Erreurs judiciaires : réparer le mal relève souvent de l'impossible
Erreurs judiciaires : réparer le mal relève souvent de l'impossible
Elles sont quotidiennement commises dans les affaires criminelles mais aussi souvent dans les affaires civiles et commerciales.
Il y a rarement des procès en révision : question d'ego de la justice, car reconnaître trop d'erreurs équivaut à discréditer l'appareil judiciaire, et avec lui l'autorité de l'Etat.
Réviser un procès est à la fois long, coûteux et procédurier : résultats, les condamnés à tort sont découragés.
«Selon que vous soyez puissant ou misérable, la Justice vous fera innocent ou coupable», écrivait jadis Victor Hugo. Cette maxime est toujours d’actualité. Au milieu des années 90, la paisible région de Doukkala est sous le choc. Des assassinats de femmes sont commis à différents endroits et la population commence à s’inquiéter devant l’absence de réaction de la part des forces de l’ordre. Une certaine psychose s’installe. Sous la pression populaire, des investigations sont menées hâtivement et tous les moyens sont mis en œuvre pour arrêter le coupable. Dans la foulée, deux personnes, M.N et A.E, aperçues par des témoins, sur les lieux d’un des crimes, sont arrêtées et déférées devant la justice. Elles écopent, en dépit de leurs dénégations, d’une peine de prison à perpétuité. L’affaire est supposée classée. Huit ans plus tard, on découvre fortuitement le vrai coupable lors d’un interrogatoire à l’occasion d’un nouveau meurtre. M.B est arrêté, il avoue... et revendique même les autres assassinats (cinq au total), dont celui pour lequel ont été condamnés M.N et A.E. Stupeur, embarras et consternation du côté des magistrats. Les deux faux coupables sont libérés. Le procès en révision qui devait les blanchir devant la justice n’a, à ce jour, pas eu lieu. Le vrai coupable, lui, sera condamné à mort
Mais l’erreur judiciaire ne concerne pas uniquement les affaires criminelles, elle sommeille en chaque dossier passant en justice, qu’il soit civil, commercial ou pénal. Elle est courante, répétitive au point d’en devenir banale, acceptée et reconnue par tous ! Elle n’étonnera même pas les professionnels de la justice : magistrats, avocats, notaires, policiers ou experts. N’importe qui peut en être victime, avec des dégâts collatéraux plus ou moins importants.
Un relevé bancaire qui n’a pas valeur légale mais qui sert de base à une condamnation
Parmi les erreurs judiciaires commises tous les jours, on cite les exemples suivants : dans un dossier financier, un juge reconnaît que le relevé de compte bancaire (qui lui est présenté comme preuve) d’un citoyen est entaché d’irrégularités, et ne répond pas aux normes légales. Il n’en condamne pas moins le débiteur au paiement de la dette, estimant que cette dernière est avérée d’après... le relevé de compte en question. Dans une affaire correctionnelle, un individu est interpellé suite à une bagarre dans un café opposant deux dealers, mais à laquelle il n’est pas mêlé. La police ne fait pas toujours dans le détail : en cas de rixe dans un lieu public, on embarque tout le monde, et on discute après ! Pendant la bagarre, un morceau de haschich est glissé sous la table du type interpellé... mais le voilà poursuivi, jugé et condamné pour détention et vente de stupéfiants !
Dans un dossier civil, c’est un propriétaire qui ne peut pas récupérer le local qu’il a loué. Le locataire a disparu, non sans laisser «traîner» une hypothèque bancaire sur les lieux loués. La Cour conditionnera la restitution du local au paiement par le propriétaire à la banque des sommes prêtées au locataire évaporé. Encore une erreur, lésant gravement le propriétaire infortuné.
Question : comment réparer le préjudice subi à l’occasion d’erreurs judiciaires, notamment dans les affaires criminelles, comme celle des deux innocents condamnés à tort et ayant déjà purgé huit ans ? Il faut dire que la procédure n’est pas simple, elle est longue, complexe, onéreuse (voir encadré) et les intéressés n’en maîtrisent pas les ficelles. C’est là le véritable drame des erreurs judiciaires : comment récupérer le temps perdu passé derrière les barreaux ? Et, surtout, comment laver le déshonneur qu’essuie l’individu injustement condamné, et sa famille ? Comment et qui pourra le quantifier ? Et qui va indemniser les victimes pour ce que le Droit qualifie de «faute lourde de l’Etat» ?
D’abord, c’est quoi une erreur judiciaire ? C’est le fait de condamner une personne pour des faits délictueux qu’elle n’a pas commis. Cela est la définition technique. Mais en droit, une erreur judiciaire est une «erreur de fait commise par une juridiction de jugement dans son appréciation de la culpabilité d’une personne poursuivie». Elle consiste souvent en la condamnation d’un innocent ou en l’acquittement, ou la relaxe du véritable auteur de l’infraction. L’erreur judiciaire n’est pas aussi rare qu’on ne le pense, seulement peu de dossiers arrivent à la connaissance de l’opinion publique.
Car, juridiquement, «l’erreur» n’existe pas... ou du moins, il est très difficile d’en apporter la preuve. Et c’est l’autorité judiciaire elle-même qui se devra de reconnaître s’il y a erreur judiciaire ou non, qui doit déjuger des magistrats, admettre que l’instruction a été bâclée, que les services de police ont commis des fautes, et que les supposées barrières de protection (comme les appels successifs) n’ont pas fonctionné : et c’est cela le plus difficile. Difficile pour diverses raisons : question d’ego et de prestige de la justice d’abord, qui refuse souvent de l’admettre, craignant une perte d’autorité. La justice ensuite est souvent sous pression, sommée (par les politiciens, les médias et l’opinion) d’agir vite et de sévir afin de calmer certaines tensions. Reconnaître enfin un trop grand nombre d’erreurs judiciaires discréditera l’appareil judiciaire lui-même, et avec lui l’autorité et le prestige de l’Etat au nom duquel la justice est prononcée. Quand, de plus, on sait qu’au Maroc la justice est rendue au nom de Sa Majesté...
Le plus fréquent est le cas d’amendes disproportionnées
Cela dit, la gravité de l’erreur judiciaire est proportionnelle au préjudice occasionné. Bien sûr, il y a erreur quand il arrive à un magistrat d’infliger une amende disproportionnée par rapport aux faits, de condamner un innocent ou de relaxer un coupable, mais cette erreur est autrement plus dommageable quand ce magistrat prononce une condamnation à mort (ou à perpétuité), et que la sentence est mise à exécution.
Si au Maroc les erreurs judiciaires n’atteignent pas toujours cette gravité, elles n’en sont pas moins préjudiciables. Des individus sont poursuivis pour des faits bénins, mais écopent de peines sans commune mesure avec les délits commis. Des émetteurs de chèques sans provision sont condamnés à des amendes exagérées, des accusés dans des affaires de presse sont lourdement punis, sans oublier le tout-venant des affaires traitées au quotidien.
Admettons d’abord deux évidences : primo, aucune compensation n’est satisfaisante pour celui qui est injustement condamné. Secundo, on a rarement vu aboutir une procédure en révision (pratiquement identique en France et au Maroc) car il s’agit alors d’une situation dans laquelle le juge doit contredire ses pairs, ce qui n’est jamais facile.
Cela dit, l’introduction d’une demande en révision selon les dispositions de l’article 566 du Code de procédure pénale est prévue dans les quatre cas suivants : si en cas de condamnation pour meurtre, la victime présumée est retrouvée vivante ; si après une condamnation, une seconde personne est condamnée pour les mêmes faits, exonérant ainsi le premier condamné ; si l’un des témoins à un procès, où il y a eu condamnation, a par la suite été convaincu de faux témoignages, et condamné pour cela. Enfin, en cas d’apparition d’éléments nouveaux ou de témoignages n’ayant pas été entendus ou vérifiés durant la première procédure.
Les dossiers criminels sont parfois très délicats à gérer, et, du fait de la pression populaire, ils peuvent conduire les magistrats à commettre des erreurs d’appréciation. L’affaire Omar Raddad en France est restée célèbre dans les annales judiciaires de ce pays (voir encadré).
Pour le Maroc, une question s’impose : pourquoi les jugements iniques sont-ils si fréquents ? La réponse est simple : à la base se trouve le citoyen lambda, qui, souvent, ignore quels sont ses droits les plus basiques. Suite à un événement quelconque, il se trouve confronté à la police et son sort est, dans la plupart des cas, réglé. Il fera l’objet d’un procès-verbal (en général peu favorable pour lui), qui sera transmis au parquet. Après y avoir jeté un vague coup d’œil, le substitut de permanence engagera les poursuites. A l’audience, le représentant du parquet n’interviendra que pour lancer : «Je réclame la condamnation». En général, le président suivra cette recommandation, et l’affaire est close ! On a rarement vu au Maroc des procureurs demandant la relaxe (estimant une enquête mal menée), ou un juge contredisant un procureur.
Par ailleurs, dans les dossiers civils ou commerciaux, la Cour tout en ordonnant des expertises, oublie souvent d’en suivre les recommandations ; elle ne tient pas compte des plaidoiries des avocats, fait peu cas de leurs réclamations sur la forme et néglige totalement les jurisprudences de la Cour suprême. Résultat : des jugements souvent bâclés, répétitifs, non argumentés, mal construits, où le Droit est malmené, méconnu, voire bafoué.
Antécédents : Deux célèbres affaires d'erreur judiciaire en France
C'est la célèbre inscription «Omar m'a tuer», tracée en lettres de sang, sur le mur de la pièce où l'on a retrouvé la victime, qui sera utilisée comme preuve de la culpabilité d'Omar Raddad. Devant le tribunal, l'accusé nie tout, les preuves ne sont pas probantes, et une polémique fit rage concernant le véritable auteur de l'inscription accusatrice. La justice tranchera, condamnant M.Raddad à 18 années de réclusion criminelle, relançant de plus belle la controverse : pour un coupable, la peine est légère ; pour un innocent, elle est énorme ! Omar Raddad bénéficiera de la grâce partielle du Président Chirac et retrouvera sa liberté en 1998. Mais liberté ne signifie pas réhabilitation : La Chambre criminelle de la Cour de cassation française, siégeant en Chambre de révision, a rejeté récemment sa demande, considérant qu'il n'y avait aucun élément nouveau. Il n'y aura pas de second procès, et le dossier est définitivement clos... en attendant une éventuelle décision de la Cour européenne des droits de l'homme.
L'autre affaire a eu lieu dans la ville d'Outreau, en France. En 2004, un réseau d'abus sexuels sur mineurs est démantelé, les accusations se multiplient, ainsi que les arrestations ; de nombreuses personnes (17 en tout) sont dénoncées, des notables sont incarcérés, ainsi que des parents mis en cause par leurs propres enfants. Certains prévenus passeront jusqu'à trois ans derrière les barreaux, et seront tous acquittés en 2007. Dans ce dossier, l'erreur judiciaire est plus complexe que dans le cas Raddad. En effet, ce n'est pas une juridiction qui est mise en cause, mais tout un système.
Le procureur de la République avait désigné un jeune juge d'instruction qui s'est fourvoyé. Saisie plusieurs fois par les avocats de la défense, la Cour d'appel avait entériné les fautes du jeune juge, la Chambre d'accusation n'y avait vu que du feu, et les différents procureurs alertés n'avaient pas jugé utile de «recadrer» le magistrat instructeur.
Le fiasco fut total : des vies brisées, des enfants enlevés à leurs parents, et même un prévenu décédé en détention !
Procédure : Révision d'un procès : ce que dit le Code de procédure pénale
Neuf articles du CPP (Code de la procédure pénale) prévoient cette révision, la transformant en véritable parcours du combattant. D'abord il y a l'article 568 qui stipule que la procédure doit avoir lieu devant la Chambre criminelle de la Cour suprême à Rabat. Cette obligation rend la procédure compliquée et onéreuse (frais de transport, de séjour, d'honoraires d'avocats...).
Ce qui en décourage plus d'un. Ensuite, les frais de procédure sont à la charge du demandeur (art. 574) : emprisonné par erreur, il doit (en plus) payer des taxes judiciaires pour recouvrer sa liberté et son honneur ; et si la demande est rejetée, on lui imputera en sus des frais de justice assez élevés. Quant au dédommagement pour préjudices subis, la chose (incongrue au Maroc) est traitée et expédiée en un seul article : 573. Il stipule qu'en cas de révision, le condamné est en droit de réclamer une réparation pour les dommages et préjudices subis du fait de la condamnation. L'Etat est tenu de s'acquitter de ces dommages, mais plusieurs questions demeurent sans réponses : qui va statuer sur le montant à attribuer ? Comment évaluer les dégâts, sachant qu'il est le plus souvent impossible de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si le dommage ne s'était pas produit ? Comment le juge (un homme) pourrait-il réparer l'irréparable ?
A la différence du médecin ou d'autres professionnels qui peuvent être déclarés personnellement responsables de leurs erreurs, le magistrat ne peut voir sa responsabilité engagée directement par des justiciables qui feraient valoir une erreur d'appréciation ou une faute professionnelle de sa part. Le juge est toujours protégé par la sacro-sainte «intime conviction» et il est bien difficile de contrer ce principe.
Le constat est clair : la révision est ardue, le dédommagement aléatoire et la réhabilitation peu probable.
Et même en France où la législation prévoit la mise en œuvre de toutes ces mesures, où il existe une Commission d'indemnisation, et où les magistrats sont rompus aux arcanes du Droit, force est de constater que les demandes en révision qui aboutissent sont rarissimes.
Fadel Boucetta
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