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Les lettres de cachet, une légende noire

Les lettres de cachet, une légende noire

Publié le dans Droit et culture.

La force du dernier livre de Claude Quétel est d’être un authentique essai historique. Avec cette réédition d’un ouvrage paru en 1981, à l’époque couronné par l’Académie française (De Par le Roy. Essai sur les lettres de cachet, Privat), l’éminent historien, directeur de recherche honoraire au CNRS, réussit à fournir une synthèse érudite fourmillant de renseignements, et une vision critique de l’habituelle présentation des choses en la matière. Précisément, l’objet de la recherche est aujourd’hui bien connu. Il s’agit des lettres de cachet, cette « arme la plus sûre du pouvoir arbitraire » (Mirabeau, Des lettres de cachet et des prisons d’état, in Œuvres de Mirabeau, Paris, 1835, p. 5). Claude Quétel le fait remarquer d’emblée, elles sont le plus souvent présentées comme l’émanation de la pure volonté du roi et, partant, symbolique de la puissance absolutiste de la monarchie. Les historiens du droit ont déjà démontré que les lettres de cachet sont l’un des moyens d’action privilégiés du monarque. Leur origine est difficile à dater avec précision, peut-être au XVIe siècle. Il demeure que c’est sans doute avec le début du règne personnel de Louis XIV, préparé par Richelieu et Mazarin, que cette marque de « l’infrapénalité » (p. 196) grandissante a crû de manière exponentielle.

Érudition et esprit critique, tels sont les deux maîtres mots de cet ouvrage. Érudition, en premier lieu. En effet, on y apprend de nombreuses choses sur cette institution très répandue. Les lettres de cachet sont tout d’abord survenues pour des raisons politiques, intervenant dans des affaires particulièrement délicates. L’arrestation de Fouché, diligentée par d’Artagnan sur ordre de Louis XIV (p. 24-25) est un exemple désormais célèbre. Progressivement, les lettres de cachet ont développé leur empire sur la plupart des domaines et ont été délivrées à la convenance personnelle du roi. Mais « la lettre de cachet peut toutefois échapper à l’initiative réelle du souverain pour n’être qu’à celle d’un ministre agissant bien sûr au nom du roi et, pour les cas graves  tout au moins, avec son assentiment final » (p. 35). La lettre est commode. Discrète, rapide et efficace, elle permet de soustraire certaines personnes à l’action de la justice (p. 114), notamment en raison de leur haute naissance. Au-delà, elle fonctionne également comme « un éteignoir », à même d’éviter le scandale et d’étouffer une affaire sensible.

Dans ces conditions, la pratique ne pouvait qu’être généralisée, spécialement avec l’apparition du lieutenant général de police de Paris qui en est devenu l’un des personnages centraux (p. 129). Les plus célèbres d’entre eux sont évoqués. Avec d’Argenson, la lettre de cachet devient une ressource ordinaire (p. 144). Elle se banalise à l’envi et intervient pour les persécutions religieuses, l’internement des fous, ou encore le libertinage. De même, dans un siècle où le monde littéraire est en effervescence, les libellistes, nouvellistes et autres pamphlétaires sont les cibles privilégiées du redoutable papier (p. 105).

Les conséquences d’une lettre de cachet sont également envisagées. Si la gamme des sanctions est effectivement très variée, l’enfermement reste en majorité la suite naturelle. Ainsi, l’ouvrage de Claude Quétel, à qui l’on devait déjà un excellent livre sur la Bastille (La Bastille. Histoire vraie d’une prison légendaire, Laffont, 1989), contient de très intéressants développements sur les prisons d’État. La Bastille y est décrite, tout comme le Donjon de Vincennes. L’auteur relate la vie au sein de ces établissements de sinistre réputation : « Bastille et lettre de cachet ne font plus qu’un en s’unissant dans une approche à la fois populaire et historiographique » (p. 38). Là encore, certains clichés sont analysés de près. Les prisons d’État ne sont d’ailleurs pas les seules à accueillir les victimes de lettres. Nombreux sont également les couvents qui reçoivent ces étranges prisonniers.

Esprit critique dans un second temps. C’est là l’un des apports essentiels de cet ouvrage. Claude Quétel prend soin d’ébranler les fondements de quelques images d’Épinal véhiculées à propos des lettres de cachet. Les paradoxes sont légion. Ainsi apprend-on que la lettre est volontiers sollicitée par les familles elles-mêmes. C’est d’ailleurs la majorité des cas en province. Que l’on cherche à se débarrasser d’un héritier gênant ou à éviter la mésalliance d’un fils amoureux, la lettre de cachet apparaît d’un secours précieux. L’idée de correction paternelle s’installe : « c’est une affaire de famille dans une société patriarcale où le père le plus humble peut s’adresser à ce père historique qu’est le roi » (p. 200). Et ainsi, la lettre de cachet « loin de frapper comme la foudre des populations étonnées, est au contraire parfaitement  intégrée à la mentalité du “français moyen”, à la majorité silencieuse des familles de l’Ancien Régime ». De l’arbitraire du roi à l’arbitraire des familles, la perception de la missive évolue. Toute la population s’en est servie, à un moment ou à un autre. Même Voltaire, pourtant victime à plusieurs reprises, a fait appel à la lettre de cachet pour se débarrasser d’un voisinage trop bruyant (p. 322).

Un second paradoxe vient avec la réglementation des lettres de cachet, notamment avec la circulaire Breteuil de 1784. Le roi cherche à réglementer cette pratique. Étonnamment, ces ordres du roi apparaissent, selon Claude Quétel, comme une garantie contre l’arbitraire des familles, lesquelles ont pu s’entendre avec un couvent. Les intendants sont chargés d’instruire et de vérifier les demandes.

L’histoire de la lettre de cachet n’est donc pas nécessairement celle à laquelle on a toujours cru. Si elle fut incontestablement un intolérable instrument manifestant l’arbitraire aveugle du pouvoir royal, elle était également parfaitement insérée dans la population française du XVIIIe siècle. L’utilisation qu’en firent les familles et que narre Claude Quétel était édifiante. Tout le monde les condamnait, à raison, au plan des principes. En revanche, leur banalisation était évidente. Vingt après sa première parution, la réédition de cet ouvrage est remarquable.

Thibault de Ravel d’Esclapon
ATER à l’Université de Strasbourg – Centre du droit de l’entreprise



19/04/2011
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