Les gardes à vue sans avocat antérieures au 15 avril peuvent être contestées
La Cour de cassation a estimé mardi 31 mai que les gardes à vue menées sans assistance de l'avocat avant le 15 avril 2011 pouvaient être annulées. À cette date, la Cour de cassation avait décidé d'autoriser, avec effet immédiat, la présence d'avocats lors des interrogatoires des mis en cause. Cette décision signifie que dans le cadre d'une instruction, les personnes concernées vont pouvoir plaider la nullité des procès-verbaux d'audition réalisés en garde à vue au cours des six derniers mois s'ils n'ont pu être assistés d'un avocat.
Des milliers de procédures pourraient ainsi être remises en cause, ce qui ne signifie pas que l'ensemble des poursuites seraient invalidées car il peut exister à l'encontre d'un suspect d'autres éléments de preuve que les actes issus de la garde à vue. De plus, toute demande d'annulation ne sera pas automatiquement recevable, puisque les dossiers criminels faisant déjà l'objet d'une ordonnance de renvoi devant la cour d'assises ne sont pas touchés.
Les dossiers déjà jugés en première instance et devant être revus en appel ne sont pas concernés non plus. De plus, les annulations directes sont limitées aux procès-verbaux d'audition des suspects et ne touchent pas, par exemple, les perquisitions. Mais si des éléments d'enquête découlent des auditions, ils pourront aussi être déclarés nuls.
"UNE DÉCISION D'UNE IMPORTANCE CAPITALE"
Cette décision intervient à la veille de l'entrée en vigueur définitive de la réforme de la garde à vue rendant obligatoire la présence de l'avocat, avec présence aux interrogatoires et accès au dossier. Jusqu'ici il ne pouvait voir son client que trente minutes au début de la garde à vue, sans accès au dossier. Le 15 avril, l'assemblée plénière de la Cour avait en effet décidé d'une application immédiate des garanties posées par la Convention européenne des droits de l'Homme pour un "procès équitable", prévoyant notamment la présence d'un avocat et le droit de garder le silence. Cette décision a conduit à une mise en oeuvre immédiate des principales dispositions de la loi réformant la garde à vue "à la française", adoptée trois jours plus tôt par le Parlement.
Pour les avocats, tous les actes (déclarations, aveux...) consignés lors de gardes à vue antérieures au 15 avril hors de leur présence sont entachés de nullité. Cette décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation intervient après examen de deux dossiers portant sur des affaires de stupéfiants.
Me Patrice Spinosi, avocat d'un des deux dossiers, avait demandé à la Cour de rendre une décision détaillée, en mesure de "servir de grille, de guide, pour les juridictions du fond" d'ores et déjà saisies de demandes d'annulation. Il faut pouvoir dire "quels actes peuvent faire l'objet de nullité, quels actes rejeter, quels actes conserver", avait-il plaidé. Après la décision de la Cour, Me Spinozi a salué "une décision d'une importance capitale" et "l'aboutissement du mouvement entamé depuis des mois pour faire entrer le droit en garde à vue".
UNE RÉFORME DÉJÀ REMISE EN CAUSE
Détention policière coercitive qui peut aller jusqu'à 48 heures en droit commun, quatre jours en matière de trafic de drogue, crime organisé et terrorisme, la garde à vue s'est banalisée ces dix dernières années, passant de 336 000 en 2001 à plus de 792 000 en 2010, sans compter les infractions routières. Dans une série d'arrêts, la Cour de cassation déclare que cette méthode policière, fondement quasi unique de plus de 95 % des dossiers pénaux en France, n'est pas conforme à la Convention européenne des droits de l'homme.
A partir du 1er juin, la présence de l'avocat sera en théorie obligatoire, mais la réforme est déjà remise en cause, d'autant que les moyens font défaut pour les justiciables les plus pauvres. Les syndicats de magistrats et d'avocats critiquent les dérogations qui laissent beaucoup de latitude aux procureurs pour tenir les avocats à l'écart, ainsi que l'insuffisance des moyens financiers pour l'aide aux justiciables pauvres. Le fait que l'autorité de contrôle de la garde à vue soit le procureur, magistrat lié au pouvoir politique par son statut, est aussi critiqué.
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