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Le très difficile recrutement direct des magistrats

Le concours 2011 de la magistrature ouvert aux personnes issues du monde professionnel s'est avéré très décevant.

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Juger est un métier et demande un minimum d'aptitudes. C'est ce que confirme un rapport sur le concours 2011 dit «complémentaire» de recrutement des magistrats. Créé par le gouvernement de Lionel Jospin en 2001, ce recrutement direct ouvert aux plus de 35 ans, justifiant d'au moins dix ans d'activité professionnelle juridique ou non, permet de devenir juge en huit mois, contre les trente et un requis après les concours d'entrée classiques à l'École nationale de la magistrature (ENM). Certes, le déficit de juges fut tel au début des années 2000 qu'il a fallu en trouver rapidement. Mais à quel prix?

Le rapport sur le dernier concours est saignant: 90 places étaient proposées (pour 755 candidats), 30 seulement ont été pourvues, en raison du trop faible niveau des candidats, et aucune de celles dévolues aux plus de 50 ans qui visaient un poste hiérarchique. Malgré leur âge et leur formation (bac +4 exigé), les candidats présentaient «de très importantes lacunes tant en matière d'orthographe que de gram­maire». Ils «se montraient incapables de formuler une pensée précise, de l'exprimer correctement, de mener une réflexion aboutie, de s'interroger sur le sens des termes juridiques», note la présidente du jury.

Ce recrutement direct interpelle certains magistrats. «Vous accepteriez d'être opéré par un chirurgien qui a fait huit mois d'études? ironise un juge. Le problème est que les magistrats recrutés directement sont souvent les plus dogmatiques. On a créé ce concours pour “ouvrir le corps”? Or on voit débouler dans les tribunaux des personnes qui se croient investies d'une mission. Il existe déjà un troisième concours d'entrée à l'ENM ouvert aux personnes issues du privé. Mais les admis suivent bien la formation intégrale qui recadre les plus excités.»

Le rapport souligne effectivement que de nombreux candidats au recrutement direct, y compris des avocats, avaient une conception «messianique» de la justice et qu'«ils n'étaient pas en mesure de s'intégrer à un autre environnement que le leur, incapables de répondre à des questions simples et maniaient des poncifs dignes d'un café de commerce». Et surtout, qu'ils étaient incapables «d'acquérir une formation». Pour couronner le tout, des candidats admissibles se sont montrés «arrogants ou agressifs», considérant que «l'oral n'était qu'une formalité et qu'ils n'avaient pas à justifier d'un minimum de connaissances juridiques».

Se recaser vite et bien

Le problème est que le recrutement direct imaginé en 2001 comme complémentaire est devenu pérenne. «Il ne fallait pas s'attendre à autre chose, explique un magistrat. La gestion des ressources humaines est peu optimisée à la Chancellerie. L'ENM passe de petites promotions à de très nombreuses, alors qu'on sait tous que la pyramide des âges est inversée et qu'on a besoin de juges.»

Sans doute en raison de la formation accélérée, de nombreux candidats voient l'occasion de se recaser vite et bien. «Il faut admettre que, bien qu'ils s'en défendent, de nombreux candidats non fonctionnaires ont à l'évidence vu dans ces deux concours un moyen d'échapper à des carrières professionnelles dans lesquelles ils n'avaient pas matériellement réussi, note la présidente du jury. L'assurance d'une situation financière protégée a alors été pour eux le motif principal de candidature.»

C'est exactement ce qu'avait craint en 2001, lors des débats parlementaires, le député socialiste Alain Vidalies. S'adressant au garde des Sceaux de l'époque: «Vous risquez de voir se présenter au concours, à cet âge, pour changer de métier, des gens qui sont en situation d'échec dans leurs activités.» Dans sa conclusion, la présidente du jury s'interroge faussement: «60 postes n'ont pas été pourvus. Faut-il s'en désoler?» Le concours 2012, tout juste ouvert, offre, comme l'année dernière, 90 places.



19/04/2013
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