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Les malades mentaux et la prison, une condamnation de la France par la CEDH

Par Michel Huyette


  La question de la présence et du traitement dans les établissements pénitentaires de personnes présentant des troubles mentaux importants a fait l'objet au cours des années écoulées d'innombrables écrits. La problématique concerne particulièrement ceux qui ne sont pas complètement "fous" tout en étant manifestement atteint de réelles pathologies. Et qui naviguent entre hôpital psychiatrique et prison (lire not. ici, ici, ici)

  Un arrêt du 23 février 2012 de la cour européenne des droits de l'homme (lire ici) nous invite à réfléchir une fois encore sur ce sujet particulièrement difficile. 

  Les faits sont (en les simplifiant) les suivants :  

  M. G est né en 1974. Atteint selon les termes de l'arrêt d'une psychose chronique de type schizophrénique, il a été hospitalisé à diverses reprises entre 1996 et 2004. En mai 2005, il est emprisonné à la suite de dégradations commises à l'hôpital. En août 2005 il met le feu à sa cellule ce qui entraîne le décès de son co-détenu. Entendu en septembre 2005, M. G déclare qu'il ne se souvient pas ce qui s'est passé dans la cellule, qu'il a entendu des voix et voyait des choses bizarres mais que le jour de son audition il va mieux. En octobre 2005 il est mis en examen et placé en détention provisoire pour destruction par incendie ayant entraîné la mort.

  Une expertise psychiatrique est réalisée en janvier 2006 alors que M. G est hospitalisé au service médical de la prison depuis décembre 2005 (SMPR). L'expert indique que la maladie est ancienne, que M. G s'est ancré dans sa pathologie sans parvenir à s'insérer socialement, qu'il a une personnalité schizoïde, qu'il a besoin d'un suivi psychiatrique durable et soutenu, enfin qu'il est préférable qu'ils soit hospitalisé dans une unité de soins. Deux autres expertises de 2006 confirment une psychose chronique se manifestant par des troubles du comportement et des conduites agressives et addictives. L'une d'entre elles conclut qu'au moment des faits le discernement de M.G était altéré, l'autre qu'il est difficile de statuer sur son discernement au moment des faits. Les deux experts suggèrent une prise en charge en milieu spécialisé.

  En février 2007 M. G est renvoyé devant une cour d'assises. Il fait l'objet de plusieurs hospitalisations en psychiatrie en 2007 et 2008. Une nouvelle expertise psychaitrique conclut en octobre 2007 que M. G était bien atteint de troubles psychiques au moment des faits sans qu'il soit possible de dire si son discernement a été aboli ou altéré.

  M. G comparait devant la première cour d'assises en novembre 2008, après qu'un psychiatre désigné par le président de la cour l'ait déclaré apte à comparaître. Il est condamné à dix années de prison.

  En décembre 2008 M. G est hospitalisé d'office sur décision du préfet. Divers séjours en hopîtal psychiatrique se produisent en 2009.

  En septembre 2009 M. G comparaît devant la cour d'assises d'appel, après, une fois encore, qu'un expert psychiatre l'ait déclaré apte à assister au procès. Mais cette fois ci la juridiction le déclare pénalement irresponsable du fait de sa pathologie psychiatrique et M. G, à qui n'est donc infligé aucune sanction pénale, est de nouveau interné. Il l'est encore au moment où son avocat saisit la CEDH.

  Devant la CEDH M. G fait valoir deux arguments : d'abord que sa comparution devant la cour d'assises est un traitement inhumain ou dégradant du fait de sa pathologie, ensuite que sa maladie n'a pas été correctement traitée depuis sa première incarcération de 2005.

  Sur le premier point la CEDH écrit ceci :

  "En principe, le droit d’un accusé, en vertu de l’article 6, de participer réellement à son procès inclut le droit non seulement d’y assister, mais aussi d’entendre et de suivre les débats. (..) La « participation réelle », dans ce contexte, présuppose que l’accusé comprenne globalement la nature et l’enjeu pour lui du procès, notamment la portée de toute peine pouvant lui être infligée. Il doit être à même d’exposer à ses avocats sa version des faits, de leur signaler toute déposition avec laquelle il ne serait pas d’accord et de les informer de tout fait méritant d’être mis en avant pour sa défense. (..) La Cour observe en premier lieu que, préalablement à chaque audience, le requérant a fait l’objet d’une expertise concluant à la compatibilité de son état de santé avec une comparution devant la cour d’assises. (..) La Cour déduit de ce qui précède que les autorités nationales ont veillé à ce que l’état de santé du requérant lui permette de se défendre convenablement. (..) Les débats ont par ailleurs démontré, ainsi que les minutes de l’audience le décrivent, que le requérant était en mesure de comprendre la nature du procès.  (..) La Cour relève enfin que le requérant était représenté par des avocats expérimentés qui ont pu l’assister et lui faire comprendre l’importance de l’enjeu du procès eu égard à la nature de son mal. Elle retient que l’un d’entre eux a considéré qu’il avait pu répondre « avec pertinence » (paragraphe 31 ci-dessus). La présence du requérant aux audiences a permis à la cour d’assises d’appel d’apprécier plus concrètement son état de santé mentale, tant lors des débats qu’au moment des faits.(..) La Cour admet que la maladie du requérant et le traitement qui l’accompagne ont pu engendrer des moments de désaffection voire de souffrance au cours du procès. Toutefois, elle estime pour les raisons indiquées ci-dessus que cela ne suffit pas à conclure que la capacité du requérant à se défendre ait été altérée au point de l’empêcher d’être conscient de l’enjeu de la procédure visant à établir les circonstances de l’acte commis en août 2005 en détention."

  La CEDH en conclut qu'il n'y a pas eu violation des droits fondamentaux de M. G.


  Par contre sur le second grief la cour CEDH est plus sévère. Elle considère, après avoir rappelé sa jurisprudence sur ce point, que :

  "(..) 
la gravité de la maladie dont est atteint le requérant est incontestée. Il souffre de troubles mentaux importants et chroniques, notamment sa schizophrénie (délires psychotiques, hallucinations), maladie de longue durée qui nécessite un traitement au long cours (..) et qui engendre un risque de suicide connu et élevé. (..) l’intéressé a été au cours de sa détention, à de nombreuses reprises, victime de rechutes comme en témoignent ses nombreuses hospitalisations d’office. (..) tout au long de ces quatre années, les médecins ne cessèrent de recommander, outre un traitement médicamenteux « essentiellement à visée thérapeutique par rapport aux troubles que [le requérant] présente » (..) un suivi psychiatrique spécialisé, durable et soutenu y compris en unité pour malades difficiles (..) au motif que ses troubles pouvaient compromettre la sûreté des personnes en raison de l’imprévisibilité de ses passages à l’acte. (..) le requérant a été soigné fréquemment et qu’il a bénéficié de soins et de traitements médicaux dispensés en détention. Les rapports des médecins indiquent en effet que le requérant était régulièrement traité à l’aide de médicaments (..) et qu’il était placé au sein du SMPR de l’établissement pénitentiaire dans lequel il se trouvait dès que sa détention ordinaire dans la prison n’était pas compatible avec son état de santé. Il fut ainsi placé en SMPR plus de douze fois pour des séjours de quelques semaines entrecoupés par des retours en détention normale au sein de la maison d’arrêt des Baumettes (..). Il fit par ailleurs l’objet d’hospitalisations d’office en application de l’article D. 398 du CPP à sept reprises (..)."

  La CEDH ajoute que :

  "
Si les hospitalisations d’office ponctuelles du requérant ont permis d’éviter la survenance d’incidents qui auraient pu mettre en péril son intégrité physique et mentale ainsi que celle d’autrui, l’extrême vulnérabilité du requérant appelait cependant, aux yeux de la Cour, des mesures aptes à ne pas aggraver son état mental, ce que n’ont pas permis les nombreux allers-retours de celui-ci entre la détention ordinaire et ses hospitalisations. (..) la Cour est frappée par la répétition et la fréquence des hospitalisations de l’intéressé. Les nombreuses périodes de soins délivrés à la fois hors du milieu carcéral dans le cadre des hospitalisations d’office et au sein du SMPR (paragraphe 76 ci-dessus) soulignaient le caractère grave et chronique des troubles mentaux du requérant. Les décisions d’hospitalisations dans un établissement de santé prises à l’égard du requérant conformément à l’article D. 398 du code de procédure pénale en 2007, 2008 et 2009 étaient ordonnées chaque fois que son état de santé n’était plus compatible avec la détention. Il retournait ensuite soit au sein du SMPR de la prison soit en cellule ordinaire jusqu’à ce que son état se dégrade à nouveau. Dans ces conditions, il était vain d’alterner les séjours à l’hôpital psychiatrique et en prison, les premiers étant trop brefs et aléatoires, les seconds incompréhensibles et angoissants pour le requérant, dangereux pour lui-même et autrui (paragraphes 38 et 40 ci-dessus). La cour observe ainsi que l’alternance des soins, en prison et dans un établissement spécialisé, et de l’incarcération faisait manifestement obstacle à la stabilisation del’état de l’intéressé, démontrant ainsi son incapacité à la détention au regard de l’article 3 de la Convention. (..)."

  Elle indique également que :

  "(..) les conditions matérielles de détention du requérant au sein du SMPR
des Baumettes où il a séjourné à de nombreuses reprises ont été sévèrement critiquées par les autorités nationales, dont la Cour des comptes qui n’a pas hésité à les qualifier de conditions indignes (..). Combinées à la rudesse du milieu carcéral (paragraphe 20 ci-dessus), ces conditions n’ont pu qu’aggraver son sentiment de détresse, d’angoisse et de peur."

  Enfin elle conclut en ces termes :

  "Ensemble, et tout en étant consciente des efforts déployés par les autorités pour prendre en charge les troubles mentaux de l’intéressé et de la difficulté d’organiser des soins aux détenus souffrant de troubles mentaux (II), la Cour estime que ces éléments conduisent à considérer que le maintien en détention du requérant dans les conditions décrites ci-dessus, et sur une longue période, de 2005 à 2009, a entravé le traitement médical que son état psychiatrique exigeait et lui a infligé une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (..). La Cour rappelle que selon les Règles pénitentiaires européennes de 2006 (Recommandation REC(2006)2), les détenus souffrant de troubles mentaux graves doivent pouvoir être placés et soignés dans un service hospitalier doté de l’équipement adéquat et disposant d’un personnel qualifié (Point 12.1 de l’annexe à la Recommandation Rec (2006)2). Dans un arrêt récent, elle a attiré l’attention des autorités sur l’importance de ces recommandations, fussent-elles non contraignantes pour les Etats membres (..).  Partant, la Cour conclut en l’espèce à un traitement inhumain et dégradant et à la violation de l’article 3 de la Convention."


  La conclusion de la CEDH rejoint ce qui a déjà été souligné en France et à de nombreuses reprises.

  Le rapport publié par le Sénat en 2010 et intitulé "Prisons et troubles mentaux, comment remédier aux dérives du système français" (texte intégral en pdf ici) comporte comme titre du premier paragraphe : "Un constat alarmant : un grand nombre de détenus souffrent de troubles mentaux sans être pris en charge dans de bonnes conditions."

  Au demeurant, la question n'est pas uniquement celle de la prise en charge des intéressés. Car des soins qui leur sont apportés et de l'évolution de leur santé mentale dépend tout autant la sécurité des autres détenus et du personnel des établissements pénitentiaires.


  Ce qui est certain, c'est qu'il reste bien du chemin à parcourir avant que la situation s'améliore suffisamment et durablement.


25/02/2012
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