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Institut des Droits de l’Homme des Avocats

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Européens

Eu r o p e a n B a r H u m a n R i g h t s I n s t i t u t e

EXPRESS – INFO

11/ 2 0 10

NOVVEEMBBRREE 22001100

DDAANNS SS CCE EE NUMEEERO:::

DROIT A UN PROCES EQUITABLE

Article 6

TAXQUET C. BELGIQUE …………………………..1

SAKHNOVSKI C. RUSSIE………………….…....3

BANNIKOVA C. RUSSIE………………………….6

ROMAÑCZYK C. FRANCE ……………………….7

LILY c. France n° 2 ……………………….….….9

DROIT A LA LIBERTE ET A LA SURETE

Article 5

MOULIN C. FRANCE……………………………10

TRAITEMENT INHUMAIN ET DEGRADANT

Article 3

DARRAJ c. France………………………..……..12

DROIT A DES ELECTIONS LIBRES

Article 3 du Protocole n°1

GREENS ET M.T. C. ROYAUME-UNI …….…...13

INTERDICTION DE LA DISCRIMINATION

Article 14

SERIFE YIGIT C. TURQUIE ……..………....….…16

PROTECTION DE LA PROPRIETE

Article 1 du Protocole n° 1

PERDIGÃO C. PORTUGAL…………………….17

CONSORTS RICHET ET LE BER C. FRANCE….19

DERVAUX c. FRANCE………………………………20

ALERTE URGENTE AVOCATS……………………21

IDHAE…………………………………………………24

DDRROOI IITT AA UUNN PPRROOCCEESS

EEQQUUI IITTAABBLLEE

L’article 6 de la Convention

GRANDE CHAMBRE

Le procès en assises du

requérant, accusé de

l’assassinat d’un

ministre d’État, était inéquitable

La Cour juge qu’elle ne peut remettre en cause

l’institution du jury populaire en

soi, mais que dans son cas précis, M. Taxquet

n’a pas bénéficié de garanties

procédurales suffisantes pour lui permettre de

comprendre le verdict de

culpabilité rendu à son encontre.

Taxquet c. Belgique

16.11.2010

Violation de l’article 6 § 1

M. Taxquet se plaignait essentiellement devant la

Cour que l’arrêt de condamnation rendu par la cour

d’assises était fondé sur un verdict de culpabilité non

motivé, qui ne pouvait faire l’objet d’un recours

devant un organe de pleine juridiction. Il est

actuellement incarcéré à la prison de Lantin

(Belgique) pour l’assassinat en juillet 1991, à Liège,

d’un ministre d’État et pour tentative d’assassinat de

la compagne de ce dernier.

L’acte d’accusation du 12 août 2003 comportait un

compte rendu détaillé des investigations policières et

judiciaires qui avaient été effectuées et il indiquait

chacune des infractions reprochées au requérant. Il

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 2

précisait entre autres qu’une personne, qualifiée par

le requérant de témoin anonyme, avait indiqué aux

enquêteurs en juin 1996 que l’assassinat du ministre

d’État avait été organisé par six personnes, dont le

requérant et un autre personnage politique important.

Ce témoin ne fut jamais interrogé par le juge

d’instruction.

Le procès de M. Taxquet et de ses sept coaccusés

dura du 17 octobre 2003 au 7 janvier 2004.

Beaucoup de témoins et d’experts furent entendus.

Pour rendre son verdict, le jury eut à répondre à 32

questions posées par le président de la cour d’assises

de Liège. Laconiques, les questions étaient

identiques pour tous les accusés. Quatre d’entre elles

concernaient le requérant ; elles portaient sur les

points de savoir s’il s’était rendu coupable

d’homicide volontaire sur la personne du ministre

d’État et de tentative d’homicide volontaire sur la

compagne de celui-ci et, pour chacune des

infractions, s’il y avait eu préméditation. Le jury

répondit par l’affirmative aux quatre questions. Le 7

janvier 2004, M. Taxquet fut condamné à 20 ans

d’emprisonnement par la cour d’assises. Le pourvoi

formé par lui contre sa condamnation fut rejeté par la

Cour de cassation le 16 juin 2004. Invoquant l’article

6 § 1, le requérant soutenait que son droit à un

procès équitable avait été méconnu en raison du fait

que l’arrêt de condamnation de la cour d’assises était

fondé sur un verdict de culpabilité non motivé qui ne

pouvait faire l’objet d’un recours devant un organe

de pleine juridiction. S’appuyant sur l’article 6 §§ 1

et 3 d), il se plaignait par ailleurs de n’avoir pu, á

aucun moment de la procédure, interroger ou faire

interroger le témoin anonyme.

Décision de la Cour

Article 6 § 1

La Cour note que plusieurs États membres du

Conseil de l’Europe se sont dotés d’un système de

procès avec jury traditionnel2, lequel se caractérise

par le fait que les magistrats professionnels ne

peuvent pas participer aux délibérations des jurys sur

le verdict. Ce système procède de la volonté légitime

d’associer les citoyens à l’action de la justice,

notamment à l’égard des actions les plus graves.

Selon les États, et en fonction de l’histoire, des

traditions et de la culture juridique de chacun d’eux,

le jury se présente sous des formes variées. Il s’agit

là d’une illustration parmi d’autres de la variété des

systèmes juridiques existant en Europe, qu’il

n’appartient pas à la Cour d’uniformiser. De plus,

dans les affaires issues d’une requête individuelle, la

Cour n’a point pour tâche de contrôler dans l’abstrait

la législation litigieuse. Elle doit au contraire se

limiter autant que possible à examiner les problèmes

soulevés par le cas dont elle est saisie.

Dans ces conditions, il ne saurait être question pour

la Cour de remettre en cause l’institution du jury

populaire. Les États contractants jouissent d’une

grande liberté dans le choix des moyens propres à

permettre à leur système judiciaire de respecter les

impératifs de l’article 6. Dans le cas de M. Taxquet,

la tâche de la Cour consiste dès lors à rechercher si

la procédure suivie a conduit à des résultats

compatibles avec la Convention.

La Cour relève que dans des affaires antérieures elle

a jugé que l’absence de motivation dans le cas de

verdicts rendus par des jurys populaires ne

constituait pas en soi une violation du droit de

l’accusé à un procès équitable. Il n’en demeure pas

moins que pour que les exigences d’un procès

équitable soient respectées, des garanties suffisantes

doivent être offertes, qui soient propres à permettre à

l’accusé et au public de comprendre le verdict rendu.

Ces garanties procédurales peuvent consister par

exemple en la fourniture aux jurés par le président de

la cour d’assises d’instructions ou d’éclaircissements

quant aux problèmes juridiques posés ou aux

éléments de preuve produits et en la présentation au

jury par ce magistrat de questions précises, non

équivoques, de nature à former une trame apte à

servir de fondement au verdict ou á compenser

adéquatement l’absence de motivation des réponses

du jury.

Or, dans le cas de M. Taxquet, ni l’acte d’accusation

ni les questions posées au jury ne comportaient des

informations suffisantes quant à son implication

dans la commission des infractions qui lui étaient

reprochées. L’acte d’accusation, s’il désignait

chacun des crimes dont le requérant était accusé, ne

démontrait pas pour autant quels étaient les éléments

qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre

l’intéressé.

Quant aux questions posées au jury, elles étaient

laconiques et identiques pour tous les accusés et elles

ne se référaient à aucune circonstance concrète et

particulière qui aurait pu permettre au requérant de

comprendre le verdict de condamnation. Même

combinées avec l’acte d’accusation, les questions

posées au jury ne permettaient pas au requérant de

savoir quels éléments de preuve et circonstances de

fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le

procès, avaient en définitive conduit les jurés á

répondre par l’affirmative aux quatre questions le

concernant. Ainsi, le requérant n’était pas en mesure,

notamment, de différencier de façon certaine

l’implication de chacun des coaccusés dans la

commission de l’infraction ; de comprendre quel rôle

précis pour le jury il avait joué par rapport à ses

coaccusés ; de comprendre pourquoi la qualification

d’assassinat avait été retenue plutôt que celle de

meurtre ; de déterminer quels avaient été les

éléments qui avaient permis au jury de conclure que

deux des coaccusés avaient eu une participation

limitée dans les faits reprochés, entraînant une peine

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 3

moins lourde ; et d’appréhender pourquoi la

circonstance aggravante de préméditation avait été

retenue à son encontre s’agissant de la tentative de

meurtre de la compagne du ministre d’État. Cette

déficience était d’autant plus problématique que

l’affaire était complexe, tant sur le plan juridique que

sur le plan factuel, et que le procès avait duré plus de

deux mois, au cours desquels de nombreux témoins

et experts avaient été entendus.

Enfin, le système belge ne prévoyait pas la

possibilité d’interjeter appel contre un arrêt de cour

d’assises. Quant à la possibilité de saisir la Cour de

cassation d’un pourvoi, elle ne pouvait s’exercer que

sur des points de droit et était dès lors insusceptible

d’éclairer adéquatement l’accusé sur les raisons de la

condamnation.

En conclusion, M. Taxquet n’a pas bénéficié de

garanties suffisantes pour lui permettre de

comprendre le verdict de condamnation prononcé à

son encontre et la procédure a donc revêtu un

caractère inéquitable contraire à l’article 6 § 1 de la

Convention.

Article 6 § 3 d)

Le grief formulé par M. Taxquet à cet égard était

étroitement lié aux faits ayant amené la Cour à

conclure à une violation de l’article 6 § 1. En

l’absence de motivation du verdict, il est impossible

de savoir si la condamnation du requérant s’est

fondée ou non sur les informations fournies par le

témoin anonyme. Dans ces conditions, la Cour juge

qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur le grief

de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la

Convention.

Article 41

La Cour juge que la Belgique doit verser au

requérant 4 000 euros (EUR) pour dommage moral,

et 8 173,22 EUR pour frais et dépens. Elle note par

ailleurs que le code d’instruction criminelle a été

modifié en 2007 de manière à permettre à un

requérant de solliciter la réouverture de son procès à

la suite d’un arrêt de la Cour constatant une violation

de la Convention dans sa cause.

Taxquet c. Belgique requête no 926/05 : Violation de

l'art. 6-1 ; Préjudice moral – réparation.

Jurisprudence : Achour c. France [GC], no 67335/01,

§ 51, CEDH 2006-IV ; Boldea c. Roumanie, no

19997/02, § 30, CEDH 2007-II ; Edwards c. Royaume-

Uni, 16 décembre 1992, § 34, série A no 247-B ;

Göktepe c. Belgique, no 50372/99, §§ 28 et 29, 2 juin

2005 ; Hadjianastassiou c. Grèce, no 12945/87, 16

décembre 1992, § 33, série A no 252 ; José Manuel

Bellerín Lagares c. Espagne (déc.), no 31548/02, 4

novembre 2003 ; N.C. c. Italie [GC] no 24952/02, § 56,

CEDH 2002-X ; Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99,

CEDH 2005-IV ; Papon c. France (déc.), no 54210/00,

ECHR 2001-XII ; Planka c. Autriche, no 25852/94,

décision de la Commission du 15 mai 1996 ; R. c.

Belgique, no 15957/90, décision de la Commission du

30 mars 1992, Décisions et rapports (DR) 72 ; Roche c.

Royaume-Uni [GC], no 32555/96, § 116, CEDH 2005-

X ; Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, § 29,

série A no 303-A ; Salduz c. Turquie [GC] no

36391/02, § 54, CEDH 2008 ; Saric c. Danemark, no

31913/96, 2 février 1999 ; Stanford c. Royaume-Uni,

23 février 1994, § 24, série A no 282-A ; Suominen c.

Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003 ;

Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III

; Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 61, série A

no 288 ; Zarouali c. Belgique, no 20664/92, décision de

la Commission du 29 juin 1994, DR 78.

GRANDE CHAMBRE

Absence d’assistance effective

par un défenseur en appel dans

le cadre d’une procédure pénale

en Russie

SAKHNOVSKI C. RUSSIE

2.11.2010

Violation de l’article 6 § 1 combiné avec

l’article 6 § 3

La Grande Chambre était également

appelée à examiner si une réouverture

extraordinaire de la procédure pénale

était de nature à priver le requérant

de la qualité de victime au regard de la

Convention.

Condamné à une peine d’emprisonnement pour

meurtre, le requérant alléguait que son procès n’avait

pas été équitable, puisqu’il n’avait pas bénéficié de

l’assistance effective d’un avocat en appel et n’avait

pu communiquer avec lui que par vidéoconférence.

Il purge actuellement une peine de détention pour

meurtre dans la région de Novossibirsk (Russie).

Soupçonné du meurtre de son père et de son oncle, il

fut arrêté le 30 avril 2001. Trois jours plus tard, une

avocate fut désignée d’office pour le représenter. En

décembre 2001, le tribunal régional compétent

reconnut M. Sakhnovski coupable d’un double

meurtre et le condamna à 18 années de réclusion. En

octobre 2002, l’intéressé interjeta appel, en vain.

Aucun avocat ne fut présent à l’audience d’appel

devant la Cour suprême et la participation de

l’intéressé fut assurée par vidéoconférence.

M. Sakhnovski déposa plusieurs requêtes en

révision, qui furent toutes écartées sans examen au

fond. En mars 2007, la Cour décida de communiquer

au gouvernement russe la requête dont M.

Sakhnovski l’avait saisie. En juillet de la même

année, le présidium de la Cour suprême fit droit à un

recours en révision formé par le procureur général

adjoint. Il conclut à la méconnaissance du droit de

M. Sakhnovski à l’assistance d’un défenseur lors de

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 4

l’audience d’appel et renvoya l’affaire devant la

même juridiction d’appel pour réexamen.

En novembre 2007, la Cour suprême, siégeant à

Moscou, réexamina l’affaire en appel. Le requérant

demanda à comparaître en personne à l’audience,

mais la Cour suprême ne jugea pas la comparution

personnelle indispensable, estimant que la

vidéoconférence suffirait à permettre une

participation effective de l’intéressé à la procédure.

En conséquence, le requérant demeura à

Novossibirsk, à quelque 3 000 km de Moscou. A

l’ouverture de l’audience, la Cour suprême présenta

à M. Sakhnovski sa nouvelle avocate commise

d’office, qui se trouvait dans la salle d’audience, et

leur accorda quinze minutes d’entretien confidentiel

par vidéoconférence avant l’ouverture des débats.

Après avoir parlé à sa nouvelle avocate commise

d’office, M. Sakhnovski refusa d’être représenté par

elle, estimant qu’il lui fallait s’entretenir de personne

à personne avec son défenseur. Toutefois, la Cour

suprême ne fit pas droit à la demande du requérant et

décida de procéder à l’examen de l’affaire.

A l’issue de l’audience, la Cour suprême confirma

l’arrêt rendu en décembre 2001, ne revenant ni sur

les conclusions au fond ni sur la condamnation.

Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3, M. Sakhnovski

alléguait que la procédure pénale dirigée contre lui

n’avait pas été équitable. Il se plaignait en particulier

de n’avoir pas bénéficié de l’assistance d’un

défenseur à l’audience devant la juridiction d’appel

en 2002 et de n’avoir pu communiquer avec celle-ci

que par vidéoconférence. Il soutenait en outre que

dans la nouvelle procédure d’appel conduite en

2007, ses droits ne lui avaient pas davantage été

reconnus. En particulier, il n’aurait pas pu

comparaître en personne á l’audience et n’aurait pas

pu communiquer de manière effective avec son

avocate.

Décision de la Cour

Article 6 § 1

Qualité de victime du requérant

La Cour examine d’abord si M. Sakhnovski a ou non

perdu la qualité de victime après la réouverture de la

procédure pénale en appel. Elle rappelle le principe

général se dégageant de sa jurisprudence constante,

selon lequel un requérant peut perdre la qualité de

victime lorsque les autorités ont reconnu la violation

de la Convention et lorsqu’elles ont éliminé les

conséquences défavorables de celle-ci pour

l’intéressé.

La Cour souligne que les Etats doivent avoir la

possibilité de redresser des violations passées avant

qu’elle-même n’examine le grief. Toutefois, ce droit

ne doit pas leur permettre de se soustraire à la

juridiction de la Cour.

La Cour note que dans le cas de M. Sakhnovski

l’affaire a été rouverte dans le cadre d’une procédure

de révision. Toutefois, les efforts déployés par M.

Sakhnovski lui-même pour obtenir la révision de

l’arrêt d’octobre 2002 sont demeurés vains jusqu’à

ce que le parquet général, informé que l’intéressé

avait saisi la Cour, demande la réouverture de la

procédure. Tel a été le cas dans plusieurs autres

affaires dirigées contre la Russie dans lesquelles la

Cour a déjà statué.

La Cour note que dans le cadre du recours en

révision, l’affaire pouvait être rouverte un nombre

indéfini de fois et sans restrictions et la décision de

rouvrir l’affaire relevait du pouvoir discrétionnaire

du procureur ou du juge.

Dans ces conditions, la Cour conclut que la

réouverture, dans le cadre de la procédure en

révision, aurait pu être utilisée par le gouvernement

russe pour se soustraire au contrôle de la Cour.

En conséquence, la Cour estime que la réouverture

de la procédure ne peut en soi automatiquement

passer pour un redressement suffisant de nature à

ôter au requérant la qualité de victime. Pour

déterminer si le requérant conserve ou non cette

qualité, la Cour doit envisager la procédure dans son

ensemble, y compris la partie qui a suivi la

réouverture.

Communication de la requête au Gouvernement

Le Gouvernement soutient que la Cour, après avoir

obtenu des informations sur la seconde procédure

d’appel, aurait dû de nouveau communiquer les

griefs du requérant.

La Cour observe que M. Sakhnovski s’est plaint de

la seconde audience d’appel tenue en novembre

2007 dans les observations supplémentaires qu’il a

soumises en mars 2008. Copie en a été adressée au

Gouvernement en temps utile. Rien n’empêchait

celui-ci de soumettre des observations à son tour. Par

ailleurs, en retenant ensuite la demande de renvoi de

l’affaire devant la Grande Chambre formulée par le

Gouvernement, la Cour a fourni à celui-ci une autre

possibilité d’exposer son point de vue sur la

question. En conséquence, la Cour estime que le

Gouvernement ne s’est pas trouvé désavantagé par

rapport au requérant.

Renoncement au droit à l’assistance d’un défenseur

La Cour note qu’en 2007 M. Sakhnovski s’est dit

mécontent de la manière dont la Cour suprême avait

organisé l’assistance d’un défenseur et a refusé les

services de sa nouvelle avocate commise d’office.

Certes, l’intéressé n’a sollicité ni le remplacement de

l’avocate ni le report de l’audience, mais, étant

donné qu’il n’avait pas de connaissances juridiques,

l’on ne pouvait escompter de lui qu’il formulât des

demandes précises. La Cour conclut que le

manquement du requérant à demander les mesures

procédurales appropriées ne saurait passer pour une

renonciation à son droit à l’assistance d’un

défenseur.

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 5

Assistance effective d’un défenseur

La Cour rappelle qu’en première instance l’accusé

doit en principe avoir la faculté d’assister aux débats,

mais tel n’est pas nécessairement le cas au niveau de

l’appel. Quant au recours à la vidéoconférence, cette

forme de participation à la procédure n’est pas, en

soi, incompatible avec la notion de procès équitable,

mais il faut s’assurer que le justiciable est en mesure

de suivre la procédure et d’être entendu sans

obstacles techniques et de communiquer de manière

effective et confidentielle avec son avocat.

Compte tenu de la complexité des questions

soulevées en appel devant la Cour suprême, la Cour

estime que l’assistance d’un avocat était essentielle

pour M. Sakhnovski. Toutefois, cette assistance

aurait dû être effective et non uniquement formelle.

M. Sakhnovski a pu communiquer avec sa nouvelle

avocate commise d’office pendant 15 minutes, tout

juste avant l’ouverture de l’audience, ce qui n’était

manifestement pas suffisant. En outre, il s’est senti

mal à l’aise lorsqu’il s’est entretenu du dossier par

vidéoconférence.

Si la Cour admet que le transfert de M. Sakhnovski à

Moscou (plus de 3 000 km) pour l’audience aurait

été une opération longue et onéreuse, elle estime

qu’il aurait fallu organiser une conversation

téléphonique entre le requérant et son avocate un peu

plus longtemps avant l’audience ou commettre

d’office à l’intéressé un avocat local qui aurait pu lui

rendre visite au centre de détention avant l’audience.

La Cour conclut que M. Sakhnovski n’a pas

bénéficié de l’assistance effective d’un défenseur

durant la seconde procédure d’appel en novembre

2007.La Cour conclut qu’il y a eu violation de

l’article 6 § 1 de la Convention combiné avec

l’article 6 § 3 c) dans la procédure considérée dans

son ensemble, qui s’est terminée en novembre 2007.

Sakhnovski c. Russie requête no 21272/03 Exception

préliminaire rejetée (non-épuisement des voies de

recours internes) ; Exception préliminaire jointe au

fond et rejetée (victime) ; Violation de l'art. 6-1+6-3-c ;

Préjudice moral – réparation. Jurisprudence :

Adzhigovich c. Russie, n° 23202/05, § 21, 8 octobre

2009 ; Arat c. Turquie, n° 10309/03, §§ 46-47, 10

novembre 2009 ; Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33,

série A n° 37 ; Babunidze c. Russie (déc.), n° 3040/03,

15 mai 2007 ; Baklanov c. Russie (déc.), n° 68443/01,

6 mai 2003 ; Belziuk c. Pologne, 25 mars 1998, § 37,

Recueil 1998-II ; Berdzenichvili c. Russie (déc.), n°

31697/03, CEDH 2004-II (extraits) ; Burden c.

Royaume-Uni [GC], n° 13378/05, § 33, CEDH 2008 ;

Carboni c. Italie (déc.), n° 51554/99, 12 février 2004 ;

Castravet c. Moldova, n° 23393/05, § 49, 13 mars 2007

; Cooke c. Autriche, n° 25878/94, § 43, 8 février 2000 ;

Eginlioglu c. Turquie, n° 31312/96, décision de la

Commission du 21 octobre 1998, non publié ; Fedorov

c. Russie (déc.), n° 63997/00, 6 octobre 2005 ; Fedosov

c. Russie (déc.), n° 42237/02, 25 janvier 2007 ;

Freimanis et Lidums c. Lettonie, nos 73443/01 et

74860/01, § 68, 9 février 2006 ; Giuseppe

Mostacciuolo c. Italie (n° 2) [GC], n° 65102/01, § 81,

29 mars 2006 ; Golubev c. Russie (déc.), n° 26260/02,

9 novembre 2006 ; Gorodnitchev c. Russie (déc.), n°

52058/99, 3 mai 2005 ; Helmers c. Suède, 29 octobre

1991, §§ 31-32, série A n° 212-A ; Hooper c.

Royaume-Uni (déc.), n° 42317/98, 21 octobre 2003 ;

Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 38, série A

n° 275 ; K. et T. c. Finlande [GC], n° 25702/94, §§

140-141, CEDH 2001-VII ; Kart c. Turquie [GC], n°

8917/05, §§ 71 et suivants, 3 décembre 2009 ; Kempers

c. Autriche (déc.), n° 21842/03, 27 février 1997 ;

Kremzow c. Autriche, 21 septembre 1993, série A n°

268-B ; Kucera c. Autriche, n° 40072/98, § 25, 3

octobre 2002 ; Kudla c. Pologne [GC], n° 30210/96, §§

154-55, CEDH 2000-XI ; Lanz c. Autriche, n°

24430/94, § 52, 31 janvier 2002 ; Lariaguine et Aristov

c. Russie, nos 38697/02 et 14711/03, §§ 18-19, 8

janvier 2009 ; Makhkyagin c. Russie (déc.), n°

39537/03, 1 octobre 2009 ; Marcello Viola c. Italie, n°

45106/04, §§ 41 et 75, CEDH 2006-XI ; Menecheva c.

Russie (déc.), n° 59261/00, 15 janvier 2004 ;

Mihajlovic c. Croatie, n° 21752/02, §§ 26 et suivants, 7

juillet 2005 ; Mikadzé c. Russie (déc.), n° 52697/99, 3

mai 2005 ; Nourmagomedov c. Russie (déc.), n°

30138/02, 16 septembre 2004 ; Öcalan c. Turquie

[GC], n° 46221/99, § 210 in fine, CEDH 2005-IV ;

Oleksy c. Pologne (déc.), n° 1379/06, 16 juin 2009 ;

Osmanov et Husseinov c. Bulgarie (déc.), nos

54178/00 et 59901/00, 4 septembre 2003 ; Özcan

Çolak c. Turquie, n° 30235/03, §§ 51-53, 6 octobre

2009 ; Perna c. Italie [GC], n° 48898/99, §§ 23-24,

CEDH 2003-V ; Pobornikoff c. Autriche, n° 28501/95,

§ 24, 3 octobre 2000 ; Polonski c. Russie, n° 30033/05,

§§ 160 et suivants, 19 mars 2009 ; Ponushkov c.

Russie, n° 30209/04, 6 novembre 2008 ; Popov c.

Russie, n° 26853/04, § 264, 13 juillet 2006 ; Quaranta

c. Suisse, 24 mai 1991, § 30, série A n° 205 ; Ryabov

c. Russie, n° 3896/04, 31 janvier 2008 ; Riabykh c.

Russie, n° 52854/99, CEDH 2003-IX ; Scordino c.

Italie (n° 1) [GC], n° 36813/97, §§ 180, CEDH 2006-V

; Sejdovic c. Italie [GC], n° 56581/00, § 86, CEDH

2006-II ; Senator Lines GmbH c. Autriche, Belgique,

Danemark, Finlande, France, Allemagne, Grèce,

Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal,

Espagne, Suède et Royaume-Uni (déc.) [GC], n°

56672/00, CEDH 2004-IV ; Shilbergs c. Russie, n°

20075/03, § 118, 17 décembre 2009 ; Choulepov c.

Russie, n° 15435/03, § 23, 26 juin 2008 ; Sibgatullin c.

Russie, n° 32165/02, § 13, 23 avril 2009 ; Talat Tunç c.

Turquie, n° 32432/96, § 59, 27 mars 2007 ; Üstün c.

Turquie, n° 37685/02, 10 mai 2007, § 24 ; Vacher c.

France, 17 décembre 1996, § 22, Recueil des arrêts et

décisions 1996-VI ; Witkowski c. Pologne (déc.), n°

53804/00, 3 février 2003 ; X c. Royaume-Uni, n°

8083/77, décision de la Commission du 13 mars 1980,

Décisions et rapports 19 ; Zaïtsev c. Russie, n°

22644/02, §§ 9-11, 16 novembre 2006.

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 6

Une trafiquante de stupéfiants

ne peut pas être considérée

comme victime d’une opération

d’infiltration par la police

BANNIKOVA C. RUSSIE

04.11.2010

Non violation de l’article 6 § 1

La requérante se plaignait d’avoir été

incitée par des policiers á vendre du

cannabis. L’arrêt expose également un

aperçu de la jurisprudence de la Cour

sur les agents provocateurs.

Entre le 23 et le 27 janvier 2005, la requérante, Mme

Bannikova, eut plusieurs conversations

téléphoniques avec un certain M. S., au cours

desquelles il fut convenu que S. fournirait du

cannabis à la requérante en vue que celle-ci le

revende. Au cours de ces appels, qui furent

enregistrés par le service fédéral de sécurité (« SFS

»), les deux interlocuteurs évoquèrent de précédentes

ventes de stupéfiants, des produits stupéfiants

invendus, des clients potentiels et la perspective

d’une transaction future. Le 28 janvier 2005, S.

apporta du cannabis à la requérante. Celle-ci le

mélangea à du cannabis qu’elle avait déjà chez elle

et en fit des paquets.

Le même jour, le chef en exercice du bureau régional

du SFS de Koursk autorisa une opération

d’infiltration qui devait prendre la forme d’un «

achat simulé » au sens des articles 7 et 8 de la loi du

12 août 1995 sur les activités de recherche

opérationnelle. Le lendemain, un agent infiltré du

SFS, B., qui jouait le rôle de l’acheteur, rencontra la

requérante et lui acheta 4 408 g de cannabis avec des

billets de banque marqués. Le SFS réalisa des

enregistrements vidéo et audio de la transaction. Par

la suite, la requérante fut arrêtée et les billets

marqués furent découverts sur elle. Lors d’une

perquisition ultérieure à son domicile, elle remit aux

policiers un autre sac où étaient dissimulés 28,6 g de

cannabis.

Devant le tribunal du district Leninski de Koursk la

requérante plaida coupable d’avoir aidé B. à acheter

du cannabis, mais allégua que celui-ci l’avait incité à

commettre l’infraction et qu’elle ne l’aurait pas fait

autrement. Elle allégua également que Vladimir

l’avait harcelée pour qu’elle vende le cannabis, et

l’avait menacée en cas de refus. Elle avait appelé S.

plusieurs fois avant le 28 janvier 2005, date à

laquelle celui-ci lui avait apporté le cannabis. Le 29

janvier 2005, elle avait reçu un appel téléphonique

du « client » (l’agent infiltré B.) et avait consenti à la

vente.

S. témoigna au procès que Mme Bannikova l’avait

appelé et demandé qu’il lui fournisse une « grosse

commande » de cannabis qu’elle revendrait ensuite.

En novembre 2004 il s’était procuré des plants

sauvages de marijuana et les avait fait sécher dans

son grenier. En janvier 2005, Mme Bannikova

l’avait appelé, lui avait demandé s’il avait préparé la

commande et précisé qu’elle avait des clients en

attente. Ils avaient convenu du prix à payer. S.

déclara également que Mme Bannikova s’était

plainte d’avoir fait l’objet de menaces et de pressions

pour vendre le cannabis.

Sur la base de déclarations des témoins, de

transcriptions des appels téléphoniques, de rapports,

de preuves médico-légales et des aveux partiels de la

requérante, le tribunal national la déclara coupable

d’avoir vendu du cannabis à B. le 29 janvier 2005.

Elle fut condamnée en vertu de l’article 228.1 § 3 du

code pénal à quatre ans d’emprisonnement du chef

d’association de malfaiteurs en vue de vendre une

quantité particulièrement importante de stupéfiants.

Son complice fut condamné pour la même infraction.

Quant à l’incitation alléguée, le tribunal estima que

les déclarations de S. concernant les menaces reçues

par Mme Bannikova avaient seulement pour but

d’aider celle-ci et que l’existence de menaces ou de

pressions visant la requérante pour qu’elle se livre à

la vente de stupéfiants était insuffisamment prouvée.

La requérante interjeta appel, invoquant notamment

le rôle décisif de l’incitation dans le fait qu’elle avait

commis l’infraction et l’impossibilité pour elle

d’accéder aux éléments de preuve recueillis pendant

l’enquête. Le 24 janvier 2006, le tribunal régional de

Koursk la débouta. Il rejeta l’argument concernant

l’incitation par des agents de l’Etat, au motif que la

participation de la requérante à la transaction du 29

janvier 2005 avait été établie sur la base de multiples

éléments de preuve et n’avait pas été contestée par

l’intéressée.

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la

requérante soutenait que sa condamnation pour trafic

de stupéfiants avait été inéquitable car elle avait été

poussée à commettre l’infraction par des policiers

dans le cadre d’une opération d’infiltration. Elle

alléguait également qu’elle n’avait pas pu plaider

effectivement l’incitation comme moyen de défense

pendant son procès, étant donné qu’elle n’avait pas

pu accéder aux éléments recueillis pendant l’enquête

préliminaire.

Décision de la Cour

Article 6 § 1

La Cour a d’abord examiné si les policiers impliqués

dans l’opération d’infiltration s’étaient limités à

examiner les agissement de la requérante « de

manière purement passive » ou s’ils avaient

outrepassé ces limites et pouvaient ainsi être

considérés comme des agents provocateurs.

Selon les propres déclarations de la requérante

devant le tribunal, sa première rencontre avec B.,

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 7

l’agent infiltré du SFS, a eu lieu le 29 janvier 2005,

juste avant l’achat simulé. A ce stade, le SFS était

déjà en possession d’enregistrement de ses

conversations avec S. entre le 23 et le 27 janvier

2005 concernant la transaction. B. a donc pris la

transaction en cours. Il ne fait donc aucun doute que,

loin d’être à l’origine des actes criminels en cause, il,

il s’y est simplement associé par la suite.

Cependant, la Cour ne peut déterminer avec certitude

si l’implication alléguée de « Vladimir » faisait

partie de l’opération d’infiltration et, dans

l’affirmative, s’il a exercé des pressions sur la

requérante pour qu’elle commette l’infraction en

cause.

La Cour doit donc passer à la deuxième étape de son

appréciation : elle examinera si la requérante a été en

mesure de soulever de manière effective la question

de l’incitation au cours de la procédure devant les

juridictions internes et appréciera la manière dont le

tribunal a traité l’allégation de l’intéressée.

La Cour rappelle que, pour qu’une telle allégation

soit traitée de manière effective, le tribunal national

doit établir dans le cadre d’une procédure

conrtadictoire les raisons pour lesquelles l’opération

a été montée, l’étendue de l’implication de la police

dans l’infraction et la nature de toute incitation ou

pression à laquelle la requérante a pu être soumise.

La Cour admet, à l’instar de la juridiction d’appel,

qu’il n’a pas été nécessaire d’appeler des témoins

supplémentaires ou d’examiner d’autres éléments

dans l’affaire. La juridiction interne a pu exclure

l’incitation sur la seule base des enregistrements des

conversations de Mme Bannikova et de S. (qui

évoquaient des ventes précédentes de stupéfiants,

des produits stupéfiants non vendues, des clients

potentiels et la perspective d’une transaction future),

qui se sont avérés extrêmement pertinents lorsqu’il

s’est agi de prouver l’intention pré-existante de

l’intéressée de vendre des stupéfiants.

La Cour estime donc que l’argument de la requérante

tenant à l’incitation a été traité de manière adéquate

par les tribunaux internes, qui ont entrepris les

démarches nécessaires pour découvrir la vérité et

pour éliminer les doutes sur la question de savoir si

l’intéressée avait commis l’infraction du fait de

l’incitation par un agent provocateur.

La conclusion des juridictions nationales selon

laquelle il n’y avait pas eu de « piège » se fondait

donc sur une appréciation raisonnable d’éléments

pertinents et suffisants. Eu égard à la portée du

contrôle juridictionnel du moyen de la requérante

relatif á l’incitation, la Cour estime en conséquence

que l’intéressée a bénéficié d’un procès équitable.

Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1.

Bannikova c. Russie requête no 18757/06 Nonviolation

de l'art. 6-1. Jurisprudence : A. et autres c.

Royaume-Uni [GC], n° 3455/05, CEDH 2009-... ;

Botmeh et Alami c. Royaume-Uni, n° 15187/03, 7 juin

2007 ; Bulfinsky c. Roumanie, n° 28823/04, 1 juin

2010 ; Constantin et Stoian c. Roumanie, nos 23782/06

et 46629/06, 29 septembre 2009 ; Delcourt c. Belgique,

17 janvier 1970, série A n° 11 ; Doorson c. Pays-Bas,

26 mars 1996, Recueil 1996-II ; Edwards et Lewis c.

Royaume-Uni [GC], nos 39647/98 and 40461/98,

CEDH 2004-X ; Eurofinacom c. France, (déc.), n°

58753/00, CEDH 2004-VII ; Gorgievski c. “l’ex-

République yougoslave de Macédoine”, n° 18002/02,

16 juillet 2009 ; Jasper c. Royaume-Uni [GC], n°

27052/95, CEDH 2000-II ; Khoudobine c. Russie, n°

59696/00, CEDH 2006-XII ; Kuzmickaja c. Lituanie

(déc.), n° 27968/03, 10 juin 2008 ; Lüdi c. Suisse, 15

juin 1992, série A n° 238 ; Malininas c. Lituanie, n°

10071/04, 1 juillet 2008 ; Miliniene c. Lituanie, n°

74355/01, 24 juin 2008 ; Ramanauskas c. Lituanie

[GC], n° 74420/01, CEDH 2008-... ; S.N. c. Suède, n°

34209/96, CEDH 2002-V ; Sequeira c. Portugal, (déc.),

n° 73557/01, CEDH 2003-VI ; Shannon c. Royaume-

Uni (déc.), n° 67537/01, CEDH 2004-IV ; Teixeira de

Castro c. Portugal, 9 juin 1998, Recueil des arrêts et

décisions 1998-IV ; V. c. Finlande, n° 40412/98, 24

avril 2007 ; Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23

avril 1997, Recueil 1997-III ; Vaniane c. Russie, n°

53203/99, 15 décembre 2005.

Les mesures prises en France pour

l’exécution d’un jugement

polonais portant sur une pension

alimentaire étaient insuffisantes

ROMAÑCZYK C. FRANCE

18.11.2010

Violation de l’article 6 § 1

Inexécution d’une décision de justice

polonaise, accordant à la requérante une

pension alimentaire suite à son divorce. Le

débiteur étant résident français, la France

avait été saisie pour faciliter l’exécution de

cette décision, en vertu de la Convention de

New York de 1956 sur le recouvrement des

aliments à l’étranger.

Dorota Romañczyk a saisi la Cour également au

nom de ses deux enfants nés de son mariage avec un

ressortissant polonais dont elle a divorcé le 25 juin

1999. Le jugement de divorce condamna le père,

résidant en France, à verser une pension alimentaire

de 500 zlotys (PLN) par mois (environ 118 euros

(EUR)). N’ayant reçu aucun versement de sa part,

Mme Romañczyk se prévalut de la Convention de

New York du 20 juin 1956 sur le recouvrement des

aliments à l’étranger (« la Convention de New York

»). Conformément à ce texte, le 16 décembre 1999

elle adressa, par l’intermédiaire des autorités

polonaises (cour régionale de Katowice), une

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 8

demande de recouvrement de la pension alimentaire

aux autorités françaises (ministère des Affaires

étrangères).

En juillet 2000, les autorités françaises sollicitèrent

de leurs homologues polonais la production de

certaines pièces, dont la preuve de l’assignation en

justice de l’ex-mari de Mme Romañczyk et de la

signification du jugement de divorce. Le 20 mai

2004, les autorités polonaises adressèrent à leurs

homogues français la preuve de la notification du

jugement de divorce, précisant que l’ex-mari de

Mme Romañczyk n’avait fait aucun versement.

Entre temps, le tribunal de district de Sosnowiec

avait augmenté le montant de la pension alimentaire

à 450 PLN pour chaque enfant (soit environ 254

EUR au total).

La preuve de la notification du jugement de divorce

parvint aux autorités françaises le 12 juillet 2004. Le

1er septembre 2004, l’ex-mari de Mme Romañczyk

fut entendu par la police française. Il s’engagea par

écrit à verser 108 EUR par mois, ce dont les

autorités françaises informèrent leurs homologues

polonais, mais ne respecta pas son engagement. En

janvier 2005, Mme Romañczyk se plaignit de

l’absence de progrès dans la procédure de

recouvrement auprès des autorités polonaises, qui en

informèrent leurs homologues français par lettre du

18 janvier 2005. Le 7 mars 2005, les autorités

françaises reçurent cette lettre mais n’y donnèrent

pas suite. Mme Romañczyk se plaignit à plusieurs

reprises de l’inefficacité de la procédure en

recouvrement auprès des autorités polonaises.

Celles-ci, qui n’avaient reçu aucune réponse de la

part des autorités françaises depuis leur dernière

lettre datée du 15 septembre 2004, informèrent

régulièrement la requérante, au long des années

2005, 2006 et 2007, que la procédure de

recouvrement demeurait sans effet.

Le 17 décembre 2008, après réception du courrier de

la Cour leur communiquant la requête de Mme

Romañczyk, les autorités françaises relancèrent la

procédure de recouvrement. Le 26 avril 2009, l’exmari

fut entendu par la police ; il mit en avant sa

situation très précaire et ajouta que dès qu’il

trouverait un travail, il paierait la pension ainsi que

les intérêts de retard. Informées de la teneur de cet

entretien par les autorités françaises, les autorités

polonaises leur adressèrent les observations des

enfants, devenus majeurs, demandant en leur propre

nom l’exécution forcée du jugement de 2003 ayant

augmenté leur pension alimentaire. Donnant suite à

une nouvelle demande des autorités françaises en ce

sens, en octobre 2009, les autorités polonaises leur

adressèrent notamment la copie de la signification du

jugement inexécuté et les coordonnées bancaires,

précisant qu’elles leur avaient été déjà transmises

respectivement en mai 2004 et février 2009. Les

autorités françaises informèrent la requérante et ses

enfants, entre autres, sur la phase judiciaire et sur

l’aide juridictionnelle qu’ils pouvaient solliciter.

Elles indiquèrent également que le débiteur, á

nouveau entendu par les autorités, précisait être sans

emploi, vivre d’allocations familiales et avoir acquis

un appartement en Pologne qu’il aurait « laissé » à la

requérante. En février 2010, devant le tribunal de

grande instance de Perpignan, les enfants obtinrent

l’aide juridictionnelle totale dans le cadre d’une

action en exequatur du jugement de 2003 ayant

réévalué la pension alimentaire.

Invoquant l’article 6 § 1, Mme Romañczyk se

plaignait de n’avoir pu obtenir des autorités

françaises, saisies sur le fondement de la Convention

de New York, l’exécution du jugement lui accordant

une pension alimentaire, ainsi que de la durée

excessive de la procédure de recouvrement de cette

pension.

Décision de la Cour

La Cour considère qu’en dénonçant l’impossibilité

d’obtenir des autorités françaises l’exécution du

jugement polonais et la durée excessive de la

procédure, la requérante se plaint en réalité de leur

manque de diligence pour l’assister dans le

recouvrement de ses créances alimentaires.

Elle rappelle que le droit à un tribunal serait illusoire

si un Etat permettait qu’une décision judicaire

définitive et obligatoire reste inopérante au détriment

d’une partie. Elle rappelle également que la

responsabilité d’un Etat concernant l’exécution d’un

jugement par un débiteur « privé » peut être engagée,

si les autorités publiques impliquées dans les

procédures d’exécution manquent de la diligence

requise ou empêchent l’exécution.

Dans l’affaire de Mme Romañczyk, les autorités

françaises étaient impliquées dans les procédures

d’exécution, car en recourant au mécanisme de la

Convention de New York, l’intéressée bénéficiait du

droit à voir son jugement exécuté avec leur

assistance. En effet, selon cette convention, l’Etat du

débiteur - ici, la France - a une obligation positive à

cet égard : il prend, au nom du créancier, toutes les

mesures propres á assurer le recouvrement des

aliments (il peut notamment intenter une action

alimentaire et faire exécuter tout jugement,

ordonnance ou autre acte judiciaire).

La question que la Cour doit examiner ici est donc

celle de savoir si les mesures prises par les autorités

françaises pour assister Mme Romañczyk dans

l’exécution du jugement ont été adéquates et

suffisantes. Elle s’attache pour cela aux seules

diligences accomplies à compter de juillet 2004,

lorsque les autorités françaises ont reçu la preuve

que le jugement fixant la pension alimentaire avait

été notifié à l’ex-mari. Elle relève que les autorités

françaises ont entendu le débiteur dès septembre

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 9

2004 et que ce dernier s’est engagé par écrit à verser

la pension alimentaire. Elles n’ont cependant jamais

donné suite à la lettre du 18 janvier 2005, dans

laquelle les autorités polonaises les avaient

informées que le débiteur ne s’acquittait pas de ses

obligations.

Devant la Cour, la France avait mis en avant que le

but de la Convention n’était pas de sanctionner un

Etat parce qu’un employé administratif avait mal

classé une seule lettre, et qu’un banal impair

administratif ne pouvait constituer, en lui seul, une

violation de la Convention, sauf à méconnaître la

haute fonction de la Convention et de la Cour

chargée de l’interpréter. Le Gouvernement estimait

par ailleurs que Mme Romañczyk était ellemême

responsable de négligences, car elle n’avait effectué

aucune démarche autre que la saisine de la Cour

pour remédier à cette situation La Cour admet

qu’une telle erreur de classement ne peut constituer à

elle seule une violation de la Convention.

Cependant, l’« impair administratif » invoqué par le

Gouvernement, outre qu’il ne saurait être opposé à

Mme Romañczyk et relève de la seule responsabilité

des autorités françaises, a eu pour conséquence

d’empêcher l’exécution du jugement et le

recouvrement de la pension alimentaire, qui

représentait un enjeu particulièrement important

pour la requérante. De plus, cette erreur s’est

accompagnée d’un manque de diligence de la part

des autorités : celles-ci auraient en effet pu constater

elles-mêmes la défaillance du débiteur (qui s’était

engagé par écrit á leur communiquer les justificatifs

de paiement), ou relancer les autorités polonaises.

Ces diligences les auraient certainement conduites à

corriger « l’impair » et à poursuivre la procédure en

recouvrement. Par ailleurs, s’agissant du manque de

diligence reproché á la requérante par le

Gouvernement, la Cour note tout d’abord que Mme

Romañczyk a régulièrement écrit aux autorités

polonaises pour se plaindre de l’absence de

versement de la pension et, surtout, rappelle qu’en

vertu de la Convention de New York, c’est á l’Etat

français qu’il appartenait d’agir.

La Cour conclut donc, à l’unanimité, que les

autorités françaises n’ont pas déployé des efforts

suffisants pour assister Mme Romañczyk dans

l’exécution du jugement et le recouvrement de ses

créances alimentaires, et que l’article 6 § 1 a donc

été violé.

La Cour rappelle qu’en principe le seul

intérêt financier de l’Etat ne permet pas

de justifier l’intervention rétroactive

d’une loi de validation

LILLY FRANCE c. FRANCE (N° 2)

25 novembre 2010-12-05

Violation de l'art. 6-1

La société par actions simplifiée unipersonnelle Lilly

France, est un laboratoire pharmaceutique domicilié

à Suresnes (France) qui a fait l'objet, en 2001, d’un

redressement par l’URSSAF (Union de

recouvrement des cotisations de sécurité sociale et

d’allocations familiales) de plus de 4,9 millions

d’euros au total. Elle le contesta en justice, arguant

en particulier de l’irrégularité des procès-verbaux

dressés dans le cadre de la procédure de contrôle.

Invoquant l’article 6 § 1, elle se plaignait de

l’application immédiate à son instance d’une loi de

2003 ayant pour effet de valider rétroactivement ces

procès-verbaux irréguliers.

La Cour réaffirme que si, en principe, le pouvoir

législatif n’est pas empêché de réglementer en

matière civile, par de nouvelles dispositions à portée

rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur,

le principe de la prééminence du droit et la notion de

procès équitable consacrés par l’article 6 s’opposent,

sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à

l’ingérence du pouvoir législatif dans

l’administration de la justice dans le but d’influer sur

le dénouement judiciaire du litige.

La Cour est amenée à se prononcer en l’espèce sur

la question de savoir si l’intervention de la loi du 18

décembre 2003 a porté atteinte au caractère équitable

de la procédure, et à l’égalité des armes, en

modifiant, en cours d’instance, l’issue de celle-ci.

La Cour observe qu’en l’espèce les juridictions

judiciaires n’ont pas apporté de réponse à la

requérante sur le point de savoir si les agréments

litigieux avaient été valablement délivrés.

La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de se

substituer aux juridictions internes quant aux

chances de succès des actions engagées par la

requérante. Elle se borne à constater que

l’intervention de la loi litigieuse a fait obstacle à ce

que la cour d’appel et la Cour de cassation puissent

se prononcer sur la validité des agréments de G. et

C., donc sur la régularité du contrôle qu’ils ont

effectué et, par voie de conséquence sur la validité

du redressement infligé à la requérante alors que le

Gouvernement reconnaît dans ses observations

qu’un doute persistait avant l’entrée en vigueur de la

loi, sur la régularité de ces agréments.

La Cour rappelle qu’en principe le seul intérêt

financier de l’Etat ne permet pas de justifier

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 10

l’intervention rétroactive d’une loi de validation.Elle

observe que le chiffre de 400 millions d’euros de

pertes avancé par le Gouvernement repose sur une

évaluation faite par l’URSSAF du montant des

recettes de sécurité sociale qui auraient pu être

contestées devant les juridictions mais que le

Gouvernement ne fournit aucun renseignement quant

au mode de calcul de ce chiffre qui est

nécessairement hypothétique. Partant, la Cour ne

saurait tenir compte des sommes avancées par le

Gouvernement, justifiées pour l’essentiel par un

« effet d’aubaine » dont pourraient profiter d’autres

requérants.

Par ailleurs, la Cour note que le montant des

redressements réellement contestés devant les

juridictions nationales en raison de l’illégalité des

agréments des agents de contrôle s’élève, selon le

Gouvernement, à 131 millions d’euros pour la seule

région parisienne. Toutefois, elle considère que cette

somme ne saurait remettre en cause, à elle seule, la

pérennité du système de sécurité sociale comme le

soutient le Gouvernement et qu’elle n’autorise donc

pas le législateur à intervenir en cours de procédure

afin d’en sécuriser l’issue.

Quant à l’argument du Gouvernement selon lequel la

loi du 18 décembre 2003 visait à éviter la

multiplication des contentieux, la Cour considère

que cette augmentation restait purement

hypothétique au moment de l’adoption de la loi

contestée . Aucun des autres arguments présentés par

le Gouvernement ne convainc la Cour de la

légitimité de l’ingérence.

De l’avis de la Cour, l’intervention rétroactive de

l’article 73 de la loi du 18 décembre 2003 ne reposait

pas sur d’impérieux motifs d’intérêt général. Partant,

il y a eu violation de l’article 6 de la Convention.

Satisfaction équitable : le constat de violation

constitue une satisfaction équitable suffisante pour le

dommage moral ; 10 000 EUR (frais et dépens)

Lilly France c. France (no 2) no 20429/07 25/11/2010

Violation de l'art. 6-1 Droit en Cause Article 73 de la loi

no 2003-1199 du 18 décembre 2003 portant financement

de la sécurité sociale pour 2004

Jurisprudence : Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94,

CEDH 1999-III ; Chiesi SA c. France, no 954/05, 16

janvier 2007 ; Civet c. France [GC], no 29340/95, CEDH

1999-VI ; Gardedieu c. France, no 8103/02, 21 juin 2007 ;

Joubert c. France, no 30345/05, 23 juillet 2009 ; Mentes et

autres c. Turquie, 28 novembre 1997, Recueil des arrêts et

décisions 1997-VIII ; Raffineries grecques Stran et Stratis

Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, série A no 301-B ;

SCM Scanner de l’Ouest Lyonnais et autres c. France, no

12106/03, 21 juin 2007 ; Vernillo c. France, 20 février

1991, série A no 198 ; Zielinski et Pradal et Gonzalez et

autres c. France [GC], nos 24846/94 et 34165/96 à

34173/96, CEDH 1999-VII

DDRROOI IITT AA LLAA LLI IIBBEERRTTEE EETT

AA LLAA SSUURREETTEE

L’article 5 de la Convention

La Cour ne se prononce qu’à l’égard de la

notion spécifique d’ « autorité judiciaire »

au sens de l’article 5 § 3 de la Convention,

et non au sens national. Il ne lui appartient

pas de prendre position dans le débat

concernant le statut du ministère public en

France.

Du fait de leur statut, les

membres du ministère public, en

France, ne remplissent pas

l’exigence d’indépendance á

l’égard de l’exécutif, qui compte,

au même titre que l’impartialité,

parmi les garanties inhérente à

la notion autonome de

«magistrat » au sens de l’article

5 § 3.

La garde à vue de Mme Moulin n’a pas

répondu aux exigences

de l’article 5 § 3

MOULIN C. FRANCE

23.11.2010

Violation de l’article 5 § 3

Mise en cause dans le cadre d’une procédure

relative à un trafic de stupéfiants, France Moulin,

avocate à Toulouse, fut arrêtée à Orléans sur

commission rogatoire le 13 avril 2005 et placée en

garde à vue, sur la base de soupçons de violation du

secret de l’instruction. Le lendemain, elle fut

conduite à Toulouse, où son cabinet fut

perquisitionné, en présence de deux juges

d’instruction d’Orléans. Le même jour, sa garde à

vue fut prolongée par un juge d’instruction du

tribunal de grande instance de Toulouse sans

entendre personnellement la requérante.

Le 15 avril 2005, les deux juges d’instruction

d’Orléans se rendirent à l’hôtel de police, pour

vérifier l’exécution de leur commission rogatoire et

les modalités de la garde à vue de la requérante. Ils

ne rencontrèrent pas cette dernière.

La garde à vue de Mme Moulin prit fin le 15 avril

2005, date à laquelle elle fut présentée au procureur

adjoint de Toulouse, qui ordonna sa conduite en

maison d’arrêt en vue de son transfèrement ultérieur

devant les juges d’instruction à Orléans. Elle fut

présentée á ces derniers le 18 avril 2005, qui

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 11

procédèrent à son interrogatoire de « première

comparution » et la mirent en examen. La requérante

fut placée en détention provisoire par le juge des

libertés et de la détention.

La requête de Mme Moulin en nullité d’acte tiré du

défaut de désignation d’un avocat de son choix

pendant la garde à vue fut rejetée par la cour d’appel

d’Orléans. Son pourvoi fut rejeté par la Cour de

cassation.

Invoquant l’article 5 § 3, la requérante se plaignait

de ne pas avoir été « aussitôt traduite » devant « un

juge ou un autre magistrat habilité par la loi à

exercer des fonctions judiciaires ». Sous l’angle de

l’article 6, elle se plaignait de ne pas avoir bénéficié

de l’assistance d’un avocat de son choix pendant sa

garde à vue. Enfin, invoquant plusieurs autres

articles, elle dénonçait le déroulement de la

perquisition à son domicile, ainsi que la palpation et

la saisie d’effets personnels lors de son arrestation.

Décision de la Cour

Article 5 § 3

La Cour a déjà jugé qu’une période de garde à vue

de plus de quatre jours et six heures sans contrôle

judiciaire était contraire à l’article 5 § 32. Or entre

son placement en garde à vue le 13 avril 2005 et sa

présentation aux juges d’instruction d’Orléans le 18

avril 2005 pour l’interrogation de « première

comparution », la requérante n’a pas été entendue

personnellement par les juges d’instruction en vue

d’examiner le bien-fondé de sa détention. En effet,

outre l’incompétence territoriale des juges

d’instruction d’Orléans pour se prononcer sur la

légalité d’une détention à Toulouse, ces juges se sont

strictement contentés de procéder aux opérations de

perquisition et de saisie au cabinet de la requérante, à

l’exclusion de toute autre mesure, et ils ne l’ont pas

rencontrée lors de leur visite à hôtel de police le 15

avril. Par ailleurs, les cinq jours écoulés entre le 13

et le 18 avril ne sauraient être traités en plusieurs

périodes distinctes comme le suggère le

gouvernement, puisqu’ils relèvent bien de la période

suivant immédiatement l’arrestation.

La Cour examine ensuite si la présentation de la

requérante au procureur adjoint du tribunal de

grande instance de Toulouse le 15 avril 2005, soit

deux jours après son arrestation, peut être considérée

comme une traduction devant une autorité judiciaire

au sens de l’article 5 § 3. La Cour observe qu’en

France les magistrats du siège et les membres du

ministère public sont soumis à un régime différent.

Ces derniers sont placés sous la direction et le

contrôle de leurs chefs hiérarchiques au sein du

Parquet, et sous l’autorité du garde des sceaux,

ministre de la Justice, donc du pouvoir exécutif. A la

différence des juges du siège, ils ne sont pas

inamovibles et le pouvoir disciplinaire les

concernant est confié au ministre. Ils sont tenus de

prendre des réquisitions écrites conformes aux

instructions qui leur sont données dans les conditions

du code de procédure pénale, même s’ils peuvent

développer librement les observations orales qu’ils

croient convenables au bien de la justice.

Il n’appartient pas à la Cour de prendre position sur

le débat concernant le lien de dépendance effective

entre le ministre de la Justice et le ministère public

en France, ce débat relevant des autorités du pays.

La Cour ne se prononce en effet que sous l’angle de

l’article 5 § 3 et la notion autonome d’ « autorité

judiciaire » au sens de cette disposition et de sa

jurisprudence. Or, la Cour considère que, du fait de

leur statut, les membres du ministère public, en

France, ne remplissent pas l’exigence

d’indépendance á l’égard de l’exécutif ;

l’indépendance compte, au même titre que

l’impartialité, parmi les garanties inhérente à la

notion autonome de « magistrat » au sens de l’article

5 § 3. En outre, la Cour rappelle que les

caractéristiques que doit avoir un juge ou magistrat

pour remplir les conditions posées par l’article 5

excluent notamment qu’il puisse agir par la suite

contre le requérant dans la procédure pénale, ce qui

est le cas du ministère public.

Dès lors, le procureur adjoint de Toulouse, membre

du ministère public, ne remplissait pas, au regard de

l’article 5 § 3, les garanties d’indépendance pour être

qualifié, au sens de cette disposition, de « juge ou

(...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des

fonctions judiciaires ».

Ainsi, la garde à vue de Mme Moulin ne répondait

pas aux exigences de l’article 5 § 3.

Autres articles

Sur le grief de la requérante concernant la

désignation d’un avocat de son choix, la Cour note

que le bâtonnier de l’avocat que Mme Moulin avait

choisi s’est déplacé pour l’assister dans le cadre de

sa garde à vue.

Concernant la perquisition du domicile de la

requérante, la Cour estime qu’elle n’était pas, dans

les circonstances particulières de l’affaire,

disproportionnée par rapport au but visé, à savoir

apporter la preuve de la participation éventuelle de la

requérante aux infractions en question. Des garanties

de procédures ont en effet été prises, et les saisies,

limitées au strict nécessaire.

Enfin, la palpation réalisée lors de l’arrestation était

uniquement destinée à détecter la présence

éventuelle d’objets dangereux et le grief de la

requérante à cet égard n’est pas assez étayé. Quant à

la saisie des deux sacs lors de l’arrestation, la Cour

note que la requérante les a en réalité conservés avec

elle jusqu’au soir le jour de son arrestation. Par

conséquent, ces griefs sont rejetés comme

manifestement mal fondés.

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 12

Article 41

Au titre de la satisfaction équitable, la Cour dit que

la France doit verser à la requérante

5 000 euros (EUR) pour dommage moral et 7 500

EUR pour frais et dépens.

MOULIN C. FRANCE requête no 37104/06 Partiellement

irrecevable ; Violation de l'art. 5-3 ; Préjudice moral –

réparation. Jurisprudence : A.C. c. France (déc.), no

37547/97, 14 décembre 1999 ; André et autre c.

France, no 18603/03, §§ 36-37 et 40-42, CEDH 2008 ;

Brincat c. Italie, 26 novembre 1992, § 20, série A no

249-A ; Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29

novembre 1988, § 62, série A no 145-B ; Crémieux c.

France, 25 février 1993, § 38, série A no 256-B ; De

Jong, Baljet et Van den Brink c. Pays-Bas, 22 mai

1984, § 49, série A no 77 ; Huber c. Suisse, 23 octobre

1990, série A no 188 ; Medvedyev et autres c. France

[GC], no 3394/03, §§ 119, 124 et 129, CEDH 2010 ;

Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 30, série

A no 251-B ; Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 238,

CEDH 2003-VI (extraits) ; Roemen et Schmit c.

Luxembourg, no 51772/99, §§ 64 et 68, CEDH 2003-

IV ; Schiesser c. Suisse, 4 décembre 1979, § 31, série

A no 34 ; T.W. c. Malte [GC], no 25644/94, § 49, 29

avril 1999 ; Xavier Da Silveira c. France, no 43757/05,

21 janvier 2010. Sources Externes : Recommandation

(2000) 19 du Comité des Ministres du Conseil de

l'Europe aux Etats membres sur le rôle du ministère

public dans le système de justice pénale (6 octobre

2000) ; Recommandation 1896 (2010) de l'Assemblée

parlementaire du Conseil de l’Europe (adoptée le 27

janvier 2010).L’arrêt n’existe qu’en français.

TTRRAAI IITTEEMMEENNTTSS I IINNHHUUMMAAI IINNSS

EETT DDEEGGRRAADDAANNTTSS

Article 3

La force déployée à l’encontre

d’un mineur lors d’une vérification

d’identité au commissariat était

disproportionnée

DARRAJ c. FRANCE

4/11/2010

Violation de l’article 3

Le 10 juillet 2001, Yassine Darraj il fut conduit au

commissariat d’Asnières-sur-Seine pour un contrôle

d’identité, les policiers ayant remarqué le requérant

et un ami descendre d’un véhicule immobilisé en

pleine voie, dont les fils du démarreur paraissaient

sectionnés. Ils n’avaient pas leurs papiers d’identité

sur eux.

Moins de deux heures plus tard, Yassine Darraj fut

transféré à l’hôpital où furent constatées des

contusions du globe oculaire droit, du poignet et du

dos, de multiples érosions cutanées du visage et du

cou, des hématomes du cuir chevelu, ainsi qu’une

fracture du testicule droit avec contusions et

hématomes.

Yassine Darraj déposa plainte avec constitution de

partie civile par le biais de sa mère et une

information fut ouverte. Un rapport d’expertise

d’octobre 2001 conclut que les blessures constatées

étaient compatibles avec la version des faits du

requérant ; un second rapport de février 2003 conclut

que la version des policiers était la plus compatible

avec ses blessures.

Deux policiers furent mis en examen pour violence

ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours. Saisie

par un sénateur des Hauts-de-Seine, la Commission

nationale de déontologie de la sécurité considéra que

le port des menottes pouvait difficilement se justifier

à l’arrivée au commissariat, n’ayant pas été jugé

nécessaire pendant le transfert des jeunes au

commissariat.

Par un jugement du 14 décembre 2004, le tribunal de

grande instance de Nanterre condamna les

fonctionnaires de police à quatre et huit mois

d’emprisonnement avec sursis pour violence

volontaire par un dépositaire de l’autorité publique

suivie d’incapacité supérieure à huit jours. En appel,

la responsabilité des policiers fut atténuée et leur

condamnation limitée au chef de blessures

involontaires, et au paiement d’une amende

contraventionnelle de 800 EUR chacun. Quant à

l’action civile, estimant que Yassine Darraj avait

participé pour moitié à la réalisation de son

préjudice, elle ramena les dommages et intérêts à 5

000 EUR. La demande d’aide juridictionnelle du

requérant pour se pourvoir en cassation fut rejetée «

faute de moyen de cassation sérieux ».

Invoquant l’article 3 , le requérant se plaignait

d’avoir subi de mauvais traitements au commissariat.

Sous l’angle de l’article 5 § 1 c) (droit à la liberté et

à la sûreté), il se plaignait d’avoir été arbitrairement

arrêté et menotté alors qu’aucune infraction ne lui

était reprochée.

Les blessures du requérant, occasionnées par les

violences qui l’ont opposé aux policiers, sont

survenues au commissariat, lors d’un contrôle

d’identité, alors qu’il se trouvait entièrement sous le

contrôle des fonctionnaires de police et qu’il était

menotté et donc vulnérable. Les coups portés ont

provoqué, en plus de contusions et d’hématomes,

une fracture testiculaire, entraînant une

hospitalisation, une intervention en urgence et une

ITT de 21 jours. De telles lésions, à l’origine de

douleurs et de souffrances physiques chez le

requérant, ont atteint un seuil de gravité suffisant

pour tomber sous le coup de l’article 3 de la

Convention.

Les raisons justifiant le menottage de Yassine

Darraj, calme jusqu’à l’arrivée au commissariat et

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 13

qui n’était pas placé en garde à vue, restent obscures.

Cinq policiers ont dû intervenir pour le maîtriser, en

le faisant tomber ventre à terre et en mettant un

genou dans son dos pour lui passer les menottes. La

Cour prend en considération l’avis de la Commission

nationale de déontologie de la sécurité selon lequel

le port des menottes pouvait difficilement se justifier

à l’arrivée au commissariat. La Cour note que les

expertises se contredisent et ne peut que constater

que le requérant a été atteint d’une blessure grave,

restée sans explication claire, dans l’enceinte d’un

local de police alors que des fonctionnaires en

avaient la responsabilité et devait assurer sa

protection.

La Cour relève que le requérant, de corpulence

moyenne, était menotté dans le dos et se trouvait

seul face à au moins deux policiers de plus forte

corpulence, que le tribunal a considéré que les

violences allaient au-delà de l’usage raisonné de la

force dans de telles circonstance, et que la cour

d’appel a reconnu que la fracture testiculaire ne

résultait pas de la seule force majeure. D’autres

méthodes auraient pu être employées pour calmer le

requérant.

Ainsi ces actes étaient de nature à engendrer chez le

requérant des douleurs ou des souffrances physiques

et mentales et, eu égard à son âge et à son stress

post-traumatique, à créer également des sentiments

de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à

humilier, avilir et briser éventuellement sa résistance

physique et mentale. Ils ont ainsi revêtu un caractère

inhumain et dégradant.

Le gouvernement français allègue, qu’au terme des

procédures nationales, Yassine Darraj a perdu la

qualité de victime. La Cour note qu’aucune lacune

quant à l’enquête menée par les juridictions internes

n’est à relever. En revanche, on ne peut dire que la

cour d’appel ait reconnu que le traitement subi par le

requérant était contraire à l’article 3, puisqu’elle a

révisé à la baisse la peine des policiers, dont elle a

évoqué la « maladresse et l’imprudence ». Enfin, la

Cour observe que les policiers n’ont pas fait l’objet

de sanctions disciplinaires et ont été condamnés à

des amendes contraventionnelles modiques, ayant un

faible pouvoir dissuasif, et étant inférieures aux

sommes qu’elle octroie généralement dans des

affaires où elle constate une violation de l’article 3.

A cet égard, si la Cour reconnaît qu’il revient aux

juridictions nationales de choisir les sanctions à

infliger à des agents de l’Etat, elle doit intervenir s’il

existe une disproportion manifeste entre la gravité de

l’acte et la sanction infligée, à défaut de quoi le

devoir des Etats de mener une enquête effective

perdrait beaucoup de son sens.

Ainsi le requérant peut toujours se prétendre victime

et la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 3.

Article 5 : Non lieu à examen.

Darraj c. France 34588/07 4/11/2010 Violation de l'art.

3 (volet matériel) Jurisprudence : Ali et Ayse Duran c.

Turquie, no 42942/02, 8 avril 2008 ; Azinas c. Chypre

[GC], no 56679/00, CEDH 2004-III ; Berktay c. Turquie,

no 22493/93, 1er mars 2001 ; Büyükdag c. Turquie, no

28340/95, 21 décembre 2000 ; Caloc c. France, no

33951/96, CEDH 2000-IX ; Çamdereli c. Turquie, no

28433/02, 17 juillet 2008 ; Cardot c. France, 19 mars

1991, série A no 200 ; Castells c. Espagne, 23 avril 1992,

série A no 232 ; Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05,

CEDH 2010-... ; Jasar c. l’ex-République yougoslave de

Macédoine, no 69908/01, 15 février 2007 ; Natchova et

autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98,

CEDH 2005-VII ; Nikolova et Velitchkova c. Bulgarie, no

7888/03, 20 décembre 2007 ; Nita c. Roumanie, no

24202/07, 26 janvier 2010 ; Raninen c. Finlande, 16

décembre 1997, Recueil 1997-VIII ; Ribitsch c. Autriche,

4 décembre 1995, série A no 336 ; Scordino c. Italie (no

1) [GC], no 36813/97, CEDH 2006-V ; Selmouni c.

France [GC], no 25803/94, CEDH 1999-V ; Tekin c.

Turquie, 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-

IV ; Tomasi c. France, 27 août 1992, série A no 241-A ;

Vladimir Romanov c. Russie, no 41461/02, 24 juillet

2008

DDRROOI IITTSS AA DDEESS

EELLEECCTTI IIOONNSS LLI IIBBRREESS

L’article 3 du Protocole n°1

ARRET PILOTE

GREENS ET M.T. C. ROYAUME-UNI

23.11.2010

Violation de l’article 3 du Protocole no 1

Non violation de l’article 13

Le Royaume-Uni n’a toujours pas

modifié sa législation retirant

systématiquement aux détenus

condamnés le droit de voter aux

élections nationales et européennes.

Les requérants, qui purgeaient tous deux une peine

de prison, avait adressé au service d’inscription sur

les listes électorales un formulaire d’inscription sur

lequel ils indiquaient à la rubrique « adresse » la

prison Peterhead. Ils arguaient qu’en vertu de l’arrêt

Hirst c. Royaume-Uni (no 2), le service

d’inscription était tenu de les inscrire sur la liste

électorale. Le service d’inscription refusa de donner

suite à la demande des requérants, au motif qu’ils

étaient détenus à la suite d’une condamnation. Ils

contestèrent ce refus, en vain.

En vertu de l’article 3 de la loi de 1983 sur la

représentation du peuple, tous les individus purgeant

une peine privative de liberté perdent

systématiquement le droit de vote, quels que soient

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 14

la durée de la peine, la nature ou la gravité de

l’infraction dont ils ont été reconnus coupables, ou

encore leur profil personnel. Cette loi n’a pas été

modifiée depuis l’adoption de l’arrêt Hirst. Les

requérants ne purent prendre part aux élections

législatives tenues au Royaume-Uni le 6 mai 2010.

La perte systématique du droit de vote prévue par

l’article 3 de la loi de 1983 a été étendue aux

élections au Parlement européen par l’article 8 de la

loi de 2002 sur les élections au Parlement européen.

Les requérants ne purent donc pas non plus voter aux

élections européennes du 4 juin 2009.

Les requérants soutenaient que le refus de les

inscrire sur la liste électorale et l’impossibilité dans

laquelle ils s’étaient dès lors trouvés de voter aux

élections nationales et européennes avaient emporté

violation de l’article 3 du Protocole no 1. Ils se

plaignaient en outre de la perspective de ne pouvoir

participer aux élections au Parlement écossais de mai

2011. Enfin, ils invoquaient l’article 13.

Décision de la Cour

Article 3 du Protocole no 1

La Cour observe que la qualité de détenus

condamnés des requérants les a empêchés de voter

aux élections européennes de juin 2009 et aux

élections législatives de mai 2010. Cependant, l’un

comme l’autre étaient libérables avant les élections

au Parlement écossais du 5 mai 2011. Elle

n’examine donc leurs griefs tirés de l’article 3 du

Protocole no 1 qu’en ce qui concerne les élections de

2009 et 2010.

L’article 3 de la loi de 1983 n’a pas été modifié

depuis l’arrêt Hirst. En conséquence, les requérants

n’ont pas pu voter aux élections législatives de mai

2010. Du fait de la loi de 2002, ils n’ont pas pu non

plus voter aux élections européennes de juin 2009.

La Cour conclut donc à la violation de l’article 3 du

Protocole no 1 dans le chef des deux requérants.

Article 13

La Cour rappelle que l’article 13 n’exige pas un

recours par lequel on puisse dénoncer, devant une

autorité nationale, les lois d’un Etat contractant (dans

le cas des requérants, l’article 3 de la loi de 1983 et

l’article 8 de la loi de 2002) comme contraires en

tant que telles à la Convention ou à des normes

juridiques nationales équivalentes. Il n’y a donc pas

eu violation de l’article 13.

Article 41

La Cour juge « regrettable et préoccupant » que, cinq

ans après l’arrêt Hirst, le Royaume-Uni n’ait

toujours pas pris de mesures pour modifier les

dispositions litigieuses. Toutefois, elle considère

qu’il ne serait pas approprié en l’espèce d’octroyer

une indemnisation exemplaire ou punitive.

La Cour dit que le Royaume-Uni doit verser aux

requérants 5 000 euros (EUR) pour frais et dépens

concernant la procédure devant la Cour au vu des

observations écrites substantielles. La Cour souligne

néanmoins que dans d’éventuelles affaires

semblables à l’avenir, elle considérerait

vraisemblablement qu’il n’est pas nécessaire ni

raisonnable d’engager des dépens aussi importants,

et n’octroierait pas de somme à ce titre.

Article 46

La Cour décide d’appliquer à l’affaire sa procédure

d’arrêt pilote, en vertu de l’article 46, compte tenu

de la lenteur du Royaume-Uni à exécuter l’arrêt

Hirst et du nombre important de requêtes répétitives

qu’elle a reçues peu avant les élections législatives

de mai 2010 et dans les six mois qui ont suivi.

Mesures spécifiques La Cour souligne que le constat

d’une violation de l’article 3 du Protocole no 1 en

l’espèce est la conséquence directe du fait que l’arrêt

Hirst ne soit pas encore exécuté.

La Cour a reçu environ 2 500 requêtes dans

lesquelles était formulé un grief analogue, dont 1

500 ont été enregistrées. Ce chiffre continue de

grossir, et chaque nouvelle élection apportera de

même son lot de nouvelles requêtes si la loi n’est pas

modifiée.

Selon la Commission pour l’égalité et les droits de

l’homme du Royaume-Uni, le pays compte en

permanence 70 000 détenus environ. Tous sont des

requérants potentiels. Le manquement du Royaume-

Uni à introduire les propositions législatives en

question n’est pas seulement une circonstance

aggravante en ce qui concerne sa responsabilité au

regard de la Convention pour la situation actuelle ou

passée, il constitue également une menace pour

l’efficacité future du système de la Convention.

La Cour rappelle que dans l’arrêt Hirst, la Grande

Chambre a laissé au Royaume-Uni le soin de décider

de quelle manière précisément garantir l’exercice du

droit de vote consacré par la Convention.

L’exécution de cet arrêt est actuellement soumise au

contrôle du Comité des Ministres. Le Gouvernement

ne conteste pas que des mesures générales soient

nécessaires au niveau national pour assurer la bonne

exécution de cet arrêt. Il est clair également qu’une

modification législative est nécessaire pour mettre le

droit électoral interne en conformité avec la

Convention. Compte tenu de la longueur du délai

déjà écoulé et de l’absence de résultats, la Cour,

comme le Comité des Ministres, tient à exhorter le

Gouvernement à trouver dans les meilleurs délais la

solution la plus efficace possible pour assurer le

respect de la Convention.

La Cour estime que le Royaume-Uni dispose de

plusieurs solutions et qu’il devrait, après avoir

procédé aux consultations appropriées, commencer

par déterminer comment assurer le respect de

l’article 3 du Protocole no 1 grâce aux propositions

législatives qui seront faites. Ces propositions

seraient alors examinées par le Comité des Ministres.

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 15

Si elle ne juge pas approprié de préciser la teneur de

ces propositions à venir, la Cour estime que la durée

écoulée à ce jour impose d’adopter un calendrier. En

conséquence, elle fixe au Royaume-Uni un délai de

six mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera

devenu définitif pour introduire des propositions de

modification de l’article 3 de la loi de 1983 et, le cas

échéant, de l’article 8 de la loi de 2002, en vue de

l’adoption de dispositions électorales permettant

d’assurer le respect de l’arrêt Hirst dans le délai que

déterminera le Comité des Ministres.

Affaires analogues

Compte tenu des conclusions auxquelles la Cour est

parvenue dans le présent arrêt et dans l’arrêt Hirst, il

est clair que toute affaire analogue pendante devant

elle satisfaisant aux critères de recevabilité aboutirait

à un constat de violation de l’article 3 du Protocole

no 1. A cet égard, il est regrettable que le

Gouvernement n’ait pas agi plus rapidement, de

manière à rectifier la situation avant les élections

européennes de 2009 et les élections législatives de

2010. En outre, même s’il est à espérer que la

nouvelle législation sera en place dès que possible, il

est loin d’être évident qu’une solution appropriée

aura été adoptée avant les élections au Parlement

écossais, qui sont prévues pour mai 2011 ; et la

conséquence prévisible du maintien du statu quo

d’ici là serait une nouvelle vague de requêtes.

La Cour note qu’il n’est pas nécessaire de procéder à

un examen au cas par cas des affaires analogues pour

déterminer la réparation adéquate, et qu’aucune

réparation pécuniaire ne s’impose. La seule

réparation pertinente consiste à modifier la loi, ce

qui satisfera certes tous ceux qui sont ou pourraient

être concernés par l’interdiction systématique

actuelle, mais ne saurait remédier aux violations

passées de la Convention à l’égard des détenus pris

individuellement. A la lumière de ces considérations

et compte tenu du délai de six mois fixé pour

l’introduction de propositions législatives, la Cour

considère qu’il ne se justifie plus de poursuivre

l’examen de chacune des affaires analogues.

La modification du droit électoral aux fins de

l’exécution de l’arrêt Hirst permettrait également

d’exécuter l’arrêt rendu en l’espèce ainsi que tout

arrêt qui pourrait être rendu à l’avenir dans une

affaire analogue. Dans ces conditions, la Cour estime

qu’elle n’apporterait rien de plus et ne servirait pas

mieux la justice en répétant ses conclusions dans une

longue série d’affaires analogues, ce qui

monopoliserait une partie importante de ses

ressources et ajouterait encore au volume déjà

considérable d’affaires qu’elle a á traiter. Elle

observe en particulier qu’un tel exercice

n’apporterait pas une contribution utile ou

significative au renforcement de la protection des

droits garantis par la Convention.

Partant, la Cour juge approprié de lever l’examen de

toutes les autres requêtes enregistrées soulevant des

griefs analogues dans l’attente de l’exécution par le

Royaume-Uni de l’instruction l’invitant à introduire

des propositions législatives. Lorsque le cas échéant

une telle mesure aura été prise, la Cour pourra rayer

du rôle l’ensemble de ces requêtes, sans préjudice de

sa faculté de les réinscrire en cas de non-exécution

par l’Etat défendeur. La Cour juge également

approprié de suspendre le traitement des requêtes

analogues non encore enregistrées ainsi que des

futures requêtes analogues, sans préjudice de toute

décision consistant à reprendre le traitement de ces

requêtes si nécessaire.

Greens et M.T. c. Royaume-Uni requêtes nos

60041/08 et 60054/08 Violation de P1-3 ; Nonviolation

de l'art. 13 ; Etat défendeur tenu de prendre

des mesures générales ; Préjudice moral - constat de

violation suffisant. Jurisprudence : A. et autres c.

Royaume-Uni [GC], n° 3455/05, § 135, CEDH 2009 ;

Akdivar et autres c. Turquie (Article 50), 1 avril 1998,

§§ 35-38, Recueil 1998-II ; Akdivar et autres c.

Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil des arrêts et

décisions 1996-IV ; B.B. c. Royaume-Uni, n°

53760/00, § 36, 10 février 2004 ; Branko Tomašic et

autres c. Croatie, n° 46598/06, § 73, CEDH 2009

(extraits) ; Broniowski c. Pologne [GC], n° 31443/96, §

189-194 et 198, CEDH 2004-V ; Broniowski c.

Pologne (règlement amiable) [GC], n° 31443/96, §§ 36

et 42, CEDH 2005-IX ; Bourdov c. Russie (n° 2), n°

33509/04, §§ 125, 127, 128 et 146, CEDH 2009 ; Frodl

c. Autriche, n° 20201/04, § 32, 8 avril 2010 ; Hatton et

autres c. Royaume-Uni [GC], n° 36022/97, § 97,

CEDH 2003-VIII ; Hirst c. Royaume-Uni (n° 2) [GC],

n° 74025/01, §§ 52 et 61, CEDH 2005-IX ; Hood c.

Royaume-Uni [GC], n° 27267/95, §§ 88-89, CEDH

1999-I ; Hutten-Czapska c. Pologne (règlement

amiable) [GC], n° 35014/97, §§ 33 et 42, 28 avril 2008

; Hutten-Czapska c. Pologne [GC] n° 35014/97, §§

231-239, CEDH 2006-VIII ; James et autres c.

Royaume-Uni, 21 février 1986, § 85, série A n° 98 ;

Kennedy c. Royaume-Uni, n° 26839/05, §§ 109 et 197,

CEDH 2010 ; Leander c. Suède, 26 mars 1987, § 77

(d), série A n° 116 ; Mentes et autres c. Turquie

(Article 50), 24 juillet 1998, §§ 18-21, Recueil 1998-IV

; Olaru et autres c. Moldova, nos 476/07, 22539/05,

17911/08 et 13136/07, §§ 49, 51, 52 et 61, 28 juillet

2009 ; Roche c. Royaume-Uni [GC], n° 32555/96, §

137, CEDH 2005-X ; S. et Marper c. Royaume-Uni

[GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 134, 4 décembre

2008 ; Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98

et 41963/98, § 249, CEDH 2000 VIII ; Sejdovic c.

Italie [GC], n° 56581/00, § 46, CEDH 2006-II ; Selçuk

et Asker c. Turquie, 24 avril 1998, §§ 116-119, Recueil

1998-II ; Sukhovetsky c. Ukraine, n° 13716/02, §§ 68-

69, CEDH 2006-VI ; Willis c. Royaume-Uni, n°

36042/97, § 62, CEDH 2002-IV ; Wolkenberg et autres

c. Pologne (déc.), n° 50003/99, § 34, CEDH 2007

(extraits) ; Xenides-Arestis c. Turquie, n° 46347/99, §

50, 22 décembre 2005.L’arrêt n’existe qu’en anglais.

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 16

I IINNTTEERRDDI IICCTTI IIOONN DDEE LLAA

DDI IISSCCRRI IIMMI IINNAATTI IIOONN

L’article 14 de la Convention

GRANDE CHAMBRE

La Convention n’oblige pas un Etat

à considérer une requérante

comme l’ayant- droit d’un homme

avec lequel elle était

uniquement mariée religieusement

SERIFE YIGIT C. TURQUIE

2.11.2010

Non-violation de l’article 14 combiné avec

l’article 1 du Protocole no 1

Non-violation de l’article 8

En 1976, la requérante contracta un mariage

religieux (« imam nikahý ») avec Ömer Koç (Ö.K.),

qui décéda le 10 septembre 2002. Le dernier de leurs

six enfants, Emine, naquit en 1990. Le 11 septembre

2003, Mme Yigit introduisit, en son nom et en celui

d’Emine, une action visant à obtenir la

reconnaissance de son mariage avec Ö.K. et

l’inscription d’Emine au registre d’état civil en tant

que fille d’Ö.K. Le tribunal de grande instance

accepta cette dernière demande mais rejeta celle

relative au mariage.

Mme Yigit fit par ailleurs une demande à la caisse de

retraite (« Bað-Kur ») pour qu’elle et sa fille puissent

bénéficier de la pension de retraite et de l’assurance

maladie d’Ö.K. Ils furent accordés à Emine, mais

pas à sa mère, au motif que le mariage avec Ö.K.

n’était pas reconnu légalement. Mme Yigit fit appel

de cette décision, en vain.

Invoquant l’article 8, Mme Yigit se plaignait du

refus par les juridictions turques de lui accorder le

bénéfice des droits sociaux de son défunt

compagnon.

Décision de la Cour

La Grande Chambre a décidé d’examiner le grief de

Mme Yigit non seulement au regard de l’article 8,

mais aussi au regard de l’article 14 combiné avec

l’article 1 du Protocole no 1. Ces derniers articles

sont applicables dans une telle affaire car, même si

l’article 1 du Protocole no 1 ne comporte pas un

droit de percevoir des prestations sociales de quelque

type que ce soit, lorsqu’un Etat décide de créer un

régime de prestations, il doit le faire d’une manière

compatible avec l’article 14.

Article 14 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1

Mme Yigit, mariée sous le régime religieux,

soutenait avoir été traitée différemment qu’une

femme mariée conformément au code civil et qui

aurait demandé à bénéficier des droits sociaux de son

défunt mari. La question que doit trancher la Cour

est celle de savoir si, le cas échéant, cette différence

de traitement était discriminatoire, ou si au contraire

elle était objective et raisonnable, et donc acceptable.

La Cour rappelle que l’article 14 interdit, dans le

domaine des droits et libertés garantis par la

Convention, toute discrimination basée sur une

caractéristique personnelle par laquelle des

personnes ou groupes de personnes se distinguent les

uns des autres. Or, la nature - civile ou religieuse -

du mariage conclu entre deux personnes constitue

assurément une telle caractéristique. Par conséquent,

une « différence de traitement » telle que celle dont

Mme Yigit a fait l’objet pourrait être prohibée par

l’article 14.

Examinant si cette différence de traitement avait une

justification objective et raisonnable, la Cour relève

tout d’abord que la décision prise par les autorités

turques dans son cas poursuivait des buts légitimes, à

savoir le maintien de l’ordre public (le mariage civil

ayant notamment pour but de protéger la femme) et

la protection des droits et libertés d’autrui. Elle

examine ensuite s’il existait un rapport raisonnable

de proportionnalité entre le refus des autorités

turques de permettre à Mme Yigit de bénéficier des

droits sociaux de son défunt compagnon et les buts

visés par les autorités.

Sur ce point essentiel, la Cour juge déterminant que,

vu les règles pertinentes du droit turc, Mme Yigit ne

pouvait avoir aucune espérance légitime de

bénéficier des droits sociaux de son concubin. Le

code civil est clair s’agissant de la prééminence du

mariage civil et, consciente de sa situation, Mme

Yigit savait qu’elle devait régulariser son union

conformément au code civil pour être l’ayant droit

de son concubin. Cet aspect distingue nettement la

présente affaire d’une autre affaire récente2, dans

laquelle une femme mariée uniquement selon les

rites de la communauté Rom avait obtenu de la part

des autorités espagnoles le statut d’ « épouse » de

son compagnon (elle avait obtenu, entre autres, des

prestations sociales en sa qualité d’épouse et un

livret de famille). Enfin, la Cour note que les règles

et modalités relatives à la conclusion d’un mariage

civil sont claires, simples et n’imposent pas de

charge excessive aux intéressés ; Mme Yigit – qui

avait 26 années pour contracter un mariage civil -

n’est donc pas fondée à soutenir que des démarches

qu’elle dit avoir entamées pour régulariser sa

situation ont été entravées par de lourdes procédures

administratives.

La « différence de traitement » dont Mme Yigit a fait

l’objet ayant eu une justification objective et

raisonnable, la Cour conclut, à l’unanimité, qu’il n’y

a pas eu violation de l’article 14 de la Convention

combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.

Article 8

La Cour réitère le constat déjà fait par la Chambre,

selon lequel Mme Yigit, son compagnon et leurs

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 17

enfants constituaient une famille (Mme Yigit s’est en

effet mariée religieusement avec Ö.K, a vécu avec

lui jusqu’à sa mort, et eu six enfants avec lui, dont

les cinq premiers inscrits au registre d’état civil de

leur père). Elle peut donc prétendre au droit au

respect de sa « vie familiale ».

Or, la Cour constate que Mme Yigit et son

compagnon ont pu vivre en famille paisiblement, à

l’abri de toute atteinte à leur vie familiale de la part

des autorités nationales. Le fait qu’ils aient opté pour

le mariage religieux comme régime matrimonial et

ne se soient pas mariés civilement n’a pas entraîné

de sanctions de nature á empêcher Mme Yigit de

mener sa vie familiale de manière effective au sens

de l’article 8.

La Cour précise que l’article 8 ne saurait

s’interpréter comme imposant à l’Etat l’obligation de

reconnaître le mariage religieux : l’article 8

n’impose pas à l’Etat d’instaurer un régime spécial

pour une catégorie particulière de couples non

mariés. C’est pourquoi le fait que Mme Yigit n’ait

pas la qualité d’héritière n’implique pas en soi qu’il

y ait eu atteinte à ses droits en méconnaissance de

l’article 8.La Cour en conclut, à l’unanimité, qu’il

n’y a pas eu violation de l’article 8.

Serife Yigit c. Turquie : requête no 3976/05

Exception préliminaire rejetée (épuisement des voies

de recours internes) ; Non-violation de l'art. 14+P1-1 ;

Non-violation de l'art. 8. Droit en cause : Loi sur la

sécurité sociale ; Articles 134 et 143 du code civil ;

Article 230 al. 6 du code pénal ; Loi n° 3716 du 8 mai

1991 sur le mode d'enregistrement correct de la

filiation des enfants nés dans le mariage ou hors du

mariage ainsi que des enfants issus d'une union non

fondée sur un acte de mariage.

PPRROOTTEECCTTI IIOONN DDEE LLAA

PPRROOPPRRI IIEETTEE

L’article 1 du Protocole ° 1

GRANDE CHAMBRE

Les anciens propriétaires

expropriés ayant dû verser des

frais de justice supérieurs à

l’indemnité allouée, la procédure

est jugée contraire à la

Convention

PERDIGÃO C. PORTUGAL

Violation de l’article 1 du Protocole no 1

16.11.2010

Les requérants se plaignaient que les frais de justice

qui leur avaient été réclamés à l’issue d’une

procédure judiciaire dans laquelle ils contestaient le

montant de l’indemnité qui leur avait été accordée

pour l’expropriation d’un terrain leur appartenant

étaient supérieurs au montant de l’indemnité en

question.

En 1995, un terrain de près de 130 000 m2 qui leur

appartenait fut exproprié en vue de la construction

d’une autoroute. M. et Mme Perdigão n’étant pas

d’accord avec les autorités sur le montant de

l’indemnité qui devait leur être versée, une

commission d’arbitrage conclut qu’ils devaient se

voir allouer une somme de 177 987,17 euros pour le

terrain en question. M. et Mme Perdigão contestèrent

cette décision en mars 1997, revendiquant une

indemnité de plus de 20 millions EUR pour le

terrain, compte tenu des bénéfices qu’ils disaient

pouvoir retirer de l’exploitation d’une carrière

existant sur le terrain. Des expertises ultérieures

évaluèrent le terrain et les bénéfices susceptibles de

résulter d’une exploitation de la carrière à environ 4

millions EUR et 9 millions EUR respectivement.

En juin 2000, la cour rejeta les prétentions de M. et

Mme Perdigão, considérant que les bénéfices

susceptibles de résulter d’une exploitation de la

carrière ne devaient pas être pris en compte. Elle

établit ainsi, en juin 2000, le montant de l’indemnité

à un peu plus de 197 000 EUR et, en avril 2005, le

montant des frais à un peu plus de 300,000 EUR.

Après compensation des sommes dues de part et

d’autre, les requérants restaient ainsi redevables

envers l’Etat de la somme de 111 816,46 EUR. En

septembre 2007, la Cour constitutionnelle, saisie par

les requérants, déclara inconstitutionnelle la

disposition applicable du code des frais de justice

telle qu’interprétée par les juridictions inférieures,

considérant que la somme réclamée aux requérants

était considérable au point d’affecter le droit d’accès

des intéressés à un tribunal. La Cour

constitutionnelle n’ayant pas statué sur le montant

des frais de justice qui devaient en définitive être

acquittés par M. et Mme Perdigão, les intéressés

s’adressèrent à la cour d’appel pour être fixés. En

janvier 2008, la cour d’appel, statuant par une

décision non motivée, décida que les frais de justice

à acquitter par M. et Mme Perdigão ne devaient pas

excéder de plus de 15 000 EUR le montant de la

compensation qui leur avait été accordée.

En définitive, non seulement le montant alloué aux

requérants à titre d’indemnité revint à l’Etat, mais les

intéressés durent encore verser 15 000 EUR

supplémentaires, ce qu’ils firent en février 2008.

Décision de la Cour

Article 1 du Protocole no 1

Applicabilité au grief formulé par les requérants La

Cour relève d’abord que le grief des requérants porte

sur l’application faite en leur cause de la

réglementation relative aux frais de justice. A l’instar

de la chambre, elle estime à cet égard qu’il y a lieu

de considérer les frais de justice comme des «

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 18

contributions » au sens de l’article 1 du Protocole no

1, dont les Etats doivent pouvoir assurer le

recouvrement conformément à leur propre

législation.

Examinant la question de savoir si l’obligation

d’acquitter les frais de justice litigieux doit

s’analyser en une atteinte à leur droit au respect de

leurs biens au sens du paragraphe 1 de l’article 1 du

Protocole no 1, la Cour juge opportun d’examiner la

requête sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1

considéré dans son ensemble.

Sur l’observation par les autorités portugaises de

l’article 1 du Protocole no 1 La Cour rappelle que,

pour être compatible avec l’article 1 du Protocole no

1, une atteinte au droit d’une personne au respect de

ses biens doit d’abord respecter le principe de

légalité et ne pas être arbitraire. Elle doit également

ménager un juste équilibre entre les exigences de

l’intérêt général de la communauté et les impératifs

de la sauvegarde des droits fondamentaux de

l’individu. L’exigence d’un juste équilibre signifie

qu’il doit toujours y avoir un rapport raisonnable de

proportionnalité entre les moyens employés par les

autorités et le but visé. L’équilibre requis est rompu

si la personne concernée a eu à subir une charge

spéciale et exorbitante par rapport à l’intérêt général

de la communauté. Cela étant, la Cour reconnaît à

l’Etat une ample marge d’appréciation, tant pour

choisir les modalités de mise en oeuvre des mesures

en cause que pour juger si leurs conséquences sont

justifiées au regard de l’article 1 du Protocole no 1.

La Cour observe ensuite que les requérants ont vu

leur indemnité totalement absorbée par les frais de

justice qui leur ont été réclamés dans le cadre de la

procédure judiciaire qu’ils avaient entamée aux fins

de faire réviser le montant de l’indemnité. La

procédure était la conséquence de la privation de

propriété qu’ils avaient subie. Après s’être vu allouer

une indemnité en échange de leur terrain exproprié,

M. et Mme Perdigão n’ont en définitive pas perçu la

moindre somme, ce à cause de l’ampleur du

montant, supérieur de 15 000 EUR à celui de

l’indemnité octroyée, que les tribunaux portugais les

ont condamnés à verser au titre des frais de justice.

La Cour relève que si elle n’a pas á examiner dans

l’abstrait le système portugais relatif à la

détermination et à la fixation des frais de justice, il

lui faut se pencher sur l’application qui a été faite de

ce système dans le cas de M. et Mme Perdigão. A cet

égard, force lui est de constater que l’objectif

recherché de mener la procédure d’expropriation de

façon à ne pas mettre à mal le droit des requérants «

au respect de leurs biens » (au sens de l’article 1 du

Protocole no 1) n’a pas été atteint : non seulement

les requérants ont été dépossédés de leur terrain,

mais ils ont dû en outre verser 15 000 EUR à l’Etat.

La Cour fait par ailleurs remarquer qu’il peut

sembler paradoxal que l’Etat reprenne d’une main –

au moyen des frais de justice – plus que ce qu’il a

accordé de l’autre. Dans une telle situation, la

différence de nature juridique entre l’obligation pour

l’Etat de verser une indemnité d’expropriation et

l’obligation pour le justiciable d’acquitter des frais

de justice ne met pas obstacle à un examen global

sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 de la

question de savoir si le montant réclamé à M. et

Mme Perdigão au titre des frais de justice était

proportionné au but que poursuivaient les autorités, à

savoir exproprier les intéressés de leur terrain en leur

versant en échange une juste indemnité.

La Cour relève par ailleurs qu’en sollicitant une

somme importante, les requérants avaient pris,

compte tenu de la législation portugaise en la

matière, le risque d’être condamnés à verser une

somme considérable au titre des frais de justice. Cela

étant, leur comportement ou l’activité procédurale

déployée par eux ne constituent pas une raison apte à

justifier qu’on leur réclame une somme aussi

importante au titre des frais de justice, compte tenu

notamment du montant qui leur avait été alloué à

titre d’indemnité pour l’expropriation de leur terrain.

En conséquence, M. et Mme Perdigão ont eu à

supporter une charge exorbitante qui a rompu le juste

équilibre devant régner entre l’intérêt général de la

communauté et les droits fondamentaux de

l’individu. En conséquence, il y a eu violation de

l’article 1 du Protocole no 1.

Perdigão c. Portugal requête no 24768/06 Violation

de P1-1 ; Dommage matériel et préjudice moral –

réparation. Jurisprudence : Agis Antoniades c.

Royaume-Uni, n° 15434/89, décision de la

Commission du 15 février 1990, Décisions et rapports

(DR) 64 ; AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, §

52, série A n° 108 ; Aires c. Portugal, n° 21775/93,

décision de la Commission du 25 mai 1995, Décisions

et rapports n° 81 ; Beyeler c. Italie [GC], n° 33202/96,

§§ 106 et 114, CEDH 2000-I ; Comingersoll S.A. c.

Portugal [GC], n° 35382/97, § 29, CEDH 2000-IV ;

Depalle c. France [GC], n° 34044/02, §§ 77, 78 et 83,

29 mars 2010 ; Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce

[GC], n° 25701/94, § 89, CEDH 2000-XII ; Gasus

Dosier- und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas, 23

février 1995, § 60, série A n° 306-B ; Iatridis c. Grèce

(satisfaction équitable) [GC], n° 31107/96, § 32,

CEDH 2000-XI ; Iatridis c. Grèce [GC], n° 31107/96, §

58, CEDH 1999-II ; James et autres c. Royaume-Uni,

21 février 1986, § 37, série A n° 98 ; Kreuz c. Pologne,

n° 28249/95, CEDH 2001-II ; Papachelas c. Grèce

[GC], n° 31423/96, § 48, CEDH 1999-II ; Platakou c.

Grèce, n° 38460/97, § 55, CEDH 2001 ; Sporrong et

Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, §§ 61 et 69,

série A n° 52 ; X. c. F.R.G., n° 7544/76, décision de la

Commission du 12 juillet 1978, DR 14 ; X. et Y. c.

Autriche, n° 7909/74, décision de la Commission du 12

décembre 1978, DR 15.

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 19

La France n’a pas honoré ses

engagements contractuels en

refusant à des propriétaires le

droit de construire sur l’île de

Porquerolles.

CONSORTS RICHET ET LE BER C. FRANCE

18.11.2010

Violation de l’article 1 du Protocole no1

Les requérants, Christine Richet, Vincent Richet,

Clothilde Richet, Claudine Richet et Lélia Le Ber,

sont des ressortissants français. Ils résident en

France, à l’exception de Vincent Richet qui réside à

Marrakech (Maroc). Les requérants sont les héritiers

de M. Fournier, qui, en 1912, acquit l’île de

Porquerolles, située au large d’Hyères.

En 1969, l’Etat manifesta son intérêt pour

l’acquisition de l’île auprès de la famille Fournier

qui souhaitait céder une partie de ses terrains. L’Etat

voulait intégrer l’île dans son domaine privé pour

éviter le morcellement et la dégradation accélérée du

site. Durant les négociations, l’Etat aurait précisé

aux propriétaires qu’il ne pouvait rivaliser avec les

offres d’achat privées, ni même offrir une valeur

correspondant à l’estimation du Service des

domaines mais qu’il lui était, en revanche, possible

de garantir la valeur de la part de la propriété non

vendue en figeant et garantissant les droits de

construire.

A l’issue des négociations, des promesses de vente

furent signées les 17 et 23 décembre 1970. Il fut

convenu que Mme Richet pourrait conserver un

domaine réduit et construire des bâtiments à usage

d’habitation, et que Mme Le Ber pourrait garder des

terrains, agrandir son hôtel restaurant, construire des

bâtiments à usage d’habitation ainsi qu’un

établissement pour personnes handicapées. Le 18

janvier 1971, la commission nationale des opérations

immobilières et de l’architecture (« CNOIA ») émit

un avis favorable à la réalisation de cette opération et

précisa que le nombre de mètres carrés éligibles au

droit de construire devait être invariable et ne

pouvait être affecté par les vicissitudes du

Groupement d’urbanisme des Maures. Les ventes

eurent lieu les 4 et 17 mai 1971.

En 1978, un projet de plan d’occupation des sols («

POS ») de la commune d’Hyères-Les-Palmiers fut

élaboré en vue de préserver complètement l’île

contre les constructions nouvelles. Constatant que ce

projet ne tenait aucunement ou partiellement pas

compte des engagements de l’Etat résultant des actes

de vente, les requérants saisirent les autorités,

notamment le préfet, en vain. Le POS fut approuvé

en 1985 et l’île fut classée en zone inconstructible en

raison de sa valeur environnementale.

En vertu de ces nouvelles règles d’urbanisme, les

demandes respectives de permis de construire des

consorts Richet et de Mme Le Ber furent refusées.

Ils saisirent en vain les autorités administratives qui

considérèrent que les tribunaux judiciaires étaient les

seuls compétents à connaître de la demande de Mme

Le Ber. En 1994 et 1995, les consorts Richet et Mme

Le Ber saisirent donc les juridictions judiciaires. La

Cour de cassation confirma, concernant Mme Le

Ber, que l’Etat avait consenti la possibilité de

construire en fonction de la réglementation

applicable au moment de l’échange des

consentements, sans garantir des droits à construire

définitifs indépendants des règles d’urbanisme

ultérieures. S’agissant du recours de Mme Richet, le

tribunal de grande instance de Toulon a estimé que

l’Etat ne pouvait s’engager à lui garantir, par simple

contrat de droit privé, un droit de construire qui lui

serait définitivement acquis. Le pourvoi en cassation

des consorts Richet qui reprirent la procédure à la

suite du décès de Mme Richet ne fut pas admis.

En 2009, les consorts Richet furent en outre

déboutés de leur action pour dysfonctionnement du

service public de la justice. L’affaire est

actuellement pendante devant la cour d’appel de

Paris.

Invoquant en particulier l’article 1 du Protocole no1,

les requérants se plaignaient du non-respect par

l’Etat de ses engagements contractuels, soutenant

que la garantie de pouvoir exercer leur droit de

construire avait été la condition à la vente de leurs

terrains à l’Etat à un prix très nettement inférieur à

leur valeur réelle.

Décision de la Cour

Article 1 du Protocole no1

La garantie pour les requérants de pouvoir continuer

leur exploitation agricole et conserver le droit à

construire certains édifices sur leurs terrains était

cruciale dans la négociation, puis dans les actes de

vente et il n’était pas indiqué que la faculté de

construire était subordonnée aux règles d’urbanisme.

La CNOIA a d’ailleurs précisé que les droits de

construire accordés étaient figés et non liés aux

règlements d’urbanisme.

Les requérants ont subi une ingérence dans leur droit

de propriété puisque les autorités les ont empêchés

de jouir, dans les conditions prévues par les actes de

vente, de leur droit de construire sur les parcelles

conservées. L’Etat poursuivait par là un but légitime

d’intérêt général, à savoir la protection de

l’environnement et en particulier la préservation de

l’île de Porquerolles.

Toutes les démarches entreprises par les requérants

pour faire reconnaître et exercer effectivement les

droits de construire accordés par l’Etat ont été

vaines. Saisies par les requérants, les juridictions

administratives se sont déclarées incompétentes,

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 20

jugeant que les contrats conclus avec l’Etat

relevaient du droit privé, et les juridictions

judiciaires ont considéré que les requérants ne

disposaient pas de droits acquis définitifs.

L’Etat n’a pris aucune mesure pour honorer ses

engagements contractuels alors qu’au plus haut

niveau, il était conscient de leur portée et de leur

impact environnemental sur l’île de Porquerolles.

Les autorités n’ont pas non plus recherché de

solution de compromis ou proposé de compensation

aux requérants. Aucune démarche n’a non plus été

entreprise dans le sens des solutions concrètes de

relocalisation ou de substitution proposées par

l’étude d’impact des conventions passées entre l’Etat

et les requérants réalisée en 1977.

Les autorités ont privé les requérants de la jouissance

effective de leurs droits et de la possibilité d’obtenir

soit la remise en cause des actes de vente, soit une

indemnisation pour le préjudice subi. Ils ont ainsi

supporté une charge disproportionnée, qui a rompu

le juste équilibre entre la protection de leur propriété

et les exigences de l’intérêt général.

Autres articles

La Cour n’estime pas nécessaire d’examiner

séparément les griefs des requérants sous l’angle des

articles 6 § 1 et 14.

Article 41 : dommage matériel 800 000 euros

(EUR) et 700 000 EUR à Mme Le Ber. dommage

moral 10 000 EUR à Mme Le Ber et 3 000 EUR à

chacun des autres requérants.

Incidence du contexte de développement

économique d'une région sur

l'appréciation de l'utilité publique

Et de travaux nécessaires à la

viabilisation du site réalisés par la

communauté de communes, sur la notion

de charge excessive

DERVAUX c. France

4 novembre 2010

Non-violation de l’article 1 du Protocole no 1

Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 (protection de

la propriété) à la Convention, Gérard Dervaux se

plaignait du montant de l’indemnisation qui lui avait

été proposé pour l’expropriation, pour cause d’utilité

publique, d’une parcelle agricole lui appartenant sur

la commune d’Onnaing, alors que cette parcelle avait

été vendue à un constructeur automobile pour un

prix deux fois supérieur, en vue d’y installer une

usine.

La Cour estime, eu égard à la nature du grief

présenté par le requérant, que celui-ci pose des

questions de fait et de droit qui nécessitent un

examen au fond. Il s'ensuit que ce grief ne saurait

être déclaré manifestement mal fondé, au sens de

l'article 35 § 3 de la Convention et relève par ailleurs

qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité

et le déclare donc recevable.

Sur le fond, la Cour relève qu'il n'est pas contesté

que l'expropriation en question s'analyse en une

privation de propriété au sens de la seconde phrase

du premier paragraphe de l'article 1 du Protocole no

1, ni que cette mesure était légale au regard du droit

français. En revanche le requérant considère que la

mesure litigieuse n'était pas conforme à l'« intérêt

public ».(§ 46)

La Cour rappelle que, dans le mécanisme de

protection créé par la Convention, il appartient aux

autorités nationales de se prononcer les premières

sur l'existence d'un problème d'intérêt général

justifiant des privations de propriété. Elles jouissent

ici, dès lors, d'une certaine marge d'appréciation

(Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99,

72203/01 et 72552/01, § 91, CEDH 2005-VI).47.

En l'espèce, l'extension de la ZAC concernée visait

à accroître le développement économique de la

région en créant des emplois. La Cour estime par

conséquent qu'elles étaient justifiées par une cause

d'utilité publique.

Quant à la justification de l'ingérence, la Cour

rappelle qu'il ne lui appartient pas de trancher la

question de savoir quel chiffre aurait dû être pris en

compte par les juridictions internes, ni de statuer sur

les allégations de subvention déguisée formulées par

le requérant, mais de contrôler si l'indemnisation qui

lui a été versée a ménagé un « juste équilibre » entre

les intérêts en présence. De même, il n'appartient pas

à la Cour d'examiner si le terrain litigieux bénéficiait

d'une situation privilégiée comme le soutient le

requérant, les juridictions nationales étant les mieux

placées pour connaître de cette question.(§ 49)

La Cour constate d'emblée qu'au cours de la

procédure, le requérant a plusieurs fois modifié la

valeur alléguée de son terrain. Elle observe que la

plupart des propriétaires de parcelles dont les

caractéristiques étaient similaires à celle du

requérant ont conclu un accord amiable avec

l'autorité expropriante sur la base d'une indemnité

principale identique à celle qui a finalement été

accordée au requérant par les juridictions internes.

La Cour observe également que le terrain litigieux a

été revendu à l'entreprise pour un montant hors taxe

équivalent au double de l'indemnité globale accordée

au requérant. Toutefois, comme l'a précisé le

Gouvernement, le prix de revente tient compte

d'aménagements réalisés par la communauté de

communes, notamment de travaux nécessaires à la

viabilisation du site (raccordements aux réseaux

d'eau, d'assainissement et d'électricité).

Compte tenu de ce qui précède, et notamment du

contexte de développement économique de la région

de Valenciennes dans lequel s'inscrit cette affaire, la

Cour considère que l'indemnité allouée au requérant

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010 21

ne lui a pas fait supporter une charge excessive et

qu'elle a ménagé un juste équilibre entre l'intérêt

général et ses droits fondamentaux, justifiant ainsi

l'ingérence dans le droit au respect de ses biens.(§

54) Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 1 du

Protocole no 1.

Dervaux c. France no 40975/07 04/11/2010 Nonviolation

de P1-1 Jurisprudence Jahn et autres c.

Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et

72552/01, CEDH 2005-VI ; James et autres c.

Royaume-Uni, 21 février 1986, série A no 98 ;

Lallement c. France, no 46044/99, 11 avril 2002 ;

Les saints monastères c. Grèce, 9 décembre 1994,

série A no 301-A ; SA Elf Antar c. France (déc.), no

39186/98, 2 mars 1999

Observatoire sans frontières des violations des droits de la

défense et des droits des avocats dans le monde

En soutenant l’IDHAE, ce mois-ci vous êtes intervenus pour:

ALGERIE – 4 novembre

2010 : Tarek Labidi, avocat

et membre du conseil

national pour les libertés en

Tunisie, interdit de rentrer

en Algérie.

Le 4 novembre 2010, vers 17h00,

Tarek Labidi, avocat et membre

du conseil national pour les

libertés en Tunisie, a été interdit

d’entrée en Algérie. Tarek Labidi

avocat et membre du conseil

national pour les libertés en

Tunisie a été interdit de rentrer en

Algérie. A son arrivée à l’aéroport

d’Alger, la police des frontières

l’a réembarqué sur le même avion

en partance vers Tunis, sans lui

fournir la moindre explication.

Invité par la Ligue algérienne de

défense des droits de l’homme

(LADDH) , Tarek Labidi devait se

rendre à Alger pour participer à un

séminaire de formation organisé

par la LADDH et ses partenaires

sur le thème de «La bonne

gouvernance et la société civile au

Maghreb. Le 4 avril 2009, la

journaliste et militante des droits

de l’homme, Siham Bensedrine, a,

elle aussi, connu le même sort.

.Hocine Zehouane l’a appris, lui

aussi, à ses dépens. Parti pour

défendre le journaliste tunisien, le

19 novembre 2009, Taoufik Ben

Brik avait été refoulé de l’aéroport

de Tunis.

VIETNAM – 5 novembre

2010 : Cù Huy Hà Vu,

célèbre opposant à la tête

d’un cabinet d’avocats à

Hanoï, arrêté et poursuivi

pour acte de "propagande

contre l'Etat de la République

socialiste du Vietnam".

Cù Huy Hà

Vu, 53 ans, célèbre opposant à la

tête d’un cabinet d’avocats à

Hanoï, a été arrêté le 5 novembre

dans un ...grand hôtel à Ho Chi

Minh-Ville (sud, ex-Saïgon). La

presse officielle du régime a

annoncé à grand renfort de

publicité son arrestation,

rapportant, photo à l’appui,

qu’une équipe de la Sécurité

publique, procédant à une

opération de contrôle, avait

surpris l’avocat en compagnie

d’une prostituée dans un grand

hôtel de Hô Chi Minh-Ville.

Toutefois, il s'avérait vite que la

prétendue prostituée figurant sur

la photo n'était, en fait, qu'une

avocate de Hô Chi Minh-Ville.

Un site dissident démontrait, après

analyse, que la photo destinée à

compromettre Cù Huy Hà Vu

date, en réalité, du mois de février

précédent et avait été retouchée

grâce à un logiciel photoshop.

L'affaire a toutefois vite quitté le

terrain du vaudeville. La police a

saisi son ordinateur portable et a

entrepris, dans l’après-midi, des

perquisitions à son domicile de

Hanoi.

Dès l’après-midi du 6 novembre,

les enquêteurs du ministère de la

Sécurité publique ont tenu samedi

une conférence de presse pour

annoncer que Cu Huy Hai Vu

avait été arrêté dans le cadre d'une

enquête pour acte de "propagande

contre l'Etat de la République

socialiste du Vietnam", selon

l'article N°88 du Code pénal pour

s'être livré à des activités

oppositionnelles contre l’Etat

vietnamien.

La Fédération des avocats du

Vietnam est véhémentement

intervenue pour déclarer que si Vu

dirige, depuis 2007 un cabinet

d'avocats à Hanoï, avec sa femme

l'avocate Nguyen Thi Duong Ha,

il n'a pas quant à lui officiellement

de licence pour exercer le métier

d'avocat.

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME Supplément 11/2010

22

VENEZUELA 5 novembre

2010 Humberto Prado

Sifontes pris pour cible dans

des déclarations officielles de

responsables du

gouvernement,

Le 5 novembre 2010, Humberto

Prado Sifontes, avocat et

Directeur de l’Observatorio

Venezolano de Prisiones – OVP

(Observatoire vénézuélien des

prisons), a été accusé d’être

l’instigateur de violents incidents

dans les prisons vénézuéliennes.

L’Ombudsman du Venezuela,

Gabriela Ramírez, a lancé une

campagne faisant référence à la

double conduite des organisations

non-gouvernementales qui

travaillent dans le domaine des

droits des prisonniers. Le journal

Nueva Prensa de Guyana a

rapporté les propos de

l’Ombudsman, qui les a accusées

de promouvoir les conflits

internes et les grèves au sein du

système carcéral, afin d’utiliser

ces incidents pour se plaindre

publiquement auprès de la

communauté internationale. .

Déjà, le 5 octobre 2010, le journal

Diario Nuevo País avait rapporté

qu’au lendemain des résultats des

élections législatives du 26

septembre, le Président Hugo

Chavez avait ordonné au

Ministère Public et aux Cours de

Justice, de poursuivre leur

politique répressive de

criminalisation des dissidents

politiques. Humberto Prado

Sifontes, a été accusé de

promouvoir la contestation dans

les prisons, ce qui aurait conduit

aux récentes émeutes qui ont fait

18 morts et 77 blessés chez les

prisonniers.

L’OVP est l’une des principales

organisations au Venezuela qui

travaille pour les droits des

prisonniers et documente des

affaires de violations contre les

personnes détenues au Venezuela.

SYRIE – 7 Novembre 2010 :

Mustafa Ismail condamné

par la Cour pénale militaire

d'Alep à une peine de sept

ans de prison , ramenée à

deux ans et demi de prison.

Le 7 novembre 2010, la Cour

pénale militaire d'Alep a

condamné Mustafa Ismail, avocat

et défenseur des droits des

minorités kurdes de Syrie, à sept

ans de prison. La peine a ensuite

été réduite à deux ans et demi, sur

la base des articles 267 et 278 du

Code pénal syrien. Mustafa Ismail

est un avocat kurde qui a

notamment défendu de nombreux

Kurdes et les Arabes qui ont été

arrêtés pour leurs activités

d'opposition politique, mais il a

également participé activement au

débat public sur les droits de

l'homme. Mustafa Ismail avait été

arrêté le 12 Décembre 2009. Son

procès avait débuté le 26

Septembre 2010 devant la Cour

pénale militaire à Alep.

. Il est le co-fondateur du Kurdish

Human Rights Committee et créa

le Kurdish Center for Democratic

Studies. Il est connu pour être un

membre sympathisant du Syrian

Democratic Union Party.

Le 13 mai 2010, Mustafa Ismail

avait été inculpé d’avoir “planifié

et réalisé des actions visant à

offenser les relations de la Syrie

avec les pays étrangers» et «être

membre d'une organisation

illégale ayant pour but de porter

atteinte à l’unité du territoire

syrien afin qu’une partie de celleci

soit annexée par un pays

étranger”.

IRAN - La Campagne

IDHAE "Libérez Nasrin

SOTOUDEH !" - 12

novembre : Ouverture du

procès de Nasrin Sotoudeh (ou

Sotoodeh).

Actuellement détenue à la prison

Evin, elle a entamé une grève de

la faim le 25 septembre 2010 pour

protester contre ses conditions de

détention, ainsi que le refus des

autorités de lui accorder la

moindre visite ou coup de

téléphone de sa famille. Elle avait

cessé le 23 octobre, après avoir pu

rencontrer son avocate, Nasrin

Ghanayi. Mais le 31 octobre

dernier, constatant que sa situation

ne faisait qu’empirer, elle a

entamé une nouvelle grève de la

faim, sèche cette fois, en refusant

aussi bien de manger que de boire.

Toutefois, le 8 novembre, après

neuf jours , elle a recommencé à

s’alimenter uniquement en eau sur

la demande pressente de ses

avocats et amis. Entre temps, son

père est décédé, mais les autorités

pénitentiaires ne l’ont pas

autorisée à sortir de prison pour

assister aux obsèques. Ses enfants,

son fils et sa fille de trois et onze

ans, qui ont finalement été

autorisés, le 4 novembre dernier, à

lui rendre visite, se sont effondrés

en larmes en la retrouvant, dix

semaines après leur dernière

rencontre, dans un “état très

grave”. Le 11 novembre, son

mari, Reza Khandan, accompagné

du frère et de la soeur de sa

femme, a pu la voir pendant 10

minutes, pour la première fois en

deux mois. Celui-ci a indiqué au

site internet iranien Feminist

School : ” le visage de Nasrin était

tellement creusé que je ne l’ai pas

reconnue. Elle pesait 57 kilos

juste avant son emprisonnement et

a perdu 13 kilos en 10 semaines.

Elle a été soignée en intraveineuse

à deux reprises durant cette

période”. Lors de son procès, qui

a été fixé au 15 novembre, elle

devra répondre des accusations

suivantes : agissements contre la

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME Supplément 11/2010

23

sécurité nationale, réunion et

collusion en vue de perturber la

sécurité nationale, et coopération

avec une organisation de défense

des droits humains, à savoir le

Centre de défense des droits

humains (CDDH) cofondé par

Shirin Ebadi.

IRAN - La Campagne

IDHAE "Halte à la

Répression contre les

Avocats en IRAN !" - 13

novembre 2010 : Sara

Sabaghian , Maryam

Kianarsi et Maryam

Karbasi, arrêtés à l'aéroport

de Téhéran.

Le samedi 13 Novembre 2010, les

autorités iraniennes ont arrêté cinq

avocats, dont trois femmes, Sara

Sabaghian, Maryam Kianarsi et

Maryam Karbasi sur l'aéroport

international Imam Khomeini de

Téhéran. À 4 heures, heure locale,

Sara Sabaghian, Maryam

Kianarsi, et Maryam Karbasi ont

été arrêtés par des agents de

sécurité à Téhéran Imam

Khomeini International Airport

alors que leur avion d'Antalya

(Turquie) venait d'atterrir.Le

Procureur Abbas Jafari Dolatabadi

a confirmé les arrestations et a

déclaré que les avocats ont été

arrêtés pour des raisons de

sécurité de l'Etat. Il n'y a aucune

information sur leur lieu de

détention. Les trois avocates

avaient signé une lettre ouverte en

septembre pour demander la

libération de Nasrin Sotoudeh.

Elles avaient également signé une

pétition en avril 2010 pour

s'opposer à une proposition de loi

qui avait pour but d'alléger des

restrictions sur polygamie.

CHINE - 9 novembre 2010 - Mo

Shaoping, l'avocat de l'écrivain

chinois Liu Xiaobo, empêché de

s'envoler pour Londres à

l'aéroport de Pékin pour raisons

de «sécurité nationale».

Mo Shaoping a

été empêché de quitter le territoire

chinois pour se rendre en Grande-

Bretagne. Il a été bloqué à

l'aéroport de Pékin alors qu'il

s'apprêtait à partir en compagnie

de He Weifang, un professeur de

droit à Université Beijing, qui

avait lui-même été exilé dans la

province éloigné de l'ouest du

Xinjiang en 2009 après avoir

préconisé un projet de réforme de

la justice. Mo Shaoping a été

interrogé à l'aéroport pendant 40

minutes par la police qui lui a

indiqué que son voyage au

Royaume-Uni constituait " une

menace à la sécurité nationale de

la Chine". Mo Shaoping a indiqué

que les autorités le suspectent de

se rendre en Europe pour recevoir

le prix Nobel au nom de Liu

Xiaobo. Mais il a précisé qu'il

devait se rendre à Londres pour

participer à une séminaire qui

devait se tenir mercredi soir 9

novembre, à l' University College

de Londres, auquel il avait été

invité par l'International Bar

Association (IBA), il y a plusieurs

mois et que cet événement était

sans rapport au cas de Liu Xiaobo.

Mo Shaoping a annoncé à la BBC

qu'il allait introduire une

procédure contre les autorités

Chinoises pour lui avoir interdit

que quitter la Chine.

KOWEIT - 22 novembre 2010 :

Mohammed Abdel Qader Al-

Jassem, avocat blogeur féru de

droit français, arrêté et

emprisonné arrêté à son

domicile après sa condamnation

le jour même à un an de prison

ferme pour « diffamation » .

Le 22 novembre 2010 l'avocat,

écrivain et journaliste, éditeur en

chef du quotidien Al-Watan,

Mohammed Abdel Qader Al-

Jassem, 54 ans, a été arrêté à son

domicile et emprisonné après sa

condamnation le jour même à un

an de prison ferme pour «

diffamation » sur l'une des

diverses plaintes déposées contre

lui par le ministre du cabinet de

l'émir, cheikh Nasser Sabah Al-

Ahmad, qui n’est autre que le fils

aîné de l'Emir du Koweït.

Il a été accusé de « calomnie «, «

incitation au renversement du

régime » et « atteinte au statut de

l’Emir », suite à la publication sur

son blog Al Meezan:

http://www.aljasem.org, d’articles

critiques envers la politique

gouvernementale. pour avoir

critiqué régulièrement les

politiciens du pays ces dernières

années sur son blog « Al Meezan

« ainsi que dans trois livres sur la

vie politique du pays.

Mohammed Abdel Qader Al-

Jassem avait été condamné, le 1er

avril 2010, à six mois de prison

ferme pour “calomnie“ à

l’encontre du Premier ministre,

Sheikh Nasser Mohamed Al-

Ahmed Al-Sabah. Au cours de

réunions publiques, il avait

demandé la démission du Premier

ministre, estimant qu’il n’était pas

capable de gérer les affaires du

pays. Mohamed Abdel Qader Al-

Jassem avait fait appel de la

décision. Il a été acquitté par la

cour d’appel du Koweït, le 12

juillet 2010.

Mohammed Al-Jassem a été

observateur dans de nombreux

procès au nom d’organisations de

défense des droits de l'homme. Il

avait été une première fois arrêté

le 10 mai puis sous caution, le 28

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME 11/2010

LE JOURNAL DES DROITS DE L’HOMME Supplément 11/2010

24

juin, après quarante-neuf jours

passés en détention. Au cours de

l’audience, les avocats de la

défense et les médecins ont pu

être entendus par les juges,

soulignant que l’état de santé de

Mohammed Al-Jassem s’était

détérioré depuis le début de sa

détention. Opéré du coeur et de

santé fragile, Al-Jassem a dû être

hospitalisé à la suite d' une grève

de la faim lors de son

incarcération aux mois de mai et

juin 2010.

CHINE – 27 novembre 2010 :

Bai Dongping emprisonné pour

avoir publié sur internet une

photographie des manifestations

en faveur de la démocratie de

1989.

Bai Dongping, 47 ans, un vétéran

de la Place Tienanmen en 1989 a

été arrêté et conduit au centre de

détention du district Xicheng de

Pékin pour avoir publié sur

internet une photographie des

manifestations en faveur de la

démocratie de 1989.

Il est formellement accusé

d’"incitation à la subversion

contre le gouvernement".

C’est la police qui a annoncé les

motifs de son arrestation à sa

femme Yang Dan.

Six hommes, dont des officiers de

la police nationale de sécurité du

District de Xicheng sont arrivés à

une heure le 27 pour le chercher.

Ils ont également emporté son

téléphone portable et son

ordinateur.

Bai Dongping a été relâché

plusieurs heures plus tard mais

averti qu’il ne devait pas essayer

de quitter Pékin. Puis au début de

l’après-midi, ils l’ont rappelé en

l’informant qu’ils désiraient

l’interroger à nouveau. Depuis il

n’est plus revenu. La

photographie avait été postée sur

le très populaire site de chat en

ligne QQ et représentait des

étudiants en train de manifester.

Bai Dongping, qui s’est

récemment converti au

christianisme, a un long passé

politique d’activiste qui remonte

aux événements de Tienanmen. Il

avait alors 27 ans lorsqu’il a

rejoint la Fédération Autonome

des Travailleurs de Pékin. Il est

devenu un important avocat au

sein de la récemment créée

Petitioners’ Rights Defense

Lawyers Association, un groupe

d'avocats chinois dédiés à la

protection des droits de l'homme

en Chine.

Bai Dongping est arrêté pour la

première fois, bien qu’il ait déjà

été placé en vacances forcées par

la police ou prié de demeurer

confiné à son domicile pendant

des événements importants

comme les Jeux Olympiques.

A PARAITRE

Le Rapport 2011 de

l'Observatoire mondial des

violations des droits de la

défense et des droits des avocats

dans le monde. Dans le cadre de

son observatoire mondial des

droits de la défense, l'IDHAE

poursuit sa douloureuse mission

d'alerter sur les cas des avocats

assassinés, emprisonnés ou

persécutés dans ...le monde, le

sinistre bilan annuel est une

occasion renouvelée de réfléchir

sur des conditions d'exercice de

la profession d'avocat. ( 144

pages - Parution 1er trimestre

2011).

.

Supplément au

JOURNAL DES DROITS

DE L'HOMME

IDHAE

L' bservatoire sans

frontières des violations des

droits de la défense et des

droits de l’homme des

avocats dans le monde

Au service des avocats depuis

1984

Directeur de la publication :

Bertrand FAVREAU

Institut des Droits de

l’Homme des Avocats

Européens

European Bar Human

Rights Institute

4-6, rue de la Boucherie

L - 2012 Luxembourg

Copyright © 2010 by

IDHBB and European Bar

Human Rights Institute.

www.idhae.org

e-mail:

idhae@idhae.org



20/06/2011
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