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N° 674 rectifié SÉNAT SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010

 

 

 

N° 674 rectifié

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 juillet 2010

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 34-1 DE LA CONSTITUTION

relative aux enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français en cas de divorce ou de séparation,

PRÉSENTÉE

Par M. Richard YUNG, Mme Jacqueline ALQUIER, MM. Alain ANZIANI, Jacques BERTHOU, Jean BESSON, Yannick BOTREL, Didier BOULAUD, Mmes Claire-Lise CAMPION, Françoise CARTRON, Monique CERISIER-ben GUIGA, MM. Pierre-Yves COLLOMBAT, Yves DAUDIGNY, Jean-Pierre DEMERLIAT, Jean DESESSARD, Bernard FRIMAT, Jean-Noël GUÉRINI, Serge LAGAUCHE, Serge LARCHER, Mme Françoise LAURENT-PERRIGOT, M. Jacky LE MENN, Mme Claudine LEPAGE, MM. Claude LISE, Roger MADEC, Rachel MAZUIR, Jean-Pierre MICHEL, Gérard MIQUEL, Jean-Marc PASTOR, Bernard PIRAS, Mme Gisèle PRINTZ, MM. Marcel RAINAUD, Daniel RAOUL, François REBSAMEN, Daniel REINER, Jean-Pierre SUEUR, Simon SUTOUR, Jean-Marc TODESCHINI, et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2),

Sénateurs

 

 

(1) Ce groupe est composé de : Mmes Jacqueline Alquier, Michèle André, MM. Serge Andreoni, Bernard Angels, Alain Anziani, David Assouline, Bertrand Auban, Robert Badinter, Jean-Pierre Bel, Claude Bérit-Débat, Jean Besson, Mme Maryvonne Blondin, M. Yannick Bodin, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Yannick Botrel, Didier Boulaud, Martial Bourquin, Mme Bernadette Bourzai, M. Michel Boutant, Mme Nicole Bricq, M. Jean-Pierre Caffet, Mme Claire-Lise Campion, M. Jean-Louis Carrère, Mme Françoise Cartron, M. Bernard Cazeau, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Yves Chastan, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Roland Courteau, Yves Daudigny, Yves Dauge, Marc Daunis, Jean-Pierre Demerliat, Mme Christiane Demontès, M. Claude Domeizel, Mme Josette Durrieu, MM. Alain Fauconnier, Jean-Luc Fichet, Jean-Claude Frécon, Bernard Frimat, Charles Gautier, Mme Samia Ghali, MM. Serge Godard, Jean-Pierre Godefroy, Jean-Noël Guérini, Didier Guillaume, Claude Haut, Edmond Hervé, Mmes Odette Herviaux, Annie Jarraud-Vergnolle, MM. Claude Jeannerot, Ronan Kerdraon, Mme Bariza Khiari, MM. Yves Krattinger, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Mme Françoise Laurent-Perrigot, M. Jacky Le Menn, Mmes Claudine Lepage, Raymonde Le Texier, MM. Alain Le Vern, Jean-Jacques Lozach, Roger Madec, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, François Marc, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Gérard Miquel, Jean-Jacques Mirassou, Robert Navarro, Mme Renée Nicoux, MM. Jean-Marc Pastor, François Patriat, Daniel Percheron, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Piras, Roland Povinelli, Mme Gisèle Printz, MM. Marcel Rainaud, Daniel Raoul, Paul Raoult, François Rebsamen, Daniel Reiner, Thierry Repentin, Roland Ries, Mmes Michèle San Vicente-Baudrin, Patricia Schillinger, MM. Michel Sergent, René-Pierre Signé, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Mme Catherine Tasca, MM. Michel Teston, René Teulade, Jean-Marc Todeschini, André Vantomme et Richard Yung.

(2) Apparentés : MM. Jean-Etienne Antoinette, Jacques Berthou, Jacques Gillot, Mme Virginie Klès, MM. Serge Larcher, Claude Lise, Georges Patient et Richard Tuheiava.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La hausse du nombre de mariages franco-japonais est l'un des signes les plus tangibles du renforcement des liens entre le Japon et la France. En 2009, la section consulaire de l'ambassade de France à Tokyo et le consulat général de France à Kyoto ont transcrit 321 actes de mariage entre un Français et un Japonais sur un total de 350 mariages (+ 168 % par rapport à 1999). Il en résulte une hausse du nombre d'enfants binationaux : 233 actes de naissance d'enfants franco-japonais ont été établis ou transcrits en 2009 (+ 140% par rapport à 1999). L'autre conséquence, moins heureuse, est la hausse du nombre de divorces.

Les couples franco-japonais ne se séparent pas tous de manière consensuelle, en particulier lorsqu'ils ont un ou plusieurs enfant(s). Un nombre croissant d'enfants binationaux se retrouvent ainsi au centre d'un conflit entre leurs parents.

Des enfants résidant sur le territoire français ont été enlevés par leur parent japonais et ramenés au Japon sans l'accord du parent français qui s'est vu attribuer l'autorité parentale à la suite du divorce. Étant donné qu'il n'existe aucune convention bilatérale entre la France et le Japon, les décisions judiciaires françaises ne sont pas reconnues par la justice japonaise, qui donne généralement raison au parent japonais qui a enlevé l'enfant. En outre, le Japon ne sanctionne pas les déplacements illicites d'enfants et il n'a pas encore signé la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants. Cette convention, entrée en vigueur en France le 1er décembre 1983, institue une coopération des autorités centrales de chaque État signataire pour assurer le retour de l'enfant illicitement déplacé au lieu de sa résidence habituelle.

Lorsque le couple binational réside au Japon, il arrive que le parent japonais abandonne le domicile conjugal et parte avec l'enfant sans le consentement de l'autre parent. En France, une telle pratique est sévèrement sanctionnée. Au Japon, en revanche, elle n'est pas considérée comme une infraction et ne justifie donc pas le recours à des mesures d'exécution forcée pour faire revenir l'enfant au domicile familial. Le parent qui a enlevé l'enfant est même souvent maintenu dans ses prérogatives par la justice japonaise.

Dans ces conditions, des citoyens français ayant divorcé d'un ressortissant japonais se retrouvent dans l'impossibilité d'exercer au Japon leurs droits parentaux. Les services consulaires français ont connaissance de 35 cas, mais le nombre total de parents se trouvant dans cette situation est certainement plus élevé. Les couples franco-japonais étant majoritairement constitués d'un ressortissant français et d'une ressortissante japonaise, ce sont des pères français qui sont le plus souvent concernés par l'application de la législation nippone.

Alors que la loi française établit un partage de l'autorité parentale en cas de séparation ou de divorce, l'article 819 du code civil japonais prévoit que la garde de l'enfant est accordée à un seul parent. Ainsi, dans 80 % des cas, l'autorité parentale est confiée à la mère en vertu du principe socialement admis qu'elle est la personne la plus importante pour l'enfant et qu'il n'appartient pas au père de s'occuper de l'éducation de ses enfants. Dans d'autres cas, c'est la préservation des intérêts de la mère qui prime sur la continuité des relations de l'enfant avec ses deux parents. Ainsi, même lorsqu'un tribunal japonais constate l'instabilité mentale de la mère, il peut choisir de lui confier l'autorité parentale.

Le Japon et la France n'ont pas non plus la même conception du droit de visite. La législation française dispose que l'exercice de ce droit ne peut être refusé à l'autre parent que pour des motifs graves et, lorsque la continuité et l'effectivité des liens de l'enfant avec ce parent l'exigent, le juge aux affaires familiales peut organiser le droit de visite dans un espace de rencontre désigné à cet effet. Au Japon, le droit de visite n'est pas inscrit dans le code civil, mais laissé à l'appréciation du juge aux affaires familiales et au bon vouloir du parent auquel a été attribuée la garde de l'enfant. Le juge japonais peut, en vertu de l'article 766 du code civil, ordonner toutes les mesures nécessaires dans l'intérêt de l'enfant, y compris refuser ou accorder un droit de visite.

Les parents français rencontrent fréquemment des difficultés à expliquer au juge les raisons pour lesquelles ils veulent se voir reconnaître ce droit. Un juge japonais a ainsi répondu à un père français que les « papas ne sont pas là pour voir leur enfant, mais pour travailler ». En 2002, un autre père a pu lire dans le jugement du tribunal le concernant : « la partie civile [...] insiste sur le fait que [...] la rupture de communication entre un père et un enfant peut devenir un facteur de nuisance pour la croissance de l'enfant. Or, ses arguments ne sont pas suffisamment probants pour modifier le jugement rendu ».

Il n'est pas rare que les juges japonais attribuent un droit de visite au parent français. Toutefois, cette décision n'est pas mise en oeuvre lorsque le parent japonais, invoquant la volonté de l'enfant, refuse que ce dernier voie son autre parent. En effet, dans les affaires familiales, l'absence d'exécution des jugements n'est pas sanctionnée.

En outre, quand un droit de visite est accordé au parent français, il se résume souvent à une seule visite par mois de quelques heures alors qu'en France, les modalités les plus répandues prévoient un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires.

Suite à un divorce, de nombreux pères français n'ont donc plus de contact avec leurs enfants, qui se voient ainsi privés d'une part essentielle de leur identité. Le droit de ces enfants à avoir deux parents, deux familles, deux cultures, deux langues et deux pays est totalement bafoué.

Il en résulte souvent des effets psychologiques graves sur ces enfants. Certains d'entre eux souffrent notamment du syndrome d'aliénation parentale. Il s'agit d'un désordre psychologique qui atteint l'enfant lorsque l'un de ses parents effectue sur lui, de manière plus ou moins consciente, un « lavage de cerveau » visant à détruire l'image du parent absent. Lorsque l'opération réussit, l'enfant rejette ce parent et fait indissolublement corps avec le parent aliénant.

Face à ces situations très douloureuses, la France, en liaison avec d'autres États, a entrepris de nombreuses démarches auprès du gouvernement japonais. En décembre 2009, l'ambassade de France à Tokyo a ainsi obtenu la création d'un comité de conciliation franco-japonais. Composé de représentants des ministères des affaires étrangères des deux pays, il a pour objectif de faciliter les échanges et le partage d'informations (localisation et état de santé des enfants, transmissions de courriers et de photographies, etc.). La France est le premier pays à mettre en place une telle structure avec le Japon.

Cet arrangement bilatéral est bienvenu car il montre que le Japon reconnaît officiellement l'existence du problème des enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français. Il demeure néanmoins insuffisant. D'autres initiatives sont nécessaires afin de faire prévaloir l'intérêt supérieur des enfants nés de couples franco-japonais.

La présente proposition de résolution n'a nullement pour objet de remettre en cause la souveraineté du Japon. Elle vise à attirer l'attention des autorités nippones sur la nécessité de reconnaître aux enfants franco-japonais le droit de conserver des liens avec chacun de leurs parents.

Tels sont les motifs pour lesquels il vous est proposé d'adopter la présente proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article

Le Sénat,  

Vu l'article 34-1 de la Constitution, 

Rappelant que la présente proposition de résolution n'a nullement pour objet de remettre en cause la souveraineté du Japon ; 

Affirmant son respect des différences culturelles entre le Japon et la France, ainsi que son attachement aux liens d'amitié qui unissent le Japon et la France ; 

Rappelant que le Japon est partie à la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant, dont le préambule rappelle que « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine ainsi que l'égalité et le caractère inaliénable de leurs droits sont le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde », dont l'article 3, alinéa 1, dispose que dans « toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale », et dont l'article 9, alinéa 3, dispose que les « États parties respectent le droit de l'enfant séparé de ses deux parents ou de l'un d'eux d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant » ; 

Rappelant que le Japon est le seul État membre du G7 à n'avoir pas signé la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfant, qui vise à protéger les enfants des effets nuisibles causés par leur déplacement illicite ou leur rétention au-delà des frontières internationales ; 

Rappelant que la législation japonaise ne reconnaît pas, en matière de droit de la famille, le partage de l'autorité parentale après un divorce et limite le droit de visite à l'appréciation du juge aux affaires familiales ;

Rappelant que les parents français font face à d'éprouvantes difficultés dans le cadre des procédures de justice qu'ils ont engagées au Japon ; 

Rappelant que certaines décisions judiciaires qui leur accordent un droit de visite ne sont pas systématiquement appliquées en ce qu'elles se heurtent au refus du parent japonais et à l'absence de mesures exécutoires ; 

Rappelant qu'il en résulte une situation préjudiciable à une trentaine d'enfants issus de couples franco-japonais qui, suite à une séparation ou à un divorce, se retrouvent privés de tout contact avec leur parent français et de liens avec leur second pays ;

Rappelant qu'il a été démontré que les enfants privés de contacts avec l'un de leurs parents souffrent d'un déficit affectif susceptible de nuire à leur développement personnel ;

Rappelant que les ambassades d'Australie, du Canada, d'Espagne, des États-Unis, de France, d'Italie, de Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni ont, à plusieurs reprises, fait part au gouvernement du Japon de leur inquiétude face à l'augmentation du nombre de cas d'enlèvements parentaux internationaux impliquant des ressortissants japonais ;

Rappelant, comme nous l'avions fait en octobre 2009, auprès de la ministre de la Justice Mme CHIBA et, en janvier 2010, auprès du ministre des Affaires étrangères M. OKADA, que nous avons proposé le 22 octobre 2010 au ministre de la Justice M. YANAGIDA de continuer à travailler étroitement avec le gouvernement japonais sur ce sujet sensible ; 

Soulignant l'importance de l'avancée que représente la mise en place, le 1er décembre 2009, d'un comité de consultation franco-japonais sur l'enfant au centre d'un conflit parental, chargé de faciliter les échanges et le partage d'informations et de permettre la transmission de documents ; 

Souhaite que le comité de consultation franco-japonais sur l'enfant au centre d'un conflit parental soit élargi à d'autres ministères tels que ceux de la Justice et des Affaires sociales, qu'il puisse auditionner les associations de parents et qu'il ait la possibilité de mener des actions de médiation entre les parents japonais et français ;

Émet le voeu de voir émerger, dans un délai raisonnable, une solution qui, acceptable pour tous, soit respectueuse de l'intérêt supérieur des enfants issus de couples binationaux ;

Appelle de ses voeux le gouvernement du Japon à définir une position sur la question des enfants binationaux privés de liens avec leur parent non japonais ;

Appelle de ses voeux la ratification par le Japon de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfant afin de garantir la continuité et l'effectivité du maintien des liens de l'enfant avec chacun de ses parents.



08/02/2011
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