Droit de la famille
Droit de la famille
Adoption simple et couple homosexuel : la CEDH appelle timidement l’État français au changement !
Mots-clefs : Filiation, Adoption simple, PMA, Couple homosexuel, PACS, Autorité parentale, Art. 365 C. civ., Art. 8 Conv. EDH, Art. 14 Conv. EDH, Discrimination (non), Intérêt de l'enfant
N’est pas discriminatoire le refus d’accorder à une femme le droit d’adopter l’enfant de sa compagne.
Il restait encore un espoir à cette femme homosexuelle de pouvoir adopter simplement l’enfant de sa compagne lorsque le 31 août 2010, la Cour européenne des droits de l’homme avait admis la recevabilité de sa requête dirigée contre l’État français fondée sur la violation des articles 14 (principe de non-discrimination) et 8 (droits au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour vient d’y mettre fin en rendant son arrêt, pris à six voix contre une, dans lequel elle conclu à la non-violation des deux dispositions.
On rappellera brièvement les faits et la procédure tout en citant la jurisprudence rendue au cours de ces dernières années dans ce domaine. Deux Françaises vivent en concubinage. L’une donne naissance à une fille conçue par procréation médicalement assistée avec donneur anonyme en Belgique (la PMA n’étant autorisée en France qu’au profit d’un couple, composé d’un homme et d’une femme, et dans un but thérapeutique : art. L. 2141-2 CSP), ce qui rend vacante la filiation à l’égard du père. Les deux femmes l’élèvent conjointement puis se pacsent (art. 515-1 C. civ.). Souhaitant bénéficier du partage de l’autorité parentale (art. 365 et 371-1 C. civ.), une procédure d’adoption simple (art. 360 s. C. civ.) est formée par la compagne de la mère de l’enfant (avec consentement exprès de cette dernière donné devant notaire) devant le TGI de Nanterre qui rejette la demande aux motifs que l’adoption aurait des conséquences légales contraires tant à l’intention des concubines qu’à l’intérêt de l’enfant (v. art. 3 et 21 CIDE). En effet, l’adoption aurait eu pour effet de priver la mère biologique de tout droit sur sa fille, ce qui n’était pas le souhait de ce parent et aurait été contraire à l’intérêt de l’enfant (art. 365 C. civ. ; Civ. 1re, 20 févr. 2007 ; Cons. const. 6 oct. 2010 ; Civ. 1re 19 déc. 2007 ; Civ. 1re, 6 févr. 2008 ; Civ. 1re, 9 mars 2011). La cour d’appel de Versailles refuse de légitimer la parenté conjointe sur l’enfant et confirme ce raisonnement, l’article 365 du Code civil ne prévoyant le partage de l’autorité parentale que dans le cas de l’adoption de l’enfant du conjoint, ce qui implique en l’état actuel de la législation française des personnes de sexes différents unies pas les liens du mariage (art. 144 C. civ. ; Civ. 1re, 13 mars 2007 ; Cons. const. 28 janv. 2011), ce qui était impossible en l’espèce. Ayant épuisé toutes les voies de recours internes (sans mener la procédure en cassation jusqu’à son terme), les deux concubines saisissent la CEDH (art. 34 Conv. EDH) en alléguant qu’elles font l’objet d’une discrimination par rapport aux couples hétérosexuels puisque la législation française ne permet pas aux couples homosexuels d’avoir accès à l’adoption par le second parent. Après avoir souligné que la présente affaire diffère de celle en date du 22 janvier 2008, E. B. c. France qui consacre l’égal accès à l’adoption simple pour toute personne quelle que soit son orientation sexuelle (cas d’un célibataire homosexuel), le Cour estime :
– d’une part que les requérantes vivant en concubinage ne se trouvent pas dans une situation juridique comparable à celle d’un couple marié concernant l’adoption de l’enfant par le second parent ;
– d’autre part, que les requérantes n’ont pas fait l’objet d’une différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle puisque la procédure d’adoption simple est aussi refusée aux couples hétérosexuels pacsés.
C’est donc sans grande surprise que la Cour rend cette décision qui à défaut aurait conduit à légitimer un double lien de filiation en faveur d’un enfant à l’égard de deux femmes. On relèvera toutefois :
– que la Cour réaffirme le principe selon lequel les différences fondées sur l’orientation sexuelle doivent être justifiées par des raisons particulièrement graves (CEDH 28 sept. 2009, J. M. c. Royaume-Uni), puis réitère ses conclusions issues de l’arrêt Schalk et Kopf c. Autriche (CEDH 24 juin 2010) en précisant que l’article 12 de la Convention (droit au mariage) n’impose pas aux États parties d’ouvrir le droit au mariage à un couple homosexuel et qu’il appartient au gouvernement de chaque État d’apprécier ses propres besoins sociaux et culturels dans ce domaine qui peuvent différer d’un pays à l’autre ;
– qu’au cours des débats, le gouvernement français a confirmé que sa législation sur la filiation était fondée sur l’altérité sexuelle qui relève d’un choix de société et qu’accepter la possibilité pour un enfant d’avoir une filiation établie uniquement à l’égard de deux personnes de même sexe constituerait une réforme de principe législative nécessitant un débat démocratique ;
– qu’une opinion dissidente émanant du juge Villiger souligne que la différence de traitement faite quant au bénéficiaire de la responsabilité parentale partagée entre couple hétérosexuel et homosexuel est injustifiée au regard du seul intérêt supérieur de l’enfant. Selon lui, l’enfant n’a pas à pâtir de la situation relationnelle des adultes qui veillent sur lui et que la décision rendue s’est exclusivement concentrée sur la situation de ces derniers ;
– que des opinions concordantes émanant des juges Costa, Spielmann et Berro-Lefèvre relèvent toutefois que les dispositions de l’article 365 du Code civil rendent précaire le statut juridique de l’enfant, ce qui est contraire à son intérêt. Que si néanmoins, il n’incombait pas à la Cour de censurer le législateur français car dans ce domaine le législateur national est mieux placé que le juge européen pour faire évoluer les institutions relatives au domaine familial, ces juges formulent l’espoir que le législateur français ne va pas se « contenter de la non-violation (…) et décider (…) de revoir la question » en adaptant le texte « aux réalités sociales contemporaines ».
Les invitations à la réflexion semblent donc lancées et ce en pleine période électorale ! Affaire à suivre.
CEDH 15 mars 2012, Gas et Dubois c. France, n°25951/07
Références
■ V. Fiche thématique « Orientation sexuelle » sur le site de la CEDH.
« Adoption laissant subsister des liens juridiques entre l'enfant et sa famille d'origine, tout en créant des liens de filiation entre l'adoptant et l'adopté. »
« Ensemble des prérogatives conférées par la loi aux père et mère sur la personne et les biens de leur enfant mineur et non émancipé. Chaque prérogative est constituée d'un droit (agir) et d'un devoir (d'agir dans l'intérêt du mineur). Les parents doivent ainsi protéger l'enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à la personne. Jadis conférée au seul père, sous le nom de “ puissance paternelle ”, l'autorité parentale est, en principe, exercée en commun par les père et mère. »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
■ CEDH 31 août 2010, Gas et Dubois c. France.
■ Civ. 1re, 20 févr. 2007, 2 arrêts, Bull. civ. I n° 70 et 71 ; GAJC, 12e éd., no 53-55 (II et III).
■ Cons. const. 6 oct. 2010, n°2010-39 QPC, Dalloz Actu Étudiant 15 oct. 2010.
■ Civ. 1re, 19 déc. 2007, Bull. civ. I, no 392 ; AJ fam. 2008. 75, obs. Chénedé ; RTD civ. 2008. 287, obs. Hauser.
■ Civ. 1re, 6 févr. 2008, n° 07-12.948.
■ Civ. 1re, 9 mars 2001, n°10-10.385, Dalloz Actu Étudiant 25 mars 2011.
■ Civ. 1re, 13 mars 2007, Bull. civ. I, n° 13, GAJC, 12e éd., n°32.
■ Cons. const. 28 janv. 2011, n°2010-92 QPC.
■ CEDH 22 janv. 2008, E. B. c. France, n°43546/02.
■ CEDH 28 sept. 2009, J. M. c. Royaume-Uni, n° 37060/06.
■ CEDH 24 juin 2010, Schalk et Kopf c. Autriche, n°30141/04.
■ Code civil
« L'homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus. »
« L'adoption simple est permise quel que soit l'âge de l'adopté.
S'il est justifié de motifs graves, l'adoption simple d'un enfant ayant fait l'objet d'une adoption plénière est permise.
Si l'adopté est âgé de plus de treize ans, il doit consentir personnellement à l'adoption. »
« L'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale, inclus celui de consentir au mariage de l'adopté, à moins qu'il ne soit le conjoint du père ou de la mère de l'adopté ; dans ce cas, l'adoptant a l'autorité parentale concurremment avec son conjoint, lequel en conserve seul l'exercice, sous réserve d'une déclaration conjointe avec l'adoptant devant le greffier en chef du tribunal de grande instance aux fins d'un exercice en commun de cette autorité.
Les droits d'autorité parentale sont exercés par le ou les adoptants dans les conditions prévues par le chapitre Ier du titre IX du présent livre.
Les règles de l'administration légale et de la tutelle des mineurs s'appliquent à l'adopté. »
« L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant.
Elle appartient aux père et mère jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.
Les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »
« Un pacte civil de solidarité est un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune. »
■ Article L. 2141-2 du Code de la santé publique
« L'assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l'infertilité d'un couple ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité. Le caractère pathologique de l'infertilité doit être médicalement diagnostiqué.
L'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination. Font obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons le décès d'un des membres du couple, le dépôt d'une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l'homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l'assistance médicale à la procréation. »
<nota></nota></nota><//nota>■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
« À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. »
Article 14 - Interdiction de discrimination
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Article 34 - Requêtes individuelles
« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »
■ Convention internationale relative aux droits de l’enfant
« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.
2. Les états parties s'engagent à assurer à l'enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.
3. Les états parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l'existence d'un contrôle approprié. »
« Les états parties qui admettent et/ou autorisent l'adoption s'assurent que l'intérêt supérieur de l'enfant est la considération primordiale en la matière, et :
a. Veillent à ce que l'adoption d'un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l'adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l'enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l'adoption en connaissance de cause, après s'être entourées des avis nécessaires ;
b. Reconnaissent que l'adoption à l'étranger peut être envisagée comme un autre moyen d'assurer les soins nécessaires à l'enfant, si celui-ci ne peut, dans son pays d'origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé ;
c. Veillent, en cas d'adoption à l'étranger, à ce que l'enfant ait le bénéfice de garanties et de normes équivalant à celles existant en cas d'adoption nationale ;
d. Prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que, en cas d'adoption à l'étranger, le placement de l'enfant ne se traduise pas par un profit matériel indu pour les personnes qui en sont responsables ;
e. Poursuivent les objectifs du présent article en concluant des arrangements ou des accords bilatéraux ou multilatéraux, selon les cas, et s'efforcent dans ce cadre de veiller à ce que les placements d'enfants à l'étranger soient effectués par des autorités ou des organes compétents. »
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