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JURISTES-SOLIDARITÉS

 

 

 

Juristes-Solidarités - Patricia Huyghebaert - mai 2000

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION.....................................................................................................p. 2

1. Etat des lieux des pratiques alternatives de droit en Afrique..............................p. 4

1ère partie : en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale

I. Aperçu du contexte socio-économique et politique dans lequel ont évolué les

services juridiques : des années 80 à nos jours..............................................................p. 6

II. Typologie des actions juridiques en Afrique de l’Ouest et centrale..............p. 11

III. Réflexion sur l’aspect alternatif des services juridiques.. ...........................p. 16

IV. Rôle des parajuristes dans l’usage alternatif du droit............. ..p. 19

V. Les nouveaux défis ?................................................. ....p. 21

VI. Bibliographie............................................................................................p. 22

VII. Développement des sigles.......................................................................p. 24

2ème partie : Etat des lieux des pratiques alternatives de droit au Maghreb......p. 26

Un bref aperçu............................................................... ................p. 28

Quelques repères............................................................................................p. 29

2. Etat des lieux des pratiques alternatives de droit en Amérique Latine.............p. 31

I. Evolution du contexte socio-économique et politique des services juridiques

populaires : des années 70 à nos jours ................................. ..........................p. 33

II. Typologie des pratiques alternatives de droit en Amérique latine................p. 36

III. Réflexion sur l’aspect alternatif des services juridiques populaires.............p.

46

IV. Rôle des juges et des avocats populaires dans l’usage alternatif du droit...p. 49

V. Les nouveaux défis ?.................................................................. ..p. 52

VI. Bibliographie....................................................................... ..........p. 55

VII. Liste des sigles et leur développement.....................................................p. 56

3. Etat des lieux des pratiques alternatives de droit en Asie du Sud et du Sud-Est p. 59

. I. Contexte socio-économique des actions de défense des droits p. 61

II. Typologie des actions juridiques et judiciaires en Asie................................p. 64

III. Réflexion sur l’aspect alternatif dans les actions juridiques et judiciaires

en Asie : quelques éléments............................................................................p. 72

IV. Rôle des avocats et pratiques alternatives de droit en Asie........................p. 74

V. Bibliographie.............................................................................................p. 77

VI. Développement des sigles.........................................................................p. 78

4. Etat des lieux des pratiques alternatives de droit en Europe, en particulier en France .p.

81

I. Un aperçu du contexte dans lequel ont évolué les pratiques de droit en Europe :

des années 70 à nos jours................................................... ..........p. 83

II. Typologie des pratiques alternatives de droit en France..............................p. 88

III. Réflexion sur l’aspect alternatif des pratiques de droit en Europe..............p. 94

IV. Rôle des non-professionnels du droit dans l’usage alternatif du droit.........p.

97

V. Les nouveaux défis ?.................................................................................p. 99

VI. Bibliographie..........................................................................................p. 101

VII. Développement des sigles.....................................................................p. 103

CONCLUSION GENERALE...............................................................................p. 105

Catalogue des publications de Juristes- Solidarités.................. .......................p. 109

INTRODUCTION

Pourquoi cette “capitalisation” ?

Au bout de 10 années d’existence, il s’est avéré opportun de prendre un peu de recul par rapport

aux pratiques alternatives de droit avec lesquelles Juristes-Solidarités est en relation et de

dégager, à partir d’une lecture transversale des documents et réflexions brassés et produits depuis

1989, un document de référence donnant une vision d’ensemble des pratiques, sorte de condensé,

d’état des lieux, d’outil permettant d’appréhender ce qu’elles sont devenues, dans le but de

marquer une étape dans le parcours de Juristes-Solidarités, de tirer des perspectives, de suggérer

de nouvelles actions, de nouveaux champs de réflexion, et pourquoi pas de nouveaux projets

d’avenir.

Soulignons que le terme “d’état des lieux” est préféré à celui de “capitalisation”, car il paraît plus

facilement compréhensible que celui de “capitalisation” qui correspond à un processus qui peut

paraître très élaboré (“formuler l’expérience pour qu’elle devienne un capital au service de tous,

pour qu’elle puisse être partagée, enrichir théorie et pratique”) et dont l’interprétation fait couler

beaucoup d’encre... mais il ne s’agit pas tant de compter sur une méthode bien léchée que de

sentir ce qui vaut la peine et ce qui est réellement possible1. Aussi, notre souci a été de dégager

les questions fondamentales et, lorsque cela était possible, de donner des ébauches de réponses.

Plus particulièrement, ce travail visait à interpeller les pratiques d’utilisation et de production de

droit par les populations au regard d’une série de questions, parmi lesquelles:

- Quelles sont les caractéristiques spécifiques des pratiques alternatives de droit ? En quoi sontelles

novatrices ? Qu’est-ce qui fait qu’une pratique juridique peut être considérée comme

“alternative” ou non ?

- Quelles sont les conditions d’émergence, d’ancrage et de pérennisation de ces pratiques ? Quels

sont les facteurs de réussite et d’échec ?

- Quel est leur droit de cité ? Quels sens prennent-elles dans le contexte où elles ont été générées

et où elles évoluent ?

- Existent-ils des pratiques qui ont débouché sur de véritables dynamiques sociales ?

- Qui sont les acteurs de ces pratiques ? Quel est le rôle des professionnels et surtout des nonprofessionnels

du droit dans la promotion de ces pratiques ?

1 Pierre de Zutter, “Des histoires, des savoirs et des hommes. L’expérience est un capital. Réflexion sur la

capitalisation d’expériences” In dossier pour un débat, Fondation pour le progrès de l’homme, n°35, juillet 1994,

137 p.

Pour la commodité de la lecture, le travail se divise en 4 parties, chacune concernant une région

que Juristes-Solidarités a explorée (Afrique - de l’Ouest et centrale et Maghreb-, Amérique

latine, Asie, Europe). Il a été réalisé à partir de l’analyse transversale de l’ensemble des travaux

accomplis par Juristes-Solidarités depuis plus de 10 ans, en particulier les rapports de mission,

les synthèses documentaires et le bulletin de liaison de Juristes-Solidarités, et tout autre

document jugé utile issu du fond documentaire de l’association.

Les parties principales relatives à l’Afrique, l’Amérique latine et dans la mesure du possible

l’Asie, ont été réalisées en étroite collaboration avec les chargés de mission géographiques,

invités à réagir aux successives versions provisoires.

Enfin, le lecteur est invité à lire ce document avec indulgence...en effet, chacune des parties

aurait pu faire l’objet d’une thèse de doctorat (voire de plusieurs !) tant le sujet est riche et ses

ramifications nombreuses...La difficulté a été de synthétiser toute cette richesse, sans pour autant

pouvoir l’approfondir (compte tenu des contraintes pratiques de temps) ni tomber dans une

vision superficielle, voire simpliste.

Aussi, et peut-être est-ce aussi lié à la nature même des informations, le présent document

constitue davantage un premier pas dans l’exploration des pratiques, amené à se cadenser

progressivement au fur et à mesure des apports qui seront proposés que d’un document final,

figeant une fois pour toutes ces fameuses pratiques...

Etat des lieux des pratiques alternatives de droit

en Afrique

______________________________________________

1ère partie : en Afrique de l’Ouest et centrale

2ème partie : au Maghreb

Ière partie : En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale

I. Aperçu du contexte socio-économique et politique dans lequel ont évolué les

services juridiques : des années 80 à nos jours

En Afrique de l’Ouest, Juristes-Solidarités est principalement en contact avec des organisations

pluridisciplinaires d’appui au développement (Assodiv, Amade, Asared, Cadef, Use...) et avec

quelques services exclusivement juridiques (AJM, AFJB, Cadd...)2.

Les organisations non gouvernementales d’appui au développement mènent, parmi leurs

activités, un travail juridique auprès des populations, à travers un “service juridique”, un “centre

d’aide juridique communautaire” ou encore une “clinique juridique”, selon les terminologies

utilisées. Nées pour la plupart fin des années ’80 dans un contexte de début de démocratisation

(droit de vote, liberté d’expression, liberté d’association...), elles ont articulé leur travail (et

continuent à le faire) autour de deux axes interdépendants :

- la participation à la construction d’un Etat de droit

- la contribution au développement local

Au cours des années ’80, beaucoup de pays d’Afrique concentraient un pouvoir autoritaire;

c’était l’époque des “Eléphants blancs”, des liquidités en pétro-dollars générées par la crise du

pétrole et ayant submergé la région sous forme de prêts ; de la chute des taux des cours des

matières premières ; du début des programmes de réajustements structurels ; de la mise en place

du critère de conditionnalité démocratique par certains organismes financiers d’aide au

développement ; et enfin, du passage de certains régimes africains au multipartisme.

C’est dans ce contexte, face aux difficultés de l’Etat à réagir à tout cela, que des initiatives

populaires commencent à émerger fin des années ’80, début des années ’90 et à se développer.

Le droit apparaît alors pour les acteurs de la société civile comme un champ à investir pour

participer à la fois à la construction démocratique du pays et à son développement.

  • · Le droit est présenté comme un outil de développement

Mener un travail uniquement d’information au droit apparaît quelque peu désuet, si ce travail

n’est pas associé, relié aux besoins essentiels de la vie au quotidien. Ainsi, nombre de ces ONG

associent le travail juridique au traitement de questions économiques (gestion, micro-crédit...),

sociales (santé des femmes, défense de corps de métiers, éducation et alphabétisation

fonctionnelle...) et/ou politiques (processus électoraux, décentralisation, lutte contre les pratiques

de corruption et les abus de confiance et de pouvoir des autorités étatiques, (comme la “vente de

2 Voir développement des sigles au point VI

consciences” dans les processus électoraux...) tout en évitant de prendre des voies par trop

militantes ou revendicatives...3

Ces ONG pluridisciplinaires, composées de juristes et non-juristes, agissent sur le terrain du

droit, que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural 4, quelle que soit leur tendance religieuse

(chrétienne ou musulmane). Elles apparaissent comme des structures intermédiaires poursuivant

l’objectif de la construction d’un Etat de droit et de la démocratie à travers des actions de

formation, de sensibilisation et d’éveil de conscience au droit auprès des populations.

Ce travail d’information juridique, d’éducation ou d’éveil au droit, est jugé essentiel pour

permettre à des communautés ou des groupements professionnels de petits paysans, d’artisans ou

autres..., de s’auto-organiser, de s’auto-gérer ; la connaissance des lois y apparaît également

comme un moyen d’alléger le climat de crainte ou de suspicion entretenu par rapport à l’Etat.

  • · Le droit au développement passe par la participation des populations et la lutte

contre l’ignorance des populations de leurs droits

Dans l’ensemble, les ONG consacrent leur travail d’information sur le droit à la poursuite d’un

objectif de lutte contre l’ignorance et la pauvreté et/ou d’un objectif d’une meilleure

compréhension des lois permettant de faire le lien entre les notions pratiques du droit et la vie

quotidienne. La participation populaire est vue comme pouvant et devant “aider les populations à

accéder aux ressources juridiques nécessaires pour jouir du droit au développement” [voir le

préambule du projet de statut du parajuristes conçu dans le cadre du projet Renforts] : Si la

Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, de 1981, proclame le droit au

développement, ce droit n’a de sens que si les conditions concrètes de son exercice sont mises en

oeuvre. Pour ce faire, il s’agit d’associer l’ensemble de la population à l’agencement

institutionnel et juridique du pays (le développement ne se mesurant pas uniquement en termes

de croissance économique, ni en termes de nouvelles technologies, mais surtout en termes de

nouveaux rapports humains dans la gestion sociale de la société). C’est dans ce cadre qu’un

travail juridique d’information, d’alphabétisation fonctionnelle, d’éducation, de formation

informelle de para-juristes prend toute son ampleur, ceci dans une région où environ 80% de la

population vit dans l’ignorance absolue de ses droits et ne vit souvent que les aspects répressifs

du droit (répression policière, privations de droits...).

Au début des années ’90, il faut noter que la formation de para-juristes et l’éducation au droit

avec l’aide de parajuristes n’est encore qu’à ses balbutiements. Il ne s’agissait encore que d’un

épi-phénomène dont le Sénégal est apparu comme le pays précurseur (ceci, peut-être en raison de

soutiens financiers importants apportés à cette activité par la CIJ - Commission internationale des

juristes- dans ce pays) 5.

3 Il n’est pas fait référence ici aux associations de défense des droits humains dont certaines sont très contestataires

dans la dénonciation des violations des droits de l’homme de l’Etat.

4 Le milieu rural est le milieu d’intervention privilégié par la majorité des associations du projet Renforts

[programme de formation de formateurs de parajuristes en Afrique de l’Ouest, soutenu par Juristes-Solidarités de

1997 à 1999], même si beaucoup d’entre elles travaillent aussi en milieu urbain.

En Afrique centrale, début ’90, il n’existe pas, semble-t-il, de groupes, au Rwanda et au

Burundi, qui aient des pratiques de formation juridique ou même qui aient engagé une réflexion

sur un projet d’information et de formation à l’action juridique et judiciaire, hormis les actions

spécifiques de défense des droits de l’homme, comme celles engagées par la Ligue Burundaise

des Droits de l’Homme, l’Association Rwandaise de Défense des Libertés publiques (ADL) ou

l’Association Rwandaise pour la Défense des Droits de l’Homme (ARDHO).

Au Zaïre, on retrouve par contre, à Bukavu et Uvira, des initiatives de formation de parajuristes

que ce soit en milieu urbain (parmi des artisans, travailleurs, couturiers, menuisiers, cordonniers,

boutiquiers ou parmi des locataires...) ou en milieu rural (parmi des paysans principalement). Par

ailleurs, sous le régime de Mobutu, grâce à des initiatives populaires, soutenues par des ONG

d’appui au développement ou des associations syndicales, ont permis d’ouvrir des brèches dans

le système, à travers des pratiques comme le dahulage ou les raccordements électriques spontanés

en milieu urbain, ou des actions de lutte contre les escroqueries (menées notamment par des

groupements professionnels), etc...

Depuis le génocide qui a frappé le Rwanda et les guerres dans la région des Grands Lacs, la

plupart des contacts établis par Juristes-Solidarités en 1991/1992 ont disparu. Les quelques

contacts “retrouvés” sont l’ARADHO6 (Rwanda) et ULOMARE (ex-Zaïre devenu RDC)7. Un

nouveau contact a été établi à l’occasion de la conduite du projet Renforts avec la FCDD (RDC),

une ONG de développement menant des animations juridiques dans les marchés, à Kinshasa, et

ayant démarré, à la suite du projet Renforts, un programme de formation parajuridique auprès de

femmes ; une activité qui apparaît dans cette région comme innovante.

A Madagascar, le travail de la majorité des associations rencontrées au cours de la mission de

mars 1999 consistait en des actions traditionnelles de défense des droits de l’Homme (campagnes

de sensibilisation, dénonciation des violations) et d’observation de la vie publique (contrôle

élections, dénonciation du dysfonctionnement de l’Etat de droit...).

S’agissant de l’action parajuridique proprement dite (formation et suivi d’activités de

parajuristes), elle ne connaît pas l’essor constaté dans d’autres régions d’Afrique même si

certaines associations comme Justice et Paix notamment agissent de façon effective dans cette

voie.

Il est important de signaler, par ailleurs, l’existence de luttes collectives comme celle menée par

les paysans de la région d’Antsirabé (Comité pour le droit des paysans) qui, par la mobilisation et

le recours au droit, ont obtenu la propriété des terres auxquelles ils avaient légalement droit.

5 Il en va sans doute autrement pour l’Afrique du Sud où l’environnement anglo-saxon est peut-être plus propice à

des pratiques de prise en charge par la population de ses propres problèmes et au phénomène parajuridique. Notons,

qu’en anglais, il existe des termes assez révélateurs à ce sujet : “law” = droit et “legality” = la manière dont les gens

ordinaires créent le droit dans leur vie quotidienne !. Compte tenu de l’absence de mission de Juristes-Solidarités en

Afrique anglophone, la présente capitalisation se concentre sur l’Afrique francophone - de l’Ouest et centrale.

6 Voir les développements des sigles dans la liste des contact (point VIII)

7 Reprise du contact en l’an 2000, après 5 années d’interruption.

Enfin, que ce soit en Afrique de l’ouest ou centrale, notons que la plupart des groupes

rencontrés en 1991 (environ 22) à l’occasion de la mission d’identification des pratiques

alternatives de droit ont, durant cette dernière décennie, tous plus ou moins traversé des périodes

difficiles, plus ou moins profondes, avec parfois une récupération politique de l’initiative, une

suspension des activités juridiques, voire un arrêt de ces activités, et ceci pour diverses raisons :

difficultés financières8 ; crise dans la gestion interne de l’organisation qui, dans certains cas, s’est

dissoute ; contexte socio-politique peu propice à de telles activités (guerres et génocide en

Afrique centrale, répression policière au Togo) ; changement de cap des initiateurs ....

Par ailleurs, les constats tirés de l’époque étaient un grand isolement de chacune des

organisations rencontrées qui disaient manquer de réflexions, d’échanges avec d’autres

organisations oeuvrant dans le même domaine. Aujourd’hui, il faut remarquer que nombre

d’organisations avec lesquelles Juristes-Solidarités est en relation, que ce soit à travers le projet

Renforts ou en dehors de ce projet, sont reliés à de nombreux réseaux : les partenariats entre

associations africaines sont davantage développés, l’isolement de certaines associations perçu il y

a 10 ans apparaît plus relatif aujourd’hui.

Bien sûr, les situations diffèrent d’un pays à l’autre, voire d’une association à l’autre, mais dans

l’ensemble :

- se sont mis en place et se mettent encore en place un certain nombre de réseaux internationaux

qui regroupent des associations de tous les pays, comme par exemple le RICJ, Réseau

International des Cliniques Juridiques financé par la Coopération canadienne (on y retrouve le

RADI, l’AJM, l’AFJB) ; le WILDAF, Réseau inter-africain sur les violences faites aux femmes

(on y retrouve PF/DS, l’APDF) ; le RIAF DLVF, Réseau inter-africain francophone des Femmes

pour la Défense des Droits et la Lutte contre les violences faites aux femmes ; l’OANEP, le

Réseau d’ONG pour la paix en Afrique ; le RAF, réseau Action femmes regroupant une 40aine

d’ONG féminines de développement en Afrique centrale ; le RECIQ, réseau d’éducation civique

regroupant également des ONG de développement dans la région ; le réseau des éducateurs aux

droits humains en cours de création au Sénégal...et maintenant le RASPAP, Réseau africain des

structures de promotion de l’action parajuridique, suite à l’exécution du projet Renforts 9.

- Par ailleurs, il existe aussi, au niveau national, nombre de structures de concertation réunissant

des ONG (cellules de travail, commissions, campagnes, colloques, etc...) qui se sont mises en

place, parfois à l’initiative des pouvoirs publics, qui sont investies par les associations africaines

et qui correspondent, pour chacune d’elles, à autant d’occasions pour se rencontrer, se côtoyer,

échanger, y compris internationales...

8 Ces difficultés se sont avérées passagères car depuis quelques années, il y a eu un regain d’intérêt des réseaux de

financements dans le domaine des droits humaines (droits de la femme avec le Sommet de Pékin en 1995, 50ème

anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme en 1998, 10ème anniversaire de la Convention des droits de

l’enfant en 1999 ...).

9 Par ailleurs, notons l’existence entre autres de deux réseaux en Afrique anglophone : Network of Southern African

Legal Aid and Legal Advice NGOs [Réseau d’ONGs sud-africaines d’accès au droit et de conseil juridique]basée à

Prétoria (Afrique du Sud) et du Réseau Inter-africain sur les droits de l’homme et le développement (en Zambie).

- Enfin, en ce qui concerne internet, là aussi les choses commencent à changer ... En 1998, selon

une étude réalisée par Globenet, internet paraissait inaccessible en Afrique : 1% des utilisateurs

mondiaux étaient en Afrique, il y avait peu de serveurs par pays, sans compter le coût du matériel

ni le coût de l’abonnement qui était encore très cher, par rapport au coût de la vie sur place. Mais

si l’outil internet n’apparaît toujours pas à la disposition des gens pris individuellement, les

cybercafés commencent à être à la mode dans les grandes villes et beaucoup d’associations

s’équipent. Aujourd’hui, les 22 associations du projet Renforts sont équipées...mais il est vrai

que le recours à cet outil pour communiquer à distance ne semble pas encore intégré par tous

dans la dynamique de travail, le fax restant encore parfois préféré par certains.

II. Typologie des actions juridiques en Afrique de l’Ouest et centrale

Les types d’actions juridiques menées par les ONG dispensant des services juridiques, avec

lesquelles Juristes-Solidarités est en relation, peuvent grosso modo se décliner comme suit:

  • · actions d’assistance-conseil, à travers des permanences juridiques dans des

centres d’écoutes, des cliniques juridiques ou directement sur le terrain 10

(information, avis-conseil juridique et assistance juridique de la population

devant les tribunaux ...).

  • · actions de sensibilisation des populations aux droits, à travers des campagnes,

dans les villages et les quartiers, d’éveil au droit et de sensibilisation de la

population à leurs droits et devoirs11. Parfois, il s’agit de campagnes relayées à un

niveau plus large, national ou international, de sensibilisation aux droits de la

personne. On y retrouve aussi les actions de vulgarisation ou de popularisation

du droit écrit par la diffusion de supports pédagogiques accessibles à la

population : traduction des textes en langue vernaculaire, dépliants didactiques...

Ces actions de sensibilisation se réalisent soit directement dans les villages par la tenue de

journées d’animation, de causerie-débats ; soit indirectement par la formation de parajuristes,

c’est-à-dire ces non-professionnels du droit, qui vont par la suite être à disposition des gens dans

les villages ou en ville, pour toute information juridique. L’essentiel du travail des associations

participantes au projet Renforts consiste à “éduquer la population” au droit (formel) avec, la

plupart du temps, l’aide de parajuristes...

Au sein de la population, les personnes bénéficiaires sont selon les cas et les catégorisations

retenues :

- les femmes (villageoises et citadines)

- le monde rural dans sa globalité

- les chefferies traditionnelles

- les jeunes/enfants

- les prisonniers

- les élus politiques et décideurs économiques

- les membres d’associations...

- les plus pauvres

Les thématiques récurrentes concernent surtout : la condition de la femme/famille (mariages

forcés, enlèvement, viol, excision, adultère, violence domestique, lévirat,...) ; des questions

économiques (droit de propriété, accès à la terre, droit foncier, endettement, micro-crédit...), la

condition des enfants (trafic des enfants, infanticide...), des artisans (contrats de location

10 Notons que nombre de services juridiques mènent un travail d’intervention en milieu carcéral

11 A noter que le terme “devoirs” apparaît souvent dans les écrits plutôt qu’ “obligations”, sans doute pouvons-nous

y voir là une référence claire à la Charte africaine des droits de l’homme, une des rares à ne pas parler uniquement en

termes de droits mais aussi en termes de devoirs.

d’ateliers, gestion des déchets artisanaux...) ; les questions administratives (état civil,

régularisation de papiers administratifs, élections locales, retraites, décentralisation...) ; les litiges

en milieu rural (vols, divagation des animaux, expropriations, gestion de conflits pastoraux..) ; en

matière pénale (garde à vue, arrestation par la police, droits de l’homme...)12.

  • · la formation de para-juristes ou d’animateurs juridiques parmi lesquels : des

femmes (Greffa au Burkina-Faso 95-DF81, CADEF au Mali 37-DF81, Ridd-Fitila

au Niger 26-DF82, GF2D au Togo, 25-DF117), des paysans (Use au Sénégal 39-

DF81, RADI au Sénégal 49-DF81, CLC en Afrique du Sud, 27-DF82, Cadd au

Sénégal, 24-DF117), des villageois (ASSODIV au Bénin, 35-DF117, DEMESO

au Mali), des artisans du secteur informel (TST au Zaïre 20-DF81)...

La formation de parajuristes apparaît comme une activité suscitant une attention particulière de la

part des ONG de développement ces dernières années. La question de l’encadrement et du suivi

du parajuriste est centrale, car elle renvoie à la nécessité d’associer aussi les populations dans une

démarche plus globale. USE, au Sénégal (mais elle n’est pas la seule à observer cela) observe que

la formation de parajuristes seule réduit l’intérêt de l’action et qu’il convient, si on souhaite

qu’elle soit porteuse, de l’engager dans le cadre d’un programme d’action plus large, appuyé par

la population et les associations 13.

La difficulté que nombre d’associations formant des parajuristes rencontrent réside dans le fait

que beaucoup de parajuristes “lâchent”, faute de temps, d’encadrement ou d’engagement

personnel ou de moyens.

Ces actions d’éveil au droit, d’information et de formation juridique débouchent sur des

pratiques :

  • · d’utilisation alternative du droit formel lorsqu’il est bénéfique : voir une

initiative au Sénégal ayant généré des stratégies de contournement de la loi pour

investir les lieux locaux de prise de décision en milieu rural 14 ; ou encore les

actions judiciaires menées au Niger contre l’esclavage en recourant au cadre légal

existant avec le soutien d’un réseau d’anciens esclaves investissant les tribunaux

au moment des procès opposant esclaves et esclavagistes15 ; et d’une façon

générale toutes les adaptations pratiques du droit formel (vu comme malléable)

12 Notons que le thème du “droit au logement”exprimé comme tel n’apparaît pas, à notre connaissance, comme un

thème mis en avant (sauf peut-être dans des mégapodes comme Abidjan....) . Mais cette absence de formalisation

n’empêche pas l’existence d’initiatives soutenues par des locataires, comme celle d’ULOMARE au Zaïre.

13 “Programme d’assistance juridique”, fiche n°39, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives

populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 92

14 “Gestion des communautés rurales : stratégies d’accès du milieu associatif. Union pour la Solidarité et l’Entraide

(Sénégal)”, fiche n°2, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 117, tome3, décembre

1999, p. 21

qui se font au quotidien. Il s’agit de toutes ces initiatives ponctuelles qui ne sont

pas spécialement conceptualisées, formalisées mais qui sont tout simplement

vécues, là.

  • · de neutralisation du droit formel lorsqu’il est dommageable : voir toutes les

initiatives de recours au droit coutumier ;

  • · de création de droits lorsque le droit formel de l’Etat n’offre pas de réponse

satisfaisante ou n’en n’offre pas du tout : voir les pratiques de prévention ou

d’appui aux règlements des conflits, dans les cas de médiation16 ou de palabre ; la

pratique de dahulage ou de raccordements électriques spontanés au Zaïre 17 ; ou

encore des initiatives de proposition de réformes législatives dégagées des réalités

de terrain et proposées par des ONG au gouvernement (voir USE au Sénégal pour

le règlement de conflits pastoraux en milieu rural18...)

En Afrique, le système B, le secteur informel...il y en a partout et depuis longtemps, que ce soit

par rapport à l’eau, l’électricité, la relève des ordures, les écoles pour enfants...est-ce que ces

initiatives prennent appui sur le droit ? Ce serait peut-être une piste à creuser à l’avenir ...

Il faut remarquer, par ailleurs, qu’en matière de création de droits, Juristes-Solidarités a identifié

peu d’initiatives de mobilisations collectives, contestataires, visant un changement de rapport de

forces et débouchant le cas échéant sur de nouvelles synergies sociales 19.

Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’associations contestataires ou de foyers de contestations

dans la région, mais les contestations visent à dénoncer prioritairement les violations des droits

15 “150 ans après l’abolition légale de l’esclavage en France”, in le Courrier de Juristes-Solidarités, numéro 17, mai

1998, p.1 (éditorial)

16 “La médiation : pratique ancestrale (Zaïre)”, fiche n°7, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives

populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996, p. 35 - Au Rwanda, “ la pratique de la “Gacaca” est une pratique très

ancienne de médiation (Rapport de la Rencontre inter-africaine de Cotonou de 1992, p. 108,109). Notons que face à

l’incapacité matérielle actuelle de la justice rwandaise formelle à juger tout le monde à la suite du génocide, Kigali

veut réactiver les “gacacas”, ces tribunaux traditionnels oubliés depuis la colonisation, pour juger les responsables du

génocide (voir Libération, 10 juin 1999).

17 “Le “dahulage” ou raccordement spontané (Zaïre)”, fiche n°10, in “Pratiques du droit, productions de droit :

initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 35

18 “Gestion alternative de conflits pastoraux, Union pour la Solidarité et l’Entraide (Sénégal)”, fiche n°3, in

“Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 117, tome3, décembre 1999, p. 23

19 “L’action juridique du Comité pour la Défense des paysans. Recours au droit coutumier (Madagascar)”, fiche

n°1, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 117, tome3, décembre 1999, p.19

civils et politiques de l’Etat - ce que font des associations traditionnelles de défense des droits de

l’homme et certaines associations pluridisciplinaires, d’appui au développement, ayant un volet

d’action “droits de l’homme”, et non les violations des droits économiques, sociaux ou culturels.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’en Afrique, le souci permanent est la recherche du

consensus. Aussi l’action visant à apaiser l’ordre des choses par la négociation et la recherche

d’un consensus que ce soit avec l’Etat ou toute autre autorité sera généralement privilégiée à

l’action frontale. Il faut noter, par exemple, qu’aucune organisation n’intervient sans une

autorisation municipale pour faire les formations, les animations dans les villages...

Un autre élément d’explication réside peut-être dans le fait que beaucoup de pays d’Afrique ont

connu et connaissent encore des régimes “durs”, ce qui a marqué les esprits. Au Togo, par

exemple, peu d’associations ont investi le terrain du droit, sans doute en raison du contexte

politique sur place. Une association comme Juris-Club qui organise des émissions juridiques à la

radio présente et explique divers sujets juridiques de façon “objective”, sans prendre de position

revendicative type “défendez-vous” par rapport au droit.

Par ailleurs, le rôle politique que de telles ONG peuvent jouer, en promouvant au jour le jour, un

changement d’attitude des plus démunis par rapport au droit, ne semble pas être présenté

sciemment comme un aspect de leur action (hormis quelques-unes)... mais l’est-il en France ?

Enfin, l’Afrique apparaît comme le berceau du pluralisme juridique, ce qui nous renvoie à la

question des rapports entre droit coutumier/droit moderne.

D’un côté, nombre sont ceux qui dénoncent le mimétisme juridique, les lois héritées de la

colonisation, qui s’avèrent inadéquates aux réalités africaines et qui constituent le droit dit

moderne, le droit positif, formel, de l’Etat.

De l’autre, si l’analyse de la situation juridico-sociale de l’Afrique montre un système juridique

souffrant de beaucoup de tares ( le mimétisme juridique ayant abouti à une floraison de textes

hérités de la colonisation, élaborés dans la précipitation, et ne s’adaptant pas aux nouvelles

réalités africaines), la plupart des actions d’éveil ou de sensibilisation au droit, le sont par

rapport au droit positif comme un rappel à la loi, sans pour autant la démystifier et parfois même

en la sacralisant à travers les grands principes comme “nul n’est censé ignoré la loi”, “tous égaux

devant la loi” etc... les actions visant à favoriser l’accès au droit sont en réalité des actions

facilitant l’accès au droit moderne car c’est celui-là qui semble inaccessible. Les actions d’éveil

au droit, de sensibilisation ou de vulgarisation n’y sont pas automatiquement associées à une

vision critique du droit positif (sauf exceptions).

Certaines ONG sont assez radicales par rapport au droit coutumier et se réfèrent au droit moderne

qui s’impose alors presque comme un argument d’autorité au nom du développement (voir au

Mali, le pouvoir des chefferies traditionnelles remis en question par leurs pratiques parfois

abusives et arbitraires et les récentes politiques de décentralisation 20) .

D’autres sont plus pragmatiques et plaident pour un droit moderne, prenant en compte certains

éléments du droit coutumier en vue d’un consensus culturel, ou travaillent à l’évolution du droit

coutumier, des mentalités et comportements qui s’y rapportent, en se référant, pour le faire

évoluer, au propre discours de la coutume et à ses contradictions (voir au Togo, des femmes

parajuristes qui mènent un travail de longue haleine de reconversion des mentalités concernant

par exemple la polygamie ou l’autorité parentale, de même au Mali, en ce qui concerne la

pratique de l’excision21).

20 “Des chefs traditionnels parajuristes. Alliance pour la Sauvegarde et le Renforcement de la Démocratie (Mali)”,

fiche n°37, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 117, tome3, décembre 1999, p.

103

21 Notons qu’à Madagascar, le recours à la pratique coutumière de la dîna, au Sud de Tananarive, fait l’objet

actuellement d’un débat quant à l’opportunité de son institutionnalisation. La dîna peut être un levier pour acquérir

une légitimité dans un processus populaire de prise de décision donnant lieu à un texte opposable devant le

parlement. Ce mode de prise de décision populaire peut aussi arrêter des sanctions qui sont sans appel. A la suite

d’une mission menée par le Ministre de la Justice, il s’est avéré que le recours à la dîna (au demeurant toujours très

localisé) a été mis en place dans certaines localités en raison de l’incurie de l’Etat...

III. Réflexion sur l’aspect alternatif des services juridiques

La réflexion sur le phénomène parajuridique et les services juridiques en milieu rural, ou encore

les modes alternatifs de résolution des conflits en Afrique semble particulièrement poussée,

surtout à travers des structures comme la CIJ (Commission internationale des Juristes, basée à

Genève) ou le Laboratoire d’Anthropologie Juridique de Paris I avec lesquelles Juristes-

Solidarités est en relation.

Il ressort des rapports que les notions de base comme pratiques alternatives de droit, usage

alternatif du droit, droit alternatif, services juridiques alternatifs ou populaires, médiation, sont

des concepts non usités comme tels en Afrique.

Au-delà des concepts, la question qui se pose est de savoir en quoi les services juridiques en

Afrique sont alternatifs, innovants. Le travail des parajuristes se limite souvent à l’information

juridique sans toucher ce qui conceptuellement apparaît comme essentiel au regard d’une

approche alternative du droit, à savoir la compréhension de la mystification du juridique et du

judiciaire ... mais comment démystifier le droit lorsque la majorité des gens ignore qu’elle a des

droits ? ... Est-ce pour autant qu’il n’y a pas d’”alternativité” ? Peut-être s’agit-il d’approcher

l’alternativité autrement...

A la rencontre régionale inter-africaine de Cotonou en 1992, il y a eu beaucoup d’inquiétudes,

semble-t-il, dès qu’on a parlé “d’alternatif”, une sorte de crainte d’aller à l’encontre du droit

positif, “le souci d’éviter de faire entrer les populations dans une dynamique de contestation ou

de soulèvement des populations contre l’appareil étatique”, et la nuance apportée par Manuel

Jacques, fondateur d’un service juridique à Santiago au Chili, présent à la rencontre, semble

soulager les participants “la pratique alternative n’est pas une lutte contre la loi en tant que loi,

c’est une lutte pour que la loi puisse consacrer les droits réels de la communauté et exprimer la

légitimité de la communauté”, dit-il 22.

Lors du premier atelier à la rencontre de Cotonou de 1992 réflechissant à l’existence ou non de

services juridiques alternatifs en Afrique, “il a été constaté qu’il n’existe pas de services

juridiques, purement alternatifs mais des fonctions juridiques alternatives. Chaque association

ou ONG a inscrit dans son programme des fonctions alternatives. Certaines peuvent en avoir

plus que d’autres. Ainsi, que ce soit à l’Assodiv, à l’AJJB, au CERAD, à Ulomare ou à l’ADL, et

ARDHO, ces fonctions existent en partie”23.

En 1999, lors de la Rencontre interafricaine des structures formatrices de parajuristes (projet

Renforts), la majorité des participants ont refusé que soit inscrit, dans les statuts du réseau qu’ils

étaient en train de créer, la mention “production de droit par les populations”, considérant que

22 Rapport de la Rencontre Inter-Africaine sur les Pratiques Alternatives du Droit, organisée par Juristes-Solidarités

et Assodiv, à Infosec-Cotonou du 12 au 17 octobre 1992, au Bénin, p. 23 et p. 30

23 Rapport de la Rencontre Inter-Africaine sur les Pratiques Alternatives du Droit, organisée par Juristes-Solidarités

et Assodiv, à Infosec-Cotonou du 12 au 17 octobre 1992, au Bénin, p. 28

cela pouvait être mal interprété et conduire à des remises en cause abusives du droit positif

existant.

Pour autant, à certains degrés, des éléments “alternatifs” peuvent être dégagés, en particulier dans

l’action parajuridique :

- le fait de former des para-juristes peut être considéré comme un élément alternatif en soi,

puisqu’il s’agit de non-professionnels du droit qui s’approprient la connaissance du droit (ce qui

brise le monopole du savoir juridique détenu par les avocats et autres professionnels du droit...).

Ces non-professionnels du droit sont avant tout des villageois qui s’investissent dans le domaine

juridique, avant d’être membres bénévoles d’une association ;

- le fait de mener un travail juridique auprès des populations, des communautés en allant sur le

terrain vers les gens ;

- le fait d’avoir recours au droit au-delà de la simple information juridique pour résoudre un

problème ponctuel , c’est-à-dire un recours qui s’inscrit dans une perspective pédagogique où le

droit est utilisé comme un outil de développement ;

Quant aux pratiques alternatives de droit en Afrique, celles-ci sont soit difficilement visibles, soit

trop visibles, trop communes, trop nombreuses dans la vie quotidienne...à ce point courantes que

nous sommes peut-être passés (et passons) à côté de pratiques populaires. Durant les 10 dernières

années, nos contacts se sont réalisés essentiellement au travers de structures comme des ONG

d’appui au développement ou des services juridiques (ce qui explique notamment le focus sur la

formation de parajuristes) mais non à travers des mouvements sociaux, populaires. Peut-être qu’à

l’avenir, une attention particulière pourrait être portée à ces mouvements.

Selon l’anthropologue africaniste, Etienne Le Roy, il faudrait parler du droit de la pratique, du

droit vécu par les gens, qui consiste aujourd’hui, en Afrique, en un métissage entre le droit

coutumier et le droit moderne où tantôt l’un, tantôt l’autre est utilisé ; où le droit formel de l’Etat

s’est un peu modifié pour intégrer aussi des éléments du droit coutumier ; où le droit coutumier

s’est lui-même aménagé pour répondre au droit moderne 24. Et c’est ce métissage qui est à la base

de la constitution d’un droit endogène et que l’on pourrait appréhender à Juristes-Solidarités

comme un droit alternatif 25.

Les tensions droit moderne/droit coutumier, individuel/collectif, rationnel/irrationnel,

visible/invisible sont sans doute moins tranchées aujourd’hui qu’hier. L’Afrique d’aujourd’hui

n’est plus celle des communautés au sens strict. De plus en plus de gens agissent, au sein des

24 Par exemple, dans la société baoulé, l’autonomie de la volonté, concept de droit privé vu comme issu de

l’Occident, existe aussi en Afrique : en matière de mariage, lorsque le mariage précoce décidé par la communauté

s’avère sans succès au momen de la puberté, la dot est remboursée et la femme pubère peut alors choisir elle-même

sont futur compagnon pour se remarier.

25 Certains sentent le besoin de construire un consensus théorique sur les pratiques alternatives de droit, en mettant

en place une plate-forme commune à partir de la production d’un droit nouveau (le terme “droit alternatif” n’est pas

utilisé).

communautés, tantôt par rapport à des préoccupations individuelles, tantôt par rapport à des

préoccupations collectives et solidaires. Les gens jouent sur les deux tableaux, en étant et

individu et membre d’une communauté, car aujourd’hui ils se retrouvent face à différents espaces

sociaux qu’ils investissent différemment selon leurs préoccupations, le lieu où ils vivent ou

encore les liens de parenté au sein de la communauté.

Selon Jean-François Bayard, auteur de nombreux ouvrages consacrés à l’Afrique noire, la vision

dichotomique droit coutumier/droit moderne s’avère aujourd’hui faussée. Depuis l’accession à

l’indépendance des pays d’Afrique noire, les droits occidentaux transférés ont connu, selon lui,

des transformations opérées par les gens sur place, qui l’ont adapté à leur contexte.

En extrapolant sa pensée, lorsque l’on parle de droit moderne aujourd’hui, il ne s’agirait donc

plus du droit importé en Afrique tel qu’il existait il y a 40 ans... car, depuis, il serait passé par la

moulinette des politiques africaines, certes par une élite, souvent elle-même formée à l’école

occidentale, mais une élite qui ne le viverait pas pour autant comme un droit exclusivement

exogène...

Michel Alliot, anthropologue et fondateur du Laboratoire d’Anthropologie Juridique de Paris I

en 1968, lui, est plus circonspect. Il considère, par exemple, que le droit du travail tel qu’il a été

conçu en Europe n’est pas du tout approprié au contexte socio-économique des pays d’Afrique

dont bon nombre l’ont pourtant adopté. Mais en réalité, la société africaine a continué à

fonctionner selon ses propres codifications dans les relations de travail et dans les rapports

sociaux de production, le droit moderne du travail constituant plus une vitrine vis-à-vis de

l’Occident que le véritable reflet des rapports entre travailleurs et employeurs.

Pour Robert Vachon, du Centre interculturel de Montréal, “il s’agit pour nous de leur “droit

coutumier”, oral, ainsi que de la façon qu’elles [les cultures traditionnelles africaines] ont de

“composer” avec l’ordre social moderne, de s’en distancer et surtout de l’accueillir ou pas à

partir de leur propre matrice “juridique”. Il s’agit donc d’un droit coutumier africain non défini

en priorité par l’Etat-nation ou par ses juges “officiels” (mêmes Africains) et les professionnels

du droit occidental (les “juristes” ou même les “parajuristes” (?)), mais vécu à la base”

IV. Rôle des parajuristes dans l’usage alternatif du droit

  • · Qui sont-ils ?

Les parajuristes sont des non professionnels du droit, artisans, instituteurs, paysans...qui

apportent aux communautés de base dans lesquelles ils vivent (quartier, village) une information,

une médiation, une aide susceptible de faciliter la résolution de leurs problèmes juridiques. Les

parajuristes jouent aussi un rôle en tant qu’agents du développement en aidant les populations à

faire le lien entre le droit et leur vie quotidienne, à les aidant à rapporter le droit à leur quotidien.

Les parajuristes ne sont pas des médiateurs en tant que tels... ils informent, orientent, peuvent

aider à la résolution des conflits mais n’assurent pas de médiation au sens strict, ce rôle étant

plutôt dévolu au chef de village, tandis que le rôle des parajuristes s’apparente plus à celui du

conciliateur.

  • · Quelles sont leurs activités ?

- Le plus couramment, sensibiliser au droit les populations dans les

communautés/quartiers où elles vivent

- parfois, faire aussi en sorte que les gens prennent en charge leur propre destin, se

réapproprient le droit, à partir d’une approche de démystitification du droit

  • · Parmi les difficultés rencontrées ?

- l’installation d’une certaine dépendance vis-à-vis des parajuristes (à l’instar de la dépendance

dans la relation client-avocat) alors que le but de leur travail est de faire en sorte que les

populations soient autonomes, qu’elles prennent elles-mêmes appui sur le droit pour mener leurs

actions ;

- l’inexistence de moyens d’identification des parajuristes peut rendre leur tâche plus difficile

lorsqu’ils ont affaire à des autorités publiques. Sinon, que ce soit en milieu urbain ou rural, ils ne

sont pas confrontés aux avocats car leur travail n’est pas en concurrence avec celui des avocats.

Lorsqu’il y a besoin de faire appel à une connaissance plus pointue, ils réorientent vers des

avocats ;

- être parajuriste n’étant pas reconnu comme une profession, le document élaboré dans le cadre

du projet Renforts du statut du parajuriste permet d’assurer une reconnaissance de fait de la

fonction, afin d’appuyer le travail des ONG, et les renforcer dans leurs relations avec les

autorités.

- la question de l’encadrement et du suivi du parajuriste est centrale, car elle renvoie à la

nécessité d’associer aussi les populations dans une démarche plus globale. La difficulté que

nombre d’associations formant des parajuristes rencontrent réside dans le fait que beaucoup de

parajuristes “lâchent”, faute de temps, de moyens, d’encadrement ou tout simplement

d’engagement personnel.

- le débat sur la professionnalisation des parajuristes peut, à maints égards, rejoindre celui qui

existe en France sur les enjeux de la professionnalisation des médiateurs...la professionnalisation

de la fonction de parajuriste renforcera-t-elle son action ? Sa légitimité ?

- enfin, la précarité financière que connaissent les parajuristes peut aussi être un frein. Bien que

ces derniers soient bénévoles et qu’il n’y ait pas de phénomène de professionnalisation des

parajuristes (sauf exception auprès de Radi au Sénégal), le besoin d’un minimum d’autofinancement

pour couvrir les coûts de déplacements et de formation s’avère nécessaire. Comment

générer cet autofinancement ? Une question à l’état de réflexion parmi les groupes concernés...

- les parajuristes sont vus, par certaines associations isolées, plutôt comme des “assistants”

juristes que comme des parajuristes à part entière, le travail d’information, de sensibilisation et

d’animation juridique en tant que tel étant effectué par des juristes.

V. Les nouveaux défis ?

- comment promouvoir le droit et les pratiques alternatives de droit en Afrique ? Y-a-t-il entre

ces deux notions opposition ou complémentarité ?

- quelle différence existe-t-il entre droit alternatif et l’ensemble des pratiques juridiques

coutumières ?

- Entre droit positif et droit coutumier : quels liens concrets dans la pratique actuelle ?

- comment penser de façon plurale le pluralisme juridique ? (Etienne Leroy)

- comment repenser aujourd’hui la relation entre droit/démocratie et développement en Afrique,

compte tenu du phénomène actuel de globalisation qui tend vers une universalisation, pas

uniquement économique mais aussi culturelle et dans le domaine des droits de l’homme ?

- faut-il parler de développement et de droit alternatif en Afrique ou s’agit-il plutôt de rechercher

des alternatives au développement et au droit, permettant de retrouver les bases propres de

l’ordre social et de la dignité humaine telles que vécues dans les cultures traditionnelles

africaines et leur matrice culturelle profonde ? (Robert Vachon)

- Existe-t-il, dans le secteur informel, des initiatives populaires développées pour satisfaire des

besoins sociaux-économiques de base qui prennent appui sur le droit ?

- Le phénomène parajuridique pourrait être considéré comme ayant en soi une signification

politique et philosophique très forte car il est au coeur d’un processus global de changement de

société qui donne aux individus la maîtrise de leur propre développement. Aussi, peut-on

considérer aujourd’hui le phénomène parajuridique en Afrique comme précurseur de

changements fondamentaux, moteur d’une dynamique de changement social ?

VI. Bibliographie

  • · Documents réalisés par Juristes-Solidarités

- Rapport de mission en Afrique, Juristes-Solidarités, du 12 novembre 1991 au 8 janvier 1992. Pays

concernés (par ordre de parcours) : Sénégal, Mali, Burkina-Faso, Togo, Bénin, Burundi, Zaïre, Rwanda,

Jean Designe, 52 p.

- Rapport de la Rencontre Inter-Africaine sur les Pratiques Alternatives du Droit, organisée par Juristes-

Solidarités et Assodiv, à Infosec-Cotonou du 12 au 17 octobre 1992, au Bénin, 113 p.

- Rapport de mission de Jaïme Lopez au Togo et au Bénin du 13 au 17 novembre 1995, Réunion avec

Edu Raven et Julien Attakla : évaluation du partenariat Juristes-Solidarités, Comité de suivi, CAPAD et

Appui à la définition d’un plan de travail, document de discussion, Paris, novembre 1995, 12 p.

- Projet Renforts Programme d’ information et de formation à l’action juridique et judiciaire en Afrique

de l’Ouest, septembre 1997

- Compte-rendu interne mission Phase préalable. Pays par ordre de parcours : Mali-Sénégal-Burkina-

Faso-Togo-Bénin, du 18 octobre au 13 novembre 1997, 37 p.

- Rapport de mission Madagascar, “Etude de faisabilité d’un programme de formation de formateurs de

parajuristes”, mars 1999, 38 p.

Les rapports réalisés dans le cadre de la conduite du projet Renforts

Pôle Sahel :

- Rapport du Premier Atelier d’échanges et de formation de formateurs de parajuristes. Thème :

Approche parajuridique dans la prévention et la résolution des conflits (Pôle Mali, Sénégal, Burkina-

Faso, Niger, Guinée), CADEF, Juristes-Solidarités, Bamako, Mali, 16-19 février 1998, 18 p.

- Rapport du Deuxième Atelier d’échanges et de formation de formateurs de parajuristes. Thème :

“Définition d’un statut du parajuriste” et “Structuration en réseau” (Pôle Mali, Sénégal, Burkina-Faso,

Niger, Guinée), CADEF, Juristes-Solidarités, Bamako, Mali, 25-28 mai 1998, 18 p.

- Rapport du Troisième Atelier d’échanges et de formation de formateurs de parajuristes. Thème :

“Techniques de communication appliquées à l’action parajuridique”, “Intervention en milieu carcéral”,

(Pôle Mali, Sénégal, Burkina-Faso, Niger, Guinée), CADEF, Juristes-Solidarités, Dakar, Sénégal, 4-6

novembre 1998,

- Rapport du Quatrième Atelier d’échanges et de formation de formateurs de parajuristes. Thèmes :

l’apport du parajuriste en matière de décentralisation, en matière de processus électoral” (Pôle Mali,

Sénégal, Burkina-Faso, Niger, Guinée), CADEF, Juristes-Solidarités, Dakar, Sénégal, 14-16 avril 1999,

12 p.

- Présentation et Compte-rendu des micro-projets (Pôle Mali, Sénégal, Burkina-Faso, Niger, Guinée),

Volet “appui à l’action des formateurs”, novembre 1999

Pôle Bénin-Togo

- Rapport du Premier Atelier d’échanges et de formation de formateurs de parajuristes. Thème : “Quel est

le statut des parajuristes que nous formons ?”, ASSODIV, Juristes-Solidarités, Cotonou, Bénin, 23-26

février 1998,

- Rapport du Deuxième Atelier d’échanges et de formation de formateurs de parajuristes. Thème :

“Contenu et méthodes de formation du parajuriste”, Assodiv, Juristes-Solidarités, Pahou, Bénin, 2-6 juin

1998,

- Rapport du Troisième Atelier d’échanges et de formation de formateurs de parajuristes. Thème :

“Activités du parajuriste : Mise en oeuvre, suivi et évaluation”, ASSODIV, Juristes- Solidarités, Bagbé,

Togo, 10-13 novembre 1998,

- Rapport du Quatrième Atelier d’échanges et de formation de formateurs de parajuristes. Thèmes :

“Animation juridique : simulation et pratique sur le terrain” , ASSODIV, Juristes-Solidarités, Bagbé,

Togo, 6-9 avril 1999,

Pour chaque session d’Atelier d’échanges et de formation de formateurs de parajuristes, tant dans le pôle

Sahel que le pôle Bénin/Togo, correspond un rapport de mission interne (soit huit rapports au total).

- Présentation et Compte-rendu des micro-projets (Pôle Bénin-Togo), Volet “appui à l’action des

formateurs”, novembre 1999

- Actes de la Rencontre inter-africaine des structures formatrices de parajuristes, Infosec-Cotonou, Bénin,

du 27 au 31 juillet 1999, 58 p.

- Projet de statut du parajuristes du pôle Sahel, 28 mai 1998

- Compte-rendu interne réunion du comité de pilotage, Bénin-Cotnou, 17-20 août 1998, 15 p.

Les publications de Juristes-Solidarités

- les synthèses documentaires réalisées par Juristes-Solidarités (43 fiches sur l’Afrique) :

. “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996

(27 fiches sur l’Afrique)

. “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996

(4 fiches sur l’Afrique)

. “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 117, tome 3, décembre 1999

(12 fiches sur l’Afrique)

- le Bulletin de liaison : “Le Courrier de Juristes-Solidarités”, numéros 1 à 21

  • · Autres documents

- Transitions, Bulletin de liaison, Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris, numéro 24,

septembre 1999, Directeur : Etienne Le Roy, 129 p.

VII. Développement des sigles

Afrique du Sud : - CLC, Community Law Center

- Lawyers for Human Rights

Bénin : - AFJB, Association des Femmes Juristes du Bénin

- AHAVA

- ASSODIV, ASSOciation pour le Développement des Initiatives Villageoises

- CDDH-BIBD, Caritas

- CBDIBA, Centre Béninois pour le Développement des Initiatives à la Base

- FAP, Femme Action Progrès

- NÕNE, Parakou

Burkina Faso : - PF/DS, Promo Femmes / Développement et Solidarité

Burundi : - Les Héritiers de la Justice

- Ligue burundaise des droits de l’homme

Guinée-Conakry : - ADDEF, Association pour la Défense des Droits de la Femme

Madagascar : - Comité pour les droits des paysans

Mali : - AJM, Association des Juristes Maliennes

- AMADE, Association Malienne pour le Développement

- ASARED, Alliance pour la Sauvegarde et le Renforcement de la Démocratie

- CADEF, Comité d’Action pour la Défense de l’Enfant et de la Femme

- DEME SO, La Maison de l’Aide

Niger : - RIDD FITILA, Réseau d’intégration et de Diffusion du Droit en milieu rural

RDC (Zaïre) : - TST, Travail sur le Terrain

- ULOMARE, Union des locataires des maisons et abonnés de la régie d’eau et aux

sociétés d’électricité

- CADI, Comité d’action pour le développement intégral

- BAJ, Bureau d’Assistance Judiciaires

Rwanda : - ADL, l’Association Rwandaise de Défense des Droits de la personne et des Libertés

publiques

- ARDHO, l’Association Rwandaise pour la Défense des Droits de l’Homme

- AZADHO,

Sénégal : - CADD, Comité africain pour le Droit et le Développement

- CIJ-RADI, Centre d’Informations Juridiques du RADI

- USE, Union pour la Solidarité et l’Entraide

- CAEDHU, Centre africain pour l’Education aux Droits Humains

Togo : - CERAD, Centre d’Etudes de Recherches-actions et d’Appuis pour le Dvpt

- CRACD, Centre de réflexion et d’Action pour une Citoyenneté Démocratique

- CRIFF, Centre de Recherche, d’Information et de Formation pour la Femme

- Juris-Club ...

2ème partie : Etat des lieux des pratiques alternatives de droit au

Maghreb

Un bref aperçu

Il a été jugé utile de profiter de la présente capitalisation pour faire un état des lieux des pratiques de

droit au Maghreb même si nous n’avons pas encore suffisamment de recul pour ce faire. En effet, les

contacts que nous avons noués avec cette région sont récents, hormis quelques contacts que nous

avions avec des personnes sensibles à la problématique des pratiques alternatives de droit

(professeurs, chercheurs, permanents d’associations ...). Mais pour l’essentiel, ces contacts se sont

concrétisés par une mission de repérage des pratiques qui s’est déroulée au mois de novembre 1999,

au Maroc.

Aussi la présente note sera relativement succincte et se limitera à dresser une vue d’ensemble des

pratiques et réflexions avec lesquelles Juristes-Solidarités est en contact, d’autant que l’essentiel des

informations ci-après est issu du rapport de mission, effectué à la suite de la mission de repérage des

pratiques au Maroc en novembre dernier, et que les collaborations futures envisagées avec ce pays

permettent de présager de prochaines contributions significatives dans ce domaine.

Depuis l'accession au trône du roi Mohamed VI, le Maroc attire l'attention des observateurs politiques

et économiques au niveau international, notamment en raison des nouvelles directives visant la mise à

niveau de l'économie du pays et la pacification de la société. Un regain de tolérance semble toucher

les initiatives portées par les organisations de citoyens. Au niveau national, le débat politique est très

animé, et un renforcement des institutions démocratiques semble s'amorcer.

Certaines initiatives d'ordre social ont été suivies par l'ensemble de la population ; en particulier la

campagne contre la pauvreté et les campagnes de solidarité avec les handicapés mentaux (10% de la

population), avec les femmes en milieu rural (analphabètes à plus de 80%) ont éveillé un élan

d'espoir qui mobilise les différentes couches de la population et les organisations sociales. Les

organisations de base, pour leur part, commencent à construire des espaces d'échanges et de

solidarité. Ainsi, les associations de défense des droits humains s'éveillent, se mobilisent et s'ouvrent

progressivement à la recherche de partenaires pouvant renforcer leur action et donner une plus large

perspective à leurs pratiques et à leurs réflexions. Dans ce cadre, les dirigeants français se mobilisent

au plus haut niveau pour renforcer les échanges scientifiques, technologiques et économiques. Des

investisseurs nord-américains, en particulier dans le milieu agricole, en font autant.

Toutefois, le véritable enjeu de cette période de transition se situerait plutôt au niveau d'une réelle

démocratisation de la vie politique, par l'augmentation de la capacité d'initiative des partis politiques

et des organisations sociales, par la nécessité d'enrayer la montée de l'intégrisme religieux, par le

respect des droits humains, notamment ceux des femmes, et la reconnaissance des cultures

autochtones, défis majeurs pour réussir la démocratisation et la pacification de la société marocaine.

Quelques repères ... :

  • · Les groupes de terrain

Parmi les groupes rencontrés lors de la mission26- AMDH, Association marocaine des Droits

Humains

- CEOJPFA, Centre d’écoute et d’orientation juridique et psychologique pour Femme

Agressées

- Solidarité Féminine

- LDDF, Ligue Démocratique pour les Droits de la Femme

- Mouvement culturel Amazig (Berbère)

- ADFM, Association Démocratique des Femmes du Maroc, on retrouve des services

juridiques s’adressant à différents publics (des femmes - seules/veuves/répudiées/mères

célibataires/battues...- ; des communautés autochtones - comme le peuple berbère Amazig -;

des personnes marginalisées - analphabètes, chômeurs, handicapés...) et oeuvrant dans

différents domaines :

- le droit des associations

- les droits humains au sens large (dont la promotion des droits culturels des peuples

autochtones)

- les droits de la femme et l’accès des femmes aux droits (santé, travail, maternité, loisirs,

éducation, logement...)

- le règlement des conflits (gestion de conflits communautaires comme ceux liés à l’eau ;

nouveaux systèmes d’accès à la justice promu par l’Etat...)

- la relation entre l’Etat et les communautés ; les interactions entre le droit coutumier et le

droit moderne dans le cadre de la modernisation des institutions de l’Etat.

- la formation de monitrices juridiques (comme nouveau volet d’activités)

- le droit au logement (voir l’expérience à Alger de construction d’habitats illicites en

périphérie)

Parmi ces différents axes, nous avons relevé avec intérêt les méthodes d'intervention

permettant d'allier les formes d'action traditionnelles et modernes, en particulier les

interactions entre le droit coutumier et le droit positif dans le cadre de la modernisation des

institutions de l'État. Nous avons constaté des points forts tels que le courage et la ténacité des

organisations de promotion de la condition de la femme ; la lucidité exprimée par la volonté

d'élargir l'impact en allant du local au national, voire à l'international. Ceci prend alors la

forme d’initiatives et d’actions concertées, notamment au niveau des tentatives de

structuration de la société civile, par la promotion du droit d'association, des droits culturels,

économiques et sociaux.

  • · De même, nous avons observé que certaines expériences sont fragilisées, notamment par

des blocages politiques. Malgré tout, elles se renforcent lorsqu'elles tentent de rompre

l'isolement et prennent appui sur des alliances tactiques et stratégiques passées avec des

partenaires à l'étranger.

  • · En ce qui concerne la réflexion sur ces pratiques de droit, il est utile de

rappeler les contacts que nous avons pu nouer jusqu’à ce jour :

26 - Espace Associatif

- M. Boudris Belaid, universitaire, lié aux initiatives de promotion des droits culturels des

peuples autochtones, notamment du peuple Amazig (Berbère)

- M. Mohammed Naciri, universitaire et chercheur de renommée internationale, expert en

développement rural

- M. Lekbir Ouhajou, universitaire et consultant GTZ, géographe spécialiste en questions de

développement et de formation à l’approche participative (ayant notamment une connaissance

approfondie de la gestion de l’eau dans la vallée du Dra (moyen))

- M. Abdallah Boudhareim, enseignant chercheur à la Faculté de droit de Rabat, spécialiste en

droit social et du travail.

- Mme Nora Talbi, enseignant chercheur à la Faculté de droit de Rabat-Souissi, spécialiste du

droit maritime dans le cadre du fonctionnement de l’industrie de la pêche

- M. Mohamed Nachi, chargé de cours en ethnologie à l’Université de Montpellier III,

Membre du Groupe de Sociologie politique et morale (CNRS et EHESS de Paris), auteur

d’une thèse de doctorat sur “Le sens de la justice. Etude comparative des formes de jugement

et de justification en Tunisie et en France” (1998)

  • · Eléments bibliographiques

- Rapport de Mission au Maroc : Rabat, Casablanca et Agadir, du 1er au novembre 1999,

Maria Teresa Aquevedo, 17 p.

Parmi les fiches rédigées par Juristes-Solidarités, celles concernant le Maghreb sont les

suivantes :

- Ammar et Sammia Bounaira, “Alger : habitat illicite à la périphérie”, fiche n°9, in

Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre

1996, p. 33

- Abdellah Boudahrain, “Réflexions pour un meilleur accès à la justice”, fiche n°96, in

Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre

1996, p. 207

- Mohamed Nachi, “Esquisse d’une approche socio-anthropologique du sens ordinaire de la

justice (Tunisie)”, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF

82, tome2, septembre 1996, p. 107

- Mohamed Nachi, “Le sens de la justice. Etude comparative des formes de jugement et de

justification en Tunisie et en France”, in Le Courrier de Juristes-Solidarités, numéro 19,

avril 1999, p. 4

- Abdellah Boudahrain, “Droit social : résultat d’une domination culturelle ou instrument de

changement ? (Maghreb) ?”, “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives

populaires”, DF 82, tome2, septembre 1996, p. 108

- “Débat conceptuel sur les droits de la femme dans les pays du Maghreb, “Pratiques du

droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome2, septembre 1996, p. 109

- “Information et formation au droit auprès des femmes du Maroc. Association Démocratique

des Femmes du Maroc”, in Le Courrier de Juristes-Solidarités, numéro 19, avril 1999, p. 3

Etat des lieux des pratiques alternatives de droit en

Amérique Latine

I. Evolution du contexte socio-économique et politique des services

juridiques populaires : des années 70 à nos jours

En Amérique latine, les services juridiques populaires se sont notamment développés à

l’époque des dictatures militaires, en réaction à la répression des Etats. Ils menaient alors des

actions de défense des droits civils et politiques. Après les dictatures, avec l’évolution du

contexte politique, social et économique, ces services se sont par la suite engagés dans des

activités visant l’accès à la justice des plus démunis et l’utilisation du droit comme outil de

transformation sociale.

Selon Miguel Presburger, “de la rencontre entre des organisations de défense des droits de

l’homme et des mouvements populaires qui étaient nés sans formalisme [associations de

quartier,...] a commencé, après la dictature, à surgir une nouvelle conception du droit. On

se rend alors compte que sous le concept des droits de l’homme se cachent plus de droits ou

de besoins que n’en défendent les juristes pendant la dictature ; que les droits économiques

et sociaux les plus élémentaires ne sont pas reconnus à de larges secteurs de la population”27.

La naissance de ces services juridiques populaires s’inscrit, en réalité, dans un processus plus

large d'émergence d’organisations non gouvernementales (ONG) agissant surtout dans le

domaine de l’éducation populaire et du travail social qui, face à la répression exercée par la

puissance publique, servent de parapluie entre d’une part, les gouvernements et d’autre part,

les organisations populaires (de quartier, de jeunes, de paysans, de femmes, organisations

professionnelles...) frappées du sceau de l’illégalité sous les dictatures. Dans ce climat, ces

ONG apparaîssent comme les interlocuteurs intermédiaires des pouvoirs publics nationaux et

des organisations internationales, et se substituent aux organisations populaires pour la

conduite d’actions de promotion populaire et la gestion des apports financiers à destination de

la société civile.

Toutefois, le processus de reconstruction démocratique entamé depuis la fin des années ’80 a

eu un certain nombre de conséquences inattendues au niveau de la capacité d’action des

organisations de la société civile. Les flux financiers de la coopération internationale se sont

orientés prioritairement vers les Etats en cours de démocratisation et, dans le même temps,

beaucoup de cadres de ces organisations se sont retrouvés parmi les nouveaux gouvernants

pour participer à la mise en place de politiques publiques. Hormis la “fuite” de leurs cadres,

les ONG, cherchant à se pérenniser, ont traversé aussi une crise de légitimité dans la mesure

où, au fur et à mesure du processus de démocratisation, elles perdaient leur raison d’être

d’origine. En effet, les organisations populaires, reconnues depuis sur la scène politique, ont

commencé à se prendre en charge elles-mêmes, et à participer directement aux discussions

avec les pouvoirs publics sans passer par les intermédiaires qu’étaient les ONG.

Dans les années ’90, d’une part, les Etats se sont progressivement alignés sur le modèle

économique néo-libéral, ce qui a donné une nouvelle image à ceux qui sont devenus

économiquement solvables et qui se sont vus qualifiés de pays “émergents”, et qui, par la

même occasion, sont devenus a priori moins susceptibles de bénéficier de l’aide au

27 Miguel Pressburger, “le droit au service des opprimés”, fiche n°103, in “Pratiques du droit, productions de

droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 223

développement, destinée aux pays les plus pauvres, malgré le phénomène de marginalisation

croissante des populations les plus défavorisées qui frappe aussi ces pays.

D’autre part, les Etats de la région ont, dans le cadre de leur nouvelle stratégie d’intervention

sociale, commencé à utiliser le discours insurrectionnel de gauche - notamment le discours

sur l’accès au droit et à la justice - en faisant référence à des pratiques sociales, développées

anciennement par les organisations non gouvernementales auprès de diverses communautés,

pour le mettre au service de l’idéologie régnante, et à fonctionnaliser les cadres des ONG et

les militants progressistes en vue de légitimer les politiques du système dominant - le

juridique faisant partie intégrante de ce processus. On dit aujourd’hui que l’Etat s’est

approprié le langage, les méthodes et les objectifs des services juridiques populaires.

La préoccupation officielle des Etats de la région pour des réformes de la justice, annoncées

par nombre de gouvernements latino-américains (Chili, Argentine..), a révélé, en réalité, leur

capacité à n’adopter que virtuellement ces réformes.

Comme le remarque German Burgos, les Etats latino-américains n’ont pratiquement rien fait

pour garantir les droits sociaux de leurs populations. Ainsi, les réformes constitutionnelles

amorcées n’ont inclu, que de façon vague et prolixe les droits économiques et sociaux, dans

un contexte de compression obligatoire des dépenses publiques, de privatisation des services

nationaux, de flexibilité de la législation du travail ... La consécration des droits sociaux a eu

pour double conséquence, l’apaisement des tensions et l’encombrement du système judiciaire

et cela, sans permettre aux populations concernées de jouir réellement de leurs droits. Dans

ce contexte, comment appréhender la contradiction entre la prétendue préoccupation de

l’Etat pour l’accès à la justice et son manque réel d’intérêt pour une effectivité des droits

sociaux, moteur de cet accès ?28 .

Le résultat a été, dans la plupart des pays, une fragilisation des ressources humaines et

financières des organisations engagées dans le mouvement social. En même temps, elles ont

été obligées de faire face elles-mêmes à des problèmes qui relèvent normalement de la

politique et de la gestion sociale publique tels que logement, alimentation, éducation, santé...

“L’espace critique”, c’est-à-dire l’espace social de réflexion et d’action pour une

transformation sociale, est aujourd’hui très différent de celui d’il y a dix ans. Au sein même

des services juridiques populaires existants, de nouvelles thématiques surgissent à côté de

vieilles questions qui n’ont pas encore été résolues. On constate également que leur

développement est suspendu, ceci pour des raisons diverses telles que des ajustements

internes (liés notamment au départ, pour raisons économiques notamment, de responsables de

ces services allant travailler soit dans le secteur public, soit dans le secteur privé), ou

l’obtention de résultats parfois peu satisfaisants. A l’université, il semble que la nouvelle

génération d’avocats soit plus formaliste, plus légaliste que la précédente, en particulier celle

formée durant la période des dictatures : l’apprentissage technique des codes est aujourd’hui

privilégié et non le droit, sa critique, au sens large du terme. Dans ce contexte, qui seront les

agents de demain transmetteurs du droit face à la formation de techniciens en porte-à-faux

avec la réalité ? Quelles sont les méthodes les plus simples pour répondre aux besoins

émergeant des luttes des populations cherchant à changer leur réalité, compte tenu de leur

désintérêt pour l’aspect formel du droit ? 29.

28 German Burgos, “Accès à la justice en Amérique Latine”, fiche n°46, in “Pratiques du droit, productions de

droit : initiatives populaires”, DF 117, tome 3, décembre 1999, p. 128

Un dernier aspect significatif de la réalité actuelle est, dans certains pays, le manque de

participation populaire à la gestion de la ville et à la vie politique de la nation ou le blocage à

la participation populaire dans un climat de violence, de crise économique et de

bouleversement des valeurs. Le coordinateur d’une organisation populaire au Guatémala

remarque au sujet du contexte politique dans son pays :“ La guerre de 35 ans a traversé

toute la société guatémaltèque. C’est une société avec une pratique politique autoritaire, très

militarisée, caudilliste et clientéliste. A un moment de notre histoire, nous pensions que

seules les pratiques traditionnelles du droit étaient pertinentes en politique. Mais la gauche

avait la même pratique politique. S’est alors créée toute une culture de non-participation,

empreinte d’une peur de participer. C’est pourquoi, il y a des gens qui ne savent pas ce que

signifie participer à la vie politique. L’activité politique est vue de façon purement négative,

comme la délégation à un autre de sa capacité décisionnelle, de sa responsabilité...”30.

Enfin, aujourd’hui, en l’an 2000, on retrouve au sein des organisations internationales le

discours des organisations populaires et sociales, notamment dans le domaine des droits

économiques et sociaux, que ce soit à l’occasion de conférences internationales, comme les

différents sommets des Nations unies, ou dans le cadre de programmes multilatéraux d’aide

au développement comme le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD).

Ici, nous pouvons constater encore une fois que l’utilisation des concepts ne garantit pas

toujours une amélioration significative des conditions de vie et d’accès à la justice des plus

démunis, à quelques exceptions près31.

29Le Courrier de Juristes-Solidarités, rubrique “Droits au quotidien et développement”, n°12, juillet 1996,

Paris, p. 2

30 Lazaro Garcia, “Serjus, services juridiques et sociaux au Guatémala”, in fiche n°21, in “Pratiques du droit,

productions de droit : initiatives populaires”, DF 117, tome 3, décembre 1999, p. 69

31 voir le cas de José Reina, acquitté par la justice brésilienne après avoir été accusé par les grands propriétaires

terriens qui se sentaient menacés par la force du Mouvement des sans terre luttant pour l’accès à la terre, à la

justice. Ce sont les organisations internationales qui ont pris part à sa défense, une fois n’est pas

coutume...justice a été rendue (voir dernier numéro de DIAL, Lyon, avril 2000)

II. Typologie des pratiques alternatives de droit en Amérique Latine

En Amérique Latine, les services juridiques populaires sont nés à la fin des années '70,

notamment en réaction à la répression des dictatures. Ils font partie du processus plus large

d'émergence des ONG, créées elles pour agir dans le domaine de l'éducation populaire et de la

promotion sociale en vue de donner une réponse là où l'intervention de l'Etat faisait défaut.

Ces ONG ont eu une grande importance dans le développement social de la région32 ; le droit

étant au coeur des actions des organisations populaires.

Les destinataires des groupes d’action juridique varient suivant les organisations : femmes,

peuples indigènes, paysans, populations urbaines défavorisées, étudiants en droit, futurs

avocats... La plupart de ces groupes mènent aussi un travail pour renforcer les organisations

populaires, à travers des actions de formation juridique et de réflexion pour une prise de

conscience de l'importance de leurs règles d'organisation interne, comme celle de leurs luttes

revendicatives, de leur histoire... Ces groupes partagent aussi de nombreux points communs,

comme par exemple au Brésil, où trois organismes en milieu rural (AATR, CPT, CJP33 - au

Brésil) partagent des points communs :

“- dans leur intérêt : renforcer les luttes populaires avec l’accueil et la formation d’étudiants

en droit,

- dans leur méthodologie : tendre à ce que les populations puissent agir par elles-mêmes

- dans leur travail : alliance entre le juridique et le politique (travail juridique, politique,

d’alphabétisation),

- dans leur priorité : former les populations pour qu’elles puissent résister et faire respecter

leurs droits ”34.

Les pratiques sont diverses et multiples. Pour une meilleure lisibilité, elles pourraient être

distinguées comme suit :

- pratique d’information juridique, de sensibilisation au droit, dans le cadre d’actions

d’éducation populaire, la méthodologie d’éducation populaire étant utilisée aussi pour

l’information juridique auprès des populations les plus en difficulté. La radio communautaire

FM Trinidad au Paraguay offre l’antenne aux habitants du quartier pour parler de leur

quotidien, interpeller les autorités pour obtenir gain de cause ; à Rosario en Argentine, il

existe aussi des radios qui favorisent la participation populaire par la prise de parole de tous

les habitants de quartiers pour qu’ils viennent parler de leurs besoins, des manques qu’ils

rencontrent dans le quartier ; de même au Chili, la radio est utilisée aussi dans des

programmes d’accès au droit mais c’est surtout le théatre de rue, populaire, qui permet de

sensibiliser de façon très importante les gens qui sont invités à venir jouer sur scène leur

propre rôle. Ces outils sont des véhicules importants de sensibilisation aux droits ;

32 Manuel Jacques, “Les services juridiques en Amérique latine : évolution des rôles, nouveaux défis, fiche

n°84, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p.

183

33 Pour le développment des sigles, voir liste des sigles et leur développement au point VII

34 Rapport de mission en Amérique Latine, Juristes-Solidarités et Cedal-France, du 2 mars au 29 avril 1990.

Pays concernés (par ordre de parcours) : Brésil, Argentine, Chili, Pérou, Colombie, Méxique. Jean Designe et

Maria Teresa Aquevedo, p. 6

- pratique d’assistance juridique alternative dans le cadre de permanences juridiques, qui se

distinguent des consultations juridiques classiques, tant par les publics ciblés (ex. habitants de

bidonvilles) que par la méthodologie utilisée (implication de la (des) personne(s)

concernée(s) dans la recherche de la solution la plus appropriée) ;

- pratique de formation parajuridique : Parallèment à ces actions, beaucoup de services

juridiques populaires (ci-après SJP) ou d’organisations d’appui au développement mènent un

travail de formation de non-professionnels du droit au droit : formation de parajuristes,

de moniteurs juridiques, de promotrices juridiques populaires, de conseillers juridiques

sont les termes qui se retrouvent le plus souvent ... Concrètement, ces formations sont

dispensées parmi les gens concernés, par exemple des dirigeants de communautés de base

que ce soit en milieu urbain ou rural (Quercum (urbain- Chili) ; Cijesa Whipala (rural-

Bolivie); Cels (urbain- Argentine)) ; des femmes dans des quartiers populaires (Indeso-Mujer

(Argentine), Centre d’étude de la femme (Argentine); des personnes issues d’une

communauté indigène (Ucizoni (Mexique) ; d’artisans-pêcheurs (Conapach-Chili) ; de

paysans (Chiltak-Mexique), de dirigeants syndicaux (Cijesa-Whipala-Bolivie)...

Ainsi, parmi les activités des services juridiques en Amérique Latine, l’éducation et la

formation juridique des populations occupent une place très importante, et cela encore

aujourd’hui 35 ;

- On remarque aussi différents projets de création d’écoles alternatives promouvant une

vision critique de la formation juridique académique (projet soutenu par Juristes-Solidarités

de création d’une Ecole juridique mobile en Amérique Latine, projet de l’AJUP au Brésil de

création d’une nouvelle Ecole juridique Brésilienne ; projet de Serjus au Guatémala de mise

en place d’une école en vue de former à l’exercice de la citoyenneté et de créer un pouvoir

local alternatif).

A côté de ce travail d’éveil au droit, de sensibilisation, d’information, d’éducation et de

formation au droit, il y a aussi des pratiques qui débouchent sur des mobilisations collectives

en vue de satisfaire les besoins les plus élémentaires des secteurs défavorisés de la

population ; parmi lesquelles :

- des actions d’utilisation du droit formel, lorsqu’il est bénéfique ( voir notamment pour

l’accès à l’habitat, l’expérience d’accès à la propriété avec un plan d’épargne-logement au

Chili36) ;

- des actions de neutralisation du droit formel lorsqu’il est dommageable (voir ci-dessus

notamment face à la répression, l’expérience des femmes mexicaines luttant pour un habitat

populaire, soutenues et défendues par un organisme de défense et d’appui juridique

lorsqu’elles sont arrêtées) ;

35 “Outils pédagogiques pour la formation et la réflexion juridique (Amérique latine)”, fiche n°57, in “Pratiques

du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 127

36 Manuel Jacques, “Stratégie de conflit et stratégie de concertation (Chili)”, fiche n°8, in “Pratiques du droit,

productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 31

- des actions de création de droits lorsque le droit formel de l’Etat n’offre pas de réponse

satisfaisante ou n’en n’offre pas du tout (voir les expériences ci-dessus de construction de

quartiers périphériques).

Dans ce dernier type d’actions, l’Amérique Latine apparaît riche en pratiques de création

de droits, en passant par des bidonvilles où naissent de véritables règles d'organisation et

d'urbanisme, aux communautés paysannes qui s'organisent en "Rondas" pour lutter contre le

vol de bétail des “mafias”locales au service de grands propriétaires terriens.

En Argentine, par exemple, après une période difficile marquée par la répression et les

expulsions, les zones d’habitat spontané vont, dès 1981, profiter de l’affaiblissement du

régime militaire, puis de l’avènement de la démocratie, pour se multiplier. Aujourd’hui

[1993], elles sont plus d’une centaine regroupant près de 200 000 personnes qui revendiquent

leur reconnaissance officielle et l’accès aux infrastructures de services publics 37p. 65.

Des services juridiques alternatifs soutiennent aussi des occupations de terrains ou

d’immeubles visant à l’établissement de logements. Ces occupations de terrain sont

généralement préparées pendant plusieurs mois avec des équipes d’architectes, d’urbanistes,

de médecins, d’éducateurs et de juristes, ces derniers soutenant la mise en place de stratégies

de défense collective des populations et le développement de leur capacité critique.

Ce phénomène d’occupations de terrains en vue de l’acquisition de logements (qui, dans la

dynamique et le processus participatif qu’il génère, a notamment inspiré l’association

française Droit au logement) se retrouve un peu partout en Amérique latine, que ce soit en

Argentine, en Colombie à Bogota38, au Chili à Panalolén, au Brésil à Rio de Janeiro, au

Mexique à Mexico...

Au Mexique, à la suite du tremblement de terre de 1985 ravageant la ville de Mexico,

beaucoup de familles vivant auparavant dans des bidonvilles se sont retrouvées sans

logement. Tandis que les promoteurs immobiliers voyaient là une opportunité pour tout raser

et construire plus cher, nombre de femmes de ces familles se sont mobilisées pour tenter de

rester dans ces lieux. Avec l’appui d’un organisme de défense et d’appui juridique (DOAL)

prêt à les soutenir dans leurs démarches et à les défendre en justice en cas d’arrestation par la

police [ce qui a été le cas], elles se sont constituées en association pour avoir une existence

légale. Elles ont alors réussi à acquérir le petit terrain sur lequel étaient les appartements

qu’elles louaient avant le tremblement de terre. Elles y ont construit elles-mêmes, avec

l’appui de militants architectes, un petit immeuble de 3 étages assurant le logement pour les

familles qui s’étaient retrouvées sans lieu de vie. Les femmes sont les seules responsables de

l’association car “elles tiennent à avoir la maîtrise de leur action et de la gestion des résultats

(logements), d’une part parce que les hommes sont moins ou pas mobilisés et d’autre part

pour ne pas prendre le risque de perdre leur logement, les hommes ayant une tendance à

changer facilement de compagne”39.

37 “On trace le chemin en marchant” : une expérience de service juridique populaire (Cisalp-Argentine)”, fiche

n°23, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996,

38 Voir à ce sujet le film colombien “La Estrategia del caracol” (la stratégie de l’escargot) de 1989 très

révélateur quant à la stratégie de lutte utilisée face à la menace d’une expulsion de logements

39 Rapport de mission en Amérique Latine, Juristes-Solidarités et Cedal-France, du 2 mars au 29 avril 1990.

Pays concernés (par ordre de parcours) : Brésil, Argentine, Chili, Pérou, Colombie, Méxique. Jean Designe et

Maria Teresa Aquevedo, p. 38

Depuis, l’efficacité de ces femmes s’est répandue aux alentours, et l’on fait appel à elles dans

d’autres bidonvilles pour résister aux tentatives d’expulsion et de répression de la police, lors

d’occupation de terrains...

Dans ce contexte, est né aussi au Mexique Super Barrio, le “superman” du droit au logement,

figure mythique des défenseurs de pauvres. Habillé tout de rouge en catcheur, masqué, il

investissait avec l’appui des télévisions, au nom des assemblées de quartier, les “Asembles de

Barrios” qui s’étaient constituées à la suite du tremblement de terre, ainsi que les conseils

d’administration chargés d’attribuer les logements sociaux afin que ces derniers soient

octroyés en priorité à ceux qui n’avaient pas de logements. Sur base d’un inventaire des

besoins de logements minitieusement préparé, et prêt à aller jusqu’au bout pour obtenir gain

de cause, il investissait ainsi ces lieux de pouvoir, ces assemblées municipales où d’habitude

tout se négociait en secret, en sous mains, au détriment des plus pauvres. Cela a donné lieu à

une énorme médiatisation de la question aïgue de l’habitat urbain à Mexico.

La plupart de ces occupations de terrain ont été réprimées (les dirigeants ou dirigeantes

arrêtés...) et ce n’est qu’après de multiples luttes de résistance et beaucoup de persévérance,

qu’elles se sont vues entérinées de fait par l’Etat...ceci non pas dans un élan de générosité

humaine de sa part vis-à-vis des sans-logis ou des mal-logés mais pour des raisons

économiques...les compagnies des eaux et de l’électricité voyant là autant de consommateurs

officiels potentiels qui, sans urbanisation reconnue de fait par l’Etat, auraient continué à

utiliser illégalement (c’est-à-dire sans payer) les services en eaux et en électricité (voir les

célèbres “branchés” des bidonvilles latino-américains).

A ce sujet, il est à nouveau utile de faire une parenthèse quant à l’évolution de la stratégie de

défense utilisée : car, avec l’évolution du contexte, il semble qu’on soit progressivement

passé d’une stratégie de conflit, de rupture à une stratégie de concertation. A l’époque

des dictatures, la lutte était claire, frontale. Aujourd’hui, l’Etat est plus ambigü dans son

discours qui emprunte des éléments d’un Etat providence, la confrontation est devenue moins

frontale, les organisations sociales croient l’Etat dans ses promesses et elles s’en retrouvent

souvent fragilisées. Toutefois, dans le cadre de cette dernière stratégie, “ il ne s’agit pas

d’abandonner le conflit mais d’augmenter les chances de réussite, si besoin en négociant

avec les autorités, et ce, en les prenant aussi à leur propre piège : occupations de terrain

face à l’absence de suite réservée par le Ministère aux demandes d’accès à la propriété

effectuées par les membres d’une comunautés dont chacun avait pourtant acquis son propre

livret d’épargne logement qui aurait dû lui donner accès à la propriété. Forts de cette assise

juridique témoignant de leur volonté et de leur sérieux, et confirmés dans leur bon droit, ils

ont ainsi occupé des terrain”40, tout en négociant avec les autorités pour obtenir la

reconnaissance légale des terrains occupés et bâtis.

A côté de la création “ponctuelle” de droits pour satisfaire des besoins sociaux fondamentaux,

il y a aussi des exemples de production de normes par des communautés organisées qui, face

à l’incurie de l’Etat, ont généré leur propre ordre juridique encore existant aujourd’hui. C’est

le cas par exemple des Rondas campesinas, au Pérou.

Il y a énormément de fiches sur les rondas (n°1à 4 DF 81, n°4-DF82, n°24-DF82) et seuls

quelques éléments qui les caractérisent sont ici retenus :

40 Manuel Jacques, “Stratégie de conflit et stratégie de concertation (Chili)”, fiche n°8, in “Pratiques du droit,

productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 31

- création de normes correspondant aux valeurs, conceptions morales et actions des paysans,

- mise en place d’une justice paysanne fondée sur leurs propres principes de justice et

d’équité,

- organisation d’une forme démocratique propre d’auto-régulation où les décisions sont

paratagées par la collectivité toute entière

Par rapport à ces caractéristiques, maintes questions sont généralement suscitées par la

présentation de cette pratique :

- en quoi est-ce une justice alternative ? Reproduit-elle les mêmes schémas de

fonctionnement que la justice formelle ?... : d’une part, ce système de résolution des conflits

s’appuie sur un mécanisme démocratique au sein duquel le pouvoir décisionnel n’est pas

concentré entre les mains de quelques juges, mais partagé par la collectivité toute entière.

D’autre part, il applique des sanctions dites éducatives (travail communal) dont l’objectif

n’est pas de punir mais de réintégrer pleinement l’auteur du délit à la communauté.

- combinant un volet policier et de justice, qu’est ce qui les différencie des comités d’autodéfense

? ... : au Pérou, les rondas se distinguent, tant par leur origine communautaire que par

leur fonction de résolution de conflits internes, des comités d’auto-défense reglementés par

un décret législatif de 1991 qui impose la transformation des rondes en véritables groupes

d’appui militaires, d’auto-défense et de pacification du pays 41;

- quid des risques de “déviance” de telles pratiques ? ... : là il est intéressant de constater que

les risques de déviance proviennent davantage de l’institutionnalisation officielle des rondas,

effectuée par l’Etat péruvien (qui peut ainsi imposer des limites à leur développement ou les

utiliser comme milices pour combattre les groupes terroristes, notamment le sentier

lumineux) que des rondas elles-mêmes qui appliquent des sanctions dites éducatives, de

réinsertion des voleurs au sein de la communauté (sortes de travaux d’utilité collective), et

qui ont acquis aussi la confiance de la communauté, renforçant ainsi leur légitimité.

Aujourd’hui, d’après un article récent paru dans Le Monde (16 novembre 1999), il semble

que les rondas se portent plutôt bien ! ... en particulier les femmes qui ont commencé à faire

du micro-crédit et qui ont comme projet de créer une banque des pauvres. Nous lisons :

Une expérience particulièrement réussie est celle des Rondes paysannes de Cajamarca, un

département andin du nord que préside Segunda Castrejon. Ces rondes féminines

administrent la justice populaire, mettent leur nez dans les problèmes de couples et de

voisinage. Implacables, aguerries, elles tiennent aussi les cordons de la bourse... et se sont

révélées d’excellentes femmes d’affaires, utilisant le réseau de la Fédération pour faire

prospérer l’artisanat et le commerce d’animaux de basse-cour ou de bétail [...]. Segunda

Castrejon prépare, pour l’an 2000, la création d’une Caisse rurale d’épargne et de crédit, et

songe, à moyen terme, à celles d’une Banque paysanne couvrant tout le nord du Pérou”.

Par ailleurs, au Brésil, des chercheurs sont porteurs d’une réflexion sur les initiatives

spontanées de gestion des conflits, dans un contexte précis. Un article, paru en 1993, sur

l’expérience du droit au Brésil 42 présente le pays comme marqué par une double violence, à

la fois institutionnelle et populaire : dans un contexte marqué par l’inégalité, la

criminalisation des classes populaires et la stigmatisation des pauvres et des marginaux, où la

41 Voir fiche “Rondes paysannes et comités d’auto-défense (Pérou) ”, fiche n°24, in “Pratiques du droit,

productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996, p. 67

pratique étatique est caractérisée par le patronage, le clientélisme, le népotisme et la

corruption, où la légitimité des revendications sociales ou des mouvements populaires se voit

déniée, “une enquête effectuée entre 1979 et janvier 1982 révélait 75 lynchages (32

accomplis, et 43 tentatives dont 34 dans la Baixada Fluminense de Rio et 15 dans l’Etat de

Sao Paulo)”. En voici un extrait :

“ [...] les pratiques des lynchages [dans les quartiers populaires] étaient une occasion de

vengeance contre des vagabonds ou des séducteurs, une manière préventive de “nettoyer le

quartier” contre voleurs et violeurs, et surtout qu’elles sont vécues comme un mode

d’exercice de la “justice populaire”, témoignant du manque de confiance dans les

institutions légales de police et de justice. “Le bandit doit mourir et c’est tout”, et cette règle

n’est jamais mieux suivie que lorsqu’on “fait justice de ses propres mains”. La furie punitive,

aux cris de “attrape, tue, lynche” [...] se limite en général à une course poursuite et à un

assassinat sommaire, pouvant s’accompagner de lapidation, mutilation, castration, crémation

et écartèlement. [...]. Les auteurs de l’exaction ne cherchent du reste pas à s’en dissimuler. Ils

bénéficient de manifestations d’appui et de solidarité de la population, jouissant de l’impunité

sinon de la collaboration des forces de police et reçoivent même les félicitations des

conseillers municipaux pour avoir défendu l’honneur de la cité. Le sentiment d’insécurité

généralisée, le discrédit des institutions étatiques et, surtout, l’ignorance de la signification

des lois qui transcendent les actions et les passions, tout comme l’empressement à régler leurs

comptes à des individus perçus comme des être immoraux, plutôt qu’à des citoyens

responsables d’actes illégaux, tout cela rend compte du court-circuit des médiations

judiciaires, tenues pour inopérantes et injustes, perçues comme étant “du côté des bandits” ”.

Cette pratique est sciemment choisie pour mettre en évidence les différences qui existent

entre une pratique de résolution des conflits comme les Rondas Campesinas qui existe depuis

près de 20 ans, dans une démarche qui est réfléchie et qui se base sur des valeurs partagées

par la communauté toute entière, et cette expérience de justice populaire, spontanée, au Brésil

en milieu urbain. Dans ce sens, la pratique des Rondas Campesinas est une pratique très

intéressante car elle est née d’un besoin concret qui était celui de contrer le vol de bétail face

à l’incurie de l’Etat dans les années ’80 et elle s’est progressivement organisée, auto-gérée,

puis est devenue un véritable moteur du développement de la communauté, et ceci dans la

recherche du bien commun et d’une justice sociale, de la défense des intérêts d’une

communauté... Sans doute, sommes-nous là en présence d’une pratique ayant débouché sur

une véritable dynamique sociale, et ceci d’autant plus que le contexte socio-politique des

années ’90 apparaît nettement défavorable au libre épanouissement des droits humains.

Maintes institutions paysannes se sont en effet heurtées à ce contexte de crise économique,

d’ajustement structurel et de libération des terres qui a fortement contribué à l’augmentation

de la pauvreté dans les campagnes, et qui s’est accompagné d’un déficit de justice et d’une

marginalisation du paysan.

42 Daniel Cafaï, “sur l’expérience du droit au Brésil. Justice sociale et violence pénale”, texte conçu dans le

cadre du laboratoire de recherches en sciences sociales Cidade e Cidadania de l’USP, et de l’Instituto de

Estudios Avançados de Sao Paulo, in les Cahiers du Brésil Contemporain, publié par la Maison des Sciences de

l’Homme, le Centre de recherches sur le Brésil Contemporain (E.H.E.S.S.) Et l’Institut des Hautes Etudes

d’Amérique Latine (I.H.E.A.L.- Paris III), n°22, Paris, 1993, pp. 43-59

* * *

Ces pratiques de création de droits posent aussi la question plus large du pluralisme

juridique [fiche n°34-DF117 au Mexique), renvoient à d’autres pratiques

communautaires de résolution des conflits [fiche n°4-DF 117 en Bolivie] et remettent

toutes en cause le monopole de l’Etat à produire du droit.

Sur ce dernier point, il semble aujourd’hui, que la nécessité de la réappropriation du droit

par les gens et, le cas échéant, la création de droits par les populations concernées

apparaît peut-être de façon encore plus cruciale qu’auparavant avec l’émegence du

phénomène de mondialisation de l’économie et des flux financiers ?

Car, au niveau macro, la production du droit n’hésite pas à être monopolisée par des intérêts

économiques, dans une logique purement capitaliste, tantôt affichée comme telle, tantôt sous

couvert d’aide au développement (sic) : c’est le cas au Honduras où la situation révèle

clairement que le droit est le résultat d’un rapport de force, ici au profit des intérêts de l’Etat,

soutenu par l’AID (Agence Internationale de Développement - affiliée à la Banque

mondiale), qui coïncident avec ceux des propriétaires fonciers mûs par la rentabilité

économique et indirectement ceux des investisseurs nord-américains et au détriment des

populations locales et des “mini-fundios” qui se retrouvent victimes d’une légalisation, en

matière agricole, contraire à leurs besoins 43.

Au Chili, les lieux de vie d’artisans-pêcheurs que sont “les caletas” avaient tendance à être

négligés - et même mis en danger- par les différentes instances du pouvoir étatique (il s’agit

de terrains publics, sous la tutelle de militaires !), le développement de la pêche industrielle et

l’élevage intensif de nouvelles espèces. Dans ce contexte, le travail d’une organisation

professionnelle comme la CONAPACH (Confédération nationale des artisans-pêcheurs

chiliens) qui vise à défendre ces lieux de vie et qui organise la formation de moniteurs

juridiques parmi les artisans-pêcheurs, de manière à ce qu’ils animent mais surtout défendent

les caletas sur le plan juridique, prend tout son sens. Les caletas, alors fragilisées, se voient,

par cette action de promotion de droits, renforcées sur les plans économique, social, politique

et ce phénomène contient peut-être même les germes d’une dynamique de changement social

répondant aux droits des habitants de ces lieux, réinversant le rapport de forces avec

l’Etat ...44

* * *

En lien avec l’enjeu de réappropriation du droit par les gens, la question de la participation

populaire au pouvoir local est aussi un enjeu central (voir Quercum au Chili [fiches n°31-

DF81, n°38-DF117], Serjus au Guatémala [fiche n°21-DF117).

* * *

43 Voir fiche “Droits économiques et sociaux et agences d’aide au développement : la cas de l’AID au Honduras

”, fiche n°47, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre

1996, p. 119

44 Voir fiche “La formation de moniteurs juridiques parmi les artisans-pêcheurs, les Caletas (Chili)”, fiche n°31,

in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 117, tome 3, décembre 1999, p. 91

On ne peut parler de résolution des conflits sans s’arrêter ici un instant sur le phénomène de

la médiation en Amérique latine.

Il est difficile de brosser un tableau général sur l’état de la médiation en Amérique Latine car,

sur ce sujet, dans cette région, nous n’avons que des informations recueillies dans le cadre de

la conduite des missions que nous avons menées là-bas, aussi notre vision n’est-elle que

partielle par rapport à l’ensemble du phénomène en Amérique latine et cela vaudrait peut-être

la peine de l’approfondir à l’avenir. Le peu d’informations sur des précédénts sur ce sujet en

Amérique Latine peut aussi s’expliquer par le fait que les principaux animateurs des pratiques

juridiques populaires ne se réfèrent tout simplement pas à cette forme de gestion des conflits,

en ne la conceptualisant pas comme telle, même si cela n’empêche pas que ce phénomène ait

pré-existé à ce concept, né au “Nord”, dans le cadre de pratiques alternatives de résolution des

conflits.

Voici un petit récapitulatif :

Lors de la rencontre régionale des services juridiques alternatifs organisée par Juristes-

Solidarités et Quercum à Olinda (Brésil) en 1994, l’axe thématique de la médiation avait été

notamment identifié comme un axe qui pouvait être porteur pour une articulation thématique

inter-continentale Suds/Nords, Nords/Suds, Suds/Suds, Nords/Nords. Quatre organismes

étaient alors intéressés par la médiation : FORJA (Chili), CJC (Colombie), IELSUR

(Uruguay) et CDDH (Brésil).

Lors de la première réunion du groupe générateur de l’Ecole juridique mobile (EJM), à

Santiago (Chili) en avril 1996, les modules de formation de l’EJM sont arrêtés et INDESOMUJER

(Argentine) avec ILSA (Institut latino-américain de services juridiques alternatifs en

Colombie) sont prêts à travailler sur le module de la médiation, et prioritairement à

rechercher des informations sur la médiation non institutionnelle pour faire face à la

récupération du concept par l’Etat.

Au mois de novembre 1997, Indeso-Mujer a terminé la conceptualisation du module dont

l’objectif est “de créer des instances de médiations communautaires, chargées de résoudre

certains conflits ou litiges qui surgissent au sein de leur communauté et dont le règlement par

la justice étatique s’est avéré traditionnellement inexistant ou insuffisant”. Cette formulation

s’est faite non sans difficulté compte tenu apparemment de la quasi absence d’informations

sur des précédents sur ce sujet en Amérique Latine et donc du caractère novateur de ce

travail.

Il lui est proposé de constituer, pour sa mise en oeuvre, un pôle en Argentine avec : CELS et

CISALP; travail qui n’a pu être réalisé faute de ressources humaines et matérielles, semble-til.

Un an plus tard, en France, Jean-Pierre Bonafé-Schmitt (chercheur et fondateur de la

Boutique de droit de Lyon) dénonce dans un article le phénomène de “macdonalisation” de la

médiation en Amérique latine notamment, à la suite d’un colloque tenu à Cuba.Nous lisons :

Du 11 au 16 novembre 1998, il s’est tenu à Cuba, la 2ème Conférence du Forum Mondial

de la Médiation, à laquelle ont participé plus de 230 personnes venant de 20 pays, dont une

majorité de latino-américains avec une délégation de près de 70 Argentins. Cette présence

importante de participants venant d’Amérique latine ne s’explique pas seulement par une

plus grande proximité géographique, ou linguistique, elle témoigne aussi d’une ouverture

plus grande de ces pays à la médiation. On peut regretter la faible participation de pays

francophones qui s’est limitée à la présence de deux Fançais et de cinq Belges [...]. Si nous

insistons sur la composition des participants à la conférence de la Havane, c’est simplement

pour rappeler que dans notre contexte de mondialisation des échanges, le phénomène de la

médiation est souvent réduit à une simple technique, que l’on peut transférer d’un pays à

l’autre sans se soucier de l’existence de réalités socioculturelles différentes. D’une manière

perceptible, on assiste à une sorte de “macdonalisation”, de “cocalisation” de ce mode de

régulation des conflits en raison de la domination exercée par les nords-Américains, que ce

soit à travers les formations, les publications, les organisations de médiateurs, et les sources

de financement”45

S’agit-il d’une inflation de la médiation institutionnelle ou de la médiation communautaire ?

Compte tenu des [soi-disantes] réformes des gouvernements latino-américains dans le

domaine de l’accès au droit, que ce soit en Argentine, au Chili (cf. cette avocate rencontrée à

Ancud qui travaille dans un programme d’accès à la justice mis en place par le Ministère de la

justice) ou dans d’autres pays latino-américains, il est vraisemblable qu’il s’agisse, en réalité,

de la promotion de la médiation institutionnelle, à l’image des expériences au Nord,

également promues par les instances de l’Etat46. Il semble ainsi qu’aujourd’hui, cette notion

occidentale, devenue à la mode [voir la partie relative à l’Europe du présent document], ait

été transférée vers les Etats de la région dans le cadre de la médiation institutionnelle.

Toutefois, il ressort des missions menées en Amérique latine que les opérateurs de justice,

mis en place dans le cadre de ces programmes d’Etat, sont, sur le terrain, en demande

d’informations sur des expériences communautaires.

* * *

La question des rapports entre droit coutumier/droit de l’Etat se retrouve dans diverses

fiches ( fiche n°06-DF81 en Equateur, fiche n° 79-DF81 en Bolivie, fiches n°1 à 5-DF81 au

Pérou, fiche 112-DF81 au Mexique, fiche n°34-DF82 au Mexique, fiche n°35-DF82 au

Pérou, fiche n°04-DF117 en Colombie).

En Equateur, les communautés andines font face à des problèmes juridiques concernant la

propriété, la famille et le contrat en s’appuyant sur leurs règles communautaires, adaptées à

leur réalité sociale et économique, mais non opposables devant la justice formelle de l’Etat.

Face à la tension entre les coutumes des communautés et le droit étatique, deux options sont

posées : laisser faire le mécanisme de désintégration des communautés ou établir un régime

d’exception afin de les préserver ? Les organisations indigènes cherchent actuellement [1987]

à obtenir une loi qui leur permettrait de tracer leur propre avenir 47.

45 Jean-Pierre Bonafé-Schmitt, “vers une macdonalisation de la médiation ?”, in La Lettre de Médiation en

langue française, n°31, Lyon, avril 1999, p. 1

46 Voir, au Chili, la naissance d’une “maison de justice” à Santiago qui fait étrangement penser aux maisons de

justice promues en France ...

47 Voir fiche “Droit, coutume et communauté”, fiche n°6, in “Pratiques du droit, productions de droit :

initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 29

Concernant la demande de femmes indigènes en Amérique Latine, l’anthropologue Maria

Teresa Sierra note que “ les revendications des femmes indigènes enrichissent la vision d’un

droit indigène, en faisant réfléchir à de nouvelles manières d’inventer ou de recréer les

normes, les coutumes et les traditions, même si un certain nombre d’entre elles doivent se

perdre. Cette réflexion constitue une critique profonde de certains points de vue

“essentialistes” du droit, souvent prédominants dans les revendications indigènes.

L’objectif devient alors l’élaboration d’un droit renouvelé et la revalorisation des normes et

des traditions, chaque fois que celles-ci n’affectent pas la dignité des femmes ou d’autres

groupes en situation d’oppression ” 48

.

48 Maria Teresa Sierra, “”La demande des femmes indigènes : la lutte pour leurs droits et pour une nouvelle

identité ”, in Le Courrier de Juristes-Solidarités, n°19, Paris, avril 1999, pp. 3-6.

III. Réflexion sur l’aspect alternatif des services juridiques populaires

Les efforts de réflexion sur les pratiques alternative de droit sont particulièrement nombreux,

surtout à travers les recherches menées par des praticiens avocats, juristes, des professeurs,

des chercheurs et des anthropolgues qui ont permis de préciser des notions de base comme

l’usage alternatif du droit, le droit alternatif, le pluralisme juridique, la participation populaire

au pouvoir local, l’utilisation du droit comme outil de transformation sociale, les services

juridiques alternatifs ou populaires (ci-après SJP).

Parmi nos contacts principaux :

  • · chercheurs

- Oscar Corréas (chercheur et professeur à l’UNAM au Mexique)

- Jésus Antonio de la Torre Rangel (chercheur au Mexique)

  • · magistrats

- Amilton Bueno de Carvalho (magistrat au Brésil)

  • · avocats, praticiens et professeurs

- German Burgos (avocat et professeur, membre d’ILSA en Colombie)

- Octavio Carsen (avocat praticien et fondateur de CISALP et professeur en Argentine)

- Mabel Gabarra (avocate, praticienne et fondatrice d’INDESO-MUJER en Argentine)

- Manuel Jacques (avocat praticien, fondateur de Quercum et professeur à

l’Universidad Bolivariana du Chili)

- Miguel Pressburger (avocat praticien, fondateur de l’AJUP et professeur au Brésil)

  • · anthropologue du droit

- Milka Lucik (anthropologue, professeur d’anthropologie à l’Université du Chili et

professeur de droit l’université catholique, au Chili)

- Maria Teresa Sierra ( anthropolgue au Centre de Recherche et d’Etudes Supérieures

en Anthropologie Sociale (CIESAS) au Mexique)

- Ana Maria Tamayo (anthropologue au département d’anthropologie juridique

à l’Université de Lima, au Pérou)

...

Néanmoins, il faut constater que ces réflexions sont pour la plupart du temps sectorielles. En

ce qui concerne la réflexion sur le concept de “pratiques alternatives de droit” comme tel, la

réflexion demeure éclatée, diffuse. Il ne semble pas exister de réflexion, de pensée, commune,

globale et cohérente sur les pratiques alternatives de droit en tant que telles.

Observons que lorsqu’il s’agit d’actions de terrain, celles-ci sont souvent menées de façon

pluridisciplinaire, avec l’aide de sociologues, d’architectes, d’éducateurs, de juristes ou

d’avocats... mais lorsqu’il s’agit d’activités de recherches et de théorisation académique, la

démarche pluridisciplinaire semble écartée au profit d’une démarche sectorielle.

En ce qui concerne les SJP, il est intéressant de relever ce qui distingue un SJ “alternatif

d’un service juridique conventionnel49, en fonction d’une dizaine de critères proposés par

Manuel Jacques pour caractériser l’aspect “alternatif” de ces services. Ainsi importe-t-il de

prendre en compte les critères suivants :

1. Objectif stratégique poursuivi : dans un SJP, perspective stratégique de changement des

structures sociales existantes

2. Groupe cible de bénéficiaires : secteurs populaires (femmes, populations indigènes,

paysans, syndicats, travailleurs du secteur informel ...)

3. Méthodes de travail spécifiques utilisées : innovantes car elles visent à la transformation

de l’ordre en impliquant les bénéficiaires

4. Composition professionnelle du SJ : pluridisciplinaire

5. Type de stratégie de défense assumée : recours à des moyens techniques et des formes de

dénonciation qui vont au-delà du cadre légal formel

6. Participation des bénéficiaires dans la stratégie de défense : participation stimulée

comme partie intégrante d’une stratégie de défense (le rapport de clientélisme avocat-usagé

est rompu)

7. Motivation qui a inspiré la création du service : ici, il faut distinguer les services

juridiques alternatifs conjoncturels de ceux qui sont permanents. Dans le premier cas, ils se

terminent quand disparaissent ou se modifient la conjoncture socio-politique et les

circonstances qui l’ont fait fonctionner. Après avoir couvert les exigences d’un service

innovant, ce service perd alors sa raison d’être. Les conditions d’ordre strictement financier

sont ici écartées. Le service permanent s’inscrit lui dans une stratégie juridique constante de

changement des structures sociales, économiques, politiques et juridiques dominantes ; et ceci

indépendamment du contexte politique où il se situe

8. Capacité à socialiser le savoir juridique et ses pratiques légales

9. Apport du service dans la transformation de la réalité

10. Appui financier sur lequel s’appuie le fonctionnement du service

Selon Manuel Jacques, l'expression "pratique alternative du droit" n'a été créée par personne :

elle est peut être née en Italie50, mais les groupes n'ont jamais eu l'idée d'adhérer à un concept

figé. Ce terme reflète plutôt l'existence préalable de pratiques qui ont démontré qu'il est

possible d'aborder le droit autrement : c'est à dire avoir un rapport au droit différent de

celui de l'avocat traditionnel. Les questions fondatrices étaient alors : le droit ne satisfait pas

les besoins de la population, par incapacité du droit et des avocats ; comment résoudre la

séparation croissante entre la société réelle et la société légale ? ; comment récupérer la

vocation des avocats dans un engagement social ? ; quelle méthodologie pour le travail

populaire ? 51.

49 Manuel Jacques, une conception méthodologique vers un usage alternatif du droit, in Portavoz, ILSA, n°4,

Bogota, 1990, pp. 12-22. En 1990, en Amérique Latine, “il y aurait près de 700 centres de services légaux pour

groupes et organisations populaires qui travaillent en pensant à possibilité de faire un usage social du droit

avec des implications sociales progressistes” (p. 3, Portavoz, ILSA, n°4/1990).

50 Voir le Dictionnaire encyclopédique de Théorie et de Sociologie du Droit, publié sous la direction de André-

Jean Arnaud

51 Manuel Jacques, “Les services juridiques en Amérique latine : évolution des rôles, nouveaux défis, fiche

n°84, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p.

183

Enfin, il semble clair en Amérique Latine, que pour être alternatif et faire émerger

l’autonomie des populations, ce travail doit être accompagné d'une réflexion critique sur le

système de domination, sur le pouvoir, sur le droit produit par l’Etat.

IV. Rôle des juges et des avocats populaires dans l’usage alternatif du

droit

  • · Les juges peuvent remplir un rôle important dans la création de normes

juridiques et dans l’évolution du droit.

Au sein de l’appareil judiciaire, dix pour cent des magistrats en fonction à Rio Grande do Sul,

au Brésil, se réclament du mouvement alternatif.

Le rôle du magistrat alternatif est de dépasser le modèle positiviste classique. L’école

positiviste présente le droit comme neutre et ne tient pas du tout compte des préoccupations

politiques ou morales, ni du contexte socio-économique où le droit émerge. Le juriste n’est

alors plus, dans ce système, qu’un agent appliquant de manière froide les règles de droit, qui

prend ses distances à l’égard de tout drame social et se refuse à toute critique du droit qu’il

applique. Dans l’approche alternative, il s’agit de questionner autrement et plus

fondamentalement le droit, en prenant en compte le contexte politique et socio-économique.

La démarche alternative permet d’envisager le droit comme une matière malléable. Le droit

n’est ni figé, ni la simple expression de la volonté de la classe dominante, mais il sert, il est

utilisé, il est interprété. Les tribunaux ne sont plus des lieux où l’on applique la loi selon des

critères exégétiques mais où l’on se bat en faveur d’une interprétation plus favorable aux

personnes démunies. Du droit jaillissent des éléments émancipateurs et innovateurs, des

conquêtes politiques ou éthiques, et les espaces démocratiques s’amplifient. C’est dans cette

perspective que s’entend l’expression “droit alternatif” comme l’ensemble des précédents

judiciaires, interprétant dans un sens favorable aux plus démunis les textes législatifs 52.

En dehors de l’appareil judiciaire officiel, a été mis en place un tribunal parallèle au Brésil, le

Tribunal nacional dos crimes do latifundio”, auquel l’AJUP a contribué de manière

significative à l’organisation. Ce tribunal était constitué de magistrats de renom, venus de

tous les horizons, volontaires pour juger les crimes commis par les propriétaires de

latifundios contre les dirigeants d’organisations syndicales et professionnelles, crimes alors

laissés impunis par les tribunaux officiels.

  • · De leurs côtés, les avocats les plus progressistes ne génèrent des pratiques

alternatives que dans un usage alternatif du droit limité à la réalité du droit

étatique, qui peut être plus ou moins ouvert pour la concrétisation de tel ou tel

objectif.

L’usage alternatif du droit, pour les avocats progressistes, consiste à donner à des lois

“neutres” un sens favorable à la cause qu’ils défendent. Au droit est conféré un sens plus

politique, sans que cela lui enlève en rien son caractère juridique. Il change du sens qui lui

avait été assigné par le contexte social où il fut produit. Pour cela, les avocats doivent mener

une “quête” juridique dans l’ordre juridique en vigueur, de manière à trouver les normes et les

institutions juridiques utiles aux causes qu’ils défendent.

52 “Des magistrats aux côtés des plus démunis. Un mouvement de magistats alternatifs à Rio Grande do Sul

(Brésil)”, fiche n°11, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 3,

décembre 1999, p. 39

L’avocat, s’il participe à l’institution, favorise certaines causes dans le cadre du droit établi et

du système juridique dominant, mais selon des objectifs parfois différents de ceux de l’Etat,

dans la mesure où il faut répondre à deux questions. La première question est de savoir qui

sont les bénéficiaires de l’usage alternatif du droit. Celui-ci doit s’inscrire dans un contexte

d’émancipation et de résistance, tout en excluant la défense des intérêts de certains groupes

dominants, comme les narco-trafiquants. La seconde question est de déterminer la

signification exacte du terme “alternatif”. Alternatif doit être pris dans le sens de choisir et

non dans celui de se succéder en alternance.

Le travail de l’avocat, dans ce cadre, va de la documentation sur des cas tels que les violations

de droits humains, l’éducation populaire, la diffusion de textes juridiques jusqu’à la mise en

place d’un débat entre les professionnels du droit et l’Etat. L’avocat devient un “ avocat à

usage alternatif ”, porteur d’un droit qui se veut véritablement émancipateur [fiche n° 65, 66,

67 - DF117 ; 11-DF117).

Beaucoup de partenaires de Juristes-Solidarités ont commencé leur parcours professionnel

d’abord comme moniteurs juridiques, engagés au quotidien auprès des populations, parlant le

même langage, certains étant issus de milieux populaires, avant de devenir avocats populaires

travaillant dans des associations de quartiers, de bidonvilles, des organisations syndicales ou

des groupements de défense des consommateurs (il faut noter qu’en Amérique latine, les

avocats peuvent être salariés d’organisations populaires). Ainsi, on compte nombre

d’organisations assurant ce type de permanence juridique alternative, comme Quercum basée

en plein milieu d’un bidonville dans le quartier de la Renca à Santiago du Chili, comme

Indeso-Mujer avec sa permanence pour les femmes à Rosario en Argentine, comme AATRBA

qui, à Salvador de Bahia, au Brésil, assure une formation d’avocats populaires en milieu

rural ou la Comissâo Pastoral da Terra (CPT) qui, à Salvador et Bahia, forme des avocats

populaires en milieu rural et urbain. Enfin, l’AJUP avait tout un programme de formation

d’avocats populaires parmi des jeunes boursiers de l’Etat issus de milieux populaires, urbains

et ruraux; l’AJUP ayant l’agrément de l’Ordre des Avocats comme organisateur (en lien avec

les universités) de stages d’étudiants en droit.

  • · Enfin, il s’agit, pour l’avocat et le juge, de changer la manière de penser le

droit :

Dans ce contexte, avant de savoir ce que dit la loi, il importe de savoir d’abord quelle est la

solution juste pour le cas concret et chercher ensuite le fondement légal qui justifiera cette

solution. Ni l’avocat ni le juge ne doivent hésiter, le cas échéant, à défendre le cas contre la

loi, à prendre une décision contre la loi. Il est important de noter que l’utilisation du droit

contre la logique de la formation sociale où il est produit aiguise les contradictions sociales.

Aujourd’hui, cette approche alternative du droit semble en perte de vitesse en raison du

changement de contexte évoqué au début de ce travail. Même dans les universités, il

semblerait que la nouvelle génération d’avocats soit plus formaliste, plus légaliste :

l’apprentissage technique des codes est davantage privilégié et non le droit, sa critique, au

sens large du terme. Par ailleurs, il existe moins de lieux d’expérimentations, de formation

sur le terrain qu’auparavant car ces derniers sont en train de disparaître, encore une des

conséquences, semble-t-il, de l’appropriation par l’Etat du discours critique...

Dans ce contexte, des initiatives comme celles menées par l’Université Bolivariana au Chili

qui forme de futurs avocats populaires à travers une pédagogie privilégiant le raisonnement,

l’analyse, la réflexion, une pédagogie permettant de reconnaître une situation juridique dans

un contexte déterminé inhérent à la vie quotidienne des gens, plutôt que de restituer

mécaniquement le contenu des codes comme si le droit n’était qu’une affaire de maîtrise de

formules techniques toutes faites, sont à souligner.

Les projets de création d’écoles alternatives (voir plus haut) promouvant un enseignement

juridique et social pour former ceux qui seront les alliés juridiques des futurs agents

transformateurs de la société, prennent dans ce contexte aussi toute leur dimension.

V. Les nouveaux défis ?

La vie et l'histoire des services juridiques montrent que les étapes qu'ils ont traversées les ont

amenés à évoluer dans leurs rôles et activités. Ces étapes et rôles ont été les suivants :

1) Phase d'explication du droit et divulgation juridique : réaction face aux droits non

satisfaits de la population, travail principalement pédagogique.

2) Phase d'organisation des programmes juridiques : remise en cause du rôle traditionnel

de l'avocat. Les services juridiques "alternatifs" aident à l'organisation et à la formation de la

communauté, lui donnent une participation active dans sa propre défense. La méthodologie

du travail éducatif se précise, et ses instruments seront le théâtre juridique, la radio, les

manuels d'éducation juridique populaire, les romans photo, les bandes dessinées, et un

ensemble de jeux de rôles socio-dramatiques populaires provenant de la réalité.

3) Phase de formation de moniteurs juridiques et d’avocats populaires, démultiplicateurs

de l’information, promoteurs de programmes juridiques et de l’approche alternative du droit.

4) Phase de participation de la communauté à ses propres luttes juridiques : les services

doivent pouvoir prendre en charge la "collectivisation d'un problème juridique", évitant

d'isoler le cas individuel pour traiter le problème qui affecte toute une collectivité. C'est aussi

l'organisation de la communauté dans la lutte pour le pouvoir local, la démocratisation des

quartiers, la formulation de propositions pour le gouvernement au niveau local, voire au

niveau national. Démarche qui s’est souvent alliée à une stratégie de communication visant à

rendre public et à la portée de la communauté nationale la nature et les enjeux d’un problème

juridique relatif à la solution des besoins fondamentaux, tels l’accès à l’habitat, à la santé des

populations les plus démunies et les plus vulnérables à la répression.

5) Aujourd'hui, une question reste posée : dans le contexte actuel, comment faire en sorte que

les services juridiques puissent se renforcer et reprendre un rôle actif en tant qu’agents de

transformation sociale ? Actuellement, il ne s'agit plus de se battre contre la répression mais

de construire un Etat démocratique, une démocratie vraiment participative. Après des années

d'opposition et de refus, l’évolution des discours des acteurs, de leurs méthodes et moyens

d’action, est difficile à capitaliser dans un tout cohérent même si ce travail s’avère essentiel

pour le renforcement et l’évolution de ses services.

Dans la perspective actuelle, des questions-défis se posent :

- comment démocratiser l'Etat et donner une puissance à la société civile ?

- comment faire en sorte que la communauté cesse d'être un sujet de citoyenneté qui vote

uniquement et qu’elle devienne un sujet qui vote et participe ?

- comment rendre le rôle de protagoniste aux acteurs populaires, marginalisés au moment de

la construction de la démocratie ?

- comment contribuer à la création d'un nouveau modèle social, dans ce temps de

"désajustement" structurel entre les droits de l'homme et le développement ? 53

- les nouveaux services juridiques en Amérique latine sont-ils adaptés pour promouvoir un

développement communautaire ? Contribuent-ils à la promotion d'un système juridique

alternatif, au changement du système juridique actuel ?54

Comme le résume Manuel Jacques, un certain nombre de défis théoriques naissent de la

pratique, dont les principaux seraient :

1) Démystification du droit. Il faut dévoiler le mythe du droit à partir d'une discussion

théorique ayant pour objectif une prise de conscience critique.

2) Droit et transformation sociale. Actuellement, le temps est venu de distinguer, d'une part,

une logique de consolidation du système par l'intermédiaire du droit et, d'autre part, une autre

logique qui situe le droit comme une ressource stratégique de transformation. La première

logique répond à une conception légaliste du droit, qui utilise la loi en tant que mécanisme de

défense, cherchant la résolution des conflits uniquement dans la réponse légale des tribunaux.

Dans une deuxième logique de transformation, le concept du droit s'associe plutôt à l'idée du

"juridique", différent du "légal", et rejoint ce qu'on pourrait nommer "droits au quotidien" : à

savoir, tous ces besoins insatisfaits que la population défavorisée n'arrive pas encore à

identifier comme étant des problèmes juridiques. De ce point de vue, la défense n'est plus la

représentation du client dans le procès, mais une démarche d'éducation juridique reliée à

l'organisation, la mobilisation, la formation, la proposition normative pluraliste et la

recherche de solutions alternatives aux conflits.

3) Critique des idées reçues. Le légalisme ou formalisme juridique, conséquence

idéologique de la "théorie pure du droit" de Kelsen, consiste à aimer la loi pour sa forme

laissant de côté son contenu. Il est à l'origine de croyances telles que : la loi est un monopole,

un oracle de la connaissance juridique, marginalisant ainsi toute autre connaissance juridique

non consignée dans la loi ; la loi comme synonyme de vérité, alors qu'elle peut être fausse,

impliquant une confrontation entre savoir et comprendre, une séparation artificielle entre sujet

et objet du droit; une conception traditionnelle du rôle du droit en tant que discipline sociale,

dans la trilogie "contrôler-corriger-punir", excluant son rôle créatif, socialisateur, libérateur.

4) Pluralisme juridique et normativité. Divers ordres juridiques peuvent converger dans

une société, car ils répondent à une diversité sociale. Le cas le plus visible concerne les

sociétés qui ont des groupes ethniques. L'idée d'un droit culturel ne doit pas être comprise

comme une imposition normative qui pèse sur tous, mais comme une convergence

harmonieuse de la pluralité. Il existe également une conception plus large du pluralisme

juridique, qui implique la prise en considération non seulement des droits coutumiers, mais

53 Manuel Jacques, “Les services juridiques en Amérique latine : évolution des rôles, nouveaux défis, fiche

n°84, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p.

183

54 “Comparaison entre les tendances des services juridiques en Amérique du Nord, Europe et Amérique Latine”,

fiche n°81, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996,

p. 177

aussi des situations sociales d'auto-régulation, tels que les mécanismes des secteurs

populaires, de l'économie informelle, jusqu'à maintenant exclus des sources de la normativité.

5) Validité matérielle du droit. La validité formelle du droit entend l'efficacité de celui-ci

comme une application passive. En revanche, pour une validité matérielle, l'efficacité du droit

a forcément une application active, et c'est la communauté même qui met en oeuvre ses

propres droits en tant que sujet capable de faire des propositions.

6) Tension entre légalité et légitimité. Ce problème ne pourra être résolu sans l'inclusion de

la notion de "pouvoir", en tant que "capacité d'exercer une influence sur les décisions à partir

de ma propre proposition". Sans capacité d'influence, il n'y a pas de pouvoir. Comment les

secteurs populaires peuvent-ils exercer cette capacité, pour fonder ainsi une vraie

légitimité ?55

55 Manuel Jacques, “Défis théoriques posés par une pratique alternative du droit”, fiche n°69, in “Pratiques du

droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 155

VI. Bibliographie

  • · Documents réalisés par Juristes-Solidarités

- Rapport de mission en Amérique Latine, Juristes-Solidarités et Cedal-France, du 2 mars au 29 avril

1990. Pays concernés (par ordre de parcours) : Brésil, Argentine, Chili, Pérou, Colombie, Méxique.

Jean Designe et Maria Teresa Aquevedo, 55 p.

- Rapport de la Rencontre des services juridiques alternatifs en Amérique Latine, organisée par

Juristes-Solidarités et Quercum, à Olinda, au Brésil, juin 1994

- Projet de l’Ecole juridique mobile en Amérique Latine de Quercum, Santiago, Chili, 1994, 19 p.

  • · Les publications de Juristes-Solidarités

- les synthèses documentaires réalisées par Juristes-Solidarités (75 fiches sur l’Amérique latine) :

(les deux premiers tomes existent en version espagnole)

. “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre

1996 (41 fiches sur l’‘Amérique latine)

. “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre

1996 (9 fiches sur l’Amérique Latine)

. “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 117, tome 3, décembre

1999 (25 fiches sur l’Amérique latine)

- le Bulletin de liaison : “Le Courrier de Juristes-Solidarités”, numéro 1 à 21 (en version espagnole

aussi)

  • · Articles divers

- Approches, “Démocratie et Développement en Afrique, Amérique latine et Asie”, trois tables rondes

organisées par Approche asbl, Louvain-La-Neuve, 1991, 133 p.

- Jean-Pierre Bonafé-Schmitt, “vers une macdonalisation de la médiation ?”, in La Lettre de

Médiation en langue française, n°31, Lyon, avril 1999, p. 1

- Nicole Bonnet, “En Amérique Latine, les “banques des pauvres” montrent leurs limites”, in Le

Monde, 16 novembre 1999

- Daniel Cafaï, “sur l’expérience du droit au Brésil. Justice sociale et violence pénale”, texte conçu

dans le cadre du laboratoire de recherches en sciences sociales Cidade e Cidadania de l’USP, et de

l’Instituto de Estudios Avançados de Sao Paulo, in les Cahiers du Brésil Contemporain, publié par la

Maison des Sciences de l’Homme, le Centre de recherches sur le Brésil Contemporain (E.H.E.S.S.)

et l’Institut des Hautes Etudes d’Amérique Latine (I.H.E.A.L.- Paris III), n°22, Paris, 1993, pp. 43-59

- Manuel Jacques, “Une conception méthodologique vers un usage alternatif du droit”, in Portavoz,

ILSA, n°4, Bogota, 1990, pp. 12-22

VII. Liste des sigles et leur développement

Argentine

- MEDH (Mouvement oecuménique pour les droits de l’homme) Buenos Aires

- CELS (Centre d’études juridiques et sociales) Buenos Aires

- CEM (Centre d’études de la femme) Buenos Aires

- AAMCJ (Association argentine des femmes de carrières juridiques) Buenos Aires

- Indeso-Mujer (Instituto de Estudios Sociales de la Mujer - Institut d’études sociales et juridique de la femme),

Rosario

- CISALP (Centre de recherches sociales et de conseils juridiques populaires), Buenos Aires

Bolivie

- CEJIS (Centro de Estudios Juridicos e Invesitigacion Social) Santa Cruz

- Ciseja-WHIPALA ( Centro de Investigacion Social y Estudios Legales Agrarios) La Paz

-CASDEL (Centro de Asesoriamento Legal y Desarrollo Social- Centre d’assistance légale et de développement

social), Cochabamba

Brésil

- AJUP (Institut d’appui juridique populaire) Rio de Janeiro

- AATR-BA (Association des avocats des travailleurs ruraux) Salvador-Bahia

- CPT (Commission pastorale de la terre) Salvador-Bahia

- CJP (Commission justice et paix) Salvador-Bahia

- CAPINA (Coopérative d’appui aux projets d’inspiration alternative), Rio de Janeiro

- GAJOP (Gabinete de Assessoria Juridica as Organizacoes Populares - Cabinet de Conseil juridique pour les

Organisations populaires), Recife

Chili

- Quercum (Centre de Développement et d’Etudes juridiques et Sociales), Santiago

- Commission des droits de l’homme, Temuco

- Collège régional des avocats, Temuco

- COTRA (Communauté de travail en techniques appropriées), Valparaiso

- FORJA (Fomarcion Juridica para la Accion), Santiago

- CONAPACH (Confederacion Nacional de Pescadores Artesanales de Chile), Valparaiso

- Universidad Bolivariana, Santiago

Colombie

- ILSA (Institut latino-américain de services juridiques alternatifs), Bogota

- CAJ (Commission andine des juristes- section Colombie), Bogota

- Collectif d’avocats José Awear, Bogota

- CJC (Centre juridique communautaire), Bogota

- Fondicep (Fondation pour la recherche, l’éducation et la culture populaire), Bogota

- Funprocep (Fondation pour la promotion de la culture et de l’éducation populaire), Bucaramanga

- IPC (Institut populaire de formation), Medellin

- Coopérative de production et de travail “Flor del trabajo”

Equateur

- CIDES

Guatémala

- SERJUS (Service jurique et social), Guatémala City

Haïti

- PAJ (Programme pour une Alternative de justice) Port-au-Prince

Mexique

- DOAL (Bureau d’orientation et de conseil juridique), Mexico

- FNAD (Front national des avocats démocratiques), Mexico

- PRODH (Centre des droits de l’homme miguel a.pro.juarez), Mexico

- CMDH (Commission mexicaine de défense et de promotion des droits de l’homme), Mexico

- UNORCA (Union nationale des organisations régionales paysannes autonomes), Mexico

- CLASEP (Centre latino-américain d’appui au savoir et à l’éducation populaire), Mexico

- CAMPO (Centre d’appui au mouvement populaire oaqueno), Oaxaca

- UCIZONI (Union des communautés indigènes de la zone nord de l’isthme), Matias-Romero

- Centre des droits de l’homme Bartolomé de las Casas, San Cristobal Las Casas

- CHILTAK, San cristobal Las Casas

- Equipo Pueblo, Mexico

- EZLN, Ejército Zapatista de Liberacion Nacional -Armée de Zapatiste de Libération nationale

Paraguay

- Ecumenica

- FM Trinidad

Pérou

- CICDA (Centre international de coopération pour le développement agricole), Lima

- CIDAP (Centre de recherche, documentation, conseil aux quartiers populaires), Lima

- CIPA (Centre de recherche et de promotion de l’Amazonie), Lima

- CAJ (Commission andine des juristes), Lima

- DESCO (Centre d’études et de promotion du développement), Lima

- FLORA TRISTAN

- IDL (Instituto de Defensa Legal), Lima

Uruguay

- IELSUR (Instituto de Estudios Legales Y Sociales del Uruguay),

Etat des lieux des pratiques alternatives de droit

en Asie du Sud et du Sud-Est

I. Contextes socio-économiques des actions de défense des droits

L'Asie est riche de nombreux réseaux nationaux et régionaux d'organisations et mouvements

sociaux, au sein desquels se multiplient réflexions et actions coordonnées. Ces réseaux sont le

plus souvent rattachés à des réseaux mondiaux. Ceux rencontrés, parmi tant d'autres réseaux

existants, sont à Bangkok, la Conférence Asiatique pour le Droit au Logement, ARRC (Asian

Regional Centre for Human Rights Education), et à Hong Kong le Partenariat Asiatique pour

le Développement des Peuples (APPD), le Centre for Asian Women (CAW), l'Asia Monitor

Resource Centre (AMRC), et le Documentation for Action Groups in Asia (DAGA) ; et aux

Philippines, ACHR sur le droit au logement ; ARADO: coalition pour la réforme agraire. Ces

réseaux permettent dans des domaines et secteurs très divers de renforcer et d’appuyer les

actions entreprises par des organisations nationales, de promouvoir les échanges

d'expériences. Toutefois, le travail remarquable qu'ils effectuent ne couvre généralement pas

les questions de pratiques de droit, et chaque initiative demeure souvent très isolée et livrée à

elle-même en ce domaine. Les actions au quotidien, rarement documentées, demeurent

largement ignorées les unes des autres, et cet isolement est ressenti par leurs protagonistes

comme une faiblesse, une limite.

A côté de ces réseaux, il y a aussi des ONG pluridiciplinaires travaillant en milieu urbain

et/ou rural et développant, dans le cadre de leur programme d’action, un volet juridique : de

sensibilisation au droit et de mise en relation avec des avocats pour mener des procédures

(UNNAYAN (Inde), YUVA (Inde), AWAM (Malaisie), Concerned Mothers League

(Philippines), FOW (Thaïlande)), des services juridiques alternatifs comme tels (SALAG

(Philippines), DAGRA (Malaisie), Samakana (Philippines), Lawyers for Human Rights and

Development (Sri Lanka)) des syndicats (- Syndicat Vadodara Kamdar Union (Inde) -

Syndicat ITGWU (Sri lanka) - SEWA (organisation de femmes travaillant à domicile - Inde))

et bien sûr des mouvements sociaux comme le mouvement qui s’est créé le long du fleuve

Narmada en Inde, le Narmada Bachao Andolan, à la suite du projet de la Banque mondiale de

construction de barrages.

“ Bien que les systèmes juridiques des différents pays d'Asie, héritage des divers

colonisateurs (britanique, hollandais, espagnols et américains) soient très divers, on constate

une très grande similitude et proximité dans les analyses et les démarches d'actions liées au(x)

droit(s) qui peuvent être résumée à travers deux observations :

Première observation : presque tous les groupes et organisations rencontrés ont une approche

critique du droit existant, étant très conscients des véritables fondements des systèmes

législatif et judiciaire en place. Cependant, ils ont décidé de les utiliser de manière tactique

pour la défense des droits au quotidien, le plus souvent en développant parallèlement d'autres

types d'actions. Les actions s'appuyant sur le droit existant et le système judiciaire ne sont

donc la plupart du temps qu'une petite partie de leurs actions de défense des droits. Mais c'est

une partie fondamentale, dans la mesure où elle représente généralement l'occasion de tout un

travail d'éducation, de conscientisation des populations privées de droits. C'est par ailleurs un

outil précieux de mobilisation et de constitution de groupes de pression sur les autorités.

L'action juridique offre enfin un très bon terrain pour légitimer et médiatiser des

revendications. Face à des Etats le plus souvent répressifs, qui tolèrent peu ou prou la remise

en question des choix économiques, politiques et sociaux qu'ils ont décidés, et qui multiplient

les lois d'exception pour prévenir de manière totalement arbitraire toute contestation, l'action

s'appuyant sur une base juridique, même critique, constitue le moyen qui offre le moins de

prise à la répression.

Deuxième observation : malgré la relative unité observée dans les démarches des

organisations rencontrées, une différence apparaît, liée à la différence de contexte entre deux

grandes catégories de pays (pourtant très différents entre eux) :

D’une part les pays qui sont sur le terrain, depuis plus ou moins longtemps, d'une croissance

économique extrèmement rapide, (Hong Kong, Singapour, et plus récemment Thailande,

Malaisie) et où, même si une grande pauvreté subsiste, la course au succès économique

semble accessible à tous et domine aussi bien la vie politique, économique et sociale, que les

aspirations de la majorité de la population prise par une course individualiste à la réussite. Les

organisations y sont confrontées à un immobilisme des populations qui même si elles

souffrent de la privation de nombreux droits, ne croient pas dans l'action de revendication et

l'initiative collective pour s'approprier ses droits et espèrent toujours pouvoir bénéficier du

succès économique. L'accent est donc mis beaucoup plus sur les actions d'éducation, de

conscientisation et de services et aide juridique, comme un tremplin pour tenter d'amorcer des

actions collectives, pluôt que sur les mobilisations revendicatrices de masse. Ces dernières

existent néanmoins, et sont d'autant plus impressionnantes qu'elles doivent être très fortes et

organisées afin de s'imposer et d'accéder à un espace d'expression.

D'autre part, des pays comme l'Inde, le Bangladesh, le Sri Lanka et de manière différente, les

Philippines, qui, s'ils créent bien aussi des enclaves ou zones de développement industriel,

conservent d'immenses poches de pauvreté. Dans ces pays, l'inaccessibilité pour la grande

majorité, au rêve d'une vie économiquement meilleure fait que les initiatives collectives sont

le passage obligé de tout espoir d'amélioration des conditions de vie, et qu'il existe par

ailleurs davantage d'espace pour une contestation (même réprimée) des choix de société et des

inégalités qu'ils génèrent. Dans cette deuxième catégorie de pays, la pauvreté et le sentiment

d'injustice sont si forts que les mobilisations spontanées ou organisées pour une contestation

et une revendication sont presque systématiquement présentes dans toute action de

revendication de droits. Cela n'exclue cependant pas les actions d'éducation et d'information

juridique qui viennent en renfort à ces mobilisations”56.

Aujourd’hui, pour des pays comme les Philippines, et l’Indonésie et l’Inde, des nouvelles

tendances peuvent être observées :

- une professionnalisation des organismes privilégie les compétences professionnelles au

militantisme, faisant appel à des experts pour des questions techniques pointues. L’action

s’inscrit dans une démarche pragmatique, stratégique (en calculant les investissements par

rapport aux résultats escomptés) et non plus sur la simple conviction, comme moteur à des

élans collectifs pour “agir”.

56 “Contextes socio-économiques des actions de défense des droits (Asie du Sud et du Sud-Est), fiche n°30, in

“Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996, p. 83

Par exemple, en Inde, avec le processus de libéralisation, il n’y a plus eu de contrôle sur

l’achat des terres...les populations indigènes ont essayé de garder leurs terres en mettant en

oeuvre des moyens qui, aujourd’hui, sont différents de ceux d’hier. Elles sont passées d’une

stratégie de conflit (résistances, coups de forces, mobilisations de masse) à une stratégie de

négociation, plus construite (qui n’exclut pas pour autant la divergence d’intérêts !) avec les

décideurs économiques et politiques (voir le mouvement Narmada Bachao Andola qui a

réussi à négocier avec la Banque mondiale, en recourant aux règlements internes à la Banque

pour construire son propre positionnement et mettre en porte-à-faux la BM 57) ;

- une nouvelle dimension idéologique : avec l’implosion de l’URSS, les courants maoïstes et

marxistes-léninistes ont été destabilisés. En Asie du Sud, cela a eu une répercussion

importante sur la manière dont les gens se sont mobilisés par rapport au droit et sur la

manière dont ils ont cherché à rénover le discours tout en ne l’inscrivant pas pour autant dans

une démarche qui serait devenue matérialiste ou purement individualiste.

57 “Narmada Bachao Andolan, un mouvement pour sauver le fleuve Narmada” (Inde), fiche n°1, in “Pratiques

du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996, p. 21

II. Typologie des actions juridiques et judiciaires en Asie

Pays concernés : Inde, Bangladesh, Sri Lanka, Philippines, Malaisie, Thaïlande, Hong Kong

Dans le courant des années ’80 commencent à émerger des services juridiques innovants,

dans le sens où ces services utilisent le droit comme instrument de démocratisation du

pouvoir politique et de changement des conditions économiques et socio-politiques 58. La

différence avec l’aide juridique classique est que cette dernière ne “permet pas de transformer

les structures qui engendrent et maintiennent l’injustice” tandis que dans l’aide juridique

alternative “les groupes peuvent utiliser le droit pour promouvoir le changement de celui-ci et

de leur environnement social” 59.

Aux Philippines, les “juristes aux pieds nus” (barefoot lawyers) sont apparus dans les

années 60 et peuvent être considérés comme les prédécesseurs de ce que sont aujourd’hui les

parajuristes qui travaillent dans les communautés de base 60. Le premier groupe d’aide

juridique alternatif est apparu dans les années 70. Son président était convaincu que “le

développement réclame un type d’aide juridique différent qui ne remplacerait pas le système

traditionnel mais qui le complèterait, en traitant particulièrement des problèmes publics afin

de changer le droit et les structures sociales existantes et plus précisément la répartition du

pouvoir au sein de la société”61.

Aux Philippines, dans le domaine politique, sous la loi martiale, le gouvernement a dépossédé

les citoyens du droit de pouvoir participer à la formulation de politiques gouvernementales.

Sur le plan social, les politiques de logement ont conduit au déplacement des populations

pauvres. Sur le plan économique, la politique du gouvernement a aggravé la situation des

paysans pauvres et des petits propriétaires terriens. De ce contexte de privation de droits

politiques, économiques et sociaux, est née, dans les années ‘70-’80, la nécessité de créer des

programmes d’aide juridique afin de changer les structures sociales alors existantes et de

redonner le pouvoir au peuple.

Diverses terminologies sont utilisées pour désigner l’assistance juridique : “structural

alternative legal assistance” (= assistance juridique alternative et structurelle), “legal aid

(= aide juridique), “legal aid to development” (aide juridique au développement)...

58 “Droits de l’homme, services juridiques et développement”, fiche n°78, in “Pratiques du droit, productions

de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 173

59 “La pratique, les problèmes et les perspectives du droit alternatif aux Philippines”, fiche n°72, in “Pratiques

du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 161

60 “Le mouvement para-juridique philippin : une expérience du SALAG”, fiche n°47, in “Pratiques du droit,

productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 107

61 “Les services juridiques alternatifs (Philippines)”, fiche n°43, in “Pratiques du droit, productions de droit :

initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 99

Ces groupes d’aide juridique ont des programmes d’action communs, mis à disposition: de

paysans pauvres, d’ouvriers d’usines ou d’autres groupes défavorisés (pêcheurs, femmes,

prisonniers...). Ces programmes incluent :

- l’assistance juridique (services rendus aux communautés concernant des problèmes

économiques, politiques, sociaux),

- l’éducation juridique (rendre le droit accessible aux communautés de base)

- la recherche juridique (analyse critique du droit, de la formation juridique et de la plaidoirie)

- la réforme du droit (proposer des réformes législatives conformément aux besoins des plus

démunis).

Le constat des difficultés rencontrées par les groupes d’aide juridique :

- manque de temps

- manque de personnel (faible revenu, manque de disponibilité des jeunes juristes)

- manque de ressources

- difficultés à communiquer avec les pauvres

La plupart de ces services travaillent sur les thèmes couvrant :

- le droit de la femme

- le droit du travail/conditions de travail

- l’accès à la terre et la lutte contre les expropriations (rural)

- la lutte contre les expulsions de logement (urbain)

- droits de l’homme

- droit des minorités indigènes

En Asie, il ressort de la lecture des synthèses documentaires, du rapport de la mission menée

en Asie du Sud et du Sud-Est en 1993 et du rapport de la rencontre régionale sur les pratiques

alternatives de droit organisée à Dakha (Bangladesh) en 1994, que les différents types

d’actions menées dans le domaine du droit, que ce soit par ces services juridiques alternatifs,

des organisations pluridisciplinaires d’appui au développement ou des mouvements sociaux,

pourraient se décliner comme suit :

1 - actions d’éducation juridique (sensibilisation, éveil au droit...) et d’assistance juridique

(informations, conseils...)

2 - actions de formation de parajuristes ( “paralegals”)

3 - actions de lobbying en faveur de réformes législatives (en droit interne et en droit

international)

4 - actions revendicatrices de droits (mobilisation collective, mouvement de masse...)

5 - recours aux modes alternatifs de règlements des litiges (médiation, création d’instances

para-judiciaires, recours aux systèmes informels de justice traditionnels...)

* * *

1 - actions d’éducation juridique (sensibilisation, éveil au droit...) et d’assistance

juridique (informations, conseils...)

- enquêtes, groupes d'études, ateliers de travail et de réflexion, séminaires, publications

d'ouvrages, de films...

L'aspect "alternatif" de ce type d'initiatives dépend fortement de la nature des participants (il

ne s’agit pas de faire des études "sur" les privations et violations de droits, mais d’identifier

les processus garantissant la participation active, à part entière, de personnes souffrant de

violations et de privations de droits) et du but recherché (non la simple connaissance d'une

situation, mais la production d'outils nécessaires à une action de mobilisation et destinés à

ceux qui doivent se mobiliser).

L’empowerment des populations est ici une donnée fondamentale. Elle renvoie à un éveil au

droit, une prise de conscience d’avoir des droits, une émancipation, un premier pas vers

l’autonomisation, la mobilisation collective pour une prise en charge de son propre destin.

L’idée étant que ce soient les populations elles-mêmes qui deviennent sujets agissants du

droit et non pas uniquement les groupes d’aide juridique et les ONG.

Beaucoup d’organismes mènent ce travail d’éveil, en aval, auprès des populations pour

favoriser aussi un changement des mentalités : cf.en Inde, une organisation travaillant entre

autre à l’évolution du statut de la femme tente de susciter une prise de conscience chez les

femmes par rapport à des pratiques discriminatoires afin qu’elles agissent par elles-mêmes

pour les combattre et qu’elles sortent de leur attitude de résignation, de soumission 62. Par

ailleurs, selon cette organisation, c’est uniquement quand le besoin se fait sentir qu’une action

de sensibilisation aboutit. En Thaïlande, une organisation féministe cherche, en prenant appui

sur le droit, à faire changer les mentalités par rapport aux victimes de viols qui s’avèrent

doublement victimes (car rejetées et par les agents des commissariats de police et par les

villageois..)63.

Dans le domaine de l’éducation juridique, SALAG a créé en 1988, aux Philippines, une

Ecole de droit alternatif , à destination d’ONG et d’organismes publics mais aussi de

communautés de base. Concernant ces dernières, SALAG remarque :

- d’une part, il faut améliorer l’axe de sensibilisation au droit afin de favoriser les

mobilisations communautaires et les changements 64. Ce qui rejoint aussi une autre

observation faite par un partenaire au Sri Lanka “quand les gens connaissent bien leurs droits,

ils sont à même de s’organiser”65

62 “Une action de sensibilisation sur les pratiques discriminatoires contre les femmes (Unnayan-Inde), fiche

n°15, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996, p. 51

63 “Lutte contre la discrimination des femmes (Fow-Malaisie), fiche n°21, in “Pratiques du droit, productions de

droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996, p. 63

64 “L’Ecole de droit alternatif du SALAG, Philippines “, fiche n°45, in “Pratiques du droit, productions de

droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996, p. 103

65 “Juristes, droits humains et développement”, Lawyers for Human Rights and Development (Sri Lanka)”,

fiche n°27, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 117, tome 3, décembre 1999,

p. 81

- d’autre part, elle constate un faible taux de participation aux réunions et considère dès lors

que les techniques juridiques transmises ne sont efficaces que si les communautés sont déjà

organisées et déterminées à agir pour résoudre leurs problèmes66.

D’autres difficultés sont aussi relevées dans l’éducation juridique :

- la langue des documents juridiques (par exemple, au Bangladesh, 99% de la population n’a

pas accès aux lois car elles sont écrites en anglais)

- le contexte politique et économique (par exemple, en Malaisie, l’Etat répressif laisse peu de

place à la mobilisation sociale et le succès économique rapide démobilise les actions

sociales67)

- campagnes publiques d'éducation généralement sur un droit particulier : à nouveau, ce type

d’action peut ne pas être considéré comme pouvant déboucher sur des pratiques alternatives

d'action juridique. Là encore, tout dépend de l'objectif de ces campagnes, de la manière dont

elles sont élaborées et mises en oeuvre (participation active de personnes privées de droits) et

d'éventuelles actions parallèles à ces campagnes ou encouragées par elles.

3 - actions de formation de parajuristes ( “paralegals”)

La formation de parajuristes ( “paralegals”) est loin d’être un épiphénomène en Asie. On la

retrouve au Pakistan (41-DF81), aux Philipines (47-DF81, 19-DF82), en Inde, en Malaisie

(17-DF82), en Thaïlande (21-DF82), au Sri-Lanka (27-DF117) , que ce soit parmi des

villageois, des femmes, des pêcheurs, des paysans. Ces parajuristes ont essentiellement pour

mission d’orienter, de sensibiliser les populations à leurs droits et, maîtrisant par ailleurs les

techniques de négociation, ils peuvent aussi venir parfois en appui à une action précise de

mobilisation collective.

Difficultés rencontrées :

- choix des personnes appropriées pour exercer le rôle de parajuriste

- manque de soutien logistique

- nécessité de présenter le droit de la manière la plus simple possible

- stage de formation trop court pour être efficace

Succès :

- formation utile qui permet de faciliter l’exercice, la protection et la promotion des droits

- protection des intérêts des groupes défavorisés en usant du droit

- méthodologie gratifiante car le bénéficiaire découvre et apprend par lui-même. La réussite

d’une formation s’apprécie ensuite par les retombées qu’elle peut avoir sur le terrain

(démultiplication, mobilisation pour une mise en application de droits ou pérennisation de la

situation précédant la formation).

66 “Le Programme d’assistance juridique du SALAG, Philippines “, fiche n°53, in “Pratiques du droit,

productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 117

67 “Sensibilisation de femmes au droit et actions pour un changement des mentalités (AWAM- Malaisie), fiche

n°18, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 57

2. - actions de lobbying en faveur de réformes législatives (en droit interne et en droit

international)

Il s’agit d’actions plus classiques de défense des droits de l’homme : lobbying, pression sur

le gouvernement pour qu’il se conforme au droit international, pour qu’il adopte de nouvelles

lois ou participation auprès d’instances des Nations unies pour rapporter des cas de violation

des droits de l’homme au sens large. Nombre des actions de lobbying sont menées sur la base

d’instruments internationaux, surtout des déclarations et des conventions de protection des

droits de l’homme, en vue de faire évoluer ou modifier le droit interne, souvent plus restrictif

et moins protecteur que le droit international. Nombre de lois en Asie peuvent être

considérées comme répressives : en Malaisie, les lois relatives aux minorités indigènes Orang

Asli en matière de droits fonciers ; en Thaïlande, les lois discriminant les femmes ou portant

atteinte aux agriculteurs ; en Inde ou en Thaïlande, les lois sur le logement et les actions du

gouvernement frappant les habitants de bidonvilles...

L'aspect “alternatif” de ce type d'initiatives dépend fortement de la nature des participants et

du but recherché.

Ici, il s’agit souvent soit d’une activité principale comme telle, soit d’une activité en amont,

consécutive à un travail en aval, visant à promouvoir des changements législatifs, par

exemple pour une prise en compte de droits coutumiers autochtones concernant la terre.

Observations :

Le réseau ACHR aux Philippines a permis, suite à son travail intensif de lobbying et de

pression, de faire adopter une loi plus favorable concernant l’habitat urbain. Mais, en

pratique, le budget de cette loi est si énorme qu’elle n’a pas été mise en application et les

expulsions sans relogement ont continué. Cette expérience montre que cette action ne va pas

assez loin si on ne donne pas aux populations concernées les moyens d’agir sur le terrain

68.

De son côté, l’ONG indienne UNNAYAN critique l’idée préconçue en vertu de laquelle si on

change une loi, on aboutit à une situation différente. Selon cette ONG, cette idée est fausse

car il s’agit aussi d’une question de changement des mentalités. Elle tirait ce constat de

l’existence de pratiques discriminatoires envers les femmes (institutions de la dot, meurtre ou

blessures très graves infligées à la mariée en cas de refus de versement de la dot) qui trouvent

leur fondement non pas dans la loi indienne mais dans l’application de coutumes et traditions

qui demeurent encore très présentes dans les mentalités malgré l’existence d’une loi plus

favorable 69.

68 “Narmada Bachao Andolan, un mouvement pour sauver le fleuve Narmada” (Inde), fiche n°1, in “Pratiques

du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996, p. 21

69 Une action de sensibilisation sur les pratiques discriminatoires contre les femmes (Unnayan-Inde), fiche n°15,

in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996, p. 51

Au Sri-Lanka, un service d’aide juridique remarque, par rapport aux réformes législatives,

que “les lois [concernant les femmes] ne sont jamais justes ni équitables si les femmes ne

sont pas impliquées dans les processus de légifération” 70.

En Malaisie, par contre, les minorités indigènes Orang Asli se sont organisées pour mener un

travail de lobbying auprès des autorités pour qu’elles adoptent une nouvelle loi en accord

avec les droits coutumiers autochtones concernant le droit à la terre.

Ici, semble-t- il, il ne s’agit pas de favoriser un changement des mentalités, il s’agit de faire

adopter une loi pour pouvoir s’en prévaloir contre la répression policière de l’Etat 71.

4 - actions revendicatrices de droits (mobilisation collective, mouvement de masse...)

Il s’agit d’actions de mobilisations renforcées par la conviction d’être dans son bon droit

Voir fiches :

- mobilisation des squatteurs pour qu’ils s’organisent (Inde- 14- DF82)

- mobilisation du mouvement Narmada Bachao Andolan (Inde-01-DF82)

- Mouvement des paysans pauvres et/ou sans terre (Philippines - 02-DF82)

- Mouvement des Indiens Nagas (Inde- 44- DF82)

Ces actions de mobilisation concernent directement les populations par rapport à un enjeu

concret et immédiat : il s'agit de mobilisations soit contre la mise en oeuvre d’un projet

(barrage, route, grand projet, usine polluante...) qui porte atteinte aux droits des populations

en les délogeant ou en leur prenant leurs terres, soit pour revendiquer l’accès à des droits

comme l’acquisition de logements ou de services sociaux et sanitaires dans des quartiers

défavorisés...

En outre, les actions de mobilisation sont également organisées pour se protéger d'une

persécution (dans l'exercice d'une certaine activité, comme les petits vendeurs sur la voie

publique, maltraités et taxés par la police, ou les persécutions contre les femmes dans la

famille, par la police etc.) ou mettre fin à une exploitation (ouvriers exigeant de meilleures

conditions de travail, de salaire, de sécurité de l'emploi etc.).

5 - recours aux modes alternatifs de règlements des litiges, parmi lesquels il s’agit de

distinguer :

* la résolution extra-judiciaire des conflits, type actions de médiation et création

d'instances "para-judiciaires" qui se retrouvent un peu partout en Asie. Il s’agit d’initiatives

récentes d'une grande diversité et d'une grande richesse qui, selon le rôle que les personnes y

jouent, constituent avec plus ou moins de succès des initiatives alternatives d'action juridique.

70 “Juristes, droits humains et développement”, Lawyers for Human Rights and Development (Sri Lanka)”,

fiche n°27, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 117, tome 3, décembre 1999,

p. 81

71 “La minorité indigène Orang Asli : entre droit positif et droit coutumier (Malaisie)”, fiche n°46, in

“Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 117, tome 3, décembre 1999, p. 115

* le recours aux systèmes informels de justice anciens, traditionnels comme le

“Salish” ou “Panchayat” au Bangladesh ou le “Lak Adalat”(tribunaux populaires) ou l’“Open

Court” en Inde (surtout en milieu rural)

Au Bangladesh, la recrudescence du recours au système traditionnel de justice était, au départ,

un moyen pour lutter contre le pouvoir étranger indien, afin de conserver son identité

culturelle.

En Inde, la pratique de l’Open Court est née, dans la région du Rangpur, d’un initiateur issu

de la bourgeoisie urbaine, lui-même fortement inspiré de Gandhi, qui, faisant le constat en

1949 de l’exploitation des villages pauvres et des dysfonctionements des programmes

étatiques d’assistance judiciaire en milieu rural, décida de réactiver cette pratique ancienne,

tombée en désuétude, de la remettre en vigueur. Cette pratique est aussi née d’un besoin de

conseils juridiques gratuits dans les villages les plus pauvres, d’informations juridiques afin

de pouvoir faire pression sur les tribunaux classiques pour faire valoir certains droits, au

bénéfices des plus pauvres.

- Au Bangladesh, les tribunaux traditionnels sont dominés par des couches supérieures de la

société ; ils ont tendance à être contrôlés par des hommes ; des arguments religieux peuvent

servir de justification à des peines inhumaines, souvent prononcées contre des femmes. Aussi

même si ces tribunaux sont ouverts et visent à favoriser la participation des gens du village,

on peut se demander si on peut les qualifier d’alternatifs lorsqu’ils reproduisent les mêmes

schémas que les tribunaux formels (domination de classe, instance patriarchale, normes

discriminatoires...) ?

Observation droit coutumier/droit de l’Etat : les coutumes peuvent s’avérer un élément de

cohésion pour une communauté par rapport à un pouvoir perçu comme extérieur/oppresseur

(ex. : c’est le cas du Bangladesh qui a eu recours à ce mode traditionnel de résolution des

conflits, existant avant son indépendance, afin de se démarquer du système imposé par l’Inde)

et un élément d’oppression au sein même de la communauté (ex. : contenu discriminatoire

vis-à-vis des femmes).

Observation : en réaction à ces tribunaux de type patriarchal, un organisme, Mahila Parishad,

à Dhaka, a mis en place un "tribunal informel" qui assure une sorte d'arbitrage entre les

femmes et leurs époux et familles, 2 à 3 fois par semaine au bureau de l'organisation (avec

déjà 6 à 7.000 sessions !). Arbitrage mis en oeuvre grâce au pouvoir de pression de ce

mouvement de masse pour la libération des femmes...

- en Malaisie, une minorité indigène a recours au droit coutumier pour résoudre des litiges

inhérents à la vie sociale de la communauté dans la mesure où ces litiges ne concernent ni le

pénal, ni le foncier alors même que ces domaines relèvent du droit étatique. Aussi est-il

piquant de constater que cette pratique de résolution des conflits est relativement tolérée par

l’Etat, dans la mesure où elle n’affecte pas les intérêts relevant de l’ordre public, ni les

intérêts économiques, comme ceux liés à la terre72.

72 “La minorité indigène Orang Asli : entre droit positif et droit coutumier (Malaisie)”, fiche n°46, in

“Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996, p. 115 ; on

pourrait faire un parallèle avec le tribunal des eaux de Valence qui est toléré par les autorités espagnoles tant

qu’il n’y a pas de gros intérêts économiques en jeu

- en Inde, la pratique de l’Open Court dans les ashram (communautés villageoises faisant

voeu de pauvreté, de chasteté...) s’inscrit dans le prolongement de la philosophie ganghienne

de non-violence pour aider les gens à régler leur conflit sans violence et semble en adéquation

avec le mode de vie communautaire choisi par les adivasis (= les habitants du ashram).

Proche de la population concernée, elle a sa confiance73.

* à côté des tribunaux traditionnels existent aussi des projets gouvernementaux de

création de tribunaux dans le but de les rendre accessibles aux populations, comme le projet

de Gram Adalat ou tribunaux de village, proposé par le gouvernement du Bangladesh en

1998, qui offre un système de résolution des conflits qui se veut différent, à même d’assurer

davantage d’égalité et d’équité. Ce projet, soutenu par tous les acteurs concernés (populations

rurales, femmes, juristes, média, ONG, associations de consommateurs...) s’est appuyée sur

des propositions soumises par les populations les plus démunies à l’occasion d’une enquête

réalisée en milieu rural.

73 “Pas de silence dans ce tribunal”, fiche n°19, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives

populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 55

III. Réflexion sur l’aspect alternatif dans les actions juridiques et

judiciaires en Asie : quelques éléments

  • · L'aspect “alternatif” des initiatives de sensibilisation, d’éducation et

d’assistance juridique, de lobbying..., dépend fortement de la nature des

participants (il ne s’agit pas de faire des études "sur" les privations et

violations de droits, mais d’identifier les processus garantissant la

participation active, à part entière, de personnes souffrant de violations et

de privations de droits) et du but recherché (non la simple connaissance

d'une situation, mais la production d'outils nécessaires à une action de

mobilisation et destinés à ceux qui doivent se mobiliser). Ainsi, le

caractère alternatif des services juridiques dépendrait des objectifs

assignés, de la méthode utilisée et, en particulier, de l’implication ou non

des participants bénéficiaires.

  • · Jefferson Plantilla (fondateur de ARRCC en Thaïlande et chercheur)

observait à la suite de la rencontre régionale sur les pratiques alternatives

de droit à Dhaka : faire de l’éducation aux droits de l’homme en Asie,

c’est faire de l’éducation aux pratiques alternatives de droit car parler de

la question des droits de l’homme au sens large, c’est déjà être dans

l’alternatif dans cette région...74

  • · La simple information sur les lois et systèmes juridiques existants peut-elle

suffire à donner lieu à des pratiques alternatives de droit, ou cette

information doit-elle nécessairement être associée à une vision critique

du droit pour faire émerger de telles pratiques ? Le débat reste ouvert ...

  • · Il semble que la plupart des actions menées le soient dans le cadre formel

du droit positif interne ou du droit international. Les initiatives

rencontrées visent à utiliser le droit existant pour protéger, défendre ou

faire reconnaître des droits, en oeuvrant principalement soit sur

l’application de dispositions légales existantes lorsqu’elles sont

favorables (une loi ou un article favorable extrait d’une loi même

défavorable)75, soit sur la neutralisation de la loi (ou d’un article)

lorsqu’elle est défavorable (en entrant en contradiction avec le système

juridique), soit pour l’élaboration de nouvelles normes. Ces actions

juridiques et judiciaires, menées de façon collective, pourraient être

considérées comme autant de productions de droit, même si elles restent

74 Bulletin de liaison de ARRC, 1994

75Aux Philippines, les paysans sans terre, avec l’appui de l’Alliance des organisations démocratiques

(ARADO), ont par exemple profité de la base juridique qu’offrait la loi de réforme agraire de 1998 pour justifier

de l’occupation de terres. Voir “L’Alliance des organisations démocratiques pour la réforme agraire (ARADOPhilippines)”,

fiche n°2, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2,

septembre 1996, p. 23.

inscrites dans le droit formel, positif de l’Etat, “dans la mesure où elles

sont l’oeuvre des personnes concernées, qui traitent le droit et la légalité

d’une autre façon, en tenant compte de la position objective et subjective

des gens concernés, en ne faisant pas du droit un absolu mythique, mais

en s’en servant”76.

76 Analyse succincte in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2,

septembre 1996, p. 11

IV. Rôle des avocats et pratiques alternatives de droit en Asie

“ Pour le syndicat Parivartan à Baroda, petite ville au nord de Bombay, en Inde, "il n'est pas

question de dépendre d'un avocat pour aucun combat". De fait, depuis 1976, nombreux parmi

ses 5000 ouvriers membres ont eu l'occasion de préparer et de présenter eux-mêmes leur

défense au cours de plus de mille actions engagées devant les Tribunaux locaux. Leur secret :

une "Ecole de droit" ambulante, où l'on forme quasiment des "juristes autodidactes"! Une

école de pratiques où les ouvriers se jettent à l'eau lors de "séances fictives de tribunaux", sur

des cas réels...

Pourquoi vouloir se passer d'avocats ? Ou du moins, y recourir de manière différente ?

Lorsque l'éducation et l'action juridiques sont des moyens permettant d'organiser les

populations marginales et opprimées, de leur faire prendre conscience de leur place dans la

société ainsi que de "leur droit d'avoir des droits", le rôle des avocats ne peut qu'être différent.

Car pour encourager les plus pauvres, les marginaux, les "sans droits", à justement défendre

leurs droits, le recours à des avocats classiques présente des risques et des inconvénients :

bien sûr, le coût... Mais surtout, en prenant la défense de leurs clients, ils les privent de leur

capacité de mobilisation, les dépossèdent de leur propre défense, les rendent dépendants

d'eux... et d'une logique juridique où trop souvent leurs droits n'ont pas leur place. En outre,

rares sont les avocats prêts à défendre ces causes difficiles, surtout dans les pays comme

Singapour, la Malaisie, Hong Kong, où une croissance économique fulgurante s'appuie sur la

suppression de tout espace de revendication, et où les avocats pensent plutôt à leur sécurité et

à leur carrière...

Il est pourtant bien difficile de ne pas faire appel à eux quand on se trouve face à des systèmes

juridiques non seulement abstraits et complexes, comme ils le sont tous, mais en outre

s'exprimant, dans presque tous ces pays d'Asie, dans une langue que les plus pauvres ne

maîtrisent pas : l'anglais. D'autant que le monopole des avocats reste la règle dans la plupart

des tribunaux. Les organisations populaires manquent de temps et de personnel pour gérer et

mener elles-mêmes les actions en justice et suivre les actualités juridiques (sans compter que

les publications juridiques valent des fortunes...).

Face à cette situation, on trouve en Asie une grande richesse de réponses, sans cesse remises

en question et améliorées.

Certains groupes d'avocats "alternatifs" répondent d'eux-mêmes à ce besoin et offrent, quasi

gratuitement, aux organisations populaires conseil et aide juridique, formation, et prise en

charge des actions en justice d'une manière qui permet la participation maximale des

intéressés. Ils sont nombreux aux Philippines, certains regroupés au sein d'un Réseau de 19

"Groupes Juridiques Alternatifs", doté d'un Code d'Ethique ; en Thailande, en Malaisie, au Sri

Lanka également... Les organisations populaires développent leurs propres initiatives.

Certaines emploient des avocats comme permanents ; les syndicats ouvriers le font souvent,

l'action juridique y étant priviligiée (législation du travail, tribunaux plus faciles d'accès,

développement de la médiation et de la négociation). De même, Ain O Salish Kendra (Centre

de ressources juridiques pour les femmes), à Dhaka (Bangladesh), emploie 2 avocats qui,

chaque semaine, participent, dans les bidonvilles, à des discussions collectives avec les

femmes, conseillent et favorisent la médiation. A Bombay, les Jeunes pour l'Unité et l'Action

(YUVA) ont mis en place leur propre Centre de Ressources Juridiques où collaborent juristes

et non-juristes/organisateurs, et qui devrait devenir autonome et se reproduire dans les

communautés. Friends of Women (FOW) en Malaisie travaille avec des réseaux régionaux

d'avocats volontaires, et les rencontre dans des réunions collectives mensuelles, avec les

femmes des communautés. UNNAYAN, qui mobilise les habitants des bidonvilles de

Calcutta contre l'expulsion, prépare les dossiers pour les 4 ou 5 avocats qui les appuient et fait

participer les populations qui dressent elles-mêmes la liste des votants, des bénéficiaires de

cartes de rationnement, rédigent et présentent les pétitions, etc...

Les avocats peuvent ainsi être associés à une réflexion collective et active, parties prenantes

d'une mobilisation où les organisations populaires ne perdent pas la maîtrise de leur lutte.

Cela permet en outre aux militants de se former, au point de pouvoir conseiller les avocats sur

les démarches à suivre et les arguments à défendre devant les tribunaux. Cela permet aussi

aux avocats de profondément modifier leur vision et leur approche de l'action juridique et

judiciaire, ainsi que des réalités vécues par les "sans-droits". On assiste en quelque sorte à une

"déprofessionalisation" des avocats, celle-ci devenant même un programme pour certaines

organisations.

Dans certaines situations cependant, même des avocats éclairés ne peuvent remplacer une

démarche d'autodéfense par les populations : c'est ce qui justifie la formation de tribunaux

"différents", ou la mise en place d'une médiation sans avocats, où les personnes concernées

peuvent être enfin leurs propres avocats... Ainsi, quand les avocats et les juges sont des

hommes, dans des pays ou les femmes, privées de leur droit d'exister pour elles-mêmes,

doivent tout sacrifier à la famille, comment ces femmes peuvent-elles défendre leurs droits ?

Mahila Parishad, à Dhaka (Bangladesh) a mis en place un "tribunal informel" qui assure une

sorte d'arbitrage entre les femmes et leurs époux et familles, 2 à 3 fois par semaine au bureau

de l'organisation (avec déjà 6 à 7.000 sessions!). Arbitrage mis en oeuvre grâce au pouvoir de

pression de ce mouvement de masse pour la libération des femmes... Un autre exemple est

celui du Sri Lanka, où OSLEN a mis sur pied un "tribunal alternatif" pour permettre aux

villageois de prendre eux-mêmes la défense de leur environnement, en préparant l'accusation

et prenant la parole devant ce tribunal réuni sur place, et dont les juges sont des personnalités

religieuses, intellectuelles ou artistiques.

En dehors de ces cas précis, les avocats demeurent des appuis importants dans toute

démarche juridique populaire. Ils peuvent en particulier fournir des informations sur les

failles de la loi, les stratégies et tactiques possibles, tous ces "tuyaux" qui permettent des

actions para ou méta-juridiques. Ils contribuent à l'effort pour "créer" de nouvelles lois, avec

la participation populaire ; le projet de loi sur le Droit à l'habitat en Inde, ou, aux Philippines,

la Proposition Populaire de Loi de Réforme Agraire (PARCODE), et la Loi sur les Pêcheries,

sont le fruit d'un travail de dialogue constant entre populations concernées, organisations

populaires et avocats.

Ils participent, directement ou indirectement, à des programmes de formation destinés à

transmettre aux organisateurs ou aux populations à la fois une information sur la nature et le

contenu des lois, et des informations pratiques pour l'action. Les avocats de SALAG

(Structural Alternative Legal Assistance for Grassroots) aux Philippines, souhaitent même

aller plus loin : ils veulent devenir des organisateurs sur le terrain, estimant que "l'avocat doit

prendre parti aux côtés de la communauté", et être prêts à prendre le temps nécessaire (même

des mois, des années) pour former, dans chaque communauté, des parajuristes totalement

capables de se prendre en charge et de régler les problèmes de leur communauté. Des

parajuristes qui se passent d'avocats...

Les avocats doivent-ils alors être aussi des organisateurs pour réellement s'insérer dans une

démarche critique et populaire de droit ? La plupart ne se lancent pas dans cette aventure et,

réservant ce rôle aux organisations populaires et aux parajuristes qu'elles forment, choisissent

de demeurer des appuis, au service d'un processus sans en être les acteurs principaux ... ”77

77 Catherine Gaudard, “Avocats et pratiques alternatives de droit en Asie”, fiche n°32, in “Pratiques du droit,

productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996, p. 87

V. Bibliographie

  • · Documents réalisés par Juristes-Solidarités

- Rapport de mission en Asie, Juristes-Solidarités, novembre 1993-janvier 1994. Pays concernés

(par ordre de parcours) : Inde, Bangladesh, Sri Lanka, Philippines, Malaisie, Singapour, Thaïlande,

Hong-Kong. Catherine Gaudard, 157 p.

- Rapport de la Rencontre régionale sur les pratiques alternatives de droit ( Report on the regional

workshop on alternative Practices of Law”, Dhaka-Bangladesh, du 28 mai au 2 juin 1994, 73 p.

  • · Les publications de Juristes-Solidarités

- les synthèses documentaires réalisées par Juristes-Solidarités (43 fiches sur l’Asie) :

(le 1er tome existe en anglais)

. “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996

(27 fiches sur l’Asie)

. “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996 (4

fiches sur l’Asie)

. “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 117, tome 3, décembre 1999

(12 fiches sur l’Asie)

- le Bulletin de liaison : “Le Courrier de Juristes-Solidarités”, numéros 1 à 21 (en version anglaise à

partir du numéro 6)

VI. Développement des sigles

Bangladesh : - Ain o Salish Kendra, Legal Resource Center for Women

- Bangladesh Mahila Parishad

- Coordinating Council for Human Rights in Bangladesh

- STD, Steps Towards Development

- Prodipan

- Mahila Parishad

- Madaripur Legal Aid Association

- BHRC - Bangladesh Human Rights Commission

- RIC - Ressource Integration Centre

- Solidarity

- WAVE - Welfare Association of Village Environment

- Social Progress Services

Hong Kong : - ACPP, Asian Center for the Progress of Peoples

- SOCO - Human Rights Commission - Society for Community Organisation

- CIC - Christian Industrial Committee

- AHRC - Asian Human Rights Commission

- CCLA - Hong Kong Catholic Commission fro Labor Affairs

- International Young Christian Workers

- CAW - Committee for Asian Women Workers

- AHRC - CCA Centre - Asian Human Rights Committee

- HKWCC - Hong Kong Women Christian Council

Inde : - UNNAYAN, Urban Poor

- YUVA, Youth for Unity and Voluntary Action

- SEWA, Self Employed Women’s Association

- Narmada Bachao Andolan

- Vadodara Kamdor Union

- CEE - Centre for Environment Education

- National Law School of India University, Bangalore

- ICSF - International Collective in Support of Fishworkers

- Bodhigram India

Malaisie : - DAGRA, Daya Guanam Rakayat - The Peoples Legal Resource

- AWAM - All Women’s Action Society

- ALIRAN

- Centre for Orang Asli Concerns

- Sahabat Wanita

- Tenaganita

- APWLD - Asia Pacific Forum on Women, Law & Development

Philippines : - ARADO, Agrarian Reform Alliance of Democratic Organisations

- Resource Center for People’s Development

- SALAG, Structural Alternative Legal Assistance for Grassroots

- PTSC - Paralegal Training Services Centre

- SENTRA

- FLAG - Free Legal Assistance Group

- Urban Poor Associates

- NFSW - Negros Federation of Sugar Workers

- ALAC - Alternative Legal Assistance Centre

- CARDS - Centre for Agrarian Reform Development and Services

Thaïlande : - ARRC, Asian Regional Resource Center for Human Rights Education

Sri Lanka : - LHRD, Lawyers for Human Rights and Development

- LST, Law and Society Trust

- ITGWU - Industrial Transport and General Workers Union

- Alternative People’s Tribunal

- CENWOR - Centre for Women’s Research

- Civil Rights Movement

- INFORM

- CSHR - Centre for the Study of Human Rights

Pakistan : - LHRLA - Lawyers for Human Rights and Legal Aid

- Democratic Commision for Human Development

Etat des lieux des pratiques alternatives de droit

en Europe, en particulier en France

I. Un aperçu du contexte dans lequel ont évolué les pratiques de droit

en Europe : des années 70 à nos jours

Notons qu’il s’agit ici d’un aperçu de l’évolution du contexte existant plus en France qu’en

Europe. Car, hormis quelques contacts en Belgique et en Espagne, l’essentiel des pratiques

avec lesquelles Juristes-Solidarités est en relation se trouve en France. Ceci s’explique non

pas par l’absence de pratiques dans d’autres pays européens mais plutôt par le fait que

Juristes-Solidarités n’a pu, à ce jour, effectuer une mission d’identification systématique des

pratiques alternatives de droit en Europe 78 qui permettrait d’avoir une vision plus générale du

phénomène.

Roberto Bergalli, professeur de droit à l’université de Barcelone, explique le développement

formidable qu’ont connu les pratiques de droit en Europe en rapport avec un contexte issu de

l’après-guerre : En Europe, après la 2ème guerre mondiale, la crise de la médiation juridique

au sein des démocraties sociales a suscité une réflexion approfondie chez les juristes

critiques. En effet, à la fin des années 40, l'Europe s'ouvre à un nouveau type de rapports entre

société civile et Etat, et le droit constitutionnel évolue vers plus de social et de démocratie.

Néanmoins, les postulats traditionnels de l'Etat de droit (division des pouvoirs, distinction

entre législation et administration, séparation entre privé et public...) ainsi que les bases de la

démocratie économique (libre marché) et politique (partis politiques, parlement) ont

commencé à se dégrader. De plus, la concentration économique, la lutte politique armée des

années 70 et la perte de légitimité de l'Etat providence suite à la première crise énergétique,

ont mis sérieusement en question les trois fonctions attribuées au droit : orientation sociale,

résolution des conflits, légitimation du pouvoir.79

En France, l’évolution d’un mouvement de pratiques de droit pourrait se décliner en trois

phases :

A. De l’après-mai ’68 à début ’80

B. Des années 80 à début 90

C. De mi-90 à 2000

A. De l’après-mai ’68 à début ’80

78Une mission d’identification a été néanmoins menée par Juristes-Solidarités en France, en Belgique, en

Espagne et en Italie, dans un domaine bien précis : celui de la création de micro-entreprises. En porte-à-faux par

rapport aux lectures comparées et technicistes du droit, cette mission a donné lieu à un dossier, réalisé à partir

d’une série d’entretiens menés dans ces 4 pays, entre 1996 et 1998, auprès de porteurs de projets créant par

nécessité, qui vise à faire ressortir la perception et l’analyse de l’environnement juridique et institutionnel que

ces derniers ont exprimé, à la suite de leur expérience propre de création d’une micro-activité. A partir de

diverses expériences de création, le dossier tente d’identifier l’existence de dynamiques individuelles et

collectives d’appropriation du droit, c’est-à-dire des dynamiques où les créateurs ne subissent pas le droit mais

apprennent à le connaître, à le ramener à leur quotidien, à le faire respecter, à le faire appliquer lorsqu’il est

bénéfique, à le contourner lorsqu’il est défavorable, voire à proposer de nouveaux cadres juridiques plus adaptés

à la réalité des situations vécues. Il ressort de ce travail que l’environnement institutionnel qui, en France, est

foisonnant, cloisonné et affecté par les réductions budgétaires, ne semble pas ou peu offrir des conditions

favorables aux dynamiques d’appropriation du droit par ces porteurs d’initiatives conjointes, de création de

revenus et de réinsertion sociale.

79 “L’usage alternatif du droit” en Italie, fiche n°73, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives

populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 163

Brosser un tableau de ce que fut la critique du droit en France dans les 30 dernières années

revient à en décrire les péripéties de l’immédiat après-mai 68 et des mouvements de

contestation du droit et de la justice (création du MAJ, Mouvement d’Action judiciaire ;

création de l’Ecole nationale de la magistrature à Bordeaux promouvant une formation en

prise avec la réalité, comme celle du monde ouvrier ...).

Dans les années 1970 et 80, Jacques Faget (chercheur au CNRS et professeur à l’Institut

d’Etudes Politiques de Bordeaux) remarque que “les professions juridiques étaient peu

préparées à comprendre l’explosion sociale du droit qui se préparait et qui ne s’explique pas

seulement par l’inflation legislative et la multiplication des contentieux techniques mais par

l’effondrement des capacités des groupes sociaux à réguler leurs conflits. Elles ressentirent

douloureusement le développement de pratiques juridiques alternatives à leur monopole”80.

Ces pratiques alternatives recouvraient et recouvrent encore aujourd’hui essentiellement le

travail des associations de défense d’intérêts catégoriels qui surgissent à cette époque, comme

celui des boutiques de droit qui, dans les années 70, s’étaient mises en place dans les grandes

villes : défense de consommateurs, de locataires, de femmes (elles réclament alors le droit sur

leur corps), de mineurs, de travailleurs immigrés, de détenus pour insoumission,

d’homosexuels (qui commencent à faire état publiquement de leur condition), de prostituées,

d’animateurs de radios “libres”, d’écologistes adversaires à l’utilisation du pouvoir

nucléaire...81 ainsi que les consultations offertes dans des structures aussi diverses que les

mairies, les services socio-éducatifs, des entreprises...

Selon Jean-Pierre Bonafé-Schmitt (chercheur au CNRS, fondateur de la Boutique de droit de

Lyon), la mutation du contexte économique et social, avec la disparition progressive des

communautés de base traditionnelles (famille, village, église) au sein desquelles de nombreux

conflits étaient régulés, au profit de nouvelles communautés plus massives, a engendré un

nouveau genre de conflits qui demande de nouvelles formes de justice. En conséquence, ces

conflits, qui naissent comme résultant d'une vie plus communautaire (litiges de voisinage,

réclamations de consommateurs, problèmes d'environnement) appellent une justice plus

“communautaire” ou “coexistentielle” basée sur la conciliation et non sur la sanction. Il ne

s'agit plus de trancher un problème du passé en proclamant qui a raison ou qui a tort, mais

d'en résoudre un, soulevé entre personnes qui doivent continuer à vivre ensemble 82. Ainsi,

selon lui, la réapparition de la médiation dans nos sociétés préfigure davantage une refonte

des modes de régulation sociale en faisant appel à une participation plus active des citoyens,

qu’une réponse à des dysfonctionnements de l'institution judiciaire 83.

B. Des années 80 à 90

80 Faget J., “L’accès au droit : logiques de marché et enjeux sociaux”, in Droit et société, 1995, n° 30-31, pp.

367-378

81 “leur lutte ne relevant pas du corporatisme mais plutôt de la sauvegarde quotidienne d’une identité” in Actes,

dossier “Dix ans de pratique critique du droit en Europe”, octobre 1982, n°38

82 “Les justices au quotidien : les modes formels et informels de règlement des petits litiges”, fiche n°61, in

“Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 141

83 “ Médiation : du droit imposé au droit négocié ?”, fiche n°14, in “Pratiques du droit, productions de droit :

initiatives populaires”, DF 117, tome 3, décembre 1999, p. 49

Durant la décennie 80, on observe une marchandisation progressive des relations sociales.

L’Etat-providence, en s’infiltrant dans tous les domaines de la vie sociale, par l’inflation du

droit écrit et une juridicisation à outrance, a dépossédé les gens des liens de solidarité qui

existaient au sein de communautés telles que la famille, l’église, le quartier, les syndicats,...84

De nombreux initiateurs de boutiques de droit quittent ces structures, dont la plupart

s’effondrent avec leur départ, laissant derrière elles la mémoire de ces initiatives. Mais la

demande sociale de droit est là et s’accroît.

C’est dans ce contexte d’inflation du “marché des biens juridiques” que s’inscrit la logique

des professionnels du droit qui, en promouvant la loi de 1991 relative à l’aide juridique,

visent en réalité à contrôler la concurrence des nouveaux et “nombreux marchands dans le

temple de la consultation juridique”. Si les intérêts financiers des professions juridiques sont

défendus par cette dernière loi, celle-ci reste, en matière d’aide juridique, sans effet en

pratique. Pourquoi ? D’abord, les avocats souffrent du syndrôme de “l’anomie

institutionnelle” : prisonniers d’une logique du chiffre et du phénomène d’européanisation

des cabinets, ils désertent les lieux de défense des plus démunis. Ensuite, cette loi s’avère

inadaptée à une demande sociale du droit, qui nécessite en réalité davantage une réponse

socio-politique et une approche stratégique de l’utilisation du droit, qu’un traitement

mécanique ou technique de type demande/réponse.

Par ailleurs, le droit apparaît lui-même en crise : le droit souffre à la fois de gigantisme et de

lacunes en raison de sa nécessaire normalisation pour réglementer les politiques publiques et

du fait du développement du droit international et européen, doté d'une autorité supérieure à

celle des normes nationales. En outre, le droit fait l'objet de contestations plus nombreuses

qu'auparavant car on attend de lui des résultats dans le domaine socio- économique. Le droit

est mis à l'épreuve : on juge de l'efficacité ou de l'inefficacité d'une loi par ses effets

escomptés, la légitimité d’une loi étant devenue une question d’efficacité. Enfin, on dénonce

l'encombrement de la justice, sa lenteur, son manque de moyens budgétaires et la perte

d'indépendance des magistrats vis à vis du pouvoir politique. 85

C. De mi-90 à 2000

Médiation, accès au droit, maisons de justice sont les maîtres-mots de cette période.

84 Jean-Pierre Bonafé-Schmitt note à ce sujet qu’une des issues à cette crise passe par moins d’Etat et moins de

marché.

85 “Le droit en procès”, fiche n°109, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81,

tome 1, septembre 1996, p. 233

La médiation devient un phénomène de mode, on la retrouve dans de plus en plus de

domaines, sans plus savoir toujours s’il s’agit de médiation communautaire ou institutionnelle

; le terme est galvaudé (on parle de médiation même dans des relations binaires, le médiateur

apparaît comme un nouveau métier, un nouveau service de proximité - voir les agents de la

RATP avec un uniforme indiquant en grandes lettres “MEDIATEUR”). La médiation (en

particulier pénale) apparaît par ailleurs comme un nouveau fonds de commerce pour nombre

d’avocats, avec la mise en place de centres de médiation dans les barreaux, comme ceux de

l’Ile-de-France. A l’occasion de la rencontre régionale sur l’accès au droit en Ile-de-France

(27 avril 2000)86, le Bâtonnier du barreau de Paris (qui regroupe 14.000 avocats) soulevait à

cette occasion le problème de la “mise en concurrence” des différents intervenants dans le

domaine du droit, tout en mettant en avant les garanties de responsabilité et de bonne

conduite du métier par les avocats liés par un code déontalogique par rapport à leur ordre...

Pourquoi la médiation judiciaire connaît-elle aujourd’hui un tel succès ? Parler de médiation

judiciaire, et, a fortiori, de médiation en matière pénale, peut paraître surprenant. Plusieurs

raisons déterminent cependant cet essor selon Jacques Faget : la contestation des institutions

répressives ; la prise en compte des intérêts des victimes dont on découvre leur perte de

pouvoir d’accusation, devant les instances traditionnelles, au profit du ministère public ; la

plus grande faveur accordée à la communauté ; l’augmentation de la demande sociale de

droit ; la surcharge des tribunaux et l’explosion des classements sans suite...

De même, “ l’accès au droit prend une acuité particulière avec les différentes “crises” qui

affectent la société : montée des exclusions, crise de confiance dans la justice, crise des

modes traditionnels de régulation, et crise du droit lui-même [...] Le thème est également

réactualisé par le discours et l’action politiques du gouvernement actuel, qui fait de l’égal

accès au droit pour tous les citoyens une priorité 87. Ces crises peuvent expliquer une demande

de droit accrue et particulièrement forte dans certains cas ainsi que la multiplication actuelle

des actions en faveur de l’accès au droit, dont les origines sont diverses :

86 En préparation à cette rencontre, une enquête a été menée sur la région Ile-de-de-France qui dresse un état

des lieux et des besoins sur l’accès au droit, voir l’excellent document intitulé “Documents et Etudes. Repères

pour un service public local de l’accès au droit en Ile-de-France”, avril 2000, 31p.

87 Projet de thèse de doctorat de Gaëlle Steinberg, “les politiques d’accès au droit”, octobre 1999

  • · structures associatives ;
  • · dispositifs du réseau judiciaire de proximité comme les Maisons de justice et du droit

(MJD), les tribunaux d’instance...L’expression “Maisons de justice” apparaît en 1992

avec la volonté politique de restaurer le droit dans les quartiers dits hors droit. En

France comme en Belgique, l’idée d’une justice de proximité, avec l’instauration

notamment des Maisons de justice et du droit, est apparue dans le cadre de la politique

des villes et, en particulier, dans le cadre d’une politique de prévention dans les

quartiers dits à risques ou difficiles, axée sur la lutte contre l’insécurité créée par la

petite délinquance urbaine. Ceci, en délocalisant le système judiciaire : un local, une

“maison”, est implanté dans un quartier dit “à problèmes” en vue de répondre à la

question dite de l’insécurité; en traitant, d’une part, de la petite délinquance, dans un

esprit de médiation pénale et en organisant, d’autre part, un ensemble de permanences

destinées à favoriser l’accès à l’information sur le droit.

Les réserves exprimées à l’égard des MJD sont nombreuses : d'un côté, certains juges

craignent qu'une justice trop proche n'offre pas l'anonymat et la “neutralité” souhaitée par

certains utilisateurs, et n'assume plus la fonction d'arbitrage du jugement. De l'autre, certains

jeunes n'y voient qu'un outil supplémentaire de répression, tandis que des victimes ou le

commissaire de police déplorent la faiblesse de son approche non-répressive !88

  • · dispositifs du réseau d’accès au droit : dans le cadre du programme de réforme de la justice

présenté par le Garde des Sceaux, la loi du 18 décembre 1998 relative à l’accès au droit

et à la résolution amiable des conflits 89, modifiant la loi du 10 juillet 1991 relative à

l’aide juridique, a institué dans chaque département des groupements d’intérêts publics

dénommés “conseils départementaux de l’accès au droit” - CDAD, chargés de définir

une politique départementale de l’accès au droit et d’attribuer à différentes structures

d’accès au droit (associatives, de professionnels du droit ou d’étudiants en droit), le

label “point d’accès au droit”(P.A.D.).

88 “La maison de Justice dans la cité : le glaive et la balance” fiche n°25, in “Pratiques du droit, productions de

droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 65

89 Notons qu’en 1998, a été également adoptée la loi d’orientation du 31 juillet 1998 de prévention et de lutte

contre les exclusions traitant de l’accès aux droits - écrit au pluriel- dans le cadre d’un programme de lutte contre

les exclusions, oeuvre du ministère de l’emploi et de la solidarité

II. Typologie des pratiques alternatives de droit en France

Les types d’actions juridiques et judiciaires avec lesquelles Juristes-Solidarités est en relation

sont grosso modo :

- les permanences juridiques : Boutique de droit à Lyon, Service droit des Jeunes à Lille,

Droits d’urgence à Paris, Droit au Logement à Paris, Ateliers Populaires d’urbanisme à Lille,

Droits Devant !! à Paris, AssociationS.O.S. Agriculteurs en difficultés 90

- L’expérience des Boutiques de droit a constitué l’une des expressions des nombreuses

pratiques innovantes qui ont vu le jour en matière d’information et de conseil juridique. Lieux

d’échanges d’expériences pour la recherche de nouvelles modalités de résolution des conflits

mais aussi pour développer de nouvelles règles de vie élaborées en commun, ces structures

collectives n’ont guère survécu aux années ’80, sauf celle de Lyon. Nous en avons également

rencontré une à Louvain -La-Neuve (Belgique) où les permanences sont animées par de

jeunes étudiants en droit. Mais l’esprit qui animait avant les boutiques de droit semble se

perdre doucement...peut-être en raison d’un manque de mémoire au sein-même de ces

structures. Les jeunes qui travaillent à la Boutique de droit de Lyon, avait remarqué Nicole

Schmutz, ne sont pas toujours attentifs aux besoins d’écoute de la part des usagers qui

viennent les voir ; la Boutique de droit de Louvain-la-Neuve n’avait aucune idée de

l’inscription de cette initiative dans un mouvement plus large qui s’était développé durant les

années 70.

- Le Service Droit des Jeunes s’est attaqué au problème spécifique de l’accès au droit par les

jeunes. Lieu d’information et d’accès au droit inscrit dans l’action sociale, le SDJ est amené,

en accueillant des jeunes, à prendre en compte toutes sortes de données et à aborder un autre

problème lié aux droits : celui de l’identité sociale et de la citoyenneté. Notons qu’il existe

depuis peu, un site Droits des jeunes : http://www.droitsdesjeunes.gouv.fr mais c’est un site

gouvernemental (“le premier à destination des jeunes entièrement consacré à leurs droits”)91.

- L’association parisienne Droit d’urgence a fait le constat que les personnes désinsérées, les

plus exclues, en dépit d’une offre de services sociaux et juridiques chargés de faciliter l’accès

au droit et à l’aide juridictionnelle, ne s’adressent pas à ces services. C’est pourquoi Droit

d’urgence a imaginé de travailler autrement, en décentrant ses permanences juridiques au sein

de lieux qui accueillent des personnes en situation de grande précarité, comme les centres de

Médecins du Monde.

- Droit au Logement, au-delà des actions judiciaires ou des occupations d’immeubles, assure

dans différents quartiers de Paris des permanences juridiques sur le droit en matière de

logement (contrat de location, expulsions...) dispensées par des bénévoles, juristes et nonjuristes

(anciens expulsés, étudiants, travailleurs sociaux...).

90 En Belgique, on retrouve Promotion Droits sociaux à Bruxelles, Téléservices à Bruxelles, Service Droit des

Jeunes à Namur, Lutte Solidarité Travail à Namur, Solidarités nouvelles à Charleroi...

91 Au sujet des sites, pour connaître ses droits gratuitement sur internet, notons que des sites juridiques

commencent à surgir comme SOSnet, un serveur d’aide juridique aux étrangers en France et de droit de la

consommation http://sos-net.eu.org

- Droits Devant !! organise des permanences principalement sur le droit au logement et le

droit des étrangers.

- L’Association S.OS. Agriculteurs en difficultés, dans l’Ouest de la France, et ses équipes

locales dans une majorité croissante de départements en France, qui, depuis 1985, travaillent

pour soutenir, défendre, informer et former les petits producteurs et éleveurs, victimes

notamment de la politique agricole européenne en vigueur.

D’une manière générale, ces permanences se caractérisent des permanences juridiques

“classiques” par :

- une gratuité du service

- un travail mené par des juristes et des non-juristes

- une facilité d’accès, une proximité géographique

- un problème de droit au quotidien (logement, famille, santé, régularisation de papiers, aide

aux victimes, ...)

- un accueil et une écoute attentive (empathie)

- des séances collectives où les usagers peuvent échanger entre eux leurs problèmes

- une méthodologie particulière dans la découverte du problème : tous ses aspects (politiques,

économiques, juridiques) et conjointement (usager et intervenant juridique sont dans un

rapport égalitaire, interactif...il n’y a pas celui qui sait et l’autre qui ne sait pas).

Parmi les initiatives citées, on retrouve l’une ou l’autre de ces caractéristiques mais rarement

toutes ensemble.

Les publics :

- jeunes

- immigrés/sans papiers

- mal-logés, sans-logis

- locataires

- chômeurs

- habitants de quartiers

- marins-pêcheurs (voir les asociations d’accueil des marins)

- paysans en difficulté

- la formation au droit :

  • · d’“animateurs” ou de “promoteurs juridiques” dans les quartiers en milieu

urbain

- Rassadj-Nord (Lille) : “réseau d’associations, et structures de travail social pour l’accès au

droit et à la justice du département du Nord” qui a démarré il y a 2/3 ans (1997/1998) un

projet de formation de promoteurs d’accès au droit chargés d’informer les gens de leurs

droits dans les associations reliées au réseau Rassadj (associations de locataires, de chômeurs,

culturelles d’habitants de quartiers difficiles (comme “la voix des nanas”), associations

d’immigrés, le Droit au Logement-Lille, 4 ou 5 Ateliers populaires d’urbanisme). Beaucoup

de ces associations ne pouvant employer un promoteur comme tel, plusieurs se sont

regroupées afin de mutualiser leurs ressources pour accueillir un promoteur d’accès au droit

(emploi-jeune). A ce jour, 4 ou 5 promoteurs ont été employés.

- Droits d’urgence : mise en oeuvre d’un dispositif d’agents d’accès au droit, mis en place

par le Comité départemental d’accès au droit (CDAD) de Paris avec le concours de ville de

Paris, qui a permis l’implantation de plus d’une trentaine (bientôt 40) de jeunes juristes

(formés par Droits d’urgence) dans les centres d’action sociale de la ville de Paris et de

nombreuses associations parisiennes.

  • · de paysans en milieu rural

- l’expérience de l’Association des fermiers drômois de 1976 à 1981 est révélatrice à ce sujet :

dans la Drôme (département du Sud-Est de la France), la période de 1976 à 1981 a été

caractérisée par une stratégie de formation de paysans à partir de thèmes très sensibles :

foncier, pouvoir, justice.

Dans un premier temps, une action d'information massive (sur la justice, ses mécanismes, la

loi et son élaboration, le statut juridique des locataires en fermage et en métayage) a été

menée au cours de réunions locales à l'intention de tous les fermiers et métayers. Puis dans un

second temps, s’est développée une action de formation d'un certain nombre d'entre eux, les

plus motivés, pour leur donner la capacité de répondre à des questions juridiques posées par

leurs collègues et pour être armés pour siéger les uns dans les structures réglementaires

(commissions consultatives des baux ruraux), les autres dans les instances judiciaires

(Tribunaux paritaires tels que les tribunaux des baux ruraux92). En même temps, un travail

d’auto-formation réciproque, entre magistrats professionnels et délégués fermiers-métayers,

s’est fait, permettant aux uns (les paysans) de démystifier le juge, et aux autres (les juges) de

connaître la réalité qu’ils ont à juger.

- les actions d’utilisation du droit existant à travers des actions judiciaires pour faire

évoluer la jurisprudence dans un sens favorable aux besoins de ceux qui sont les plus en

difficulté.

92 Les tribunaux de baux ruraux (1 au siège de chaque Tribunal d’instance) connaissent des affaires portant sur

le statut du fermage et opposant les preneurs (métayers ou fermiers) et bailleurs. Il s’agit d’une juridiction assez

spécifique : composition paritaire, contentieux professionnel, règles de procédures simples, et en ce sens,

proches du milieu du justiciable.

Globalement dans les 5 tribunaux de baux ruraux de la Drôme, une étude effectuée au début

des années 80 montre que les fermiers et métayers en conflits avec leurs propriétaires, le plus

souvent défendus par l'Association des fermiers drômois, gagnent leurs procès dans une

proportion de 70 à 90 pour cent, alors que dans les autres départements où ce travail n'a pas

encore été développé, défendus en général par des avocats, ils perdent leurs procès dans la

même proportion. La loi (plus favorable aux propriétaires qu’aux locataires fermiers ou

métayers) n’a pourtant pas changé, la nature de l’appareil judiciaire non plus. Cette évolution

dans les décisions judiciaires est le résultat de la réappropriation par les paysans concernés de

leurs problèmes et de leur capacité à faire irruption dans les palais de justice avec leur réalité,

créant une dynamique : ce que certains appellent un rapport de force favorable. Mais cette

expérience reste fragile.

Avec SOS Agriculteurs en difficulté, les paysans recréent aujourd’hui de nouvelles solidarités

qui prennent le relais de structures mutualistes ou coopératives d’autrefois. De nombreuses

associations de défense des agriculteurs en difficulté se sont créées pour amener des firmes

agro-alimentaires ou les banques à négocier, en ayant recours à des outils juridiques et

judiciaires93 (recours aux procédures collectives de liquidation sur base de la loi française de

1985, étendue au milieu agricole en 1988 ; recours à la conciliation ; règlement à l’amiable et

négocations ; organisation de sessions de formation juridique à destination de paysans

concernés par la faillite dans certains départements).

- les actions de création de droits à travers l’action judiciaire, comme celle menée par

Droit au Logement en 1995 à l’issue de laquelle la Cour de cassation a reconnu la nouvelle

notion de “squatt par nécessité”. Relevons que l’action du DAL est l’expression collective

d’une revendication légitime des mal-logés et des sans-abris. Elle est directement en lien avec

la recherche d’une réponse à des besoins fondamentaux, exprimés par les personnes

concernées, qui agissent en concertation avec d’autres parties de la population sensibilisées à

leurs problèmes. Cette pratique participe ainsi à l’élaboration d’une citoyenneté active.

L’action juridique et judiciaire qui vient en appui est l’un des moyens de l’action collective et

revendicative. Les acteurs concernés se mobilisent pour faire valoir leurs droits, faire

appliquer les textes de lois qui leur sont favorables ; le droit existant ou créé étant l’un des

instruments permettant l’amélioration de leurs conditions de vie.

- les actions de création de droits à travers les pratiques de médiation

Le droit est plus grand que l’ensemble des sources formelles du droit. L’existence de ce

pluralisme juridique doit être recherchée dans la société elle-même. Dans ce cadre, la

médiation est porteuse d’un nouveau système normatif qui fait appel en priorité à la notion

d’équité. En matière de production de normes, la médiation fait des individus des acteurs, des

sujets de leur conflit. La médiation va également dans le sens d’une plus grande

décentralisation, mais aussi d’une participation plus active des individus ou des groupes dans

la production des normes en société.

Les grands principes sur lesquels repose la médiation :

- Le volontariat. Les parties sont d'accord pour recourir à la médiation.

- La participation personnelle des intéressés. Les parties participent elles-mêmes à la

recherche d'un accord.

93 “Explosions de solidarités nouvelles en agriculture” et “Défense d’une caution”, fiche n°16 et 17, in

“Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 47 et 49

- L'assistance d'un tiers indépendant des parties, choisi en raison de la confiance que placent

en ses aptitudes, sa compétence, sa probité ceux qui le désignent.

- La confidentialité des négociations.

- L'absence de tout pouvoir juridictionnel du médiateur : à la différence d'un juge ou d'un

arbitre qui rendent une décision obligatoire pour les parties. C'est aux parties qu' appartient la

solution finale du litige.

- La recherche d'une solution équitable ou au moins acceptable pour les deux parties.

On est en contact, directement ou indirectement à travers les informations relevées dans la

Lettre de la Médiation et des Boutiques de droit, avec à la fois des pratiques

institutionnelles de médiation (expérience de conciliation pénale à Valence, médiation

pénale pratiquée au sein de Maisons de justice et du droit94, INAVEM (Institut National

d’Aide aux Victimes de Médiation), un réseau d’une 100aine d’associations en France se

réclamant pratiquer la médiation pénale...) et des pratiques non institutionnelles ou

communautaires de médiation (médiation de quartier, médiation sociale, médiation

scolaire, médiation familiale...).

Il existe une littérature très abondante en matière de médiation , Juristes-Solidarités ayant de

son côté rédigé une trentaine de fiches sur ce sujet95. Inutile de rappeler que Juristes-

Solidarités est prioritairement en contact avec des pratiques de médiation communautaire,

s’agissant de médiation librement choisie par les parties en conflits sans intervention (même

lointaine) de l’institution judiciaire, comme c’est le cas pour la médiation pénale ou la

conciliation en matière civile96.

La démarche communautaire de médiation offre, en effet, la possibilité aux citoyens de se

réapproprier les modes de gestion des conflits. Le médiateur est le plus souvent une personne

issue du même milieu que les gens qui entreprennent une démarche de médiation. L’exercice

direct de ces responsabilités renforce, en rétablissant le lien social, la vitalité et la stabilité des

relations de voisinage.

Enfin, notons qu’en matière de résolution des conflits, en matière civile, les Prud’homies de

pêcheurs en méditerrannée, en tant qu’auxilliaire de justice, constituent un pouvoir exclusif et

sans appel de résolution des conflits, lui permettant de juger “tous les différends entre

pêcheurs survenus à l’occasion de faits de pêche”. Les conflits concernent la plupart du

temps le non-respect du tour de rôle, la pêche sauvage sans permis, le non respect des zones

ou périodes de pêche. Les jugements sont cependant rares. En pratique, la résolution des

conflits se fait davantage sous la forme de la conciliation, dans le souci de maintenir la

cohésion sociale, que par un jugement en tant que tel.

94 Aujourd’hui (avril 2000), il existe 47 MJD en France.

95 Ce qui correspond environ à 13% des fiches parues dans les synthèses documentaires

96 En France, l’intégration de la médiation pénale dans les politiques de l’action publique a été officialisée par

le vote de la loi du 4 janvier 1993 (et du décret du 10 avril 1996) qui ne donne qu’au parquet le pouvoir de

prononcer, en accord avec les parties, des mesures de médiation (dans la phase pré-juridictionnelle). C’est la loi

du 8 février 1995 qui consacre la notion de conciliation judiciaire civile en introduisant dans le Code de

procédure civile des dispositions permettant au juge, avec l’accord préalable des parties, de désigner une tierce

personne à l’effet de les entendre et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution

à leur conflit.

Sur le plan réglementaire, la prud’homie a le pouvoir de “régler entre les pêcheurs la

jouissance de la mer, de déterminer les postes, tours de rôle [...] afin de prévenir, autant que

possible, les rixes, dommages ou accidents”. Depuis 1994, l’Etat prend en compte le pouvoir

et la légitimité des prud’homies compte tenu de leur ancrage sur le terrain. Ainsi, afin d’éviter

les concurrences entre la réglementation des Affaires maritimes et celle des Prud’homies, un

décret de 1994 des Affaires Maritimes prévoit dorénavant une consultation systématique des

prud’homies avant toute réglementation en matière maritime97.

- le règlement alternatif des litiges, en dehors de l’appareil judiciaire :

A côté des expériences de médiation comme telles, il existe aussi des pratiques de résolution

des conflits à travers la mise en place de tribunaux parallèles qui, se basant sur du droit

coutumier ou du droit comunautaire, tranchent des litiges issus de problèmes quotidiens :

gestion de l’eau avec le Tribunal des Eaux de Valence (Espagne) qui existe depuis près de

1000 ans98, conflits dans les communautés tziganes liés au mariage, à la famille...avec le

Tribunal des Roms99.

97 “Les Prud’homies de pêcheurs en méditerranée” (France), fiche n°10, in “Pratiques du droit, productions de

droit : initiatives populaires”, DF 117, tome 3, décembre 1999, p. 37

98 “Le tribunal des eaux de Valence et sa procédure : oralité, simplicité, rapidité, économie”, fiche n°21, in

“Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1, septembre 1996, p. 57

99 “La Kris : tribunal des Rom”, fiche n°8, in “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”,

DF 117, tome 3, décembre 1999, p. 37

III. Réflexion sur l’aspect alternatif des pratiques de droit en Europe

Les efforts de réflexion sur l’accès au droit, l’accès à la justice, la justice de proximité, la

médiation sont particulièrement nombreux, surtout à travers les recherches menées par des

praticiens avocats, juristes, magistrats, professeurs, chercheurs en sociologie juridique. La

réflexion sur les modes de représentation de la justice ou le pluralisme juridique sont plutôt

l’apanage des anthropologues du droit, que ce soit à travers le Laboratoire d’Anthropologie

Juridique de Paris I ou l’AFAD (l’Association Française des Anthropologues du Droit).

Parmi les contacts avec lesquels Juristes-Solidarités est en relation :

- Michel Alliot (fondateur du Laboratoire d’Anthropologie juridique de Paris I, recteur de

l’Université de Versailles)

-André-Jean Arnaud (Sociologue du droit, fondateur de l’Institut International de Sociologie

Juridique à Onati, à l’initiative du lancement de la revue Droit et Société et de la réédition du

Dictionnaire encyclopédique de Théorie et de Sociologie du droit)

- Jean-Pierre Bonafé-Schmitt (fondateur de la Boutique de droit à Lyon et de l’Association

Médiation de Lyon (AMELY), chercheur au groupe lyonnais de Sociologie industrielle

(GLYSI), une équipe du CNRS associée à l’Université Lumière Lyon II)

- Jacques Faget (chercheur au CNRS et professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de

Bordeaux)

- Jacques Fierens (professeur de droit à l’Université Notre Dame de la Paix à Namur et

directeur du Centre Droits fondamentaux et Lien Social à Namur en Belgique)

- Louis Joinet (Premier avocat général à la Cour de cassation à Paris)

- Etienne Le Roy (professeur d’anthropologie du Droit à l’Université de Paris 1 et directeur

du Laboratoire d’Anthropologie juridique de Paris I)

- Philippe Pédrot (directeur de l’Institut d’Etudes Judiciaires, Université de Toulon et du Var)

  • · On retrouve une définition de la notion de “pratiques alternatives de

droit” comme telle dans le Dictionnaire encyclopédique de Théorie et

de Sociologie du Droit, publié sous la direction de André-Jean

Arnaud :

l’expression “pratique alternative du droit” traduit la volonté de professionnels du

droit et juristes, d’utiliser le droit dans les stratégies de changement social au profit de

groupes sociaux et de personnes qui sont dans des situations de non-pouvoir : les

assistés sociaux, les chômeurs, les femmes, les personnes âgées, les jeunes, les

autochtones, les immigrants, les minorités ethniques ... Les auteurs parlent de pratiques

alternatives du droit, développent des stratégies de politisation des conflits juridiques et

de judiciarisation des conflits politiques. Ces auteurs insistent sur les limites des

solutions juridiques individualisées apportées à des litiges qui touchent des groupes

sociaux en situation de non-pouvoir. Ils préconisent des actions collectives de façon à

sensibiliser les autorités publiques et les autres groupes sociaux, à des solutions

juridiques ou politiques mieux adaptées aux litiges vécus par ces personnes et ces

groupes sociaux”. Le terme de “pratique populaire du droit” se traduit lui par “un plus

grand accès de la population à de l’information juridique sur les droits et obligations

qui concernent tous les domaines de la vie quotidienne”.

Enfin, le Dictionnaire précise que “cette pratique populaire du droit peut aussi se situer

dans le courant idéologique soutenu par des juristes qui préconisent une appropriation

du droit par la population, dans la perspective de démystifier le droit et de développer

une meilleure compréhension de son contenu et de ses limites, notamment dans les

secteurs qui touchent à la vie quotidienne. A ce courant se rattache la création de

regroupements associatifs de défense des droits de certains groupes sociaux, qui offrent

des conseils juridiques gratuits dans les domaine de l’aide sociale, de l’assurancechômage,

du logement, des accidents de travail, de la consommation, de

l’immigration .... de façon à ce que les personnes aux prises avec des problèmes

juridiques puissent dans la mesure du possible y trouver par elles-mêmes des solutions

adaptées, contentieuses ou non”.100

Par ailleurs, le dictionnaire définit le terme “alternatif (Usage - du droit)” de trois

manières:

- en premier, comme “courant doctrinal et de praxis juridico-politique, généralement

d’inspiration marxiste, qui soutient la nature politique du droit, son caractère de classe

et admet la possibilité de son interprétation à l’encontre des intérêts de la classe

dominante et au service des classes opprimées ”.

- En second, comme méthodologie juridique établie à partir d’une “réflexion théorique

sur la connaissance juridique et la nature du droit”.

- Enfin, comme pratique juridico-politique dans le sens d’une “utilisation des normes

juridiques [...] comme objets, intérêts et valeurs distinctes de ceux auxquels prétend la

classe bourgeoise dominante et hégémonique dans la création et l’application du droit ”.

L’usage alternatif du droit s’entend d’un “usage du droit qui prétend changer, “altérer”

100 “Usage alternatif du droit et pratique alternative du droit : définitions”, fiche n°36, in “Pratiques du

droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996, p. 95

2

ou “alterner” les bénéfices ou les conséquences défavorables que le droit emporte avec

lui”.

  • · Débat sur l’alternativité dans la médiation : comment se caractérise-t-elle

?

Dans le domaine de la médiation qui est vue comme un mode de résolution alternatif de

conflits, une première interrogation renvoie au sens des mots et, en particulier, à la

caractérisation de ce que recouvre finalement l’alternatif. Faut-il comprendre que

l’alternatif se situe nécessairement hors du judiciaire et hors du droit, ou peut-on

considérer que les modes juridiques de résolution des litiges hors juridiction mais

consacrés par le droit peuvent également obtenir ce “label” (cas notamment des

instances de médiation et de conciliation reconnues par le droit français) ?

Certains font la distinction entre alternative “interne” ou “externe” au système ; la

véritable alternativité s’appréciant selon la nature du rapport à la justice de l'Etat.

“Spontanée et purement volontaire à ses origines, la médiation est, dans certains cas,

érigée par la loi en passage obligé”. Lorsqu'elle se développe sous l'égide de la justice

(c'est-à-dire quand le juge y renvoie les parties, désigne un médiateur, joue le rôle de

conciliateur ou encore assure le contrôle de la médiation) peut-on encore parler de mode

alternatif de règlement des conflits ? En fait, “médiation judiciaire et juridiction

gracieuse ne sont pas des alternatives de la justice étatique, mais au sein de celle-ci, des

alternatives de la juridiction contentieuse. Il n'y a pas opposition à l'appareil judiciaire,

mais aménagement de celui-ci. L'existence de ces modes alternatifs intégrés est une

variante de droit comparé. [...] Elle constitue une alternative interne”.101

  • · Des germes d’un mouvement de pensée critique du droit, que reste-t-il

aujourd’hui ?

A partir de 1974, la revue Actes (Cahiers d’action juridique) s’efforce, sur des sujets

brûlants, d’offrir des éléments de réflexion à partir de pratiques... Si traditionnellement,

la critique des structures juridiques était l’apanage des politiciens et des juristes, depuis

les années 70, la critique du droit et de la justice est devenue une critique populaire :

“pour la plupart des juristes, la critique du droit s’entend d’habitude comme une affaire

de juristes et elle reste, pour l’essentiel, une affaire interne au monde du droit. Or, depuis

les années 70, elle a débordé du monde juridique et c’est à l’extérieur, plus précisément

sur le plan des relations du droit et de la politique, qu’elle s’est essentiellement

développée”

Créé dans la foulée de 1968, le Syndicat de la magistrature ne se contentait pas de

syndiquer les magistrats, il consacrait ses congrès non pas à des questions corporatistes

mais à une réflexion sur la justice (“la justice et le pouvoir”, “la justice et l’argent”...).

Cette intervention des professionnels du droit sur le terrain politique est allée de pair avec

une sorte de déprofessionnalisation de la critique du droit, l’exemple type étant fourni ici

par les boutiques de droit, animées le plus souvent par des non-juristes 102.

Et, aujourd’hui, qu’en est-il ?

101 “Modes alternatifs de règlement des conflits. Quelle alternativité ?”, fiche n°15, in “Pratiques du droit,

productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996, p. 51

102 In Actes, dossier “Dix ans de pratique critique du droit en Europe”, octobre 1982, n°38, p. 4

3

IV. Rôle des non-professionnels du droit dans l’usage alternatif du

droit

  • · Un constat : l’existence d’un fossé culturel entre professionnels du droit

(magistrats, avocats, notaires, huissiers...) et populations

défavorisées

Une étude menée en Belgique en 1998 sur l’accès au droit et aux tribunaux 103 met en

évidence un véritable décalage culturel entre le nombre d’avocats stagiaires ou inscrits au

barreau et les justiciables cumulant des indices de vulnérabilité :

D’un côté, “l’inégalité est au départ et elle ne cessera de se renforcer, le passé revenant

inlassablement parasiter le présent et compromettre l’avenir [...]à la maison, à l’école,

dans les administrations ou au tribunal, on reprochera à l’enfant du quart monde de ne

pas être au point, de ne pas être conforme, d’être immoral, d’être irresponsable. Une vie

jalonnée de sanctions, de préceptes moraux, de reproches de ne pas être ce qu’il aurait dû

être alors même qu’on ne lui a pas transmis les ressources pour y parvenir”

De l’autre, le magistrat, ou l’avocat, établi dans sa profession, plonge ses racines dans un

bain culturel familial et scolaire plutôt aisé. Fort de ce bagage culturel, cognitif et

philosophique, il suit alors une formation universitaire, souvent disciplinaire et

monolithique, de cinq ans, le plongeant de plein pied dans la rationalité et le langage du

droit, dans le juridisme et l’objectivation des comportements humains dans des tiroirs

juridiques.

Six dérives, constituant des obstables éventuellement cumulables, sont alors constatées

dans l’exercice du métier : la condescendance, la recherche du prestige, le réflexe

individualiste, le penchant paternaliste, l’esprit caritatif et la tendance autoritaire. Le

risque qui découle de ces dérives est celui de la fermeture d’esprit et de la fermeture au

dialogue interculturel.

  • · médiation : enjeux et professionnalisation

La médiation comme mode de résolution des conflits s'est répandue dans de nombreux

domaines : la famille, les établissements scolaires, les quartiers... Face à la demande

croissante de médiation, la question de la professionnalisation de cette activité se pose.

Quelles sont les caractéristiques du médiateur ?

- Autorité sans pouvoir sur les personnes, mais avec un pouvoir sur les conditions de

déroulement du processus de la médiation.

- Le médiateur garde sa place de tiers au conflit, il n’a pas de pouvoir, il établit ou rétablit

la communication entre les parties

- Le médiateur doit toujours faire exister le principe d’équité

- Les médiateurs institutionnels ont d’abord à résoudre des problèmes et représentent un

certain pouvoir, les médiateurs citoyens sont des médiateurs naturels qui naissent dans les

groupes sociaux.

103 Voir l’ouvrage de Denis Dobbelstein et José Pinilla, “ L’accès aux droits et à la justice. De la

citoyenneté à l’accès à la justice, une proposition réversible ? ”, éd. La Charte, Bruxelles, 1999, 314 p.

4

Pour les tenants du modèle professionnel, pour résoudre un conflit entre deux personnes,

on exige du médiateur des techniques et des règles d'analyse transactionnelle, de la

dynami-que de groupes et non plus seulement du bon sens et une bonne écoute. La

profession-nalisation de cette activité passe donc par la formation. Afin que le médiateur

agisse en véritable professionnel, l'exercice de sa fonction implique une qualification. La

formation doit, dans cette logique, conférer une véritable identité professionnelle, plus

qu'une simple compétence.

Le second enjeu de la médiation passe par l'institutionnalisation de cette activité, par la

création d'organisations nationales professionnelles et la recherche de modes de

financement, afin d’assurer la pérennité des projets de médiation. En France, le Centre

national de la médiation (créé par Jean-François Six) s'est donné comme but de regrouper

l'ensemble des praticiens ou organisations de médiation générale.

L'émergence du médiateur comme nouvel acteur dans le champ de la régulation des

conflits pose également une autre question : doit-on considérer la médiation comme une

profession autonome ou comme l'activité accessoire d'une profession existante ? Avocats,

travailleurs sociaux et magistrats estiment qu'ils pratiquent d'une manière accessoire la

médiation dans l'exercice de leur fonction. Or ils ne constituent pas pour autant des

instances de médiation. La distinction est importante. Les médiateurs recontrent de

nombreuses difficultés pour construire leur identité autour d'une compétence

professionnelle. Cette identité est vue comme nécessaire, par ces partisans, pour pouvoir

échapper aux tentatives de contrôle du marché de la médiation par les professions

traditionnelles du droit ou du social.

Pour les tenants d’une non-professionnalisation, encadrer, organiser la fonction de la

médiation dans une structure et un plus grand formalisme risque d'inhiber l'action sociale,

“l'effet thérapeutique” qu'elle exerce : parce que ce mode de résolution des conflits est

adapté aux relations quotidiennes, par sa souplesse et la diversité des ses acteurs, parce

qu'elle propose un dialogue et contribue à renforcer les liens de solidarité. Les

mouvements de professionnalisation, d'institutionnalisation ne doivent en aucun cas

perdre de vue la répercussion sociale de cette technique. Faut-il revendiquer un texte

législatif conférant au médiateur un statut ? La légitimité de la fonction du médiateur

doit-elle faire l'objet d'une règlementation ? Mais légiférer sur le statut du médiateur

n'exclut pas les pressions de la part d'un bon nombre de professions qui tentent de

contrôler l'accès de cette nouvelle fonction. Jean-Pierre Bonafé-Schmitt souligne que la

médiation peut trouver sa légitimité dans la reconnaissance qu'ont les habitants du

quartier dans le mode de résolution des conflits. C'est une légitimité sociale qui s'acquiert

au fil de la pratique et des mois, par la confiance qu'accordent les parties en saisissant

directement cette instance de médiation104.

104 “La médiation : enjeux et professionnalisation” , fiche n°37, in “Pratiques du droit, productions de

droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2, septembre 1996, p. 97

5

V. Les nouveaux défis ?

Autour des médiations :

- les maisons de justice installées, dans des quartiers dits difficiles, entraîneraient-elles

une socialisation de la justice, en particulier pénale, ou une pénalisation du social ?

- Comment interpréter le phénomène du développement de la médiation en général ?

  • · D’un côté, réponse à la crise de l’institution judiciaire ?

Outil supplémentaire de répression ?

Alternative ou opposition à des modèles plus conflictuels ?

Technique de gestion de conflits individuels ?

Marque de la présence de l’Etat qui compense par sa visibilité les attentes

de protection qu’il ne veut plus satisfaire par les moyens traditionnels ?

  • · De l’autre, nouveau mode de régulation sociale reposant sur une vision pluraliste

des modes de règlement des conflits et des sources du droit ?

Mode préfigurant une évolution qualitative de nos sociétés vers une plus

grande pluralité, vers une complexité des forces de régulation sociale ?

Pour résumer, la médiation est-elle un phénomène préfigurant la refonte des modes de

régulation sociale permettant une plus grande implication des acteurs dans la résolution

des conflits ou est-ce une réponse à des dysfonctionnements de l’institution judiciaire ?

- La médiation est-elle adaptée à des conflits entre personnes de force inégale ?

- La médiation ne risque-t-elle pas d’imposer de nouvelles normes plutôt que de redonner

du pouvoir aux intéressés ?

- le développement des modes alternatifs de résolution des litiges signifie-t-il “processus

de judiciarisation ou processus de déjudiciarisation de la société” ?

Autour de l’accès au droit au sens large105 :

Qui y accède ? Comment favoriser l’accès au droit des populations défavorisées ? Quelle

est leur capacité d’agir sur le droit ? Formation et action de sensibilisation au droit sont

diffusées par des groupements, des associations, des services juridiques populaires, des

ONG qui stimulent la participation des personnes et leur réflexion critique sur le système

politique, le pouvoir, la notion de droit positif. Ce regard sur l’accès au droit - ayant

comme corollaire la question de savoir à quel droit accéder - permet de nous interroger

sur la construction de la démocratie et la participation citoyenne.

- La promotion actuelle de l’accès au droit en France par les politiques publiques peutelle

contribuer au regain d’un mouvement s’inscrivant dans le même esprit que celui qui

existait dans les années 70 avec les boutiques de droit ?

105 Pour Jacques Faget, la notion d’accès au droit désigne “au plan symbolique la conquête de la

citoyenneté, l’accès au statut de sujet de droit, et au plan instrumental l’accès à l’information sur le droit,

la capacité d’agir sur le droit soit offensivement (mettre en oeuvre son droit), soit défensivement (faire

respecter son droit)”. La citoyenneté est appréhendée comme “la possibilité donnée à tous les membres

d’une formation sociale d’avoir et d’exercer les mêmes droits et de répondre aux mêmes obligations”.

6

Autour de l’évolution des pratiques critiques du droit en France :

- Pourquoi ne reste-t-il que quelques vestiges des expériences juridiques et judiciaires

qui, en France, dans les années 70, ont connu un formidable développement ? A ce sujet,

Jean Designe soulève deux questions : celle du décalage entre la confrontation d'intérêts

différents et la production de la règle de droit, et celle de la pérennité de ce type

d'expérience, exemplaire mais précaire. D'où le besoin d'une réflexion concrète. Sur la

première, un travail est à faire pour arriver à une meilleure compréhension du

comportement historique des mouvements sociaux face à la loi. Ensuite, il serait

nécessaire d'observer les pratiques au quotidien des communautés pour pouvoir aborder

la production des normes de vie (de régulation des conflits) à l'intérieur des sociétés. La

deuxième, sur la pérennité, rejoint la nécessité d'identifier les dynamiques d'action et de

réflexion qui favorisent le renforcement des pratiques au-delà des individus, pour sortir

du fonctionnement trop marqué par l'activisme.

Autour de la justice :

- La justice, un service public ? A quelle condition la justice pourra-t-elle rester un bien

public sans être pour autant exclusivement aux mains de l’Etat ? Selon Antoine Garapon,

directeur de l’Institut d’études judiciaires à l’Ecole nationale de la magistrature à Paris, le

débat n’est pas entre le monopole de l’Etat sur la justice ou le renvoi au marché comme

on le présente de manière caricaturale. L’aménagement d’une justice plus civique à

l’ombre du droit est un enjeu politique nouveau, non pis-aller mais lieu d’une

redynamisation de la démocratie.

7

VI. Bibliographie

  • · Documents réalisés par Juristes-Solidarités

- “Démocratie et Droits au quotidien : lutter en Europe contre l’exclusion par l’action juridique

et judiciaire”, 1994, 24 p.

- “Droits au quotidien et développement. Programme d’information et de formation à l’action

juridique et judiciaire 1994-1996 - Programme de sensibilisation des citoyens à l’utilisation du

droit comme vecteur de développement”, 1994, 24 p.

- “Le droit, une valeur d’échanges et de solidarités Nord-Sud - Programme européen d’éducation

au développement 2000-2003”, 1999, 41 p.

- Quatre rapports de mission réalisés dans le cadre de l’étude sur les dynamiques individuelles et

collectives d’appropriation du droit en matière de création de micro-activités économiques et

l’environnement juridique et institutionnel respectivement en France (1996-1997), en Belgique

(1998), en Espagne et en Italie (1997)

  • · Les publications de Juristes-Solidarités

- les synthèses documentaires réalisées par Juristes-Solidarités (73 fiches sur l’Europe) :

. “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 81, tome 1,

septembre 1996 (33 fiches sur l’Europe)

. “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 82, tome 2,

septembre 1996 (11 fiches sur l’Europe)

. “Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires”, DF 117, tome 3,

décembre 1999 (29 fiches sur l’Europe)

- “Dynamiques individuelles et collectives d’appropriation du droit en matière de création de

micro-activités économiques. A propos de l’environnement juridique et institutionnel en France,

en Belgique, en Espagne et en Italie”, publié dans la collection Initiatives économiques pour une

société solidaire, dossier n°4, édité par EFICEA, octobre 1999, Paris, 105 p.

- le Bulletin de liaison : “Le Courrier de Juristes-Solidarités”, numéros 1 à 21

- “Le droit peut-il servir aux pauvres”, Jean Designe, in IRED Forum, IRED, Genève, Suisse,

janvier-mars 1992, n°42, p. 77-78

- “Pratiques alternatives de droit : initiatives populaires”, Jean Designe, in Histoires de

développement : “le droit au quotidien”, CIEDEL et Fondation pour le Progrès de l’Homme,

Lyon, France, décembre 1992, n°20, p. 20-24

- “Droit et Démocratie : Quelles pratiques ? Quelles résistances ?”, co-production Juristes-

Solidarités et Cimade, in Cimade Information, Montpellier, France, juin 1992, Hors série, 82 p.

- “ Code d’action. De l’esprit des lois”, Patricia Huyghebaert et Boris Martin, in Nations

Solidaires, CFSI, Paris, France, 1er trimestre 1997, n°204, p. 20-22

8

  • · Articles divers

- Actes, dossier “Les permanences juridiques et boutiques du droit”, décembre 1975/n°9 et

printemps 1976/n°10

- Actes, dossier “Former des Juristes ?”, printemps 1978/n°17

- Actes, dossier “boutiques de droit”, automne 1977/n°15

- Actes, dossier “Avocat = défense= justice ?”, septembre-octobre 1974/n°4

- Actes, dossier “Dix ans de pratique critique du droit en Europe”, octobre 1982/n°38

- Denis Dobbelstein et José Pinilla, “ L’accès aux droits et à la justice. De la citoyenneté à

l’accès à la justice, une proposition réversible ? ”, éd. La Charte, Bruxelles, 1999, 314 p.

- Faget J., “L’accès au droit : logiques de marché et enjeux sociaux”, in Droit et société, 1995, n°

30-31, pp. 367-378

- Informations sociales, dossier “La demande sociale de droit”, 1992, n°22

- François Ruellan, “Médiation-conciliation. Les modes alternatifs de résolution des conflits :

pour une justice plurielle dans le respect du droit”, in Semaine juridique Edition générale, n°19-

20, 12 mai 1999, P. 899-903

- Benoît Van Keirsblick, “L’Ecole et la justice : le droit est-il soluble dans la pédagogie (ou vice

versa)?”, in Désenclaver l’école, sous la direction de C. Darenne, A.F. Gailly et J. Liesenborghs,

éd. Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme, Paris, 1998, p.

- Wyvekens A., “Justice de proximité et proximités de la justice. Les maisons de justice et du

droit”, in Droit et société, 1996, n°33, pp. 363-388.

- ouvrage collectif, “boutiques de droit”, éd. Solin, Paris, 19??, p.

- “Documents et Etudes. Repères pour un service public local de l’accès au droit en Ile-de-

France”, Rencontre régionale sur l’accès au droit en Ile-de-France, 27 avril 2000, 31p.

9

VII. Développement des sigles

France :

- SDJ, Service Droit des Jeunes à Lille

- Thémis, Service droit des Jeunes à Strasbourg

- APU, Atelier populaire d’urbanisme

- Cimade

- AMELY, Association de médiation à Lyon

- Boutique de droit de Lyon

- DAL, Droit au logement

- Droits d’urgence

- Droits devants !!

- AFD, Association des Fermiers drômois

- Coordination SOS Agriculteurs en difficulté du Grand Ouest

- Solidarités Paysans

- RMA, Réseau des médiateurs associés

- OIP, Observatoire international des prisons

- Marin Accueil

- La Communauté maritime de Dunkerque

- LAJP, Laboratoire d’Anthropologie Juridique de Paris I

- ENM, Ecole nationale de la magistrature

- AFAD, Association française des Anthropologues du Droit

- Rassadj-Nord, réseau d’associations, et structures de travail social pour l’accès au droit et à la

justice du département du Nord

Belgique

- SDJ, service droit des jeunes

- LST, Lutte, Solidarité, travail

- DFLS, Centre Droits fondamentaux et lien social

Espagne

- IISJ, Institut international de Sociologie Juridique d’Onati

Italie

- Centre de gestion des conflits

Angleterre

- Southwark Mediation Center

10

CONCLUSION GENERALE

Nous avons tenté dans ce rapport de dresser un état des lieux des pratiques alternatives de

droit, de les caractériser, de les interpeller au regard de leur contexte propre d’émergence

et de leur contexte actuel, de mettre en avant les perceptions culturelles différentes de

l’aspect “alternatif” et/ou novateur de ces pratiques et de montrer, selon les régions, quel

est le rôle des juristes et non-juristes dans l’utilisation alternative du droit et, enfin, les

questions fondamentales qui s’y posent.

Différentes approches du droit selon les régions

Sans vouloir tomber dans des clichés réducteurs, le recours au droit par les associations,

les praticiens et les populations concernées, fait l’objet de représentations différentes

selon les régions qui, à gros traits, se déclineraient comme suit : le droit est tantôt vu

prioritairement comme un outil de transformation sociale dans un rapport au pouvoir très

marqué par la relation dominant/dominé (tendance latino-américaine) ; tantôt

principalement comme un outil de développement et de démocratisation (tendance

africaine) ; tantôt il est utilisé comme un outil d’exercice de la citoyenneté et

d’autonomie des personnes (tendance européenne) ; tantôt, il est davantage perçu comme

un outil d’émancipation (au sens de empowerment) des personnes, de défense et de

promotion des droits de la personne humaine (tendance asiatique)...

Des pratiques diverses

Quelle que soit l’approche du droit selon les régions, de l’ensemble des expériences avec

lesquelles Juristes-Solidarités est en relation, tant dans les pays des Suds que des Nords,

six grandes “familles” de pratiques se dégagent. Elles peuvent se combiner et recoupent

des thématiques diverses :

- les actions de sensibilisation au droit, d’éveil au droit, de popularisation du droit, à

partir de différents outils de sensibilisation (théâtre de rue, animations radio, causeriesdébats,

...) qui visent à démystifier le droit et qui s’accompagnent parfois (mais non

systématiquement) d’une vision critique du droit positif.

- les actions promouvant l’accès au droit des populations, à travers des permanences

juridiques, qui se distinguent des consultations juridiques conventionnelles par les

publics visés (populations marginalisées, jeunes en rupture, paysans en difficulté,

habitants de bidonvilles, ...) et parfois (mais ce n’est pas généralisé) par la méthodologie

utilisée (implication de la (des) personne(s) concernée(s) dans la recherche d’une solution

appropriée, appropriation de son propre destin, écoute/empathie, découverte de tous les

aspects d’un problème...).

- les actions de formation de parajuristes, ces non-professionnels du droit, hommes,

femmes, paysans, villageois, pêcheurs, artisans du secteur informel, dirigeants syndicaux,

dirigeants de communautés indigènes..., formés aux notions élémentaires du droit, qui

font le lien entre le droit et la vie quotidienne des gens des communautés ou des quartiers

dans lesquels ils vivent, que ce soit en Afrique, en Asie ou en Amérique latine.

11

Ces dernières actions sont tantôt menées de façon distincte, tantôt perçues comme

préalables à la conduite d’actions juridiques, judiciaires, et extra-judiciaires :

- les actions juridiques106, menées par les populations concernées qui, maîtrisant les outils

juridiques et les techniques de négociation, arrivent à avoir gain de cause pour

l’application d’un droit, sa neutralisation, voire la création d’un droit, que ce soit en

milieu urbain ou rural, et ce, à travers divers modes d’actions (négociation avec les

autorités, création d’un débat public à travers la médiatisation d’un problème, proposition

de réformes législatives, investissement et occupation des lieux de prises de décisions,

mouvement de contestation, luttes prenant appui sur le droit, grèves de la faim...)

- les actions judiciaires, menées au sein de l’appareil judiciaire, sur base du droit formel

existant pour le faire évoluer en faveur des plus démunis ou pour créer de nouveaux

précédents judiciaires.

- les actions de résolution extra-judiciaire des conflits (recours à des modes de justice

communautaire, recours à la médiation communautaire, de quartier...), qui se réfèrent à

des us et coutumes, à du droit communautaire ou, tout simplement, au principe de

l’autonomie de la volonté, et qui peuvent être tolérées, encouragées, récupérées,

combattues ou niées par l’Etat...Les interactions entre droit coutumier et droit moderne

(dans des domaines variés comme l’eau, le statut de la femme, la pêche, la terre...)

ouvrent ici un champ riche de réflexions dans la mesure où la frontière s’avère

aujourd’hui sans doute moins tranchée qu’hier...

En milieu rural, les grandes thématiques récurrentes concernent surtout :

- les conflits liés à la famille et à la femme (mariage forcé, veuvage, lévirats, ...)

- les conflits pastoraux entre éleveurs et agriculteurs

- les conflits de métayage et de fermage entre métayers-fermiers et propriétaires

- les conflits liés au vol de bétail ou au pillage de cultures par des mafias locales

- les conflits liés à la divagation des animaux

- les conflits liés à la gestion de l’eau

- la réforme agraire (proposition de réforme législative, demande d’application de

la loi...)

- la lutte contre les expropriations forcées/ les occupations de terres

En milieu urbain, les initiatives populaires concernent surtout :

- l’accès à l’habitat urbain (épargne/logement)

- la construction d’habitats populaires

- l’occupation de terrains

- le squat de logements vides

- la lutte contre les expulsions de logements

106 Pour Juristes-Solidarités, le juridique fait référence aux textes, lois, règlements, conventions,

usages...globalement, à toutes les normes produites par l’Etat et les collectivités, mais aussi par la

population.

12

Quelle que soit leur diversité, l’ensemble de ces pratiques visent toutes, délibérément ou

non107, un changement d’attitude des plus démunis par rapport à la loi afin que ces

derniers passent d’une attitude légaliste passive (l’individu considéré et se considérant

comme incompétent subit le droit élaboré en dehors de lui) à une attitude légitimiste

active (la personne apprend à connaître le droit, le rapporte à son quotidien, l’utilise,

participe à son évolution : elle se l’approprie).

Des pratiques alternatives de droit mises à l’épreuve...

Les pratiques juridiques populaires s’inscrivent aujourd’hui dans un contexte général

marqué par la globalisation économique, la généralisation des mouvements de

dérégulation, de libéralisation et de privatisation des services publics, du retrait du rôle

de l’Etat en particulier dans le domaine social et par la marchandisation croissante des

rapports en société. Dans ce contexte de mondialisation économique qui accentue la

marginalisation des droits économiques et sociaux, des initiatives générées par des

populations, socialement et économiquement vulnérables, mal ou non protégées par

l’Etat, qui prennent appui sur le droit pour répondre à leurs besoins quotidiens les plus

élémentaires demeurent encore aujourd’hui. Leur pertinence s’avère sans doute d’autant

plus forte que le contexte actuel apparaît peu propice à leur épanouissement.

Certaines de ces pratiques semblent même se renforcer depuis plusieurs années et

favoriser l’émergence de véritables dynamiques sociales autour de l’utilisation et de la

production du droit par les populations. On pense, par exemple, aux rondas campesinas

qui se développent au Pérou depuis les années 80 ; au phénomène parajuridique, en tant

que phénomène porteur de signes avant-coureurs de changements sociaux ; ou encore au

phénomène de la médiation dans le sens où il préfigure la refonte de modes de régulation

sociale qui permettent une plus grande implication des acteurs dans la résolution des

conflits.

Toutefois, la tendance générale semble indiquer que les expériences alternatives

populaires juridiques et judiciaires (comme la formation de personnes concernées pour

qu’elles défendent elles-mêmes leurs problèmes en justice, comme des permanences

juridiques visant à démystifier le droit, exercées par des juristes et des non-juristes, etc...)

tendent à se fragiliser au fil du temps.

Plusieurs hypothèses (qui restent à vérifier de façon plus systématique) permettent

d’expliquer cela :

Maints initiateurs de ces pratiques, que ce soit en Europe ou en Amérique latine,

travaillent aujourd’hui dans le secteur privé (grands cabinets d’avocats, entreprises...) ou

au niveau gouvernemental voire inter-gouvernemental, entraînant avec leur départ

souvent la disparition de l’initiative, ou la perte de l’esprit qui l’animait ; en Asie, la

conviction et l’action ne semblent plus à elles seules suffire pour mener une action

juridique et judiciaire, celle-ci s’accompagne d’une stratégie réfléchie et d’une

professionnalisation des compétences nécessitant de faire appel à des experts techniques,

sans doute moins “engagés” que les acteurs de terrain concernés. Un peu partout, des

107 Certains groupes de terrain qui sont dans l’action n’ont pas spécialement conceptualisé leur action dans

ce sens.

13

organisations d’appui au développement soutenant ces pratiques ont dû faire face à des

difficultés financières les obligeant à supprimer ou à suspendre les activités non

directement “rentables” , c’est-à-dire essentiellement les activités juridiques (animation,

sensibilisation au droit, éducation juridique...) menées souvent gratuitement.

Dans ce cadre, la dynamique du réseau que promeut Juristes-Solidarités trouve toute sa

place puisqu’elle tend, par son action, à soutenir et à renforcer les groupes de terrain dans

leur travail, à briser leur relatif isolement, à favoriser l’échange d’expériences entre ces

groupes, à valoriser les acquis en les systématisant et en les conceptualisant.

Au-delà des individus et des moyens financiers, d’autres raisons pourraient expliquer la

tendance des pratiques à se fragiliser au fil du temps.

On peut penser que les pratiques alternatives de droit seraient par nature

conjoncturelles. Elles se termineraient lorsque disparaissent ou se modifient la

conjoncture socio-politique et les circonstances qui l’ont fait fonctionner ou lorsque les

besoins des personnes concernées seraient satisfaits.

Leur fragilisation pourrait aussi être liée à un problème de réappropriation du droit dans

le temps par les populations dans la mesure où le droit n’est véritablement une ressource

stratégique de changement social que s’il est réapproprié par les populations concernées.

La nature intrinsèque du droit qui ferait que tantôt il est dominé, tantôt il est subi sans

pouvoir être intégré de façon régulière dans un vécu quotidien ...pourrait également

expliquer ce phénomène de fragilisation.

Enfin, on pourrait y voir la manifestation d’une caractéristique intrinsèque à ces

pratiques qui serait qu’elles ne se figent pas, mais qu’elles se meuvent au gré des

mouvances du corps social (ce qui expliquerait aussi la difficulté de les suivre dans le

temps et l’espace)...disparaîtraient ici, se généreraient là-bas...qu’importe, chaque

pratique constituerait une expérience utile à l’action, susceptible de générer, interpeller,

inspirer, renforcer d’autres pratiques...

A poursuivre...

14

CATALOGUE DES PUBLICATIONS DE

JURISTES-SOLIDARITÉS

Le Courrier de Juristes-Solidarités (bulletin de liaison)

- Le Courrier de Juristes-Solidarités, Juristes-Solidarités, Paris, France, 6 p., trimestriel (21

numéros parus)

- El Correo de Juristes-Solidarités, Juristes-Solidarités, Paris, France, 6 p., trimestral (21

numéros parus)

- The Newsletter of Juristes-Solidarités, Juristes-Solidarités, Paris, France, 6 p., quarterly (17

issues available : n° 3, nos 6-21)

Synthèses documentaires

Version française

- Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires, Juristes-Solidarités, coll. les

Documents de travail de la FPH, Dossier à fenêtre DPH, Tome 1, n° 81 (volumes 1 et 2), Paris,

France, septembre 1996, 273 p.

- Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires, Juristes-Solidarités, coll. les

Documents de travail de la FPH, Dossier à fenêtre DPH, Tome 2, n°82 (volume 3), Paris, France,

septembre 1996, 145 p.

- Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires, Juristes-Solidarités, coll. les

Documents de travail de la FPH, Dossier à fenêtre DPH, Tome 3, n°117 (volume 4), Paris,

France, décembre 1999, 198 p.

Version espagnole

- Prácticas del derecho, producciones de derecho : iniciativas populares (síntesis documental),

Juristes-Solidarités, volumen 1, Paris, France, 1991, 158 p.

- Prácticas del derecho, producciones de derecho : iniciativas populares (síntesis documental),

Juristes-Solidarités, volumen 2, Paris, France, 1994, 162 p.

- Prácticas del derecho, producciones de derecho : iniciativas populares (síntesis documental),

Juristes-Solidarités, Ediciones Trilce, volumen 3, Montevideo, Uruguay, 1998, 159 p.

Version anglaise

- Practices of the law, generation of law : popular initiatives (documentary compilation),

Juristes-Solidarités, volum 2, Paris, France, 1993, 154 p.

Autre publication

- “Dynamiques individuelles et collectives d’appropriation du droit en matière de création de

micro-activités économiques. A propos de l’environnement juridique et institutionnel en France,

en Belgique, en Espagne et en Italie”, publié dans la collection Initiatives économiques pour une

société solidaire, dossier n°4, édité par EFICEA, octobre 1999, Paris, 105 p.

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Articles parus dans diverses revues

- Case studies on the transformative potential of legal services : a view from France ”, Jean

Designe, in Beyond Law, ILSA, Bogotá, Colombia, November 1991, n°3, p. 43-48

- “ Le droit peut-il servir aux pauvres ”, Jean Designe, in IRED Forum, IRED, Genève, Suisse,

janvier-mars 1992, n°42, p. 77-78

- “ Au-delà de nos frontières ”, Jean Designe, in Informations sociales : “ La demande de droit ” ,

Caisse nationale des Allocations Familiales, Paris, France, , octobre 1992, n°22, p. 66-72

- “ Pratiques alternatives de droit : initiatives populaires ”, Jean Designe, in Histoires de

développement : “ le droit au quotidien ” , CIEDEL et Fondation pour le Progrès de l’Homme,

Lyon, France, décembre 1992, n°20, p. 20-24

- “ Droit et Démocratie : Quelles pratiques ? Quelles résistances ? ”, co-production Juristes-

Solidarités et Cimade, in Cimade Information, Montpellier, France, juin 1992, Hors série, 82 p.

- “ Droit - Devoir d’Ingérence, Tribune libre ”, Jean Designe, in Ingénieurs sans Frontières, ISF,

Paris, France, mars 1993, n°22, p. 37-39

- “ Citoyenneté fait loi ”, Jean Designe, in Vivre Autrement, ENDA, Paris, France, Vienne 1993,

n° 7, 2°série, p. 5

- “ Code d’action. De l’esprit des lois ”, Patricia Huyghebaert et Boris Martin, in Nations

Solidaires, CFSI, Paris, France, 1er trimestre 1997, n°204, p. 20-22

- “ La paix par le droit : l’Action de Juristes-Solidarités”, in Le Journal de la Paix, Pax Christi,

Paris, France, 2ème trimestre 1998, n°460, p. 9-11

- “Lorsque recherche et pratique se rejoignent : l’exemple du laboratoire d’anthropologie

juridique et de l’association Juristes-Solidarités”, Boris Martin, in Bulletin du Laboratoire

d’anthropologie juridique de Paris, LAJP, Paris, France, juillet 1998, n°23, p. 63-64

- “ Lutter contre l’exclusion. Droit nu-pieds ”, Patricia Huyghebaert et Boris Martin, in Le

Courrier de la Planète : “ Repenser les droits de l’homme ”, SOLAGRAL, Montpellier, France,

novembre - décembre 1998, n°48, p. 32-33

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30/01/2011
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