La justice est-elle "déconnectée des préoccupations des citoyens"?
La justice est-elle "déconnectée des préoccupations des citoyens"?
Par Adrien Sénécat (L’Express)
Les propositions du "pacte 2012" relancent le débat sur le système judiciaire français. Explications.
AFP / Christophe Simon
A travers une vidéo intitulée "pacte 2012", l'Institut pour la Justice formule des propositions strictes pour faire évoluer la justice. Ces derniers jours, la polémique enfle autours du nombre de signataires de la pétition.
"Recentrer la justice sur sa mission première de protection des citoyens." C'est ce qu'annonce l'entête du "pacte 2012", une pétition lancée par l'Institut pour la Justice (IPJ).
Qui se cache derrière le "pacte 2012"?
C'est une initiative de l'Institut pour la Justice (IPJ). Créée en 2007, cette association loi 1901 se donne pour objectif la "protection des victimes, selon son délégué général. Association "populaire" et militante, elle souhaite "professionnaliser son combat pour avoir une action efficace". Mais il est "difficile de connaître l'influence réelle de l'IPJ sur le gouvernement et les députés", estime Libération. Pour diffuser cet appel, l'IPJ s'est appuyé sur une vidéo. Joël Censier, père d'un enfant qui a été tué à Nay dans le Sud-Ouest, le 22 août 2009, y raconte son expérience désabusée du système judiciaire français. Le clip a recueilli près d'un million de mentions "J'aime" sur Facebook. Mais l'utilisation de ce témoignage fait débat. L'avocat blogueur Me Eolas dénonce une "manip". Dans un long post de blog, l'auteur de Journal d'un avocat estime que l'IPJ met en avant "la douleur d'une victime [et] des affirmations que rien ne vient étayer".
A partir de cette vidéo, le "pacte 2012" invite à signer une pétition qui formule cinq propositions pour réformer le système judiciaire justice. Xavier Bebin, délégué général de l'IPJ, estime que "la justice s'éloigne de ses missions premières. Elle suit des raisonnements trop abstraits et déconnectés des préoccupations des citoyens."
Polémique autour du nombre de signatures
"1.100.000 signatures en 15 jours". Sur la page d'accueil de son site, l'Institut pour la Justice affiche en gros caractères ce chiffre qui donne du poids à sa démarche. Mais sur Twitter, des internautes dont le blogueur Maitre_Eolas affirment que l'IPJ a truqué son compteur de signatures. Selon des relevés amateurs, l'augmentation du nombre d'inscrits est linéaire, peu importe l'heure du jour. Preuve, selon eux, que les chiffres de l'IPJ sont faux.
Relevé amateur du nombre de signatures affichées sur le site de l'IPJ
Capture d'écran / Twitter
Les chiffres annoncés sur le site "correspondent à la réalité" répond Xavier Bebin, interrogé à ce sujet.
Deux visions du système judiciaire
Partant du principe que le système actuel est parfois laxiste, l'Institut propose l'obligation pour les condamnés de purger les trois quarts de leur peine. Ou encore la perpétuité "réelle" pour les grands criminels. Selon Xavier Bebin, "certains individus sont trop dangereux pour qu'on puisse prendre le risque de leur rendre leur liberté".
Virginie Valton, vice-présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM), juge que l'IPJ "part de postulats faux pour aller vers le tout répressif. Le rôle de la justice ne se résume pas à la protection des citoyens. Elle doit enquêter, vérifier, faire respecter la loi et punir l'auteur d'infraction. La peine a plusieurs fonctions: protéger la société, punir, dissuader, mais aussi réinsérer." Sur la durée des peines, cette ex-juge d'instruction précise: "Dans bon nombre de cas, la loi ne prévoit pas la réclusion criminelle à perpétuité. De fait, ils seront libres un jour." D'où l'importance, selon elle, de travailler sur la réinsertion des détenus lorsqu'ils sont en prison. Difficile avec peu de moyens: la France est au 37e rang européen en matière de budget pour la justice.
82 000 peines de prison non exécutées: les erreurs de l'IPJ
Le "pacte 2012" dénonce les 82 000 peines de prison non effectuées, "faute de place" chaque année. Et propose la création de 30 000 places de prison supplémentaires pour y remédier. En 2009, LEXPRESS.fr a interrogé la présidente de l'Association nationale des juges d'application des peines, sur ce chiffre. Selon elle, il ne s'explique pas par manque de place en prison. Sur 82 000 peines de prison ferme non effectuées, 29 000 ne le sont pas car on ne retrouve pas la personne condamnée. Pour les 53 000 décisions restantes, elle estime que le problème vient "du manque de fonctionnaires et des nombreux problèmes de logiciel que le personnel de greffe rencontre dans l'enregistrement des peines". Les démarches comme le "pacte 2012" ont l'effet pervers d'opposer ceux qui se réclament de la "protection des citoyens" et les professionnels de justice. "Pour sauver l'individualisation des peines, on est obligé de défendre les droits des détenus, explique Virginie Valton (USM). Mais on pense aussi aux victimes! Leur intérêt, et celui de la société, c'est que la peine serve à quelque chose."
Ce débat peut-il s'immiscer dans la présidentielle? "Ça fait partie des questions qui préoccupent les Français et doivent intéresser les politiques. Mais il faudrait une vraie réflexion à froid, hors contexte", juge-t-elle.
Le délégué général de l'IPJ revendique "un combat contre le système". "Lorsque la campagne présidentielle officielle commencera, conclut-il, nous espérons que des candidats reprendront nos propositions."
Les questions de justice vous intéressent-elles? Selon vous, le rôle de la justice se limite-t-il à la "protection des victimes"?
Faut-il augmenter le budget de la justice? Attendez-vous des réponses à l'occasion de la présidentielle?
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