence n’est pas exceptionnelle et que, notamment lorsque les éducateurs recherchent du « shit » la fouille peut être conduite de façon musclée. Ces propos ont le ton d’agacer le président du tribunal, Didier Jacotot, et madame le procureur, Sophie Fouché qui n’ont pas pu s’empêcher d’enjoindre les deux « éducateurs » d’aller exercer un autre métier. Dans son réquisitoire final, Sophie Fouché s’attache à faire la part des choses entre, d’une part, la violence commise par un éducateur pour se protéger lui-même en cas d’agression ou la gifle donnée en réponse à une provocation et, d’autre part, la violence commise dans cette affaire et qui se caractérise par un acharnement des éducateurs sur le jeune sans commune mesure avec les faits incriminés et la déontologie de leur profession. Au téléphone, le procureur nous avoue même que l’affaire s’en serait tenue à la violence commise au réfectoire, elle aurait été certainement classée sans suite par le parquet. Mais il n’est pas certain que les deux « éducateurs » aient compris les subtilités de la distinction. Cette histoire pose donc deux questions : l’une technique, concerne le recrutement du personnel à ces postes d’éducateurs auprès de jeunes réputés difficiles et le fonctionnement d’une institution qui, ce soir-là, ne garantit aucune présence d’éducateur spécialisé auprès des jeunes. L’autre interroge l’attitude éducative et le recours, licite ou non, à une violence dite pédagogique face à des jeunes qui font du recours à la provocation et à la violence le principal voir le seul mode de relation à l’environnement. Dans le cas présent, madame le procureur a requis six mois de prison avec sursis et l’interdiction d’exercer la profession d‘éducateur pendant cinq ans, le maximum prévu par la loi. Elle a été partiellement suivie.
Ph. Gaberan
Face à des mômes qui ne sont pas des enfants de coeur
Les éducs du Prado exigent des « moyens moraux »
« Désormais, au moindre contact physique, les jeunes portent plainte et la gendarmerie enquête. Il y a de quoi saper la réputation d’une institution et décourager des professionnels »
Daniel Thévenard, chef de service au Prado du Colombier, condamne sans hésitation l’excès de violence commis par ses deux éducateurs… mais pour dénoncer aussitôt, et avec la même certitude, le caractère inique du verdict rendu par le tribunal correctionnel et la trop grande sévérité de la condamnation formulée à l’égard des deux éducateurs. Selon lui, le tribunal n’a tenu compte ni de la particularité de l’établissement ni des caractéristiques de la population accueillie. En effet, les jeunes qui arrivent au Colombier ne sont pas des gamins qui souffrent seulement de quelques troubles du comportement ; dit plus crûment, ce ne sont pas des enfants de chœur ! Ces incasables ou ces irrécupérables ont dépassé le stade de la graine de crapule. Le Prado du Colombier fait partie de ces établissements de la dernière chance pour des mômes qui ont derrière eux un lourd passé de délinquance et de violence et qui, à la limite de l’âge adulte, ont la prison pour seul horizon. Ces gamins n’ont pas d’autres formes de rapport au monde que le recours à la haine et à la violence. On peut le regretter, les juger et le condamner mais on peut aussi retrousser les manches et y croire. C’est ce que font les éducs du Prado du Colombier… et certains gamins s’en sortent. Aussi, Daniel Thévenard réclame-t-il de la société qu’elle accorde aux institutions spécialisées telles que le Prado les « moyens moraux » de leurs actions. Les archives de l’institution sont pleines du sensationnalisme des articles de Libération au Figaro, qui vantent l’action de la ferme équestre du Prado et les bienfaits du transfert des « jeunes des banlieues à la campagne ». Il est temps de sortir des clichés et de se coltiner la réalité. Il ne s’agit pas de réclamer plus d’éducateurs diplômés ou plus d’argent, mais de reconnaître que des situations particulières peuvent exiger des attitudes particulières. Ceux qui, dans l’idéal et loin du terrain, prêchent pour le niveau zéro de violence à l’égard des gamins, doivent d’abord venir éprouver la crédibilité de leur discours à leur contact. Pour Daniel Thévenard, à n’importe quel moment de la journée, n’importe quel éducateur, aussi diplômé et aussi expérimenté soit-il, peut être amené à se défendre contre un acte de violence, à « contenir » physiquement un jeune et à donner une claque ou un coup de pied au cul en réponse à une provocation. Il répète, encore une fois et pour que cela soit clair, qu’il condamne l’attitude exagérée des deux éducateurs et le saccage de la chambre. Mais il ne faut pas non plus que les jeunes puissent jouer impunément des ambiguïtés des adultes. Désormais, au moindre contact physique les gamins portent plainte et la gendarmerie enquête au Prado. Il y a de quoi saper la réputation d’une institution et décourager des professionnels.
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