Le classement sans suite de Jean-Bertrand Pontalis : un jour, le crime
« La plupart des crimes étant des actes de somnambulisme, la morale consisterait à réveiller à temps le terrible dormeur », Paul Valéry (Œuvres, Vol. 2, Tel quel, « Moralités », Gallimard, 1930, rééd. coll. « Bibliothèque de la Pléiade, 1988, p. 531). Le dernier ouvrage de Jean-Bertrand Pontalis, Un jour, le crime (Gallimard, 2011), est une enquête sur le crime, la violence humaine et les faits divers, leurs multiples formes et représentations, les raisons – innombrables et souvent insondables – du passage à l’acte. Publié chez Gallimard, dans la collection blanche, il perpétue ainsi la longue tradition de la maison d’édition, laquelle s’est toujours intéressée au crime et aux rapports que les écrivains entretiennent avec lui.
Rappelons à cet égard que Détective fut fondé en 1928 par Joseph Kessel sous l’égide de Gaston Gallimard. Par ailleurs André Gide, en 1930, créa la collection « Ne jugez pas », qui, comme l’indique Jean-Bertrand Pontalis, eut « la vie courte », puisque deux ouvrages seulement parurent : Souvenirs de la cour d’assises, La séquestrée de Poitiers et l’Affaire Redureau de Gide, et Le double crime passionnel d’Agra de Cécil Walsh. Un jour, le crime, en de brefs chapitres (30), d’une écriture douce et limpide qui contraste avec le sujet, livre les réflexions personnelles de l’auteur – écrivain et psychanalyste –, en démontrant sa passion pour le sujet et son érudition. Sont convoqués pêle-mêle : le récit biblique, les mythes grecs, la littérature, le cinéma, la peinture, Freud et Lombroso, les grandes affaires criminelles et… Faites entrer l’accusé, dont l’auteur affirme ne manquer que rarement une émission.
Jean-Bertrand Pontalis revient sur la scène primitive du meurtre. Selon la Bible, le premier meurtre est celui d’Abel par Caïn : le meurtre est donc par essence fratricide ; en tuant un autre homme, on tue son frère en humanité. Pour Freud, par contre, le premier crime est la mise à mort du père, le parricide et ses avatars (déicide et régicide). Quel que soit le crime, les raisons pour lesquelles il a été commis restent obscures. C’est en tout cas la conclusion à laquelle aboutit Jean-Bertrand Pontalis. Son enquête, ainsi que l’auteur l’affirme, ne lui a pas permis de répondre à la question fondamentale du passage à l’acte. Classement sans suite donc, on doit renoncer à comprendre. De toute façon, si l’on s’efforçait de comprendre (comme le voulait Gide ?), l’on ne pourrait plus juger (« Ne jugez pas ») … Cet échec à comprendre le crime ne doit pas décourager le lecteur. Un jour, le crime est aussi agréable à libre que le crime est désagréable à voir. Ce récit, empreint d’humanisme et d’humilité, devrait être lu par tous les étudiants, comme introduction au droit pénal.
Lionel Miniato
Maître de conférences au Centre universitaire Jean-François Champollion
Institut de droit privé Université Toulouse I – Capitole
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