Le Conseil d’Etat et la notion d’impartialité
Hiam Mouannès
VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 1 sur 15UT1 CERCP
La notion d impartialite ou la 14/06/2005
Le Conseil d’Etat et la notion d’impartialité
Ou, la variable équation
Hiam MOUANNES
1«
Par contraste avec la timidité des juges ordinaires […], le CE de plus en plus sûr delui et de sa pérennité est devenu entre la puissance publique et les citoyens, un arbitre certes
non neutre mais impartial et finalement au service des droits de l’homme
»2. « Non neutremais impartial et finalement au service des droits de l’homme » : voici comment, par cet
oxymore, le doyen Vedel révèle, judicieusement, l’introuvable définition de la notion
d’impartialité.
L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit le droit à un
procès équitable, précisant que «
toute personne a droit à ce que sa cause soit entendueéquitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et
impartial
». Une vertu inhérente à la fonction du juge, l’impartialité est un concept des plusdélicats à saisir dans la mesure où, il s’agit d’un
droit fondamental, substantiel, auquel toutepersonne est en droit de prétendre et qui, par suite, est naturellement appelé à être garanti par
tous les pouvoirs publics constitutionnels, administratifs et juridictionnels
3. Il est vrai qu’à cetégard l’application de ce devoir par le juge ne peut qu’avoir des répercussions sur la nature de
la protection due aux administrés/requérants.
Si la notion d’impartialité commande celle de la neutralité, inversement, l’absence de
neutralité induit l’absence d’impartialité ! Sauf que, la logique juridique ne correspond pas
toujours forcément à la logique mathématique. Faut-il encore se saisir de la notion de
neutralité pour comprendre son corollaire, l’impartialité. Qu’est-ce qui en substance fait qu’un
juge est ou n’est pas neutre ? et de quelle neutralité s’agit-il ? de celle de la méthode ? de celle
du juge ? de celle de la juridiction ? des trois réunies ? Persuadée qu’aucune ne va sans
l’autre, nous parlerons – pour une facilitation de vocabulaire - de celle du juge, en
l’occurrence de celle du juge administratif, vue par le Conseil d’Etat.
Nous sommes tous conscients de la transformation de la mission de « diseur de droit »
du Conseil d’Etat qui trouve sa justification dans la nécessité de chercher la solution la plus
juste et équitable à la question (lorsqu’il est saisi d’un avis) et/ou à l’espèce qui lui est
soumise (au contentieux)
4. L’inévitable conséquence est de ne pas se contenter d’être unsimple
serviteur de la loi. L’actuel vice-président du Conseil d’Etat, monsieur Renaud Denoixde Saint Marc, fait d’ailleurs remarquer que «
le juge administratif français n’hésite pas à sereconnaître des pouvoirs praeter legem
», « il peut faire preuve de créativité »5. Ainsi, pourdire le droit
, une rhétorique argumentariste, contextualisée, solidement construite etparfaitement maîtrisée constituera l’outil, par excellence, du Conseil d’Etat.
1
Maître de Conférences à l’Université des Sciences Sociales de Toulouse I ; membre du Centre d’Etudes et derecherches Constitutionnelles et Politiques (CERCP).
2
Discours du doyen Georges Vedel, à la Sorbonne, en 1999, à l’occasion du bicentenaire du CE.3
D’ailleurs la régularité de la composition de la formation de jugement est une question d’ordre public, le jugedevant la soulever d’office notamment en cas d’atteinte à l’exigence d’impartialité (CE 19 avril 2000,
Lambert,Lebon tables, p., 1168 et CE 30 juillet 2003,
Chatin-Tsai, AJDA 2003, p. 2045, note Markus).4
Articles 4 et 5 du code civil.5
Questions à… Renaux Denoix de Saint Marc, relatives au rapport d’activité 2005 du Conseil d’Etat, intitulé« responsabilité et socialisation du risque », propos recueillis par Marie-Christine de Montecler et Séverine
Brondel, AJDA 2005 p. 628.
Hiam Mouannès
VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 2 sur 15UT1 CERCP
La notion d impartialite ou la 14/06/2005
La réflexion sur le devoir d’impartialité du juge demeure inépuisable tellement
l’actualité nous donne du grain à moudre
6… La très récente jurisprudence du Conseil d’Etatnous invite en effet à se pencher sur la nouvelle équation : cumul + identité de personne +
identité de litige = doute
objectif sur l’impartialité du juge.Suite à la réforme de 1963
7, intervenue au lendemain de l’arrêt Canal (CE Ass., 19octobre 1962,
Canal, Robin et Godot)8 et établissant l’obligation de la double affectation desconseillers d’Etat en service ordinaire à une des sections administratives et à la section du
contentieux, le Conseil d’Etat a établi une première équation négative (cumul ne signifie pas
manquement au respect du principe d’impartialité : CE Sect. 25 janvier 1980,
Gadiaga et a)9,qui se transforme – par la nature des choses et au-delà de la volonté du Conseil d’Etat – en
équation positive : cumul = doute. La jurisprudence sera, par suite, rapidement renversée au
profit d’une autre, plus ancienne (CE 11 août 1864,
Ville de Montpellier)10 et, cependantnettement plus conforme aux exigences d’impartialité telles que prévues par l’article 6 § 1 de
la Convention européenne et par la jurisprudence du juge européen (CEDH 28 septembre
1995,
Procola c/ Luxembourg)11. C’est la théorie de l’apparence objective.Ainsi, le cumul n’est pas,
par lui-même, attentatoire à l’exigence d’impartialité. Seul lefait qu’un juge, appelé en amont, à donner son avis sur une affaire, ait eu à statuer
ultérieurement sur cette même affaire, est attentatoire à l’exigence d’impartialité (CE Sect., 5
avril 1996,
Syndicat des avocats de France 12 ; CEDH 1er octobre 1982, Piersack c/Belgique
13). L’équation – définie positivement cette fois-ci – sera la suivante : cumul +identité de personne + identité de litige = suspicion légitime.
Le souci du Conseil d’Etat n’est donc point le
principe du dédoublement maisl’
effective garantie de l’impartialité. Malgré l’apparent paradoxe entre les deux notions decumul et d’impartialité, il faut comprendre que ce qui intéresse le Conseil d’Etat ce n’est pas
le
fait lui-même mais ce sont ses effets. Ne l’intéresse pas non plus le syllogisme (non évidentd’ailleurs) induit de la relation entre le fait et ses conséquences. Le fait (le cumul) peut
théoriquement induire un effet (le défaut de neutralité). Or, pour le juge administratif, le fait,
6
Nous ne parlerons pas ici de la décision de madame Simone Veil de se mettre en congé du Conseilconstitutionnel entre «
le 1er mai et la proclamation des résultats du référendum du 29 mai » pour s’engager dansla campagne pour le « oui » au référendum du 29 mai 2005 relatif à l’autorisation de ratifier le traité établissant
une Constitution pour l’Europe. Par son engagement clair et net en faveur d’un texte sur lequel l’intéressée a pu
statuer dans le cadre de la saisine Conseil constitutionnel par le chef de l’Etat, le 29 octobre 2005, et malgré le
respect de ses obligations constitutionnelles de réserve, madame Simone Veil n’a pu éviter de semer le doute sur
l’exigence d’impartialité du juge constitutionnel. Voir aussi la déclaration de Mme Veil dans
Le Point, n° 1706du 26 mai 2005, p.35 et s. dans laquelle – parlant des membres du Conseil constitutionnel – elle précise « Nous
avons tous des passés politiques, mais nous faisons totalement abstraction de nos engagements pour examiner les
textes ».
7
Depuis sa création par la Constitution de l’An VIII (art. 52), le Conseil d’Etat est à la fois organe consultatif etjuridictionnel. Une Commission du contentieux est créée en son sein dès 1806. Après sa mise en veilleuse sous
la Restauration et son rétablissement en 1831, puis, en 1872 (loi du 24 mai), au lendemain de la chute du Second
Empire, le double rôle consultatif et juridictionnel de cette Haute juridiction n’est plus remis en question. Son
statut est actuellement régi par l’ordonnance du 31 juillet 1945. V., à cet égard, Jean Rivero,
Droit Administratif,Précis dalloz, 1960, p.180.
8
CE Ass., 19 octobre 1962, Canal, Robin et Godot, Rec. 552, AJDA 1962, p. 612, chron., A.de Laubadère ; Rev.Adm., 1962, p. 623, note Liet-Veaux ; JCP 1963, II, p. 13068, note, Ch. Debbasch ; GAJA, n° 92.
9
CE Sect. 25 janvier 1980, Gadiaga et a, D.1980, p.270 et s., note G. Peiser.10
CE 11 août 1864, Ville de Montpellier, Rec. p. 767 ; mais aussi CE Sect. 2 mars 1973, Dlle Arbousset, Lebonp. 189.
11
CEDH 28 septembre 1995, Procola c/ Luxembourg, AJDA 1996 p.383 ; D.1996, p. 301 ; JCP 1997 I, n° 4017.12
CE Sect., 5 avril 1996, Syndicat des avocats de France Rec.118, JCP 1997, I, n° 22817, RFDA 1996, p. 1195,conclusions J.Claude Bonichot.
13
CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c/ Belgique, n° 8692/79, série A, n° 53.Hiam Mouannès
VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 3 sur 15UT1 CERCP
La notion d impartialite ou la 14/06/2005
le cumul, n’engendre pas « en lui-même » l’effet de partialité. L’intervention de deux
éléments supplémentaires – l’identité de personne et l’identité du litige – est seule susceptible
de laisser planer le doute sur l’impartialité du juge
(I).Stable et variable, à bien lire les décisions du Conseil d’Etat, nous n’aurons aucun mal
à entrevoir son imperturbable idéologie qui est une absence d’idéologie. Sa ligne de conduite
demeure celle d’assurer une effective protection des droits des administrés sans toutefois
paralyser l’action de l’administration. Or, obnubilé pas les
effets d’une décision sur les droitsdes administrés, ce même Conseil d’Etat – dans la droite ligne de l’évolution de la
jurisprudence européenne d’ailleurs – refuse de sombrer dans le culte de
« l’apparence objective » de neutralité
14.A partir de quelques récentes affaires, l’on ressent aisément une certaine évolution
jurisprudentielle dont l’apparence paraît attentatoire au principe d’impartialité du juge. A cet
égard, pour aboutir au manquement au devoir d’impartialité il n’est plus besoin de se fonder
sur le principe de « l’identité » ni non plus sur la théorie de « l’apparence objective ». Sans
définitivement disparaître, l’équation – cumul + identité de personne et identité de litige =
doute sur l’impartialité du juge – peut toujours céder en fonction des circonstances de chaque
cas d’espèce
15. Pour que la conviction du justiciable l’emporte sur le doute, le Conseil d’Etataura recours à une nouvelle théorie de l’objectivité
concrète, fondée sur uneargumentation subtilement façonnée aussi bien au niveau de la présentation du contexte que
de la motivation de son raisonnement afin de prouver la loyauté du juge à l’égard des
administrés (et des requérants) ne laissant aucune place à la moindre
suspicion légitime.Dans ce sens, le juge des référés, ayant examiné une demande de suspension, peut
statuer en tant que juge du fond sur la même affaire. Et, inversement, le juge du fond peut
aposteriori
, et après s’être prononcé sur une décision administrative, examiner une demande desuspension d’exécution de cette même décision, en tant que juge des référés. Dans le premier
cas, le Conseil d’Etat prend en considération «
l’office du juge des référés » (CE Sect., Avisdu 12 mai 2004,
Commune de Rogerville), dans le second, il estime qu’il ne s’agit pas « dumême litige
» (CE 9 avril 2004, Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche etdes Affaires rurales c/ M. Olard
).Si, selon l’expression de Sylvain Hul
16, « la question du respect du principed’impartialité par le juge administratif est souvent une affaire de conscience et de
circonstance », sa garantie demeure en réalité tributaire de deux éléments. Un premier,
constant, la double exigence, de Justice à laquelle tout requérant est en droit de prétendre
d’une part, et, d’autre part, de « charges qui pèsent sur les services administratifs »
17. Unsecond élément, variable, dépend des circonstances de chaque espèce, et qui amène le Conseil
d’Etat à appliquer le principe d’une manière pragmatique
(II).14
Lire à cet égard la très instructive contribution de Stéphanie Gandreau, La théorie de l’apparence en droitadministratif : vertus et risques de l’importation d’une tradition de Common Law
, RDP n° 2, 2005, p. 319 et s.15
La Cour européenne des droits de l’homme a déjà précédé le juge français sur cette piste (CEDH, 16 décembre1992,
Sainte Marie c/ France, série A n° 253-A. ; CEDH 6 juin 2000, Morel c/ France, n° 34130/96, infra).16
Le juge administratif et l’impartialité : actualité d’un principe ancien, Sylvain Hul, sous CAA Lyon, 11 mai2004,
Ministre de l’Education national, req. n° 03LY01821 ; AJDA 2004, p. 2169 et s.17
Selon l’expression du commissaire du gouvernement, Yann Aguila, sous CE 17 novembre 2004, MarcFernandès
(AJDA 2004, p.1007).Hiam Mouannès
VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 4 sur 15UT1 CERCP
La notion d impartialite ou la 14/06/2005
I – De la vraie-fausse compatibilité entre le cumul de fonctions administrative et
juridictionnelle et l’exigence d’impartialité
L’appréciation de l’impartialité par le Conseil d’Etat a, dans un premier temps, été
affaire de règlement, et, dans un second temps, affaire d’adaptation à l’esprit d’équité et à la
jurisprudence européenne. En effet, en 1980 (CE 25 janiver 1980,
Gadiaga et a), le Conseild’Etat a clairement établi (au regard du décret du 30 juillet 1963) le principe de la
compatibilité entre, d’une part, le cumul des fonctions consultative et juridictionnelle du juge
administratif et, d’autre part, le devoir d’impartialité. La relation de cause à effet entre le
cumul et l’atteinte à l’impartialité du juge ne semblait poser aucun problème
(A). A partir de1994, et plus expressément en 1996, il ressuscite une ancienne préoccupation, soumettant
cette compatibilité à l’apparence « objective » de neutralité (
Syndicat des avocats de France,1996). Le lien entre le cumul et l’exigence d’impartialité apparaît dès lors moins évidente.
Seule l’intervention d’un tiers élément – l’absence d’identité de personne et d’identité de
litige – est susceptible d’écarter toute suspicion légitime
(B).A) L’admission par le Conseil d’Etat du principe du dédoublement des deux
fonctions consultative et juridictionnelle
Parmi les réformes intervenues en 1963 et relatives à l’organisation du Conseil d’Etat,
il y eut celle établissant la double affectation des conseillers d’Etat en service ordinaire à une
des sections administratives et à la section du contentieux
18. Le juge administratif, conseillerdu gouvernement, est dès lors amené à
conseiller et, ensuite, à statuer, le cas échéant, sur lamême mesure administrative.
Le doute sur l’impartialité du juge administratif ne pouvait ainsi qu’être objectif donc,
légitime, tout au moins eu égard à l’organisation même de la juridiction. Le cumul aboutissant
à la possibilité pour une seule et même personne de donner, en amont, son avis sur une
mesure administrative et, ensuite dans le cadre du contentieux, de juger de sa conformité au
principe de légalité. L’équation « cumul = doute » est posée dans l’esprit du justiciable.
Côté juge, le dédoublement fonctionnel n’est pas un motif d’illégalité. Saisi de la
régularité d’un jugement relatif à une mesure de police administrative générale (CE 25 janvier
1980,
Gadiaga et a) 19, le Conseil d’Etat n’a en effet rien trouvé à redire sur le fait que leprésident du tribunal administratif, qui avait donné un avis sur la légalité d’un arrêté pris par
le maire, puisse siéger sur le recours pour excès de pouvoir formé contre le dit arrêté : «
cettecirconstance ne faisait pas obstacle à ce que ce président siégeât […] sur le recours pour
excès de pouvoir formé contre l’arrêté
». Pour le cas où le lecteur serait allé vite en besogne,ne cernant pas assez précisément la position du Conseil d’Etat, ce dernier réitère, dans le
même considérant le fait que «
la présence du président du tribunal administratif n’a pasvicié la composition dudit tribunal
». Autrement lu, et mettant de côté la problématique mêmedu cumul, le Conseil d’Etat mettrait en avant l’idée selon laquelle ni l’identité de personne (le
président du tribunal administratif) ni l’identité du litige (la mesure de police prise par le
maire) ne sont susceptibles de porter atteinte au devoir d’impartialité ou de provoquer une
quelconque suspicion
légitime.18
Décret du 30 juillet 1963 intervenu suite à l’affaire Canal (CE 19 octobre 1962) et établissant le principe du« brassage ». V., les articles R. 121-3 et R. 121-4 du Code de Justice Administrative.
19
Précité.Hiam Mouannès
VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 5 sur 15UT1 CERCP
La notion d impartialite ou la 14/06/2005
Mais, qu’est-ce qui en substance fait qu’un juge est ou n’est pas neutre ? Pour le
Conseil d’Etat – à cette date en tout cas – ce n’est certainement pas l’identité de personne et
l’identité de litige. L’exigence d’impartialité irait de soi avec l’office du juge nécessairement
juste et commandant ses passions. C’est la présomption d’impartialité.
Le juge européen ne semble pas du même avis, définissant – dans un arrêt
Piersack c/Belgique
de 198220 – l’impartialité « par l’absence de préjugé ou de parti-pris ». Une mêmepersonne ayant donné son avis sur une affaire et, jugeant ultérieurement cette même affaire ne
pourrait – au moins dans l’apparence – que faire naître un doute sur son objectivité, soulevant
anisi une question sur le terrain de l’article 6 § 1 de la CEDH.
En effet, dans cet esprit et dans un autre arrêt,
Procola (CEDH, 28 septembre 1995,Procola c/ Luxembourg
21), la CEDH précise que le cumul des fonctions consultative etjuridictionnelle «
est de nature à mettre en cause l’impartialité structurelle de l’institution ».Ainsi, elle sanctionne une décision prise par une formation de jugement
22 statuant aucontentieux sur un règlement et dont quatre des cinq membres avaient déjà examiné ce même
règlement dans le cadre de leur mission administrative. Elle y a trouvé une «
confusion, dansle chef de quatre conseillers d’Etat, de fonctions consultatives et de fonctions
juridictionnelles
». Par l’arrêt Procola, la Cour européenne des droits de l’homme a vouluexprimé – selon l’expression de René Chapus – « une hostitlité de principe à la conception
française de la justice administrative, présentée comme nécessairement («
structurellement »)à l’origine d’un risque, ou au moins de l’apparence, d’une justice partiale (ce qui selon les
vues anglo-saxonnes de la Cour, suffirait à la rendre condamnable »)
23.Remise en cause par la jurisprudence
Procola de la position du Conseil d’Etat ? Touten nuance, la Haute juridiction administrative s’en défend avançant un premier pion sur
l’échiquier de l’impartialité. Par un arrêt du 6 juillet 1994,
Comité mosellan de sauvegarde del’enfance
24, le Conseil d’Etat estime en effet, qu’il n’est jamais dans la même compositionquand il exerce ses attributions consultatives et ses attributions contentieuses
25. Une forcetranquille d’adaptation aux contraintes nouvelles nécessaires pour garantir une
effectiveimpartialité. La nouvelle équation – en réalité ancienne – sera explicitement posée deux ans
plus tard, par la jurisprudence
Syndicat des avocats de France (CE Sect., 5 avril 1996,Syndicat des avocats de France
)26. Désormais, le principe de « l’identité » seraintrinsèquement lié au risque de partialité.
20
Précité.21
CEDH, 28 septembre 1995, Procola c/ Luxembourg, série A n° 326 ; D. 1996, p. 301, note F. Benoit-Rohmer ;JCP 1996, I, n° 3910 et n° 23, obs. F. Sudre et JCP 1997, I, n° 4017 ; Dr. adm. 1996, comm. n° 41 ; AJDA 1996
p. 383.
22
Il s’agit en l’espèce du Conseil d’Etat luxembourgeois.23
René Chapus, Droit du contentieux administratif, 11ème éd. Montchrestien, 2001.34.24
Conseil d’Etat, 6 juillet 1994, Comité mosellan de sauvegarde de l’enfance,25
Conclusions de J. Claude Bonichot, ss Syndicat des avocats de France.26
Rec.118, JCP.1997.I, n° 22817, RFDA.1996.1195, conclusions J.Claude Bonichot.Hiam Mouannès
VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 6 sur 15UT1 CERCP
La notion d impartialite ou la 14/06/2005
B) Est couverte par le principe de l’apparence objective
Le professeur Jean Rivero notait en 1960 dans son précis de Droit administratif : « il
paraît souhaitable (…) que le personnel des sections administratives ne puisse participer
dansle même temps
27 aux formations contentieuses. C’est, au sein même du Conseil d’Etat, unesorte de prolongement du principe de la séparation des pouvoirs »
28. La réalitéjurisprudentielle répondait effectivement à cette précaution puisqu’il était interdit à un juge de
se prononcer sur une décision dont il est l’auteur, que ce soit à titre individuel ou en tant que
membre d’un organe collégial (CE 11 août 1864,
Ville de Montpellier)29.La théorie de l’apparence nacquit en 1973
30 lorsque le Conseil d’Etat montre sonattachement à la nécessité de donner aux parties «
le sentiment que justice leur a été rendue »(CE Sect., 2 mars 1973,
Dlle Arbousset)31. Il fallait cependant l’intervention du juge deStrasbourg – qui ne fait d’ailleurs que s’inspirer de la jurisprudence
Dlle Arbousset – pour quela Haute juridiction administrative française ferme la parenthèse
Gadiaga.Dans les deux affaires
Comité mosellan de sauvegarde de l’enfance (CE 6 juillet1994) et
Syndicat des avocats de France (CE Sect., 5 avril 1996) le Conseil d’Etat fait savoirsa définition de l’impartialité. En effet, la coexistence d’attributions contentieuse/consultative
n’est pas
par elle-même contraire au principe d’indépendance et d’impartialité (Syndicat desavocats de France
). Seul le fait que les formations soient « identiques » peut affecterl’exigence d’impartialité (
Comité mosellan de sauvegarde de l’enfance). Une appréciationobjective
et in concreto de l’impartialité à travers chaque cas d’espèce sera désormais àl’oeuvre
32.Si le doute est source de méfiance et, par conséquent, de souffrance pour le requérant,
inspirer
la confiance, mais surtout manifester la bonne foi du juge, devient maintenant lapréoccupation du Conseil d’Etat. La Haute juridiction administrative, naturellement soucieuse
que le justiciable puisse « compter sur ses juges »
33, centrera désormais son souci sur lesapparences
d’une « impartialité objective ». La justice doit être rendue de manière « visible,27
C’est nous qui soulignons.28
Jean Rivero, Droit Administratif, Précis dalloz, 1960, 187.29
CE 11 août 1864, Ville de Montpellier, Rec. p. 767.30
Notons cependant que la théorie des apparences objectives trouve son berceau en Grande Bretagne dans unarrêt de la Chambre des Lords datant de 1924,
R v. Sussex Justice, ex p. McCarthy [1924] 1 K.B. 256, 259. Lire àcet égard,
La théorie de l’apparence en droit administratif, S. Gandreau, RDP 2005, n° 2, op. cit. ; lire aussi,L’impartialité objective du juge en Europe : des apparences parfois trompeuses
, Arnaud Cabanes et AlexiaRobbes, AJDA 2004, p. 2375 ;
Théorie de l’apparence ou apparence de théorie ? Humeurs autour de l’arrêtKress
, Daniel Chabanol, AJDA 2002, p. 9.31
CE Sect., 2 mars 1973, Dlle Arbousset, Lebon p. 189. Lire aussi les articles L. 721-1 et R. 721-1 et s. du codede Justice Administrative qui régissent les procédures de récusation d’un juge lorsqu’il existe «
une raisonsérieuse de mettre en doute son impartialité
».32
Voir, à ce titre, l’arrêt Sarran de 1999 (CAA Paris (3ème ch.) 23 mars 1999, Sarran) par lequel la 3ème chambrede la Cour administrative d’appel de Paris sanctionne le non-respect du principe d’impartialité par le juge
administratif, en l’occurrence, par le tribunal administratif de Nouvelle Calédonie. Dans le cas de l’espèce,
certains membres de la formation de jugement avaient eu à se prononcer dans le cadre de leurs attributions
consultatives (cf. AJDA 1999, p. 623).
33
Selon l’expression de P. Sargos, Devoir d’impartialité, fondement de la légitimité du juge dans un Etatdémocratique
, discours prononcé devant la cour d’appel de Rouen, reproduit dans la Gazette du Palais du 24 et26 mai 1992.
Hiam Mouannès
VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 7 sur 15UT1 CERCP
La notion d impartialite ou la 14/06/2005
ostensible »
34. Faire en sorte que justice soit rendue et que, dans le même temps, il soit vuqu’elle a été
rendue35.Ainsi, partant du constat que le « même juge » consulté, statuant ensuite sur le
litige concernant « la même affaire », ne peut que
donner à voir une illusoire justice parcequ’il s’est déjà forgé « une (son) opinion » sur le dossier
36, ce juge ne peut, par conséquent,qu’être « partie pris » dans
ce dossier. Le devoir d’impartialité suppose alors l’adoption de laformule suivante : le juge «
ne peut servir qu’une fois »37. Le Conseil d’Etat y veillera : le« même juge »
consulté ne peut ensuite statuer sur le litige concernant « le même litige ».Le défaut de garantie ne pouvant provenir du
principe du dédoublement, le Conseild’Etat (mais aussi le juge judiciaire
38 et le juge européen) ira le scruter dans l’identité du jugeet l’
identité du litige, seules susceptibles de, légitimement et objectivement, semer le doutedans l’esprit du justiciable à l’égard de la parfaite impartialité du juge et, provoquer, le cas
échéant, l’annulation de la décision contestée au titre de l’article 6 § 1 CEDH. Ainsi, dans un
arrêt
M. Dubreuil de 2003 (CE Ass., 4 juillet 2003, M. Dubreuil)39, l’Assemblée du Conseild’Etat rappelle que le respect du principe d’impartialité interdit à un membre de la Cour de
discipline budgétaire et financière de juger d’accusations relatives à des faits qu’il a déjà eu à
apprécier dans le cadre d’autres fonctions
40.La position de la Cour européenne des droits de l’homme ne s’en distingue point. A
bien lire l’arrêt
Procola (CEDH, 28 septembre 1995, Procola c/ Luxembourg41), la Courprécise que «
le seul fait que certaines personnes exercent successivement à propos desmêmes décisions les deux types de fonctions est de nature à mettre en cause l’impartialité
34
Selon l’expression de Arnaud Cabanes et Alexia Robbes, L’impartialité objective du juge en Europe : desapparences parfois trompeuses
, AJDA 2004, p.2375.35
Selon la célèbre expression : « la justice ne doit pas seulement être rendue mais il doit être vu qu’elle a étérendue » du Lord Hewart dans un arrêt de la Chambre des Lords de 1924,
R v. Sussex Justice, ex p. McCarthy[1924] 1 K.B. 256, 259, précité (Cf.
La théorie de l’apparence en droit administratif : vertu et risques del’importation d’une tradition de Common Law
, S. Gandreau, RDP n° 2, 2005, p.319 et s.)36
Voir à cet égard l’arrêt de la Cour administratif d’appel de Nancy, M. Pruykmeker (CAA Nancy, 5 décembre2002,
M. Pruykmeker, AJDA 2003, p. 695). Dans cette espèce, et même si le requérant verra sa demande rejetée,la CAA de Nancy annule le jugement du TA au motif qu’un magistrat ayant fait partie de la formation de
jugement avait déjà « pris position » sur le bien-fondé de la demande du requérant : «
Considérant qu’il ressortdes pièces du dossier que l’un des magistrats ayant concouru au jugement attaqué avait auparavant […]
informé M. P. par lettre du 3 septembre 1998 que le tribunal considérait que le jugement du 6 novembre 1997
« paraissait entièrement exécuté » et qu’il envisageait donc de procéder au classement de l’affaire ; que ce
magistrat a ainsi pris position sur le bien-fondé de la demande d’exécution formé par M. P. ; que, par suite,
cette circonstance s’opposait à ce que ce même magistrat fit partie de la formation de jugement appelée à se
prononcer sur cette requette
».37
P. Sargos, Devoir d’impartialité, fondement de la légitimité du juge dans un Etat démocratique, discoursprononcé devant la cour d’appel de Rouen, reproduit dans la Gazette du Palais du 24 – 26 mai 1992.
38
La théorie de l’apparence est en effet également adoptée par le juge judiciaire qui se trouve dans la même lignejurisprudentielle que celle du juge administratif et du juge européen. Par un arrêt de 2002 (CA Nancy, Ch. Soc.,
21 mai 2002. Droit ouvrier, décembre 2002, p. 575), la cour d’appel de Nancy précise que «
la simpleappartenance au même syndicat du représentant du salarié et du président, et d’un conseiller prud’hommes, qui
demeurent avant tout des conseillers élus par des salariés professionnels, ne peut constituer – en soi – une
atteinte à l’indépendance et à l’impartialité de la juridiction, en violation des dispositions de la convention
européenne précitée
». En revanche, le fait pour un conseiller prud’hommal, membre du bureau de jugement,d’appartenir à un syndicat partie à l’instance en qualité d’employeur,
est de nature à révéler l’existence d’unintérêt sérieux à la contestation de la neutralité du tribunal (CA Grenoble, Ch. Soc., 6 mai 2003, Bull. d’Inf. de la
Cour de cassation du 15 juin 2003, p. 35 n° 744) : cf. Avis de M. Collomb, avocat général, Calendrier de
l’Assemblée plénière et Chambre mixte, 2
ème trimestre 2004.39
CE Ass., 4 juillet 2003, M. Dubreuil, Lebon p. 313, AJDA 2003, p. 1596, chron., F. Donnat et D. Casas.40
Idem, chron., F. Donnat et D. Casas, AJDA 2003, p. 1596.41
Précité.Hiam Mouannès
VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 8 sur 15UT1 CERCP
La notion d impartialite ou la 14/06/2005
structurelle de ladite institution
». En paraphrasant l’expression du juge européen, nouspourrions aisément en déduire que le principe du cumul (la structure organisationnelle) ne
devient un risque affectant l’impartialité du juge que par « le
seul fait que certaines personnesexercent successivement et à propos des mêmes décisions les deux types de fonctions ». D’où
l’expression «
est de nature à mettre en cause l’impartialité », qui ne signifie pasnécessairement «
met en cause » cette même impartialité. Par conséquent, ce n’est pas le faitmême de cumuler les deux fonctions consultative/juridictionnelle qui est en cause. Le principe
du cumul ne peut en lui-même être considéré comme un risque. En revanche, le fait que la
même personne
qui, en amont donne son avis sur un projet de décision et statue, en aval surcette
même décision au contentieux, est seul susceptible d’affecter l’impartialité du juge. Laconstante – le principe du cumul – apparaît même comme une condition d’une « bonne
administration de la Justice »
42. Seule peut l’affecter la théorie de l’identité du juge.A cet égard nous proposons de reprendre mot pour mot le 30
ème considérant de l’arrêtde 1982,
Piersack c/ Belgique, pour s’apercevoir de la nuance et, par suite, de la convergencedes deux conceptions française et européenne de l’impartialité : «
Si l’impartialité se définitd’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti-pris, elle peut, notamment sous l’angle de
l’article 6.1 de la Convention, s’apprécier de diverses manières. On peut distinguer sous ce
rapport entre une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans
son for intérieur en telle circonstance, et une démarche objective amenant à rechercher s’il
offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime
». A juste titre, cequi importe c’est donc que le juge offre «
des garanties suffisantes pour exclure à cet égardtout doute légitime
» sur son impartialité.Comme la Cour européenne des droits de l’homme
43, le Conseil d’Etat considère queles
apparences d’une justice impartiale sont importantes dans la mesure où elles constituentun moyen (de rassurer !) d’assurer la confiance du requérant. La Haute juridiction française
privilégie un examen objectif de chaque situation. Elle procède à un examen des circonstances
exactes de chaque espèce pour décider si oui ou non le juge répondait d’une manière
visibleau devoir d’impartialité et d’indépendance requises. Dans l’affirmative, le
doute, s’il existedans l’esprit du requérant, ne suffit pas à lui seul. Il appartient à ce dernier – et à lui seul – de
prouver que ce doute est bien
légitime.L’équation paraît maintenant solidement établie : cumul + identité de personne +
identité de litige = suspicion légitime sur l’impartialité du juge.
C’était seulement sans compter avec la conception que le Conseil d’Etat a du
droit, del’
équité et de la justice. C’était aussi sans compter avec l’histoire de chaque requérant et lescirconstances particulières de chaque espèce, qui imposent de refuser tout dogmatisme au
profit d’une stratégie pragmatique permettant une
effective garantie de l’impartialité.L’objectif étant invariable (faire en sorte que
justice soit rendue au requérant), les moyensvarieront cependant selon les espèces. En tout état de cause, le Conseil d’Etat (mais aussi le
juge judiciaire et le juge européen) ne semble plus (voire, semble moins) préoccupé par la
« théorie des apparences objectives » et le « paraître » de la justice, pour se préoccuper
42
Voir, René Chapus, Droit du contentieux administratif, 11ème éd. Montchrestien43
Sur l’examen objectif de chaque situation par la Cour de Strasbourg, voir aussi, CEDH, 6 mai 2003, Kleyn c/Pays-Bas
. En l’espèce, la CEDH estime, à juste titre, qu’elle « doit uniquement se prononcer sur la question desavoir si, dans les circonstances de l’espèce, la section du contentieux administratif possédait
l’apparence d’indépendance requise ou l’impartialité objective voulue
». Elle conclut à l’absence demanquement de neutralité : les procédures d’avis et d’arrêt
ne se rapportent pas à la même affaire relative àl’indépendance et l’impartialité du Conseil d’Etat néerlandais (qui exerce à la fois des fonctions consultatives et
contentieuses (cf. AJDA 2003, p.918 et p. 1490, note F. Rolin et p. 1926, obs. J.-F. Flauss ; JCP 2003, I, n° 168,
obs. A. Ondoua).
Hiam Mouannès
VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 9 sur 15UT1 CERCP
La notion d impartialite ou la 14/06/2005
substantiellement de « l’être »
44 de cette dernière, c’est-à-dire, de ses effets sur les droits desadministrés d’une part et, d’autre part, sur l’efficacité de l’action de l’administration.
II – A la contextualisation du principe d’impartialité
Un des piliers de la démocratie, l’impartialité du juge permet une meilleure
administration de la Justice, certes, mais, confrontée à l’incertitude d’une telle notion, la
question des conditions susceptibles de la garantir demeure entière. Au-delà des
apparences,le Conseil d’Etat – confronté à d’autres problématiques depuis la réforme du 30 juin 2000
45,en l’occurrence à la compatibilité entre les fonctions des deux juges examinant le même
dossier – va dores et déjà s’intéresser à d’autres pistes, en l’occurrence, aux circonstances
concrètes de chaque espèce pour examiner la
réalité de l’atteinte au devoir d’impartialité etensuite apprécier la nature – légitime ou non – du doute. La théorie de l’
identité, voire de« l’apparence objective », ne sera plus nécessairement considérée comme mettant
par ellemêmeen cause l’impartialité du juge.
Dans un premier temps, la Haute juridiction opère un éclaircissement concernant la
compatibilité entre la fonction du juge des référés d’une part et d’autre part, le juge du fond,
(A)
. Dans un second temps, elle sera encore plus audacieuse considérant que le juge du fondpeut aussi faire le chemin inverse, en examinant le même dossier à l’occasion de la procédure
du référé. Le Conseil d’Etat exploite ici le principe de « l’identité » relevant que, s’il s’agit du
même juge, il ne s’agit plus
du même litige (B). Dans les deux cas, le comportement du jugesera minutieusement osculté par le Conseil d’Etat afin de s’assurer de la garantie d’une
effective protection des droits des administrés.
A) Le même juge peut servir deux fois pour un même dossier dans un sens
unique
Ici, nous nous intéresserons au cas du juge des référés qui, après avoir examiné une
demande de suspension et apprécié le caractère sérieux du doute sur la légalité de la mesure
administrative contestée, a eu à statuer sur le fond du même litige. Pour apprécier
l’impartialité du juge – le Conseil d’Etat considère
l’office du juge des référés qui ne permet àce dernier de
statuer, a posteriori, sur la légalité de cette même mesure. Ceci dit, pour mieuxsaisir la subtilité et la difficulté de la tâche du Conseil d’Etat à cet égard, nous proposons un
rapide regard préalable sur la position de la Cour administrative d’appel sur ce point.
Il s’agit d’un arrêt de la Cour administratif d’appel de Bordeaux du 18 novembre
2003,
M. B. (CAA Bordeaux, plén., 18 novembre 2003, M. Brada)46 dans lequel la formationplénière a estimé qu’«
un membre d’une juridiction administrative qui a publiquementexprimé son opinion sur un litige ne peut pas participer à la formation de jugement statuant
sur le même litige
»47. Dans cette affaire et dans le droit fil de la jurisprudence du Conseil44
« l’être et le paraître » de la Justice, expression de Robert Jacob dans Les images de la Justice. Essai surl’iconographie judiciaire du Moyen Âge à l’âge classique
, Paris, Le Léopard d’Or, 1994, p. 9.45
Loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 (articles L. 511-1 et s. et particulièrement, L 521-1 (référé-suspension), L.521-2 (référé-liberté) et suivants du Code de Justice Administrative.
46
CAA Bordeaux, plén., 18 novembre 2003, M. B., n° 02BX00018, AJDA 2004, p. 98, concl. Jean-Louis Rey.47
La Cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon, 11 mai 2004, Ministre de l’Education nationale, précité)a adopté la même position dans le cadre du recours en tierce opposition, estimant qu’un membre d’une
juridiction administrative «
ne peut pas participer au jugement d’un recours en tierce opposition dirigée contreune décision juridictionnelle qui a été prise par une formation de jugement à laquelle il appartient
» (cf. AJDA2004, p. 2169, note Sylvain Hul,
Le juge administratif et l’impartialité : actualité d’un principe ancien).Hiam Mouannès
VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 10 sur 15UT1 CERCP
La notion d impartialite ou la 14/06/2005
d’Etat
48, la Cour administrative d’appel de Bordeaux se fonde sur l’identité du litige qui a ététraité par le
même juge pour constater l’atteinte à l’article 6 § 1 CEDH49. Il est certain quecette jurisprudence se justifiait par le fait que le juge des référés a déjà porté une appréciation
sur les faits. Cette appréciation – se transformant, par la nature des choses, en « préjugé » sur
l’issue du litige, rendant le doute sur l’impartialité du juge
légitime – commande, par le simplebon sens, que ce juge ne soit pas autorisé à statuer au fond, sur le même litige sous peine
d’atteinte à l’exigence d’impartialité
50.Le Conseil d’Etat ne voyant pas les choses de la même manière, infirme la solution du
juge d’appel et apporte un nouveau regard sur la définition de l’exigence d’impartialité. Dans
un avis contentieux du 12 mai 2004 (CE Sect., Avis du 12 mai 2004,
Commune deRogerville
)51 la Haute juridiction administrative relève qu’un magistrat ayant statué commejuge des référés sur une demande de suspension peut ultérieurement participer à la formation
collégiale chargée de trancher l’affaire au fond.
Contrairement à la solution proposée par Jean-Louis Rey
52 dans l’affaire 2003, M. B.,le commissaire de gouvernement, Emmanuel Glaser (sous l’avis contentieux, 2004,
Communede Rogerville
) 53 se positionne sur le plan du « doute sérieux quant à la légalité de la décision»
54 administrative dont la suspension est demandée, pour le situer par rapport à la notion de« prise de position ». Il note à cet égard qu’«
un doute ou une absence de doute n’est pas uneopinion
». Le juge des référés se contente de faire valoir le caractère « sérieux » du doute surla légalité de la mesure administrative dont la suspension est demandée. Il ne peut en aucun
cas substituer son appréciation à celle du juge du fond sous peine de commettre une erreur de
48
CE Sect., 5 avril 1996, Syndicat des avocats de France Rec.118, JCP 1997, I, n° 22817, RFDA 1996, p. 1195,conclusions J.Claude Bonichot, précitée.
49
Sur ce point, voir aussi l’arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation (Cass. ass. plén., 6 novembre1998,
Société Bord Na Mona c/ SA Norsk Hydro Azote, Bull. civ. Ass. plén., n° 5 ; D. 1999, p. 1, note J.-F.Burgelin ; JCP 1998, II, n° 10198, rapp. P. Sargos) par lequel la Cour de cassation estime qu’un magistrat ne
peut se prononcer sur le fond d’une affaire lorsqu’il a déjà porté une appréciation sur les faits qui lui ont été
soumis dans le cadre du référé. La Cour de cassation n’avait pas ici suivi l’avis du procureur général pour lequel
il existe une différence d’approche du juge des référés et de la juridiction du fond (v., concl. J.-F. Burgelin).
50
Les conclusions du commissaire du gouvernement, J.-L. Rey, sont particulièrement éclairantes sur la positiondu juge administratif, pour la première fois confronté à la question de savoir si un magistrat qui a statué en référé
peut siéger au sein de la formation appelée à juger au fond. En effet, se fondant sur l’arrêt
ERC (CE 30 novembre1994,
SARL Etude Ravalement Constructions ERC, Lebon tables, p.1125) – qui a élevé au rang de règle généralede procédure applicable même sans texte, l’interdiction pour le magistrat, en l’occurrence le commissaire du
gouvernement, qui a publiquement exprimé son opinion sur un litige de participer à la formation de jugement
ayant à connaître d’un recours formé contre une décision statuant sur ce litige – M. J.-L. Rey propose à la Cour
administrative d’appel d’appliquer cette « règle générale de procédure » au juge des référés «
qui par sonordonnance a rendu publique son opinion sur un litige, ce qui […] lui interdit de statuer lorsque l’affaire est
appelée au fond
».51
CE Sect., Avis du 12 mai 2004, Commune de Rogerville, req. n° 265184, RFDA 2004, p. 723, concl. E.Glaser, AJDA 2004, p.1007 et p. 1354, chron. C. Landais et F. Lenica ; cet avis a été sollicité par la Cour
administrative d’appel de Douai dans le cadre de l’article L.113-1 du code de justice administrative pour
répondre à cette « question de droit nouvelle présentant des difficultés sérieuses et susceptible de se poser dans
de nombreux litiges » (CAA Douai, plén., 18 décembre 2003,
Commune de Rogerville, n° 01DA01099).52
M. Jean-Louis Rey n’hésite pas à noter dans ses conclusions : « mais nous sommes conscient qu’il y a matièreà discussion
»53
Cet avis contentieux sera confirmée le même jour par le Conseil d’Etat, par un important arrêt Hakkar (CESect., 12 mai 2004,
Hakkar (AJDA 2004, p. 1354, chron. Claire Landais et Frédéric Lenica).54
Selon les termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, relatif à la procédure du référésuspension,«
Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou enréformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de
cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à
créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision
».Hiam Mouannès
VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 11 sur 15UT1 CERCP
La notion d impartialite ou la 14/06/2005
droit fondant l’annulation de son ordonnance
55. De ce fait, en faisant valoir la présence oul’absence de « doute sérieux sur la légalité » de la décision administrative dont la
suspensionest demandée, il ne « découvre » pas le caractère légal ou illégal de cette même mesure dont,
a
posteriori, l’annulation est demandée. Il peut dès lors être considéré comme ne prenant pasposition eu égard à cette mesure.
Or, si avoir une opinion c’est prendre position (encore que !) et, par suite, avoir des
préjugés sur l’issue de l’affaire en cause,
a contrario, ne pas prendre position signifie ne pasavoir de préjugé et, par conséquent, posséder la
légitimité de statuer en toute objectivité sur lefond du litige. C’est ce que le Conseil d’Etat va décider en s’attelant à une rhétorique
pédagogique mettant en avant les limites de l’office du juge du référé : «
eu égard à la naturede l’office du juge des référés […], la seule circonstance qu’un magistrat a statué sur une
demande tendant à la suspension de l’exécution d’une décision administrative n’est pas, par
elle-même, de nature à faire obstacle à ce qu’il se prononce ultérieurement sur la requête en
qualité de juge du principal
»56.Ce qui signifie que le même juge (des référés) – eu égard à son office – peut servir
deux fois mais dans un sens unique. Une première, à l’occasion de la procédure du référé et,
une seconde fois, lors de l’examen de l’espèce sur le fond. Aucune incompatibilité
de principeentre les deux offices mais allant du référé vers le fond et ce, «
eu égard à la nature de l’officedu juge des référés
». Le magistrat qui a eu, en qualité de juge des référés, à aborder certainesquestions touchant au fond d’un litige n’a pas nécessairemment « préjugé » ces questions
57.Ce magistrat acquiert même une connaissance (qui ne signifie pas préjugé) plus approfondie
de l’affaire qui pourrait être favorable au prononcé d’un jugement plus juste au principal.
Il ne s’agirait plus désormais de « l’apparence objective » mais plutôt de « l’objectivité
concrète » du juge. En effet,
tout dépendra de l’attitude concrète du juge des référés. L’officemême du juge des référés, la nature de sa tâche, n’affectent pas
en elles-mêmes son objectivitépuisque – pour le Conseil d’Etat – cette tâche (d’examiner le caractère sérieux ou pas du
doute sur la légalité de la décision dont la suspension est demandée) ne lui permet pas d’avoir
nécessairement un préjugé sur l’issue de l’affaire. Les deux juges n’auraient pas la même
approche sur le dossier.
En revanche, le
comportement du juge des référés est, lui, susceptible de porter unegrave entorse à son impartialité objective. Pour cette raison le Conseil d’Etat précise
clairement ce qui est susceptible de «
faire obstacle à ce qu’il (le juge des référés) seprononce ultérieurement sur la requête en qualité de juge du principal
» : c’est uniquement lecas où «
il apparaîtrait, compte tenu notamment des termes mêmes de l’ordonnance, qu’allant55
Voir à cet égard, l’arrêt du Conseil d’Etat, Garde des Sceaux, ministre de la Justice c/ M. Lepouzé, 2004 (CE 4octobre 2004,
Garde des Sceaux, ministre de la Justice c/ M. Lepouzé, n° 262592, AJDA 2004, p. 2181). Danscette espèce, le Conseil d’Etat annule l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Papeete pour
erreur de droit, au motif que ce dernier ne s’est pas borné «
à rechercher si pouvait être regardé comme sérieuxun moyen de légalité dirigé contre la mesure prise à l’égard du requétrant et …
[a substitué], en réalité, sapropre appréciation de l’intérêt du service à celle invoquée à l’appui de la décision attaquée par
l’administration
». Lire aussi Le juge des référés peut-il statuer sur la compatibilité d’une loi avec le droitcommunautaire ?
, Paul Casia, AJDA 2004, p. 465.56
L’intérêt de ce changement de cap est d’autant plus intéressant que la Cour administrative d’appel deBordeaux, dans l’arrêt
M. B., 2003 (précité) avait, elle, insisté sur la notion de « prise de position » par le jugedes référés pour « préjuger » de l’atteinte objective à l’impartialité : «
alors même que cette position doit êtreprise dans les limites imposées par l’office du juge des référés
».57
Ce n’est pas l’avis du commissaire du gouvernement, Jean-Louis Rey qui, dans ses conclusions sous l’arrêt dela Cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, formation plénière, 18 novembre 2003,
M. Brada,précité), précise qu’« un magistrat qui a eu, en qualité de juge des référés, à aborder certaines questions touchant
au fond d’un litige,
on pourrait dire à les préjuger […] ».Hiam Mouannès
VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 12 sur 15UT1 CERCP
La notion d impartialite ou la 14/06/2005
au-delà de ce qu’implique nécessairement cet office, il aurait préjugé l’issue du litige
». Parailleurs et quand bien même il n’y aurait aucun doute sur son attitude, le juge des référés peut
«
toujours […] s’abstenir de participer au jugement de la requête en annulation ou enréformation s’il estime en conscience devoir se déporter
».Cette nouvelle équation – « cumul + identité du juge des référés avec juge du fond sur
le même dossier = pas nécessairement atteinte à l’impartialité » – paraîttrait en nette
contradiction avec l’article 6 § 1 CEDH. Il n’en est rien. La Cour européenne des droits de
l’homme a en effet, eu l’occasion de manifester sa faveur pour cette nouvelle théorie de
l’objectivité concrète
et ce, au motif qu’obliger un plus grand nombre de juges à étudier unmême dossier contribue à ralentir le travail de la justice et paraît peu compatible avec le
respect du délai raisonnable
58. L’application stricte de la théorie des apparences objectives« engendrerait des difficultés pratiques d’organisation au sein des petites juridictions »
59(CEDH, 10 juin 1996,
Thomas c/ Suisse et CEDH, 6 juin 2000, Morel c/ France 60. En arrièreplan ce sont indiscutablement les « charges qui pèsent sur les services administratifs »
61 quiauraient contribué à cet assouplissement jurisprudentiel.
Le juge judiciaire n’est pas non plus éloigné de cette nouvelle ligne. Dans ses
conclusions sur une affaire de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 24 novembre
2000
62, l’avocat général, M.-A. Lafortune, estime que le juge des référés saisi sur lefondement de l’article 145 NCPC n’anticipe pas sur le fond car il n’a pas à mettre fin à un
conflit déjà né mais à apprécier les suites à donner à une action en conservation ou en
établissement de preuve. Dans un autre arrêt,
Bord Na Mona, 1998 (déjà cité), la Cour decassation a relevé, contrairement d’ailleurs à l’avis du procureur général, qu’un magistrat ne
peut se prononcer sur le fond d’une affaire lorsqu’il a déjà porté une appréciation sur les faits
qui lui ont été soumis dans le cadre du référé ; dans un arrêt du même jour
63, la Cour decassation réunie en assemblée plénière a estimé que le juge des référés n’ayant statué que sur
des mesures conservatoires est autorisé à faire partie de la juridiction de jugement
64. Tout estaffaire de circonstances et la contradiction entre les deux affaires n’est que de façade. En
effet, dans le premier cas, le juge judiciaire a sanctionné le cumul en raison de
« l’appréciation sur les faits » portée par le juge des référés. Dans le second le cumul fut toléré
(par le même juge judiciaire) eu égard à l’office du juge des référés qui n’a statué
que sur desmesures
conservatoires.Que le principe que le juge des référés puisse,
eu égard à la nature de son office,statuer, ultérieurement au principal soit admis est une chose. Que le juge du fond aille dans la
direction inverse est une autre chose. Ce dernier apparaît comme ayant indiscutablement pris
position sur l’issue du litige. Ce n’est pas l’avis du Conseil d’Etat.
58
Cf. note d’Anne-Marie Mazetier, avocat à la Cour, ss CE 10 décembre 2004, Sté Rosetim, AJDA.14.2005.783.59
Frédérique Eudier, Le juge civil impartial, en ligne.60
Précité. Dans cette espèce, la Cour de Strasbourg a confirmé la possibilité pour un juge-commissaire de statuera posteriori
, au sein de la juridiction de jugement (cf. Le juge civil impartial, F. Eudier, op. cit. et chron. C.Landais et F. Lenica, AJDA 2004, p. 1354, op. cit.).
61
Selon les termes du commissaire du gouvernement, Yann Aguila, ss CE 17 novembre 2004, Marc Fernandès).V., à cet égard,
Le juge du référé-suspension peut-il juger au fond ?, Daniel Lanz, Président du tribunaladministratif de Châlons-en-Champagne, AJDA 2004, p. 521. M. Lanz met en avant les conséquences pratiques
sur le fonctionnement des juridictions.
62
Cass., ass. plén., 24 novembre 2000 (Gaz. Pal. 12 et 13 janvier 2001, p. 9).63
Cass. ass. plén., 6 novembre 1998, Guillotel c/ Société Castel et Fromaget, Bull. civ., ass. plén., n° 4 ; D.1999, p. 1, concl., J.-F. Burgelin ; JCP 1998, III, n° 10198, rapp. P. Sargos.
64
Cf. Le juge civil impartial, F. Eudier, op. cit.Hiam Mouannès
VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 13 sur 15UT1 CERCP
La notion d impartialite ou la 14/06/2005
B) Le même juge peut servir deux fois pour un même dossier dans les deux sens
Au-delà de la compatibilité entre les fonctions du juge des référés et celles du juge du
fond, le Conseil d’Etat va maintenant admettre le fait que – inversement – le juge du fond, qui
a connu d’une affaire puisse, ensuite l’examiner en tant que juge des référés pour, le cas
échéant, en prononcer la suspension. A première vue, il s’agit d’une atteinte manifeste au
devoir d’impartialité au regard de l’article 6 § 1 CEDH. Non, estime le Conseil d’Etat.
L’impartialité n’est aucunement atteinte puisque le juge ne se trouve pas face au «
mêmelitige
». Ici, ce n’est plus la « nature de la tâche » confiée au juge des référés mais « l’identitédu litige » qui sera mis en avant par le Conseil d’Etat pour apprécier la condition
d’impartialité. La théorie de «
l’apparence objective » s’est muée, ici aussi, en « impartialitéobjective concrète
» : le même juge peut intervenir à plusieurs stades de la procédure àcondition qu’il n’ait pas déjà été conduit à « prendre position » sur le fond de l’affaire.
En effet, dans un récent arrêt (CE 9 avril 2004,
Ministre de l’Agriculture, del’Alimentation, de la Pêche et des Affaires rurales c/ M. Olard
) 65, le Conseil d’Etat relève qu’«
aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe ne fait obstacle à ce quele magistrat qui a présidé la formation de jugement ayant prononcé l’annulation de la
décision […] siégeât en qualité de juge des référés pour statuer sur le nouveau litige
». Or, seréférant à la jurisprudence
Procola de la Cour de Strasbourg, Sylvain Hul66 note, « outre que(…) la participation du juge des référés au jugement de l’instance au fond pouvait sembler
contraire au principe selon lequel un magistrat ayant fait connaître publiquement son opinion
sur une affaire ne peut ultérieurement statuer sur celle-ci (…), l’éventuelle identité des litiges
soumis au juge des référés et au juge du fond » aurait pu amener le Conseil d’Etat « à
sanctionner un manquement à l’impartialité conçue de façon ‘‘objective’’ ».
Justement, pour le Conseil d’Etat, s’il y identité de juge, il n’y a pas identité de litige !
Même si les parties sont les mêmes, et « en dépit du lien existant entre les affaires »
67 dont lemême juge avait à connaître « au titre de ses fonctions successives »
68, l’objet du litige n’estplus le même entre l’examen du fond et la procédure d’urgence. Le juge des référés, saisi
d’une demande de suspension est considéré saisi du même dossier certes, mais pas du même
litige, le premier étant clos.
Dans la ligne de la jurisprudence 2004,
Ministre de l’Agriculture,…, le CE vient deconfirmer – dans le cadre du recours en tierce opposition
69 – le fait que la compatibilité entreles fonctions de juge du fond et de juge de référés n’affecte pas le principe d’impartialité (CE
10 décembre 2004,
Société Resotim)70. Dans cette espèce il infirme – encore une fois – la65
CE 9 avril 2004, Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche et des Affaires rurales c/ M. Olard,req. n° 263508, AJDA 2004, p. 1429, note, Sylvain Hul ; AJDA 2004, p. 2169, note de S. Hul ss CAA Lyon, 11
mai 2004,
Ministre de l’Education Nationale, n° 03LY01821. Lire aussi, dans ce sens, la note de F. Sudre, ss CE3 décembre 1999,
Didier Leriche, Caisse de Crédit mutuel de Bain-Tresboeuf (3 esp.). F. Sudre précise qu’ausein du Conseil national de l’Ordre des médecins, le rapporteur qui a procédé à l’instruction du dossier peut
participer au délibéré de la section disciplinaire sans qu’il soit porté atteinte à l’article 6 § 1 de la Convention
européenne des droits de l’homme (cf. JCP 2000, II, n° 10267).
66
S. Hul, ss CAA Lyon, 11 mai 2004, Ministre de l’Education Nationale, op. cit., AJDA 2004, p. 2169.67
Selon l’expression de Sylvain Hul sous CE 9 avril 2004, Ministre de l’Agriculture… (précité), AJDA 2004, p.1429.
68
Idem, Sylvain Hul ss CE 9 avril 2004, Ministre de l’Agriculture… (précité).69
Aux termes de l’article R. 823-1(1er al.) du Code de Justice Administrative : « Toute personne peut formertierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu’elle
représente n’ont été présents ou régulièrement appelés dans l’instance ayant abouti à cette décision
».70
CE 10 décembre 2004, Société Resotim, req. n° 270267, concl. M. Olson ; AJDA 2005, p. 782, note Anne-Marie Mazetier, avocat à la Cour. La question était ici de savoir si les magistrats ayant siégé lors du prononcé du
jugement contesté pouvaient régulièrement connaître de la voie de recours en tierce opposition formée devant la
même juridiction. Pour la CAA de Lyon, Non ; pour le Conseil d’Etat, Oui.
Hiam Mouannès
VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 14 sur 15UT1 CERCP
La notion d impartialite ou la 14/06/2005
position du juge administratif d’appel (CAA Lyon, 14 octobre 2004,
Institut de formation deRhône-Alpes
)71. Il serait intéressant d’observer la rhétorique de chacun des deux juges(d’appel et de cassation) – aussi convaincante l’une que l’autre – pour se rendre compte de la
difficulté de se saisir de la notion d’impartialité qu’ils cherchent à apprécier afin d’en imposer
le respect.
La Cour administrative d’appel de Lyon avait fait une application stricte de la
conception
objective de l’impartialité)72. Elle a considéré qu’« un membre d’une juridictionadministrative ne peut participer au jugement d’un recours en tierce opposition dirigé contre
une décision juridictionnelle qui a été prise par une formation de jugement à laquelle il
appartenait
». Le Conseil d’Etat consolide, quant à lui, l’application de la conception del’
objectivité concrète de l’impartialité. Infirmant la position du juge d’appel, il précise que«
la circonstance que le juge des référés, qui s’est prononcé sur la requête en tierceopposition formée par les SNC Bon Puits I et II, était l’auteur de cette première ordonnance,
est sans incidence sur la régularité de l’ordonnance attaquée
». Autrement dit, la«
circonstance que » le juge serve deux fois dans le même dossier « est sans incidence »,c’est-à-dire, n’est pas
en soi, attentatoire au devoir d’impartialité. La Haute juridiction va dansle sens de l’arrêt
Morel c/ France73 dans lequel la Cour de Strasbourg considère que « lesimple fait, pour un juge d’avoir pris des décisions avant le procès ne peut passer pour
justifier en soi des appréhensions relativement à son impartialité […]. De même, la
connaissance approfondie du dossier par le juge n’implique pas un préjugé empêchant de le
considérer comme impartial
». Ce qui compte c’est le comportement de ce juge.Pour sanctionner l’irrégularité de l’ordonnance du juge des référés, la Cour
administrative d’appel de Lyon avait, par ailleurs, mis en avant le lien entre l’exercice des
deux fonctions par le même juge sur le même litige et la notion de prise de position, c’est-àdire
de « préjugé » sur l’issue du litige. Elle avait relevé qu’«
il ressort des pièces du dossierque le président délégué, qui avait rejeté par l’ordonnance attaquée le recours en tierce
opposition […] avait précisément déjà pris cette première décision juridictionnelle ; qu’il ne
pouvait dès lors se prononcer régulièrement sur le recours en tierce opposition
». Le Conseild’Etat estime, quant à lui, que la compatibilité
de principe entre les deux fonctions n’induitpas nécessairement une prise de position sur l’affaire, surtout lorsqu’il ne s’agit plus vraiment
du même litige : «
aucune règle générale de procédure, et notamment pas le principed’impartialité, ne fait obstacle à ce qu’un recours en tierce opposition, qui doit être porté
devant la juridiction dont émane la décision juridictionnelle, dont la rétractation est
demandée, soit jugée par la formation de jugement ou le juge qui a rendu cette décision
».Selon l’expression de Maître Anne-Marie Mazetier, la solution du Conseil d’Etat est « fondée
sur la spécialité de la tierce opposition en tant que voie de rétractation ». D’ailleurs la lecture
d’un considérant assez limpide de la Cour administrative de Nantes (CAA Nantes 4 octobre
1995,
Commune de Donville-les-Bains)74 peut ici nous être utile : dans le recours en tierceopposition, le juge est
tenu de « réexaminer, dans la limite des moyens soulevés par le tiersopposant, l’affaire qui a donné lieu au jugement entrepris
».La Cour de cassation va également dans le sens du Conseil d’Etat. La chambre
commerciale a en effet estimé que la présence du juge-commissaire au sein de la juridiction
qui statue sur l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou sur le prononcé de
71
CAA Lyon, 14 octobre 2004, Institut de formation de Rhône-Alpes, req. n° 04LY00494, concl., M. Besle (cf.AJDA 2005, p. 782). La Cour administrative d’appel prenait la même position dans l’arrêt : CAA Lyon, 11 mai
2004,
Ministre de l’Education Nationale (précité).72
Telle que dégagée de la jurisprudence Procola c/ Luxembourg, 1995 (précitée).73
CEDH 6 juin 2000, Morel c/ France, précité.74
CAA Nantes 4 octobre 1995, Commune de Donville-les-Bains, req. n° 92NT01150.Hiam Mouannès
VIème Congrès des Constitutionnalistes, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005 15 sur 15UT1 CERCP
La notion d impartialite ou la 14/06/2005
l’interdiction prévue à l’encontre du dirigeant d’une personne morale en redressement ou en
liquidation judiciaires n’est pas contraire à l’article 6 § 1 CEDH
75.La Cour européenne des droits de l’homme a, elle aussi assoupli sa conception sur la
« théorie des apparences objectives » admettant, en 1992 (CEDH, 16 décembre 1992,
SainteMarie c/ France
)76, qu’un juge qui, en chambre d’accusation, a eu à se prononcer sur ladétention provisoire peut ensuite, dans la même affaire, statuer sur la culpabilité d’un
prévenu, en chambre des appels correctionnels
77. En 1989, la Cour de Strasbourg précise que«
le fait qu’un juge de première instance ou d’appel […] ait déjà pris des décisions […] nepeut passer pour justifier en soi des appréhensions quant à son impartialité
» (CEDH, 24 mai1989,
Hauschildt c/ Danemark78 et CEDH 6 juin 2000, Morel c/ France79).En définitive, il faut bien plus que les apparences – que celles-ci soient objectives ou
concrètes – pour justifier l’absence de doute
légitime sur l’impartialité du juge. Ce plus, noussemble-t-il, ne pourrait être uniquement puisé dans les indications jurisprudentielles. La
déontologie et l’intime conscience du juge de statuer selon ce qui, au plus profond de son
forinterieur
, lui semble juste ne peut que transparaître en filigrane des décisions juridictionnellesmême les plus défavorables au requérant. Le chancelier Michel de L’Hospital ne s’était-il,
déjà en 1563, adressé au Parlement de Rouen en ces termes : «
Messieurs, je ne parlerai depréceptes qui enseignent la manière de bien juger ; car vous en avez les livres pleinz : vous
admonesteray seulement comme vous debvez vous composer et comporter en vos jugemens,
sans blasme, tenant la droicte voye, sans décliner à dextre, ny à senestre…Si ne vous sentez
assez forts et justes pour commander vos passions et aimer vos ennemys selon que Dieu
commande, abstenez-vous de l’office de juges
»80…75
Cass. com., 3 novembre 1992 et 16 mars 1993, D. 1993, Jur., p. 538, note J.-L. Vallens ; RTD civ. 1993, p.882, obs. J. Normand (cf.
Le juge civil impartial, Frédérique Eudier, p. 12).76
CEDH, 16 décembre 1992, Sainte Marie c/ France, série A n° 253-A.77
Voir aussi l’arrêt Thomas c/ Suisse de 1996 (CEDH, 10 juin 1996, Thomas c/ Suisse, req. n° 33/1995/539/624,D. 1997, SC, p. 207, obs. J.-F. Renucci) à propos d’un recours en révision et pour lequel la Cour de Strasbourg
n’est pas éloignée de la position du Conseil d’Etat français (cf. A.-M. Mazetier, note ss
Rosetim et Institut deformation de Rhône-Alpes
, AJDA 2005, p. 782).78
CEDH, 24 mai 1989, Hauschildt c/ Danemark, série A, n° 154. Dans cette espèce, la Cour de Stransbourg aquand même relevé qu’il y avait eu atteinte au devoir d’impartialité au motif que le magistrat avait déjà pris
position sur la culpabilité du requérant. Le doute du requérant est, par conséquence, légitime.
79
CEDH 6 juin 2000, Morel c/ France, précité.80
OEuvres complètes de Michel de L’Hospital, Harangues, tome II, A. Boullard et Cie, Librairie, 1824.A découvrir aussi
- LEXIQUE DROIT CIVIL de DEUXIEME ANNEE
- La loi 2007-293 du 5 mars 2007 présentée par l'ASE du 93 et par l'ONED
- La maltraitance des enfants et le manque de soins de la partdes parents ou des tuteurs confier par ll'ASES