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Le Conseil d’Etat et la notion d’impartialité

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La notion d impartialite ou la 14/06/2005

Le Conseil d’Etat et la notion d’impartialité

Ou, la variable équation

Hiam MOUANNES1

« Par contraste avec la timidité des juges ordinaires […], le CE de plus en plus sûr de

lui et de sa pérennité est devenu entre la puissance publique et les citoyens, un arbitre certes

non neutre mais impartial et finalement au service des droits de l’homme »2. « Non neutre

mais impartial et finalement au service des droits de l’homme » : voici comment, par cet

oxymore, le doyen Vedel révèle, judicieusement, l’introuvable définition de la notion

d’impartialité.

L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit le droit à un

procès équitable, précisant que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue

équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et

impartial ». Une vertu inhérente à la fonction du juge, l’impartialité est un concept des plus

délicats à saisir dans la mesure où, il s’agit d’un droit fondamental, substantiel, auquel toute

personne est en droit de prétendre et qui, par suite, est naturellement appelé à être garanti par

tous les pouvoirs publics constitutionnels, administratifs et juridictionnels3. Il est vrai qu’à cet

égard l’application de ce devoir par le juge ne peut qu’avoir des répercussions sur la nature de

la protection due aux administrés/requérants.

Si la notion d’impartialité commande celle de la neutralité, inversement, l’absence de

neutralité induit l’absence d’impartialité ! Sauf que, la logique juridique ne correspond pas

toujours forcément à la logique mathématique. Faut-il encore se saisir de la notion de

neutralité pour comprendre son corollaire, l’impartialité. Qu’est-ce qui en substance fait qu’un

juge est ou n’est pas neutre ? et de quelle neutralité s’agit-il ? de celle de la méthode ? de celle

du juge ? de celle de la juridiction ? des trois réunies ? Persuadée qu’aucune ne va sans

l’autre, nous parlerons – pour une facilitation de vocabulaire - de celle du juge, en

l’occurrence de celle du juge administratif, vue par le Conseil d’Etat.

Nous sommes tous conscients de la transformation de la mission de « diseur de droit »

du Conseil d’Etat qui trouve sa justification dans la nécessité de chercher la solution la plus

juste et équitable à la question (lorsqu’il est saisi d’un avis) et/ou à l’espèce qui lui est

soumise (au contentieux)4. L’inévitable conséquence est de ne pas se contenter d’être un

simple serviteur de la loi. L’actuel vice-président du Conseil d’Etat, monsieur Renaud Denoix

de Saint Marc, fait d’ailleurs remarquer que « le juge administratif français n’hésite pas à se

reconnaître des pouvoirs praeter legem », « il peut faire preuve de créativité »5. Ainsi, pour

dire le droit, une rhétorique argumentariste, contextualisée, solidement construite et

parfaitement maîtrisée constituera l’outil, par excellence, du Conseil d’Etat.

1 Maître de Conférences à l’Université des Sciences Sociales de Toulouse I ; membre du Centre d’Etudes et de

recherches Constitutionnelles et Politiques (CERCP).

2 Discours du doyen Georges Vedel, à la Sorbonne, en 1999, à l’occasion du bicentenaire du CE.

3 D’ailleurs la régularité de la composition de la formation de jugement est une question d’ordre public, le juge

devant la soulever d’office notamment en cas d’atteinte à l’exigence d’impartialité (CE 19 avril 2000, Lambert,

Lebon tables, p., 1168 et CE 30 juillet 2003, Chatin-Tsai, AJDA 2003, p. 2045, note Markus).

4 Articles 4 et 5 du code civil.

5 Questions à… Renaux Denoix de Saint Marc, relatives au rapport d’activité 2005 du Conseil d’Etat, intitulé

« responsabilité et socialisation du risque », propos recueillis par Marie-Christine de Montecler et Séverine

Brondel, AJDA 2005 p. 628.

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La réflexion sur le devoir d’impartialité du juge demeure inépuisable tellement

l’actualité nous donne du grain à moudre6… La très récente jurisprudence du Conseil d’Etat

nous invite en effet à se pencher sur la nouvelle équation : cumul + identité de personne +

identité de litige = doute objectif sur l’impartialité du juge.

Suite à la réforme de 19637, intervenue au lendemain de l’arrêt Canal (CE Ass., 19

octobre 1962, Canal, Robin et Godot)8 et établissant l’obligation de la double affectation des

conseillers d’Etat en service ordinaire à une des sections administratives et à la section du

contentieux, le Conseil d’Etat a établi une première équation négative (cumul ne signifie pas

manquement au respect du principe d’impartialité : CE Sect. 25 janvier 1980, Gadiaga et a)9,

qui se transforme – par la nature des choses et au-delà de la volonté du Conseil d’Etat – en

équation positive : cumul = doute. La jurisprudence sera, par suite, rapidement renversée au

profit d’une autre, plus ancienne (CE 11 août 1864, Ville de Montpellier)10 et, cependant

nettement plus conforme aux exigences d’impartialité telles que prévues par l’article 6 § 1 de

la Convention européenne et par la jurisprudence du juge européen (CEDH 28 septembre

1995, Procola c/ Luxembourg)11. C’est la théorie de l’apparence objective.

Ainsi, le cumul n’est pas, par lui-même, attentatoire à l’exigence d’impartialité. Seul le

fait qu’un juge, appelé en amont, à donner son avis sur une affaire, ait eu à statuer

ultérieurement sur cette même affaire, est attentatoire à l’exigence d’impartialité (CE Sect., 5

avril 1996, Syndicat des avocats de France 12 ; CEDH 1er octobre 1982, Piersack c/

Belgique13). L’équation – définie positivement cette fois-ci – sera la suivante : cumul +

identité de personne + identité de litige = suspicion légitime.

Le souci du Conseil d’Etat n’est donc point le principe du dédoublement mais

l’effective garantie de l’impartialité. Malgré l’apparent paradoxe entre les deux notions de

cumul et d’impartialité, il faut comprendre que ce qui intéresse le Conseil d’Etat ce n’est pas

le fait lui-même mais ce sont ses effets. Ne l’intéresse pas non plus le syllogisme (non évident

d’ailleurs) induit de la relation entre le fait et ses conséquences. Le fait (le cumul) peut

théoriquement induire un effet (le défaut de neutralité). Or, pour le juge administratif, le fait,

6 Nous ne parlerons pas ici de la décision de madame Simone Veil de se mettre en congé du Conseil

constitutionnel entre « le 1er mai et la proclamation des résultats du référendum du 29 mai » pour s’engager dans

la campagne pour le « oui » au référendum du 29 mai 2005 relatif à l’autorisation de ratifier le traité établissant

une Constitution pour l’Europe. Par son engagement clair et net en faveur d’un texte sur lequel l’intéressée a pu

statuer dans le cadre de la saisine Conseil constitutionnel par le chef de l’Etat, le 29 octobre 2005, et malgré le

respect de ses obligations constitutionnelles de réserve, madame Simone Veil n’a pu éviter de semer le doute sur

l’exigence d’impartialité du juge constitutionnel. Voir aussi la déclaration de Mme Veil dans Le Point, n° 1706

du 26 mai 2005, p.35 et s. dans laquelle – parlant des membres du Conseil constitutionnel – elle précise « Nous

avons tous des passés politiques, mais nous faisons totalement abstraction de nos engagements pour examiner les

textes ».

7 Depuis sa création par la Constitution de l’An VIII (art. 52), le Conseil d’Etat est à la fois organe consultatif et

juridictionnel. Une Commission du contentieux est créée en son sein dès 1806. Après sa mise en veilleuse sous

la Restauration et son rétablissement en 1831, puis, en 1872 (loi du 24 mai), au lendemain de la chute du Second

Empire, le double rôle consultatif et juridictionnel de cette Haute juridiction n’est plus remis en question. Son

statut est actuellement régi par l’ordonnance du 31 juillet 1945. V., à cet égard, Jean Rivero, Droit Administratif,

Précis dalloz, 1960, p.180.

8 CE Ass., 19 octobre 1962, Canal, Robin et Godot, Rec. 552, AJDA 1962, p. 612, chron., A.de Laubadère ; Rev.

Adm., 1962, p. 623, note Liet-Veaux ; JCP 1963, II, p. 13068, note, Ch. Debbasch ; GAJA, n° 92.

9 CE Sect. 25 janvier 1980, Gadiaga et a, D.1980, p.270 et s., note G. Peiser.

10 CE 11 août 1864, Ville de Montpellier, Rec. p. 767 ; mais aussi CE Sect. 2 mars 1973, Dlle Arbousset, Lebon

p. 189.

11 CEDH 28 septembre 1995, Procola c/ Luxembourg, AJDA 1996 p.383 ; D.1996, p. 301 ; JCP 1997 I, n° 4017.

12 CE Sect., 5 avril 1996, Syndicat des avocats de France Rec.118, JCP 1997, I, n° 22817, RFDA 1996, p. 1195,

conclusions J.Claude Bonichot.

13 CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c/ Belgique, n° 8692/79, série A, n° 53.

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le cumul, n’engendre pas « en lui-même » l’effet de partialité. L’intervention de deux

éléments supplémentaires – l’identité de personne et l’identité du litige – est seule susceptible

de laisser planer le doute sur l’impartialité du juge (I).

Stable et variable, à bien lire les décisions du Conseil d’Etat, nous n’aurons aucun mal

à entrevoir son imperturbable idéologie qui est une absence d’idéologie. Sa ligne de conduite

demeure celle d’assurer une effective protection des droits des administrés sans toutefois

paralyser l’action de l’administration. Or, obnubilé pas les effets d’une décision sur les droits

des administrés, ce même Conseil d’Etat – dans la droite ligne de l’évolution de la

jurisprudence européenne d’ailleurs – refuse de sombrer dans le culte de

« l’apparence objective » de neutralité14.

A partir de quelques récentes affaires, l’on ressent aisément une certaine évolution

jurisprudentielle dont l’apparence paraît attentatoire au principe d’impartialité du juge. A cet

égard, pour aboutir au manquement au devoir d’impartialité il n’est plus besoin de se fonder

sur le principe de « l’identité » ni non plus sur la théorie de « l’apparence objective ». Sans

définitivement disparaître, l’équation – cumul + identité de personne et identité de litige =

doute sur l’impartialité du juge – peut toujours céder en fonction des circonstances de chaque

cas d’espèce15. Pour que la conviction du justiciable l’emporte sur le doute, le Conseil d’Etat

aura recours à une nouvelle théorie de l’objectivité concrète, fondée sur une

argumentation subtilement façonnée aussi bien au niveau de la présentation du contexte que

de la motivation de son raisonnement afin de prouver la loyauté du juge à l’égard des

administrés (et des requérants) ne laissant aucune place à la moindre suspicion légitime.

Dans ce sens, le juge des référés, ayant examiné une demande de suspension, peut

statuer en tant que juge du fond sur la même affaire. Et, inversement, le juge du fond peut a

posteriori, et après s’être prononcé sur une décision administrative, examiner une demande de

suspension d’exécution de cette même décision, en tant que juge des référés. Dans le premier

cas, le Conseil d’Etat prend en considération « l’office du juge des référés » (CE Sect., Avis

du 12 mai 2004, Commune de Rogerville), dans le second, il estime qu’il ne s’agit pas « du

même litige » (CE 9 avril 2004, Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche et

des Affaires rurales c/ M. Olard).

Si, selon l’expression de Sylvain Hul16, « la question du respect du principe

d’impartialité par le juge administratif est souvent une affaire de conscience et de

circonstance », sa garantie demeure en réalité tributaire de deux éléments. Un premier,

constant, la double exigence, de Justice à laquelle tout requérant est en droit de prétendre

d’une part, et, d’autre part, de « charges qui pèsent sur les services administratifs »17. Un

second élément, variable, dépend des circonstances de chaque espèce, et qui amène le Conseil

d’Etat à appliquer le principe d’une manière pragmatique (II).

14 Lire à cet égard la très instructive contribution de Stéphanie Gandreau, La théorie de l’apparence en droit

administratif : vertus et risques de l’importation d’une tradition de Common Law, RDP n° 2, 2005, p. 319 et s.

15 La Cour européenne des droits de l’homme a déjà précédé le juge français sur cette piste (CEDH, 16 décembre

1992, Sainte Marie c/ France, série A n° 253-A. ; CEDH 6 juin 2000, Morel c/ France, n° 34130/96, infra).

16 Le juge administratif et l’impartialité : actualité d’un principe ancien, Sylvain Hul, sous CAA Lyon, 11 mai

2004, Ministre de l’Education national, req. n° 03LY01821 ; AJDA 2004, p. 2169 et s.

17 Selon l’expression du commissaire du gouvernement, Yann Aguila, sous CE 17 novembre 2004, Marc

Fernandès (AJDA 2004, p.1007).

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I – De la vraie-fausse compatibilité entre le cumul de fonctions administrative et

juridictionnelle et l’exigence d’impartialité

L’appréciation de l’impartialité par le Conseil d’Etat a, dans un premier temps, été

affaire de règlement, et, dans un second temps, affaire d’adaptation à l’esprit d’équité et à la

jurisprudence européenne. En effet, en 1980 (CE 25 janiver 1980, Gadiaga et a), le Conseil

d’Etat a clairement établi (au regard du décret du 30 juillet 1963) le principe de la

compatibilité entre, d’une part, le cumul des fonctions consultative et juridictionnelle du juge

administratif et, d’autre part, le devoir d’impartialité. La relation de cause à effet entre le

cumul et l’atteinte à l’impartialité du juge ne semblait poser aucun problème (A). A partir de

1994, et plus expressément en 1996, il ressuscite une ancienne préoccupation, soumettant

cette compatibilité à l’apparence « objective » de neutralité (Syndicat des avocats de France,

1996). Le lien entre le cumul et l’exigence d’impartialité apparaît dès lors moins évidente.

Seule l’intervention d’un tiers élément – l’absence d’identité de personne et d’identité de

litige – est susceptible d’écarter toute suspicion légitime (B).

A) L’admission par le Conseil d’Etat du principe du dédoublement des deux

fonctions consultative et juridictionnelle

Parmi les réformes intervenues en 1963 et relatives à l’organisation du Conseil d’Etat,

il y eut celle établissant la double affectation des conseillers d’Etat en service ordinaire à une

des sections administratives et à la section du contentieux18. Le juge administratif, conseiller

du gouvernement, est dès lors amené à conseiller et, ensuite, à statuer, le cas échéant, sur la

même mesure administrative.

Le doute sur l’impartialité du juge administratif ne pouvait ainsi qu’être objectif donc,

légitime, tout au moins eu égard à l’organisation même de la juridiction. Le cumul aboutissant

à la possibilité pour une seule et même personne de donner, en amont, son avis sur une

mesure administrative et, ensuite dans le cadre du contentieux, de juger de sa conformité au

principe de légalité. L’équation « cumul = doute » est posée dans l’esprit du justiciable.

Côté juge, le dédoublement fonctionnel n’est pas un motif d’illégalité. Saisi de la

régularité d’un jugement relatif à une mesure de police administrative générale (CE 25 janvier

1980, Gadiaga et a) 19, le Conseil d’Etat n’a en effet rien trouvé à redire sur le fait que le

président du tribunal administratif, qui avait donné un avis sur la légalité d’un arrêté pris par

le maire, puisse siéger sur le recours pour excès de pouvoir formé contre le dit arrêté : « cette

circonstance ne faisait pas obstacle à ce que ce président siégeât […] sur le recours pour

excès de pouvoir formé contre l’arrêté ». Pour le cas où le lecteur serait allé vite en besogne,

ne cernant pas assez précisément la position du Conseil d’Etat, ce dernier réitère, dans le

même considérant le fait que « la présence du président du tribunal administratif n’a pas

vicié la composition dudit tribunal ». Autrement lu, et mettant de côté la problématique même

du cumul, le Conseil d’Etat mettrait en avant l’idée selon laquelle ni l’identité de personne (le

président du tribunal administratif) ni l’identité du litige (la mesure de police prise par le

maire) ne sont susceptibles de porter atteinte au devoir d’impartialité ou de provoquer une

quelconque suspicion légitime.

18 Décret du 30 juillet 1963 intervenu suite à l’affaire Canal (CE 19 octobre 1962) et établissant le principe du

« brassage ». V., les articles R. 121-3 et R. 121-4 du Code de Justice Administrative.

19 Précité.

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Mais, qu’est-ce qui en substance fait qu’un juge est ou n’est pas neutre ? Pour le

Conseil d’Etat – à cette date en tout cas – ce n’est certainement pas l’identité de personne et

l’identité de litige. L’exigence d’impartialité irait de soi avec l’office du juge nécessairement

juste et commandant ses passions. C’est la présomption d’impartialité.

Le juge européen ne semble pas du même avis, définissant – dans un arrêt Piersack c/

Belgique de 198220 – l’impartialité « par l’absence de préjugé ou de parti-pris ». Une même

personne ayant donné son avis sur une affaire et, jugeant ultérieurement cette même affaire ne

pourrait – au moins dans l’apparence – que faire naître un doute sur son objectivité, soulevant

anisi une question sur le terrain de l’article 6 § 1 de la CEDH.

En effet, dans cet esprit et dans un autre arrêt, Procola (CEDH, 28 septembre 1995,

Procola c/ Luxembourg21), la CEDH précise que le cumul des fonctions consultative et

juridictionnelle « est de nature à mettre en cause l’impartialité structurelle de l’institution ».

Ainsi, elle sanctionne une décision prise par une formation de jugement22 statuant au

contentieux sur un règlement et dont quatre des cinq membres avaient déjà examiné ce même

règlement dans le cadre de leur mission administrative. Elle y a trouvé une « confusion, dans

le chef de quatre conseillers d’Etat, de fonctions consultatives et de fonctions

juridictionnelles ». Par l’arrêt Procola, la Cour européenne des droits de l’homme a voulu

exprimé – selon l’expression de René Chapus – « une hostitlité de principe à la conception

française de la justice administrative, présentée comme nécessairement (« structurellement »)

à l’origine d’un risque, ou au moins de l’apparence, d’une justice partiale (ce qui selon les

vues anglo-saxonnes de la Cour, suffirait à la rendre condamnable »)23.

Remise en cause par la jurisprudence Procola de la position du Conseil d’Etat ? Tout

en nuance, la Haute juridiction administrative s’en défend avançant un premier pion sur

l’échiquier de l’impartialité. Par un arrêt du 6 juillet 1994, Comité mosellan de sauvegarde de

l’enfance24, le Conseil d’Etat estime en effet, qu’il n’est jamais dans la même composition

quand il exerce ses attributions consultatives et ses attributions contentieuses25. Une force

tranquille d’adaptation aux contraintes nouvelles nécessaires pour garantir une effective

impartialité. La nouvelle équation – en réalité ancienne – sera explicitement posée deux ans

plus tard, par la jurisprudence Syndicat des avocats de France (CE Sect., 5 avril 1996,

Syndicat des avocats de France)26. Désormais, le principe de « l’identité » sera

intrinsèquement lié au risque de partialité.

20 Précité.

21 CEDH, 28 septembre 1995, Procola c/ Luxembourg, série A n° 326 ; D. 1996, p. 301, note F. Benoit-Rohmer ;

JCP 1996, I, n° 3910 et n° 23, obs. F. Sudre et JCP 1997, I, n° 4017 ; Dr. adm. 1996, comm. n° 41 ; AJDA 1996

p. 383.

22 Il s’agit en l’espèce du Conseil d’Etat luxembourgeois.

23 René Chapus, Droit du contentieux administratif, 11ème éd. Montchrestien, 2001.34.

24 Conseil d’Etat, 6 juillet 1994, Comité mosellan de sauvegarde de l’enfance,

25 Conclusions de J. Claude Bonichot, ss Syndicat des avocats de France.

26 Rec.118, JCP.1997.I, n° 22817, RFDA.1996.1195, conclusions J.Claude Bonichot.

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B) Est couverte par le principe de l’apparence objective

Le professeur Jean Rivero notait en 1960 dans son précis de Droit administratif : « il

paraît souhaitable (…) que le personnel des sections administratives ne puisse participer dans

le même temps27 aux formations contentieuses. C’est, au sein même du Conseil d’Etat, une

sorte de prolongement du principe de la séparation des pouvoirs »28. La réalité

jurisprudentielle répondait effectivement à cette précaution puisqu’il était interdit à un juge de

se prononcer sur une décision dont il est l’auteur, que ce soit à titre individuel ou en tant que

membre d’un organe collégial (CE 11 août 1864, Ville de Montpellier)29.

La théorie de l’apparence nacquit en 197330 lorsque le Conseil d’Etat montre son

attachement à la nécessité de donner aux parties « le sentiment que justice leur a été rendue »

(CE Sect., 2 mars 1973, Dlle Arbousset)31. Il fallait cependant l’intervention du juge de

Strasbourg – qui ne fait d’ailleurs que s’inspirer de la jurisprudence Dlle Arbousset – pour que

la Haute juridiction administrative française ferme la parenthèse Gadiaga.

Dans les deux affaires Comité mosellan de sauvegarde de l’enfance (CE 6 juillet

1994) et Syndicat des avocats de France (CE Sect., 5 avril 1996) le Conseil d’Etat fait savoir

sa définition de l’impartialité. En effet, la coexistence d’attributions contentieuse/consultative

n’est pas par elle-même contraire au principe d’indépendance et d’impartialité (Syndicat des

avocats de France). Seul le fait que les formations soient « identiques » peut affecter

l’exigence d’impartialité (Comité mosellan de sauvegarde de l’enfance). Une appréciation

objective et in concreto de l’impartialité à travers chaque cas d’espèce sera désormais à

l’oeuvre32.

Si le doute est source de méfiance et, par conséquent, de souffrance pour le requérant,

inspirer la confiance, mais surtout manifester la bonne foi du juge, devient maintenant la

préoccupation du Conseil d’Etat. La Haute juridiction administrative, naturellement soucieuse

que le justiciable puisse « compter sur ses juges »33, centrera désormais son souci sur les

apparences d’une « impartialité objective ». La justice doit être rendue de manière « visible,

27 C’est nous qui soulignons.

28 Jean Rivero, Droit Administratif, Précis dalloz, 1960, 187.

29 CE 11 août 1864, Ville de Montpellier, Rec. p. 767.

30 Notons cependant que la théorie des apparences objectives trouve son berceau en Grande Bretagne dans un

arrêt de la Chambre des Lords datant de 1924, R v. Sussex Justice, ex p. McCarthy [1924] 1 K.B. 256, 259. Lire à

cet égard, La théorie de l’apparence en droit administratif, S. Gandreau, RDP 2005, n° 2, op. cit. ; lire aussi,

L’impartialité objective du juge en Europe : des apparences parfois trompeuses, Arnaud Cabanes et Alexia

Robbes, AJDA 2004, p. 2375 ; Théorie de l’apparence ou apparence de théorie ? Humeurs autour de l’arrêt

Kress, Daniel Chabanol, AJDA 2002, p. 9.

31 CE Sect., 2 mars 1973, Dlle Arbousset, Lebon p. 189. Lire aussi les articles L. 721-1 et R. 721-1 et s. du code

de Justice Administrative qui régissent les procédures de récusation d’un juge lorsqu’il existe « une raison

sérieuse de mettre en doute son impartialité ».

32 Voir, à ce titre, l’arrêt Sarran de 1999 (CAA Paris (3ème ch.) 23 mars 1999, Sarran) par lequel la 3ème chambre

de la Cour administrative d’appel de Paris sanctionne le non-respect du principe d’impartialité par le juge

administratif, en l’occurrence, par le tribunal administratif de Nouvelle Calédonie. Dans le cas de l’espèce,

certains membres de la formation de jugement avaient eu à se prononcer dans le cadre de leurs attributions

consultatives (cf. AJDA 1999, p. 623).

33 Selon l’expression de P. Sargos, Devoir d’impartialité, fondement de la légitimité du juge dans un Etat

démocratique, discours prononcé devant la cour d’appel de Rouen, reproduit dans la Gazette du Palais du 24 et

26 mai 1992.

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ostensible »34. Faire en sorte que justice soit rendue et que, dans le même temps, il soit vu

qu’elle a été rendue35.

Ainsi, partant du constat que le « même juge » consulté, statuant ensuite sur le

litige concernant « la même affaire », ne peut que donner à voir une illusoire justice parce

qu’il s’est déjà forgé « une (son) opinion » sur le dossier36, ce juge ne peut, par conséquent,

qu’être « partie pris » dans ce dossier. Le devoir d’impartialité suppose alors l’adoption de la

formule suivante : le juge « ne peut servir qu’une fois »37. Le Conseil d’Etat y veillera : le

« même juge » consulté ne peut ensuite statuer sur le litige concernant « le même litige ».

Le défaut de garantie ne pouvant provenir du principe du dédoublement, le Conseil

d’Etat (mais aussi le juge judiciaire38 et le juge européen) ira le scruter dans l’identité du juge

et l’identité du litige, seules susceptibles de, légitimement et objectivement, semer le doute

dans l’esprit du justiciable à l’égard de la parfaite impartialité du juge et, provoquer, le cas

échéant, l’annulation de la décision contestée au titre de l’article 6 § 1 CEDH. Ainsi, dans un

arrêt M. Dubreuil de 2003 (CE Ass., 4 juillet 2003, M. Dubreuil)39, l’Assemblée du Conseil

d’Etat rappelle que le respect du principe d’impartialité interdit à un membre de la Cour de

discipline budgétaire et financière de juger d’accusations relatives à des faits qu’il a déjà eu à

apprécier dans le cadre d’autres fonctions40.

La position de la Cour européenne des droits de l’homme ne s’en distingue point. A

bien lire l’arrêt Procola (CEDH, 28 septembre 1995, Procola c/ Luxembourg41), la Cour

précise que « le seul fait que certaines personnes exercent successivement à propos des

mêmes décisions les deux types de fonctions est de nature à mettre en cause l’impartialité

34 Selon l’expression de Arnaud Cabanes et Alexia Robbes, L’impartialité objective du juge en Europe : des

apparences parfois trompeuses, AJDA 2004, p.2375.

35 Selon la célèbre expression : « la justice ne doit pas seulement être rendue mais il doit être vu qu’elle a été

rendue » du Lord Hewart dans un arrêt de la Chambre des Lords de 1924, R v. Sussex Justice, ex p. McCarthy

[1924] 1 K.B. 256, 259, précité (Cf. La théorie de l’apparence en droit administratif : vertu et risques de

l’importation d’une tradition de Common Law, S. Gandreau, RDP n° 2, 2005, p.319 et s.)

36 Voir à cet égard l’arrêt de la Cour administratif d’appel de Nancy, M. Pruykmeker (CAA Nancy, 5 décembre

2002, M. Pruykmeker, AJDA 2003, p. 695). Dans cette espèce, et même si le requérant verra sa demande rejetée,

la CAA de Nancy annule le jugement du TA au motif qu’un magistrat ayant fait partie de la formation de

jugement avait déjà « pris position » sur le bien-fondé de la demande du requérant : « Considérant qu’il ressort

des pièces du dossier que l’un des magistrats ayant concouru au jugement attaqué avait auparavant […]

informé M. P. par lettre du 3 septembre 1998 que le tribunal considérait que le jugement du 6 novembre 1997

« paraissait entièrement exécuté » et qu’il envisageait donc de procéder au classement de l’affaire ; que ce

magistrat a ainsi pris position sur le bien-fondé de la demande d’exécution formé par M. P. ; que, par suite,

cette circonstance s’opposait à ce que ce même magistrat fit partie de la formation de jugement appelée à se

prononcer sur cette requette ».

37 P. Sargos, Devoir d’impartialité, fondement de la légitimité du juge dans un Etat démocratique, discours

prononcé devant la cour d’appel de Rouen, reproduit dans la Gazette du Palais du 24 – 26 mai 1992.

38 La théorie de l’apparence est en effet également adoptée par le juge judiciaire qui se trouve dans la même ligne

jurisprudentielle que celle du juge administratif et du juge européen. Par un arrêt de 2002 (CA Nancy, Ch. Soc.,

21 mai 2002. Droit ouvrier, décembre 2002, p. 575), la cour d’appel de Nancy précise que « la simple

appartenance au même syndicat du représentant du salarié et du président, et d’un conseiller prud’hommes, qui

demeurent avant tout des conseillers élus par des salariés professionnels, ne peut constituer – en soi – une

atteinte à l’indépendance et à l’impartialité de la juridiction, en violation des dispositions de la convention

européenne précitée ». En revanche, le fait pour un conseiller prud’hommal, membre du bureau de jugement,

d’appartenir à un syndicat partie à l’instance en qualité d’employeur, est de nature à révéler l’existence d’un

intérêt sérieux à la contestation de la neutralité du tribunal (CA Grenoble, Ch. Soc., 6 mai 2003, Bull. d’Inf. de la

Cour de cassation du 15 juin 2003, p. 35 n° 744) : cf. Avis de M. Collomb, avocat général, Calendrier de

l’Assemblée plénière et Chambre mixte, 2ème trimestre 2004.

39 CE Ass., 4 juillet 2003, M. Dubreuil, Lebon p. 313, AJDA 2003, p. 1596, chron., F. Donnat et D. Casas.

40 Idem, chron., F. Donnat et D. Casas, AJDA 2003, p. 1596.

41 Précité.

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structurelle de ladite institution ». En paraphrasant l’expression du juge européen, nous

pourrions aisément en déduire que le principe du cumul (la structure organisationnelle) ne

devient un risque affectant l’impartialité du juge que par « le seul fait que certaines personnes

exercent successivement et à propos des mêmes décisions les deux types de fonctions ». D’où

l’expression « est de nature à mettre en cause l’impartialité », qui ne signifie pas

nécessairement « met en cause » cette même impartialité. Par conséquent, ce n’est pas le fait

même de cumuler les deux fonctions consultative/juridictionnelle qui est en cause. Le principe

du cumul ne peut en lui-même être considéré comme un risque. En revanche, le fait que la

même personne qui, en amont donne son avis sur un projet de décision et statue, en aval sur

cette même décision au contentieux, est seul susceptible d’affecter l’impartialité du juge. La

constante – le principe du cumul – apparaît même comme une condition d’une « bonne

administration de la Justice »42. Seule peut l’affecter la théorie de l’identité du juge.

A cet égard nous proposons de reprendre mot pour mot le 30ème considérant de l’arrêt

de 1982, Piersack c/ Belgique, pour s’apercevoir de la nuance et, par suite, de la convergence

des deux conceptions française et européenne de l’impartialité : « Si l’impartialité se définit

d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti-pris, elle peut, notamment sous l’angle de

l’article 6.1 de la Convention, s’apprécier de diverses manières. On peut distinguer sous ce

rapport entre une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans

son for intérieur en telle circonstance, et une démarche objective amenant à rechercher s’il

offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime ». A juste titre, ce

qui importe c’est donc que le juge offre « des garanties suffisantes pour exclure à cet égard

tout doute légitime » sur son impartialité.

Comme la Cour européenne des droits de l’homme43, le Conseil d’Etat considère que

les apparences d’une justice impartiale sont importantes dans la mesure où elles constituent

un moyen (de rassurer !) d’assurer la confiance du requérant. La Haute juridiction française

privilégie un examen objectif de chaque situation. Elle procède à un examen des circonstances

exactes de chaque espèce pour décider si oui ou non le juge répondait d’une manière visible

au devoir d’impartialité et d’indépendance requises. Dans l’affirmative, le doute, s’il existe

dans l’esprit du requérant, ne suffit pas à lui seul. Il appartient à ce dernier – et à lui seul – de

prouver que ce doute est bien légitime.

L’équation paraît maintenant solidement établie : cumul + identité de personne +

identité de litige = suspicion légitime sur l’impartialité du juge.

C’était seulement sans compter avec la conception que le Conseil d’Etat a du droit, de

l’équité et de la justice. C’était aussi sans compter avec l’histoire de chaque requérant et les

circonstances particulières de chaque espèce, qui imposent de refuser tout dogmatisme au

profit d’une stratégie pragmatique permettant une effective garantie de l’impartialité.

L’objectif étant invariable (faire en sorte que justice soit rendue au requérant), les moyens

varieront cependant selon les espèces. En tout état de cause, le Conseil d’Etat (mais aussi le

juge judiciaire et le juge européen) ne semble plus (voire, semble moins) préoccupé par la

« théorie des apparences objectives » et le « paraître » de la justice, pour se préoccuper

42 Voir, René Chapus, Droit du contentieux administratif, 11ème éd. Montchrestien

43 Sur l’examen objectif de chaque situation par la Cour de Strasbourg, voir aussi, CEDH, 6 mai 2003, Kleyn c/

Pays-Bas. En l’espèce, la CEDH estime, à juste titre, qu’elle « doit uniquement se prononcer sur la question de

savoir si, dans les circonstances de l’espèce, la section du contentieux administratif possédait

l’apparence d’indépendance requise ou l’impartialité objective voulue ». Elle conclut à l’absence de

manquement de neutralité : les procédures d’avis et d’arrêt ne se rapportent pas à la même affaire relative à

l’indépendance et l’impartialité du Conseil d’Etat néerlandais (qui exerce à la fois des fonctions consultatives et

contentieuses (cf. AJDA 2003, p.918 et p. 1490, note F. Rolin et p. 1926, obs. J.-F. Flauss ; JCP 2003, I, n° 168,

obs. A. Ondoua).

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substantiellement de « l’être »44 de cette dernière, c’est-à-dire, de ses effets sur les droits des

administrés d’une part et, d’autre part, sur l’efficacité de l’action de l’administration.

II – A la contextualisation du principe d’impartialité

Un des piliers de la démocratie, l’impartialité du juge permet une meilleure

administration de la Justice, certes, mais, confrontée à l’incertitude d’une telle notion, la

question des conditions susceptibles de la garantir demeure entière. Au-delà des apparences,

le Conseil d’Etat – confronté à d’autres problématiques depuis la réforme du 30 juin 200045,

en l’occurrence à la compatibilité entre les fonctions des deux juges examinant le même

dossier – va dores et déjà s’intéresser à d’autres pistes, en l’occurrence, aux circonstances

concrètes de chaque espèce pour examiner la réalité de l’atteinte au devoir d’impartialité et

ensuite apprécier la nature – légitime ou non – du doute. La théorie de l’identité, voire de

« l’apparence objective », ne sera plus nécessairement considérée comme mettant par ellemême

en cause l’impartialité du juge.

Dans un premier temps, la Haute juridiction opère un éclaircissement concernant la

compatibilité entre la fonction du juge des référés d’une part et d’autre part, le juge du fond,

(A). Dans un second temps, elle sera encore plus audacieuse considérant que le juge du fond

peut aussi faire le chemin inverse, en examinant le même dossier à l’occasion de la procédure

du référé. Le Conseil d’Etat exploite ici le principe de « l’identité » relevant que, s’il s’agit du

même juge, il ne s’agit plus du même litige (B). Dans les deux cas, le comportement du juge

sera minutieusement osculté par le Conseil d’Etat afin de s’assurer de la garantie d’une

effective protection des droits des administrés.

A) Le même juge peut servir deux fois pour un même dossier dans un sens

unique

Ici, nous nous intéresserons au cas du juge des référés qui, après avoir examiné une

demande de suspension et apprécié le caractère sérieux du doute sur la légalité de la mesure

administrative contestée, a eu à statuer sur le fond du même litige. Pour apprécier

l’impartialité du juge – le Conseil d’Etat considère l’office du juge des référés qui ne permet à

ce dernier de statuer, a posteriori, sur la légalité de cette même mesure. Ceci dit, pour mieux

saisir la subtilité et la difficulté de la tâche du Conseil d’Etat à cet égard, nous proposons un

rapide regard préalable sur la position de la Cour administrative d’appel sur ce point.

Il s’agit d’un arrêt de la Cour administratif d’appel de Bordeaux du 18 novembre

2003, M. B. (CAA Bordeaux, plén., 18 novembre 2003, M. Brada)46 dans lequel la formation

plénière a estimé qu’« un membre d’une juridiction administrative qui a publiquement

exprimé son opinion sur un litige ne peut pas participer à la formation de jugement statuant

sur le même litige »47. Dans cette affaire et dans le droit fil de la jurisprudence du Conseil

44 « l’être et le paraître » de la Justice, expression de Robert Jacob dans Les images de la Justice. Essai sur

l’iconographie judiciaire du Moyen Âge à l’âge classique, Paris, Le Léopard d’Or, 1994, p. 9.

45 Loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 (articles L. 511-1 et s. et particulièrement, L 521-1 (référé-suspension), L.

521-2 (référé-liberté) et suivants du Code de Justice Administrative.

46 CAA Bordeaux, plén., 18 novembre 2003, M. B., n° 02BX00018, AJDA 2004, p. 98, concl. Jean-Louis Rey.

47 La Cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon, 11 mai 2004, Ministre de l’Education nationale, précité)

a adopté la même position dans le cadre du recours en tierce opposition, estimant qu’un membre d’une

juridiction administrative « ne peut pas participer au jugement d’un recours en tierce opposition dirigée contre

une décision juridictionnelle qui a été prise par une formation de jugement à laquelle il appartient » (cf. AJDA

2004, p. 2169, note Sylvain Hul, Le juge administratif et l’impartialité : actualité d’un principe ancien).

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d’Etat48, la Cour administrative d’appel de Bordeaux se fonde sur l’identité du litige qui a été

traité par le même juge pour constater l’atteinte à l’article 6 § 1 CEDH49. Il est certain que

cette jurisprudence se justifiait par le fait que le juge des référés a déjà porté une appréciation

sur les faits. Cette appréciation – se transformant, par la nature des choses, en « préjugé » sur

l’issue du litige, rendant le doute sur l’impartialité du juge légitime – commande, par le simple

bon sens, que ce juge ne soit pas autorisé à statuer au fond, sur le même litige sous peine

d’atteinte à l’exigence d’impartialité50.

Le Conseil d’Etat ne voyant pas les choses de la même manière, infirme la solution du

juge d’appel et apporte un nouveau regard sur la définition de l’exigence d’impartialité. Dans

un avis contentieux du 12 mai 2004 (CE Sect., Avis du 12 mai 2004, Commune de

Rogerville)51 la Haute juridiction administrative relève qu’un magistrat ayant statué comme

juge des référés sur une demande de suspension peut ultérieurement participer à la formation

collégiale chargée de trancher l’affaire au fond.

Contrairement à la solution proposée par Jean-Louis Rey52 dans l’affaire 2003, M. B.,

le commissaire de gouvernement, Emmanuel Glaser (sous l’avis contentieux, 2004, Commune

de Rogerville) 53 se positionne sur le plan du « doute sérieux quant à la légalité de la décision

»54 administrative dont la suspension est demandée, pour le situer par rapport à la notion de

« prise de position ». Il note à cet égard qu’« un doute ou une absence de doute n’est pas une

opinion ». Le juge des référés se contente de faire valoir le caractère « sérieux » du doute sur

la légalité de la mesure administrative dont la suspension est demandée. Il ne peut en aucun

cas substituer son appréciation à celle du juge du fond sous peine de commettre une erreur de

48 CE Sect., 5 avril 1996, Syndicat des avocats de France Rec.118, JCP 1997, I, n° 22817, RFDA 1996, p. 1195,

conclusions J.Claude Bonichot, précitée.

49 Sur ce point, voir aussi l’arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation (Cass. ass. plén., 6 novembre

1998, Société Bord Na Mona c/ SA Norsk Hydro Azote, Bull. civ. Ass. plén., n° 5 ; D. 1999, p. 1, note J.-F.

Burgelin ; JCP 1998, II, n° 10198, rapp. P. Sargos) par lequel la Cour de cassation estime qu’un magistrat ne

peut se prononcer sur le fond d’une affaire lorsqu’il a déjà porté une appréciation sur les faits qui lui ont été

soumis dans le cadre du référé. La Cour de cassation n’avait pas ici suivi l’avis du procureur général pour lequel

il existe une différence d’approche du juge des référés et de la juridiction du fond (v., concl. J.-F. Burgelin).

50 Les conclusions du commissaire du gouvernement, J.-L. Rey, sont particulièrement éclairantes sur la position

du juge administratif, pour la première fois confronté à la question de savoir si un magistrat qui a statué en référé

peut siéger au sein de la formation appelée à juger au fond. En effet, se fondant sur l’arrêt ERC (CE 30 novembre

1994, SARL Etude Ravalement Constructions ERC, Lebon tables, p.1125) – qui a élevé au rang de règle générale

de procédure applicable même sans texte, l’interdiction pour le magistrat, en l’occurrence le commissaire du

gouvernement, qui a publiquement exprimé son opinion sur un litige de participer à la formation de jugement

ayant à connaître d’un recours formé contre une décision statuant sur ce litige – M. J.-L. Rey propose à la Cour

administrative d’appel d’appliquer cette « règle générale de procédure » au juge des référés « qui par son

ordonnance a rendu publique son opinion sur un litige, ce qui […] lui interdit de statuer lorsque l’affaire est

appelée au fond ».

51 CE Sect., Avis du 12 mai 2004, Commune de Rogerville, req. n° 265184, RFDA 2004, p. 723, concl. E.

Glaser, AJDA 2004, p.1007 et p. 1354, chron. C. Landais et F. Lenica ; cet avis a été sollicité par la Cour

administrative d’appel de Douai dans le cadre de l’article L.113-1 du code de justice administrative pour

répondre à cette « question de droit nouvelle présentant des difficultés sérieuses et susceptible de se poser dans

de nombreux litiges » (CAA Douai, plén., 18 décembre 2003, Commune de Rogerville, n° 01DA01099).

52 M. Jean-Louis Rey n’hésite pas à noter dans ses conclusions : « mais nous sommes conscient qu’il y a matière

à discussion »

53 Cet avis contentieux sera confirmée le même jour par le Conseil d’Etat, par un important arrêt Hakkar (CE

Sect., 12 mai 2004, Hakkar (AJDA 2004, p. 1354, chron. Claire Landais et Frédéric Lenica).

54 Selon les termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, relatif à la procédure du référésuspension,

« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en

réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de

cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à

créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

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droit fondant l’annulation de son ordonnance55. De ce fait, en faisant valoir la présence ou

l’absence de « doute sérieux sur la légalité » de la décision administrative dont la suspension

est demandée, il ne « découvre » pas le caractère légal ou illégal de cette même mesure dont,

a posteriori, l’annulation est demandée. Il peut dès lors être considéré comme ne prenant pas

position eu égard à cette mesure.

Or, si avoir une opinion c’est prendre position (encore que !) et, par suite, avoir des

préjugés sur l’issue de l’affaire en cause, a contrario, ne pas prendre position signifie ne pas

avoir de préjugé et, par conséquent, posséder la légitimité de statuer en toute objectivité sur le

fond du litige. C’est ce que le Conseil d’Etat va décider en s’attelant à une rhétorique

pédagogique mettant en avant les limites de l’office du juge du référé : « eu égard à la nature

de l’office du juge des référés […], la seule circonstance qu’un magistrat a statué sur une

demande tendant à la suspension de l’exécution d’une décision administrative n’est pas, par

elle-même, de nature à faire obstacle à ce qu’il se prononce ultérieurement sur la requête en

qualité de juge du principal »56.

Ce qui signifie que le même juge (des référés) – eu égard à son office – peut servir

deux fois mais dans un sens unique. Une première, à l’occasion de la procédure du référé et,

une seconde fois, lors de l’examen de l’espèce sur le fond. Aucune incompatibilité de principe

entre les deux offices mais allant du référé vers le fond et ce, « eu égard à la nature de l’office

du juge des référés ». Le magistrat qui a eu, en qualité de juge des référés, à aborder certaines

questions touchant au fond d’un litige n’a pas nécessairemment « préjugé » ces questions57.

Ce magistrat acquiert même une connaissance (qui ne signifie pas préjugé) plus approfondie

de l’affaire qui pourrait être favorable au prononcé d’un jugement plus juste au principal.

Il ne s’agirait plus désormais de « l’apparence objective » mais plutôt de « l’objectivité

concrète » du juge. En effet, tout dépendra de l’attitude concrète du juge des référés. L’office

même du juge des référés, la nature de sa tâche, n’affectent pas en elles-mêmes son objectivité

puisque – pour le Conseil d’Etat – cette tâche (d’examiner le caractère sérieux ou pas du

doute sur la légalité de la décision dont la suspension est demandée) ne lui permet pas d’avoir

nécessairement un préjugé sur l’issue de l’affaire. Les deux juges n’auraient pas la même

approche sur le dossier.

En revanche, le comportement du juge des référés est, lui, susceptible de porter une

grave entorse à son impartialité objective. Pour cette raison le Conseil d’Etat précise

clairement ce qui est susceptible de « faire obstacle à ce qu’il (le juge des référés) se

prononce ultérieurement sur la requête en qualité de juge du principal » : c’est uniquement le

cas où « il apparaîtrait, compte tenu notamment des termes mêmes de l’ordonnance, qu’allant

55 Voir à cet égard, l’arrêt du Conseil d’Etat, Garde des Sceaux, ministre de la Justice c/ M. Lepouzé, 2004 (CE 4

octobre 2004, Garde des Sceaux, ministre de la Justice c/ M. Lepouzé, n° 262592, AJDA 2004, p. 2181). Dans

cette espèce, le Conseil d’Etat annule l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Papeete pour

erreur de droit, au motif que ce dernier ne s’est pas borné « à rechercher si pouvait être regardé comme sérieux

un moyen de légalité dirigé contre la mesure prise à l’égard du requétrant et … [a substitué], en réalité, sa

propre appréciation de l’intérêt du service à celle invoquée à l’appui de la décision attaquée par

l’administration ». Lire aussi Le juge des référés peut-il statuer sur la compatibilité d’une loi avec le droit

communautaire ?, Paul Casia, AJDA 2004, p. 465.

56 L’intérêt de ce changement de cap est d’autant plus intéressant que la Cour administrative d’appel de

Bordeaux, dans l’arrêt M. B., 2003 (précité) avait, elle, insisté sur la notion de « prise de position » par le juge

des référés pour « préjuger » de l’atteinte objective à l’impartialité : « alors même que cette position doit être

prise dans les limites imposées par l’office du juge des référés ».

57 Ce n’est pas l’avis du commissaire du gouvernement, Jean-Louis Rey qui, dans ses conclusions sous l’arrêt de

la Cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, formation plénière, 18 novembre 2003, M. Brada,

précité), précise qu’« un magistrat qui a eu, en qualité de juge des référés, à aborder certaines questions touchant

au fond d’un litige, on pourrait dire à les préjuger […] ».

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au-delà de ce qu’implique nécessairement cet office, il aurait préjugé l’issue du litige ». Par

ailleurs et quand bien même il n’y aurait aucun doute sur son attitude, le juge des référés peut

« toujours […] s’abstenir de participer au jugement de la requête en annulation ou en

réformation s’il estime en conscience devoir se déporter ».

Cette nouvelle équation – « cumul + identité du juge des référés avec juge du fond sur

le même dossier = pas nécessairement atteinte à l’impartialité » – paraîttrait en nette

contradiction avec l’article 6 § 1 CEDH. Il n’en est rien. La Cour européenne des droits de

l’homme a en effet, eu l’occasion de manifester sa faveur pour cette nouvelle théorie de

l’objectivité concrète et ce, au motif qu’obliger un plus grand nombre de juges à étudier un

même dossier contribue à ralentir le travail de la justice et paraît peu compatible avec le

respect du délai raisonnable58. L’application stricte de la théorie des apparences objectives

« engendrerait des difficultés pratiques d’organisation au sein des petites juridictions »59

(CEDH, 10 juin 1996, Thomas c/ Suisse et CEDH, 6 juin 2000, Morel c/ France 60. En arrière

plan ce sont indiscutablement les « charges qui pèsent sur les services administratifs »61 qui

auraient contribué à cet assouplissement jurisprudentiel.

Le juge judiciaire n’est pas non plus éloigné de cette nouvelle ligne. Dans ses

conclusions sur une affaire de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 24 novembre

200062, l’avocat général, M.-A. Lafortune, estime que le juge des référés saisi sur le

fondement de l’article 145 NCPC n’anticipe pas sur le fond car il n’a pas à mettre fin à un

conflit déjà né mais à apprécier les suites à donner à une action en conservation ou en

établissement de preuve. Dans un autre arrêt, Bord Na Mona, 1998 (déjà cité), la Cour de

cassation a relevé, contrairement d’ailleurs à l’avis du procureur général, qu’un magistrat ne

peut se prononcer sur le fond d’une affaire lorsqu’il a déjà porté une appréciation sur les faits

qui lui ont été soumis dans le cadre du référé ; dans un arrêt du même jour63, la Cour de

cassation réunie en assemblée plénière a estimé que le juge des référés n’ayant statué que sur

des mesures conservatoires est autorisé à faire partie de la juridiction de jugement64. Tout est

affaire de circonstances et la contradiction entre les deux affaires n’est que de façade. En

effet, dans le premier cas, le juge judiciaire a sanctionné le cumul en raison de

« l’appréciation sur les faits » portée par le juge des référés. Dans le second le cumul fut toléré

(par le même juge judiciaire) eu égard à l’office du juge des référés qui n’a statué que sur des

mesures conservatoires.

Que le principe que le juge des référés puisse, eu égard à la nature de son office,

statuer, ultérieurement au principal soit admis est une chose. Que le juge du fond aille dans la

direction inverse est une autre chose. Ce dernier apparaît comme ayant indiscutablement pris

position sur l’issue du litige. Ce n’est pas l’avis du Conseil d’Etat.

58 Cf. note d’Anne-Marie Mazetier, avocat à la Cour, ss CE 10 décembre 2004, Sté Rosetim, AJDA.14.2005.783.

59 Frédérique Eudier, Le juge civil impartial, en ligne.

60 Précité. Dans cette espèce, la Cour de Strasbourg a confirmé la possibilité pour un juge-commissaire de statuer

a posteriori, au sein de la juridiction de jugement (cf. Le juge civil impartial, F. Eudier, op. cit. et chron. C.

Landais et F. Lenica, AJDA 2004, p. 1354, op. cit.).

61 Selon les termes du commissaire du gouvernement, Yann Aguila, ss CE 17 novembre 2004, Marc Fernandès).

V., à cet égard, Le juge du référé-suspension peut-il juger au fond ?, Daniel Lanz, Président du tribunal

administratif de Châlons-en-Champagne, AJDA 2004, p. 521. M. Lanz met en avant les conséquences pratiques

sur le fonctionnement des juridictions.

62 Cass., ass. plén., 24 novembre 2000 (Gaz. Pal. 12 et 13 janvier 2001, p. 9).

63 Cass. ass. plén., 6 novembre 1998, Guillotel c/ Société Castel et Fromaget, Bull. civ., ass. plén., n° 4 ; D.

1999, p. 1, concl., J.-F. Burgelin ; JCP 1998, III, n° 10198, rapp. P. Sargos.

64 Cf. Le juge civil impartial, F. Eudier, op. cit.

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B) Le même juge peut servir deux fois pour un même dossier dans les deux sens

Au-delà de la compatibilité entre les fonctions du juge des référés et celles du juge du

fond, le Conseil d’Etat va maintenant admettre le fait que – inversement – le juge du fond, qui

a connu d’une affaire puisse, ensuite l’examiner en tant que juge des référés pour, le cas

échéant, en prononcer la suspension. A première vue, il s’agit d’une atteinte manifeste au

devoir d’impartialité au regard de l’article 6 § 1 CEDH. Non, estime le Conseil d’Etat.

L’impartialité n’est aucunement atteinte puisque le juge ne se trouve pas face au « même

litige ». Ici, ce n’est plus la « nature de la tâche » confiée au juge des référés mais « l’identité

du litige » qui sera mis en avant par le Conseil d’Etat pour apprécier la condition

d’impartialité. La théorie de « l’apparence objective » s’est muée, ici aussi, en « impartialité

objective concrète » : le même juge peut intervenir à plusieurs stades de la procédure à

condition qu’il n’ait pas déjà été conduit à « prendre position » sur le fond de l’affaire.

En effet, dans un récent arrêt (CE 9 avril 2004, Ministre de l’Agriculture, de

l’Alimentation, de la Pêche et des Affaires rurales c/ M. Olard) 65, le Conseil d’Etat relève qu’

« aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe ne fait obstacle à ce que

le magistrat qui a présidé la formation de jugement ayant prononcé l’annulation de la

décision […] siégeât en qualité de juge des référés pour statuer sur le nouveau litige ». Or, se

référant à la jurisprudence Procola de la Cour de Strasbourg, Sylvain Hul66 note, « outre que

(…) la participation du juge des référés au jugement de l’instance au fond pouvait sembler

contraire au principe selon lequel un magistrat ayant fait connaître publiquement son opinion

sur une affaire ne peut ultérieurement statuer sur celle-ci (…), l’éventuelle identité des litiges

soumis au juge des référés et au juge du fond » aurait pu amener le Conseil d’Etat « à

sanctionner un manquement à l’impartialité conçue de façon ‘‘objective’’ ».

Justement, pour le Conseil d’Etat, s’il y identité de juge, il n’y a pas identité de litige !

Même si les parties sont les mêmes, et « en dépit du lien existant entre les affaires » 67 dont le

même juge avait à connaître « au titre de ses fonctions successives »68, l’objet du litige n’est

plus le même entre l’examen du fond et la procédure d’urgence. Le juge des référés, saisi

d’une demande de suspension est considéré saisi du même dossier certes, mais pas du même

litige, le premier étant clos.

Dans la ligne de la jurisprudence 2004, Ministre de l’Agriculture,…, le CE vient de

confirmer – dans le cadre du recours en tierce opposition69 – le fait que la compatibilité entre

les fonctions de juge du fond et de juge de référés n’affecte pas le principe d’impartialité (CE

10 décembre 2004, Société Resotim)70. Dans cette espèce il infirme – encore une fois – la

65 CE 9 avril 2004, Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche et des Affaires rurales c/ M. Olard,

req. n° 263508, AJDA 2004, p. 1429, note, Sylvain Hul ; AJDA 2004, p. 2169, note de S. Hul ss CAA Lyon, 11

mai 2004, Ministre de l’Education Nationale, n° 03LY01821. Lire aussi, dans ce sens, la note de F. Sudre, ss CE

3 décembre 1999, Didier Leriche, Caisse de Crédit mutuel de Bain-Tresboeuf (3 esp.). F. Sudre précise qu’au

sein du Conseil national de l’Ordre des médecins, le rapporteur qui a procédé à l’instruction du dossier peut

participer au délibéré de la section disciplinaire sans qu’il soit porté atteinte à l’article 6 § 1 de la Convention

européenne des droits de l’homme (cf. JCP 2000, II, n° 10267).

66 S. Hul, ss CAA Lyon, 11 mai 2004, Ministre de l’Education Nationale, op. cit., AJDA 2004, p. 2169.

67 Selon l’expression de Sylvain Hul sous CE 9 avril 2004, Ministre de l’Agriculture… (précité), AJDA 2004, p.

1429.

68 Idem, Sylvain Hul ss CE 9 avril 2004, Ministre de l’Agriculture… (précité).

69 Aux termes de l’article R. 823-1(1er al.) du Code de Justice Administrative : « Toute personne peut former

tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu’elle

représente n’ont été présents ou régulièrement appelés dans l’instance ayant abouti à cette décision ».

70 CE 10 décembre 2004, Société Resotim, req. n° 270267, concl. M. Olson ; AJDA 2005, p. 782, note Anne-

Marie Mazetier, avocat à la Cour. La question était ici de savoir si les magistrats ayant siégé lors du prononcé du

jugement contesté pouvaient régulièrement connaître de la voie de recours en tierce opposition formée devant la

même juridiction. Pour la CAA de Lyon, Non ; pour le Conseil d’Etat, Oui.

Hiam Mouannès VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 14 sur 15

UT1 CERCP

La notion d impartialite ou la 14/06/2005

position du juge administratif d’appel (CAA Lyon, 14 octobre 2004, Institut de formation de

Rhône-Alpes)71. Il serait intéressant d’observer la rhétorique de chacun des deux juges

(d’appel et de cassation) – aussi convaincante l’une que l’autre – pour se rendre compte de la

difficulté de se saisir de la notion d’impartialité qu’ils cherchent à apprécier afin d’en imposer

le respect.

La Cour administrative d’appel de Lyon avait fait une application stricte de la

conception objective de l’impartialité)72. Elle a considéré qu’« un membre d’une juridiction

administrative ne peut participer au jugement d’un recours en tierce opposition dirigé contre

une décision juridictionnelle qui a été prise par une formation de jugement à laquelle il

appartenait ». Le Conseil d’Etat consolide, quant à lui, l’application de la conception de

l’objectivité concrète de l’impartialité. Infirmant la position du juge d’appel, il précise que

« la circonstance que le juge des référés, qui s’est prononcé sur la requête en tierce

opposition formée par les SNC Bon Puits I et II, était l’auteur de cette première ordonnance,

est sans incidence sur la régularité de l’ordonnance attaquée ». Autrement dit, la

« circonstance que » le juge serve deux fois dans le même dossier « est sans incidence »,

c’est-à-dire, n’est pas en soi, attentatoire au devoir d’impartialité. La Haute juridiction va dans

le sens de l’arrêt Morel c/ France73 dans lequel la Cour de Strasbourg considère que « le

simple fait, pour un juge d’avoir pris des décisions avant le procès ne peut passer pour

justifier en soi des appréhensions relativement à son impartialité […]. De même, la

connaissance approfondie du dossier par le juge n’implique pas un préjugé empêchant de le

considérer comme impartial ». Ce qui compte c’est le comportement de ce juge.

Pour sanctionner l’irrégularité de l’ordonnance du juge des référés, la Cour

administrative d’appel de Lyon avait, par ailleurs, mis en avant le lien entre l’exercice des

deux fonctions par le même juge sur le même litige et la notion de prise de position, c’est-àdire

de « préjugé » sur l’issue du litige. Elle avait relevé qu’« il ressort des pièces du dossier

que le président délégué, qui avait rejeté par l’ordonnance attaquée le recours en tierce

opposition […] avait précisément déjà pris cette première décision juridictionnelle ; qu’il ne

pouvait dès lors se prononcer régulièrement sur le recours en tierce opposition ». Le Conseil

d’Etat estime, quant à lui, que la compatibilité de principe entre les deux fonctions n’induit

pas nécessairement une prise de position sur l’affaire, surtout lorsqu’il ne s’agit plus vraiment

du même litige : « aucune règle générale de procédure, et notamment pas le principe

d’impartialité, ne fait obstacle à ce qu’un recours en tierce opposition, qui doit être porté

devant la juridiction dont émane la décision juridictionnelle, dont la rétractation est

demandée, soit jugée par la formation de jugement ou le juge qui a rendu cette décision ».

Selon l’expression de Maître Anne-Marie Mazetier, la solution du Conseil d’Etat est « fondée

sur la spécialité de la tierce opposition en tant que voie de rétractation ». D’ailleurs la lecture

d’un considérant assez limpide de la Cour administrative de Nantes (CAA Nantes 4 octobre

1995, Commune de Donville-les-Bains)74 peut ici nous être utile : dans le recours en tierce

opposition, le juge est tenu de « réexaminer, dans la limite des moyens soulevés par le tiers

opposant, l’affaire qui a donné lieu au jugement entrepris ».

La Cour de cassation va également dans le sens du Conseil d’Etat. La chambre

commerciale a en effet estimé que la présence du juge-commissaire au sein de la juridiction

qui statue sur l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou sur le prononcé de

71 CAA Lyon, 14 octobre 2004, Institut de formation de Rhône-Alpes, req. n° 04LY00494, concl., M. Besle (cf.

AJDA 2005, p. 782). La Cour administrative d’appel prenait la même position dans l’arrêt : CAA Lyon, 11 mai

2004, Ministre de l’Education Nationale (précité).

72 Telle que dégagée de la jurisprudence Procola c/ Luxembourg, 1995 (précitée).

73 CEDH 6 juin 2000, Morel c/ France, précité.

74 CAA Nantes 4 octobre 1995, Commune de Donville-les-Bains, req. n° 92NT01150.

Hiam Mouannès VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 15 sur 15

UT1 CERCP

La notion d impartialite ou la 14/06/2005

l’interdiction prévue à l’encontre du dirigeant d’une personne morale en redressement ou en

liquidation judiciaires n’est pas contraire à l’article 6 § 1 CEDH75.

La Cour européenne des droits de l’homme a, elle aussi assoupli sa conception sur la

« théorie des apparences objectives » admettant, en 1992 (CEDH, 16 décembre 1992, Sainte

Marie c/ France)76, qu’un juge qui, en chambre d’accusation, a eu à se prononcer sur la

détention provisoire peut ensuite, dans la même affaire, statuer sur la culpabilité d’un

prévenu, en chambre des appels correctionnels77. En 1989, la Cour de Strasbourg précise que

« le fait qu’un juge de première instance ou d’appel […] ait déjà pris des décisions […] ne

peut passer pour justifier en soi des appréhensions quant à son impartialité » (CEDH, 24 mai

1989, Hauschildt c/ Danemark78 et CEDH 6 juin 2000, Morel c/ France79).

En définitive, il faut bien plus que les apparences – que celles-ci soient objectives ou

concrètes – pour justifier l’absence de doute légitime sur l’impartialité du juge. Ce plus, nous

semble-t-il, ne pourrait être uniquement puisé dans les indications jurisprudentielles. La

déontologie et l’intime conscience du juge de statuer selon ce qui, au plus profond de son for

interieur, lui semble juste ne peut que transparaître en filigrane des décisions juridictionnelles

même les plus défavorables au requérant. Le chancelier Michel de L’Hospital ne s’était-il,

déjà en 1563, adressé au Parlement de Rouen en ces termes : « Messieurs, je ne parlerai de

préceptes qui enseignent la manière de bien juger ; car vous en avez les livres pleinz : vous

admonesteray seulement comme vous debvez vous composer et comporter en vos jugemens,

sans blasme, tenant la droicte voye, sans décliner à dextre, ny à senestre…Si ne vous sentez

assez forts et justes pour commander vos passions et aimer vos ennemys selon que Dieu

commande, abstenez-vous de l’office de juges »80

75 Cass. com., 3 novembre 1992 et 16 mars 1993, D. 1993, Jur., p. 538, note J.-L. Vallens ; RTD civ. 1993, p.

882, obs. J. Normand (cf. Le juge civil impartial, Frédérique Eudier, p. 12).

76 CEDH, 16 décembre 1992, Sainte Marie c/ France, série A n° 253-A.

77 Voir aussi l’arrêt Thomas c/ Suisse de 1996 (CEDH, 10 juin 1996, Thomas c/ Suisse, req. n° 33/1995/539/624,

D. 1997, SC, p. 207, obs. J.-F. Renucci) à propos d’un recours en révision et pour lequel la Cour de Strasbourg

n’est pas éloignée de la position du Conseil d’Etat français (cf. A.-M. Mazetier, note ss Rosetim et Institut de

formation de Rhône-Alpes, AJDA 2005, p. 782).

78 CEDH, 24 mai 1989, Hauschildt c/ Danemark, série A, n° 154. Dans cette espèce, la Cour de Stransbourg a

quand même relevé qu’il y avait eu atteinte au devoir d’impartialité au motif que le magistrat avait déjà pris

position sur la culpabilité du requérant. Le doute du requérant est, par conséquence, légitime.

79 CEDH 6 juin 2000, Morel c/ France, précité.

80 OEuvres complètes de Michel de L’Hospital, Harangues, tome II, A. Boullard et Cie, Librairie, 1824.



14/04/2012
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