liens parents enfant sefca Europe

Document de réflexion de la Cour de justice de l’Union européenne sur certains aspects de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

 

 

Document de réflexion de la Cour de justice de l’Union européenne sur certains aspects de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

1 Le programme de Stockholm, adopté par le Conseil européen le 11 décembre 2009, prévoit que l’Union européenne adhère «rapidement» à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «Convention»). En application de ce programme, la Commission européenne a récemment présenté un projet de décision du Conseil de l’Union européenne autorisant la Commission à négocier l’accord d’adhésion de l’Union à la Convention. À l’heure actuelle, ce projet fait l’objet d’un examen approfondi par les instances compétentes du Conseil1. Dans le souci de contribuer aux efforts déployés pour mener à bien le projet d’adhésion, qui soulève des questions juridiques assez complexes, la Cour de justice se propose de présenter les réflexions suivantes sur un aspect particulier qui est lié au mode de fonctionnement du système juridictionnel de l’Union.

I.

2 Le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, représente une étape majeure dans l’évolution de la protection des droits fondamentaux en Europe. D’une part, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne bénéficie désormais du statut d’acte juridiquement contraignant, de sorte que la Cour de justice ainsi que les juridictions nationales disposent dorénavant d’un texte ayant vocation à constituer le fondement principal pour s’acquitter de leur tâche de veiller au respect des droits fondamentaux dans le cadre de l’interprétation et de l’application du droit de l’Union. D’autre part, le traité de Lisbonne prévoit que l’Union adhère à la Convention. En étayant ainsi le cadre juridique pour la protection des droits fondamentaux au niveau de l’Union, cette protection, dont les premiers

1

Les étapes antérieures sont retracées dans la note de la Présidence adressée au Coreper/Conseil, doc. 6582/10, du 17 février 2010, «Adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales».

 

fondements jurisprudentiels ont été posés il y a plus que quarante ans2, est réaffirmée et renforcée.

3 S’agissant à cet égard plus particulièrement de la Convention, les institutions et organes de l’Union cherchent en effet depuis longtemps à assurer, sous le contrôle de la Cour de justice, le respect des droits de l’homme tels que garantis par la Convention, et cela même en l’absence d’une obligation expressément énoncée en ce sens. Ainsi que sa jurisprudence en témoigne, la Cour de justice fait régulièrement application de la Convention et se réfère dans ce contexte, de façon de plus en plus précise ces dernières années, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Cela a conduit cette dernière à reconnaître, en raison de l’existence d’une protection équivalente des droits de l’homme en droit de l’Union, une présomption de conventionalité dans certaines circonstances (jurisprudence Bosphorus)3.

II.

4 L’adhésion de l’Union, en tant qu’organisation d’intégration régionale, est soumise à des conditions particulières qui se distinguent de celles prévues dans le cas de l’adhésion d’un État. En effet, conformément à l’article 6 TUE, l’adhésion «ne modifie pas les compétences de l’Union telles qu’elles sont définies dans les traités»4 et, aux termes d’un protocole annexé aux traités, et qui a donc la même valeur que ceux-ci, l’accord relatif à l’adhésion «doit refléter la nécessité de préserver les caractéristiques spécifiques de l’Union et du droit de l’Union»5.

5 Parmi les caractéristiques spécifiques de l’Union et de son ordre juridique figure celle selon laquelle, en règle générale, l’action de l’Union ne déploie ses effets à l’égard des particuliers que par l’intermédiaire des mesures nationales de mise en oeuvre ou d’application. Ainsi, pour obtenir une protection de leurs droits fondamentaux à l’encontre de l’action de

2

Arrêt de la Cour de justice du 12 novembre 1969, Stauder, 29/69, Rec. 1969 p. 419.

3

Arrêt de la Cour eur. D. H., Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi (Bosphorus Airways) c. Irlande [GC], n° 45036/98, CEDH 2005-VI.

4

Article 6, paragraphe 2, TUE.

5

Article 1er du protocole (n° 8) relatif à l’article 6, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne sur l’adhésion de l’Union à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés

fondamentales (ci-après le «protocole n° 8»).

l’Union, les particuliers doivent normalement s’adresser aux instances nationales et, notamment, aux juridictions des États membres. Si, dans un cas concret, un particulier n’est pas satisfait de la protection qui lui a été accordée au niveau national, il peut, après épuisement des voies de recours internes, déposer un recours contre l’État membre concerné devant la Cour européenne des droits de l’homme. Ce faisant, les particuliers peuvent mettre en cause, indirectement, l’action de l’Union en contestant des mesures nationales d’application ou de mise en oeuvre du droit de celle-ci.

6 Dans la perspective de l’adhésion de l’Union à la Convention, cette caractéristique spécifique du système juridictionnel de l’Union doit être replacée dans le contexte des principes régissant le fonctionnement des mécanismes de contrôle mis en place par la Convention, notamment le principe de subsidiarité. Selon ce principe, il incombe aux États ayant ratifié la Convention de garantir le respect des droits consacrés par celle-ci au niveau interne et à la Cour européenne des droits de l’homme de vérifier que ces États ont effectivement respecté leurs engagements. Il appartient donc, au premier chef, aux autorités nationales et aux juridictions internes de prévenir ou, à défaut, d’examiner et de sanctionner les violations de la Convention6.

7 Sur le fondement de ce principe de subsidiarité et en vue d’assurer sa mise en oeuvre dans le cadre de la préparation de l’adhésion, l’Union est appelée à vérifier que, pour ce qui est de son action susceptible de faire l’objet de recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, le contrôle externe par les organes de la Convention puisse être précédé d’un contrôle interne effectif par les juridictions des États membres et/ou celles de l’Union.

III.

8 Dans le cadre du système juridictionnel de l’Union, tel qu’établi par les traités, la Cour de justice a pour mission d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application de ceux-ci7 et c’est elle seule qui est compétente, de par sa fonction de contrôle de la légalité des

6

Voir le Mémorandum du président de la Cour européenne des droits de l’homme aux États en vue de la conférence d’Interlaken [conférence portant sur le futur de la Cour eur. D. H., organisée à Interlaken en février 2010], du 3 juillet 2009, p. 4, disponible sur le site de la Cour eur. D. H.

7

Article 19, paragraphe 1, premier alinéa, TUE.

actes des institutions, pour déclarer, le cas échéant, un acte de l’Union invalide. Il est en effet de jurisprudence constante que toute juridiction nationale est compétente pour examiner la validité d’un acte pris par les organes de l’Union, mais les juridictions nationales, que leurs décisions soient ou non susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, ne sont pas compétentes pour constater elles-mêmes l’invalidité de tels actes. Afin de préserver l’uniformité dans l’application du droit de l’Union ainsi que pour garantir la nécessaire cohérence du système de protection juridictionnelle de l’Union, il incombe ainsi à la seule Cour de justice de constater, le cas échéant, l’invalidité d’un acte de l’Union8. Cette prérogative fait partie intégrante des compétences de la Cour de justice et donc des «attributions» des institutions de l’Union auxquelles, conformément au protocole n° 8, l’adhésion ne doit pas porter atteinte9.

9 Afin de préserver cette caractéristique du système de protection juridictionnelle de l’Union, il importe d’éviter que la Cour européenne des droits de l’homme soit amenée à statuer sur la conformité d’un acte de l’Union avec la Convention sans que la Cour de justice ait pu, au préalable, se prononcer définitivement à cet égard.

IV.

10 S’agissant plus particulièrement de la procédure de renvoi préjudiciel telle que prévue à l’article 267 TFUE, il est utile de rappeler, dans ce contexte, que son mode de fonctionnement, en raison de sa nature décentralisée qui implique que les juridictions nationales sont les juges de droit commun de l’Union, donne des résultats tout à fait satisfaisants depuis plus d’un demi-siècle, et cela alors même que l’Union comporte maintenant 27 États membres. Il n’est cependant pas certain que la Cour de justice soit saisie d’un renvoi préjudiciel dans tous les cas dans lesquels la conformité aux droits fondamentaux d’une action de l’Union pourrait être mise en cause. En effet, s’il est vrai que les juridictions nationales peuvent, et que certaines d’entre elles doivent, saisir la Cour de justice d’une demande de décision préjudicielle afin que cette dernière statue sur l’interprétation et, le cas échéant, la validité de l’action de l’Union, le déclenchement de cette procédure échappe aux

8

Voir arrêt de la Cour de justice du 22 octobre 1987, Foto-Frost, 314/85, Rec. 1987 p. 4199.

9

Article 2, première phrase, du protocole n° 8.

parties. En outre, il serait difficile de considérer cette procédure comme une voie de recours dont la mise en oeuvre constituerait un préalable nécessaire avant toute saisine de la Cour européenne des droits de l’homme en application de la règle de l’épuisement des voies de recours internes.

11 Certes, il est vrai que le système mis en place par la Convention n’établit pas comme condition de recevabilité d’un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme que, dans tous les cas, une juridiction suprême ait été préalablement saisie afin de statuer sur la prétendue violation des droits fondamentaux par l’acte en cause. Toutefois, l’enjeu dans l’hypothèse évoquée ci-dessus est non pas l’implication de la Cour de justice en tant que juridiction suprême de l’Union, mais l’aménagement du système juridictionnel de l’Union de telle manière que, lorsqu’un acte de l’Union est mis en cause, ce soit une juridiction de l’Union qui puisse être saisie afin d’effectuer un contrôle interne avant que le contrôle externe n’intervienne.

VI

12 Par conséquent, il importe de disposer, afin de respecter le principe de subsidiarité inhérent à la Convention et d’assurer en même temps le bon fonctionnement du système juridictionnel de l’Union, d’un mécanisme susceptible de garantir que la Cour de justice puisse être saisie, de manière effective, de la question de la validité d’un acte de l’Union avant que la Cour européenne des droits de l’homme ne statue sur la conformité de cet acte avec la Convention.

Luxembourg, le 5 mai 2010

 

 

 



16/07/2013
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi