PARLE DE MORALE, D’ÉTHIQUE, de L'ASE sic!!!!
Les Cahiers de l'Actif - N°276/277
17
Éthique et Déontologie :
implications pour les professionnels
I. DE QUOI PARLE-T-ON LORSQUE
L’ON PARLE DE MORALE, D’ÉTHIQUE,
DE DÉONTOLOGIE OU DE DROIT ?
Ces trois mots ont en commun de faire référence à ce qu’il faut faire ou pas
faire. Bref, à des règles de conduite, au permis et au défendu, à une certaine
notion du bien et du mal.
L’étymologie nous est de peu de secours : morale vient du latin
“mores”
(la
coutume), éthique du grec
“the ethe”
(les moeurs).
La tradition catholique préférait parler de morale ; la tradition protestante
d’éthique. Dans le langage actuel, la morale ayant pris un petit goût de
vieux, on préfère parler d’éthique, mot qui fait plus moderne, même s’il
date d’Aristote. On accepte mal qu’on nous fasse la morale ; on comprend
mieux que l’on rappelle des exigences éthiques.
Morale, éthique,
déontologie et droit
Pierre
Verdier*
Fondation
La Vie au Grand Air
*Pierre Verdier est ancien membre du Conseil Supérieur de l'Adoption et Président
du Conseil de Famille des Pupilles de l'État de Paris, Président de la CADCO :
Coordination des Actions pour le Droit à la Connaissance des Origines ; depuis
1990 Directeur général de la Fandation La Vie au Grand Air.
Après avoir défini les concepts de morale, d'éthique et de
déontologie, l'auteur analyse les motivations d'une demande
d'éthique toujours plus accrue en travail social et sur les bases
nécessaires à l'émergence d'une éthique sociale commune.
Dossier
18
Les Cahiers de l'Actif - N°276/277
On emploie même ce mot à toutes les sauces :
n
on oppose éthique de conviction à éthique de compétence ;
n
on disserte sur une éthique de l’incertain qui traverserait le champ
éducatif et qui rencontrerait une éthique de la responsabilité ;
n
on avance des concepts tels qu’éthique de conviction, de responsabilité,
de discussion ;
n
d’autres (je cite ici Boris Libois, dans Éthique de l’information) distinguent
les éthiques descriptives, les éthiques stratégiques, l’éthique
normative et l’éthique réflexive ;
n
la bioéthique, née en Amérique, il y a maintenant plus de vingt ans, a
eu son ère de succès, il suffit de recenser les publications qui s’y
réfèrent ;
n
on comprend qu’ Etchegoyen ait pu écrire un livre intitulé “La valse
des éthiques”.
Pour ma part, j’emploierai donc ces termes en des sens très précis que je
souhaite clarifier dès le départ :
n
la morale
peut être définie comme « l’ensemble des règles de conduite
socialement considérées comme bonnes » ;
n
l’éthique
, c’est « l’ensemble des principes qui sont à la base de la
conduite de chacun ».
L’éthique est plus théorique que la morale ; elle se veut davantage tournée
vers une réflexion sur les fondements de la morale. Elle s’efforce de
déconstruire les règles de conduite qui forment la morale, les jugements de
bien et de mal qui se rassemblent au sein de cette dernière.
La morale est un ensemble de règles propres à une culture ; elle s’impose à
l’individu de l’extérieur, même si elle est ensuite intériorisée : tu ne voleras
pas le bien d’autrui, tu ne mentiras pas. Ces règles varient d’une culture à
l’autre. On peut parler de morale chrétienne, de morale bourgeoise ; la ruse
était une valeur chez les grecs anciens, elle est inacceptée dans d’autres
cultures. Platon légitime l’euthanasie et l’eugénisme :
“Tu établiras une discipline et une jurisprudence se bornant à donner
des soins aux citoyens qui seront bien constitués de corps et d’âme.
Quand à ceux qui ne sont pas sains de corps, on les laissera mourir”
(La République).
“Que l’élite des hommes ait commerce avec l’élite
des femmes et au contraire le rebut avec le rebut ; que les rejetons des
premiers soient élevés et non les seconds”
.
Les Cahiers de l'Actif - N°276/277
19
Éthique et Déontologie :
implications pour les professionnels
L’éthique est une « métamorale » ; elle interroge les jugements qui se rassemblent
au sein de cette dernière. Elle est oeuvre de déconstruction et de
refondation. Elle concerne la théorie et la fondation, les bases même des
prescriptions ou des jugements moraux.
Bien sûr, il y a aussi un élan créateur dans toute morale ; mais très vite cet
élan se solidifie en prescriptions que l’éthique interroge, soupçonne et met à
distance.
1
Vous voyez se dessiner la difficile mission assignée aux divers Comités
d’éthique : être une interrogation, un questionnement des pratiques. Mais
un questionnement par rapport à quoi ? Non plus par rapport à la loi, cela
c’est le rôle des Tribunaux ; non pas par rapport aux règles de déontologie
ou de morale, qui relèvent d’autres instances. Alors par rapport
à quoi ? Par rapport à des valeurs. Mais, nous y reviendrons,
il n’y a pas de valeur en soi, les valeurs sont toujours
relatives. C’est moi qui attache de la valeur à ceci ou à cela.
Qu’est-ce qui permet aujourd’hui de dire qu’une loi est juste
ou ne l’est pas ? Nous l’ignorons. A défaut nous nous fions,
mais jusqu’à un certain point seulement, à un consensus. Est
bien, ce que tout le monde, après débat, estime aujourd’hui
bien. Mais nous sentons bien que ce n’est pas tout à fait satisfaisant.
La déontologie
, c’est « l’ensemble des règles de bonne conduite dont une
profession se dote pour régir son fonctionnement au regard de sa mission ».
Ces règles ne sont pas seulement morales ; elles peuvent être techniques ou
juridiques.
Ces règles de déontologie peuvent être édictées par le gouvernement, sous
forme de décret : tel est le cas du code de déontologie médicale, dont la
dernière version résulte du décret du 6 septembre 1995, de celui des infirmiers,
des sages femmes, etc.
Ou bien il s’agit d’un consensus à l’intérieur d’une profession, mais dans ce
cas il ne s’impose pas : par exemple l’ANAS a élaboré un code de déontologie
pour les assistants sociaux, le syndicat des psychologues un code de
déontologie pour les psychologues.
1.
Jacqueline Russ, La pensée éthique contemporaine, Que sais-je 1995.
“L’éthique
est une
métamorale
”
Dossier
20
Les Cahiers de l'Actif - N°276/277
En matière de travail social, il n’y a pas de code à valeur réglementaire, mais
l’ANCE, sous la conduite dynamique de Jean-Pierre Rosenczveig a adopté
en mai 1996 un document appelé « Des références déontologiques pour
l’action sociale ».
Et puis, il y a l’ordre de
la loi
. J’appelle loi, dans cet exposé, la loi juridique ;
c’est à dire pas la loi symbolique qui est immuable, indiscutable,
intransgressible ; mais la loi juridique qui se caractérise par trois éléments :
1.
c’est un texte,
2.
voté en termes analogues par l’Assemblée nationale et par le Sénat,
3.
et qui s’impose à tous.
C’est à dire que la loi se définit par trois caractères :
1.
un caractère objectif
: la loi (du latin legere lire) ça se lit ; c’est ce qui
est écrit ;
2.
un caractère légitime
: ce n’est pas n’importe qui, qui
fait la loi ;
3.
un caractère général
: elle est la même pour tous.
En dehors de cela, on n’est pas dans des rapports de loi,
mais dans l’arbitraire, la force ou la violence. Le droit, c’est
ce qui protège de la violence.
La loi élaborée démocratiquement détermine les rapports
entre les hommes en définissant l’espace des droits et des
devoirs.
Ainsi le code pénal a posé que les atteintes sexuelles d’un majeur sur un
mineur de 15 ans, même sans violence, contrainte, menace ou surprise
étaient un délit et que celui-ci était aggravé s’il était dû à un parent ou à une
personne ayant autorité. Ce faisant la loi définit la place de l’enfant, la place
de l’adulte, la place des parents, la place de l’éducateur ou de l’enseignant.
Si on n’est pas dans des rapports de droit, on est dans la toute puissance, dans
le plaisir et dans des rapports de force ; c’est seulement la loi du plus fort.
Or la loi, élaborée démocratiquement, nous dit quelle est la place de chacun
et quel est le cadre dans lequel nous devons inventer nos pratiques. Contrairement
à ce que l’on pourrait craindre, elle est facteur de liberté, puisque
dans un cadre négocié et connu on peut agir librement : connaître le code de
la route n’est pas une gène pour conduire, c’est au contraire un facteur de
sécurité.
“Éthique, morale,
déontologie sont
soumis à la loi”
Les Cahiers de l'Actif - N°276/277
21
Éthique et Déontologie :
implications pour les professionnels
Éthique, morale, déontologie sont soumis à la loi, et il n’y a que dans des cas
très exceptionnels que l’on peut en conscience violer la loi. En acceptant
d’être sanctionné en conséquence par le même système légal.
II. POURQUOI UNE DEMANDE D’ÉTHIQUE
ACCRUE EN TRAVAIL SOCIAL ?
Je pointerai, pour ma part, et toujours dans le domaine de l’action sociale,
quatre raisons :
1.
la fin des certitudes,
2.
la montée de l’individualisme,
3.
l’arrivée des technologies nouvelles, notamment dans le traitement
de l’information, mais aussi dans les sciences de la vie,
4.
un besoin d’assurance accru et une crainte de responsabilités accrus.
2.
1
La fin des certitudes
Nous avons déjà mentionné la perte des repères traditionnels. Je crois pouvoir
dire qu’il y a besoin accru de déontologie parce qu’il y a perte des
règles de morale.
Par exemple, pendant longtemps on savait ce que c’étaient que des parents :
un homme et une femme qui ont des enfants et qui les élèvent. Et cela nous
aidait drôlement lorsque nous étions appelés à étudier une demande d’agrément
pour une assistante maternelle ou des personnes qui désiraient adopter
un enfant.
Aujourd’hui, on a des couples homosexuels - deux hommes ou deux femmes
- qui font une demande d’agrément et veulent adopter des enfants.
Bien sûr qu’ils ne peuvent être géniteurs, mais peuvent-ils ou ne peuvent-ils
pas être parents ? Personne ne peut le dire. Les bases font défaut. La seule
réponse est de chercher ensemble.
2.
2
La montée de l’individualisme
L’individualisme, c’est l’attitude qui privilégie l’individu par rapport à la
collectivité. Quand se dissolvent les idéologies, les systèmes explicatifs totalisants,
alors naissent les formes contemporaines de l’individualisme, propices
à l’apparition de nouvelles règles de conduite. Je veux dire par là que
l’on recherche aujourd’hui davantage l’accomplissement de la personne
plutôt que le respect de règles ou de contraintes diverses. Peut-on accepter
Dossier
22
Les Cahiers de l'Actif - N°276/277
qu’un homme meure pour sauver un peuple (c’est ce qu’on invoquait pour
justifier la torture) : on en est de moins en moins sûr.
D’où un appel à l’éthique et à des assurances déontologiques chaque fois qu’il
peut y avoir conflit entre les intérêts et les besoins de l’individu et ceux de
l’ordre social : par exemple l’article 2 du Code de déontologie médicale, nous
dit que le médecin est « au service de l’individu et de la santé publique ».
Que faire lorsqu’il paraît y avoir opposition entre les deux :
n
une personne séropositive qui n’informe pas son partenaire ;
n
les choix imposés par la nécessité de maîtriser les dépenses de santé
et les soins aux personnes que l’on sait perdues, ou très âgées ;
n
tout ce qui touche à la médecine prédictive : peut-on laisser naître un
enfant infirme, voire sans cerveau comme cela s’est présenté récemment
en Italie ?
n
la réanimation néonatale : jusqu’où ne pas aller trop loin ?
Et ce problème de choix entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif n’est
pas exclusif aux médecins : il se retrouve pour les journalistes, les chercheurs,
les industriels....
Se rattachent à cette montée de la valeur attachée à la personne beaucoup de
textes contemporains : l’interruption volontaire de grossesse qui veut que la
prise en considération de la détresse de la femme l’emporte sur la vie du
foetus, la réaffirmation du secret professionnel dans le nouveau code pénal,
qui cède devant l’assistance à personne en péril, toutes les dispositions relatives
à la protection des libertés...
2.
3
L’arrivée des technologies nouvelles
C’est dans le domaine des techniques que les progrès ont été le plus rapides
et les plus déstabilisants et où apparaissent des menaces et des dangers
divers.
Il a fallu quelques années, assez récentes, puisque cela date du XXème
siècle, pour concevoir que les richesses naturelles, le pétrole, l’eau, l’air,
n’étaient pas inépuisables.
Il a fallu quelques années pour s’apercevoir que les moteurs pouvaient polluer
dangereusement la cité. Le temps du monde fini a commencé.
Et pour en venir à des domaines qui touchent le travail social, je citerai deux
points sur lesquels les progrès nous interpellent :
Les Cahiers de l'Actif - N°276/277
23
Éthique et Déontologie :
implications pour les professionnels
1.
le traitement de l’information,
2.
les techniques des sciences de la vie.
Mais il y en a d’autres, bien évidemment.
L’information est bien sûr pouvoir. Dès l’invention de l’imprimerie les pouvoirs
politiques ou religieux se sont méfiés de ce moyen de diffusion rapide et
difficilement contrôlable des idées. Avec l’informatique la circulation et l’utilisation
des informations personnelles devient encore plus rapide et facile.
2.
4
Un besoin d’assurance et une crainte
des responsabilités accrus
Être responsable, étymologiquement, c’est être en capacité de répondre de
ses actes.
Le travailleur social a-t-il des comptes à rendre ? Bien
sûr comme tout citoyen et comme tout salarié.
Cependant c’est une idée récente que ceux qui se vouent
ou se dévouent pour l’intérêt général aient des comptes à
rendre :
n
il n’y a guère que 100 ans, depuis l’arrêt
Blanco
(1873) que la responsabilité de l’État peut être recherchée
pour les dommages causés aux particuliers par le
fait des personnes qu’il emploie, et encore cet arrêt dispose
qu’elle ne peut être régie par les principes qui sont
établis par le code civil pour les rapports de particulier à particulier et
qu’il y aura un régime et des tribunaux particuliers ;
n
jusqu’au milieu du XIXème siècle on pouvait plaider que
“le médecin
dans l’exercice de sa profession, n’est soumis pour ses prescriptions,
ordonnances, opérations de son art à aucune responsabilité”
sauf
“si, oubliant qu’il est médecin et se livrant aux passions, aux
vices, aux imprudences de l’homme, il occasionne par un fait répréhensible,
un préjudice réel au malade...”
2
On sait comment les choses
ont évolué vers la notion d’obligations de moyens, et aussi vers la
recherche d’indemnisation même sans faute des aléas thérapeutiques,
suite, notamment, aux affaires du sang contaminé par le virus du
SIDA ;
2.
Plaidoirie de Maître Mérieux sous Cass. req. 18 juin 1835, citée par Dominique
Thouvenin in, La responsabilité médicale, Flammarion 1995.
“Comme tout
citoyen et salarié,
le travailleur social
a des comptes
à rendre”
Dossier
24
Les Cahiers de l'Actif - N°276/277
n
en ce qui concerne la justice, l’irresponsabilité de l’État va durer encore
plus longtemps que pour les autres secteurs de la fonction publique
:
“Ce n’est qu’avec la loi du 7 février 1933 que l’État se voit
déclaré civilement responsable de ses juges et ce n’est qu’un siècle
après l’arrêt Blanco que le législateur (loi du 5 juillet 1972) traite du
fonctionnement défectueux des services de justice.”
3
n
de même la mise en cause de la responsabilité des travailleurs sociaux
du fait de leur profession est-elle assez récente.
On constate de plus en plus aujourd’hui, une généralisation de la responsabilité
:
.
par soucis d’équité,
.
par refus du fatalisme,
.
par volonté d’indemnisation des victimes,
.
en raison de la généralisation des systèmes d’assurances aussi,
Il n’est donc pas étonnant que les services sociaux et éducatifs - polyvalence
de secteur, AEMO, établissements, assistantes sociales...- aient de plus en
plus fréquemment des comptes à rendre devant la société (responsabilité
politique ou pénale), devant leur employeur (responsabilité professionnelle
ou disciplinaire) devant la victime (responsabilité civile ou administrative
suivant le lieu de travail).
Il est certain qu’il y a dans les demandes de comités et surtout dans celles de
références déontologiques, un important besoin de protection. Ce n’est pas
par hasard que l’on entend si souvent ce lapsus
“on est protégé par le secret
professionnel”
, alors qu’il n’est pas une protection mais une obligation.
Certains se disent qu’il vaut mieux faire la police entre soi, afin d’éviter
d’avoir des comptes à rendre à la société. C’est une sorte d’approche corporatiste.
Par exemple, les garagistes disent
“les juges ne peuvent pas nous
juger, jugeons-nous nous-même”
, ou le médecins disent
“que peuvent entendre
les juges à la médecine ?”
Il y a un peu l’idée de se dire
“dotons nous de nos propres règles, pour
éviter qu’on vienne nous chercher des noises”
. Il est en partie légitime
qu’une profession s’auto-organise et s’autorégule ; mais jusqu’à un certain
point seulement, seulement dans le cadre de la loi.
3.
Starck, Roland et Boyer, Obligations, Litec 1991, p. 489.
Les Cahiers de l'Actif - N°276/277
25
Éthique et Déontologie :
implications pour les professionnels
III. QUELLES BASES POUR
UNE ÉTHIQUE SOCIALE COMMUNE ?
Une difficulté pour fonder une réflexion éthique et pour développer ce qu’on
appelle des éthiques appliquées : bioéthique, éthique de l’information, éthique
de l’environnement, éthique des affaires, éthique sociale, c’est que les
repères traditionnels se sont estompés. Les bases habituelles, ontologiques,
métaphysiques, religieuses, ont disparu. La crise des fondements affecte
aussi l’éthique. Mais c’est bien pour cela que s’impose une réflexion éthique,
comme déconstruction et refondation.
Il semble cependant qu’il y ait des points de convergence.
3.
1
La réintroduction de la personne
dans l’action sociale.
Sans doute est-ce lié à la place que l’on accorde à la
valeur de la personne.
C’est à rattacher à ce qu’on appelle parfois d’un terme
un peu inadapté
“la montée de l’individualisme”
. Cela
veut dire que le but de l’action sociale ce n’est pas seulement
la défense de la paix sociale, mais c’est d’abord le
respect de celui qu’on appelle
l’usager, disons mieux,
la
personne
, de son autonomie, de son histoire. Cela on le
retrouve dans tous les textes sur la déontologie, références
de l’ANCE, ou code de l’ANAS, comme dans la Convention Internationale
des droits de l’enfant qui pose l’intérêt supérieur de l’enfant comme
critère premier.
Par exemple il peut être intéressant d’inventorier comment on désigne le
client dans les textes de lois. Je prendrai pour exemple les textes sur la
protection de l’enfance :
1.
Les premiers textes sur l’assistance à l’enfance désignaient l’enfant sous
le terme général d’
orphelin
et appelaient les établissements d’accueil
des
orphelinats
. La mission assignée aux services était alors claire : il
fallait
remplacer
des parents absents, morts ou inconnus. Il convenait
d’organiser des placements (terme lui-même significatif !) de substitution.
Plus tard, lorsque le mot orphelin paraîtra inadapté on parlera de
“Le but de l’action
sociale, c’est
d’abord le respect
de la personne”
Dossier
26
Les Cahiers de l'Actif - N°276/277
« Pupilles et assimilés », ce qui, par rapport à la place assignée aux parents,
signifie la même chose.
“Pupilles et assimilés, trois mots assassins”
dira un jour un pédopsychiatre, le docteur Jean-Claude Delaporte.
Assassins, parce qu’effectivement ils tuaient symboliquement les parents.
2.
La loi de 1889, permettra pour la première fois à un tribunal de prononcer
la déchéance de la puissance paternelle contre des parents soit
maltraitants, soit pernicieux. Elle va introduire une nouvelle population.
Elle désignera les enfants par le terme de « moralement abandonnés ». Il
ne s’agira plus alors seulement de remplacer, mais bien de
protéger
les
enfants contre leurs parents, jugés dangereux.
3.
Après la logique de la substitution, c’est sous cette logique de la protection
que l’on va fonctionner jusque vers les années 1970. A ce moment
là, plusieurs groupes de réflexion montreront que les résultats de ce type
de prise en charge n’étaient pas à la hauteur des investissements humains
et financiers engagés. Le Ministre de l’époque (Robert Boulin) confiera
à Antoine Dupont-Fauville la mission d’étudier les résultats de l’aide
sociale à l’enfance et de faire des propositions. Les rapporteurs vont
énoncer que la réponse au « cas social » comme on disait à l’époque, ne
pouvait pas être seulement sociale. Que l’enfant séparé est un enfant
blessé ; qu’il ne s’agit pas de remplacer, de protéger, mais de
soigner
. De
là date la mise en place de nouveaux professionnels, la constitution d’équipes
pluridisciplinaires et un mode de travail différent sur le modèle médical
prédominant à l’époque (on parle de
soin
et non d’éducation, on
compte les capacités des établissements en
lits
et non en places, on abuse
du terme approche
clinique
sans s’inquiéter du sens réel de ce mot...).
On ne parlera plus d’orphelin ou de pupille, mais d'« enfant en difficulté
» qu’il faut
“prendre en charge”
. Quand aux parents objets de
soins, ils sont un peu considérés comme des malades, en tous cas déficients.
Souvent on dit dans les grilles statistiques « parents carencés ».
4.
Dix ans plus tard, en 1980, le rapport Bianco-Lamy viendra introduire
une logique nouvelle : il mettra en évidence que jusqu’ici les services
publics et privés ont fait beaucoup pour les enfants et les familles en
difficultés, mais ont insuffisamment permis aux enfants et à leurs parents
d’être les acteurs de leur histoire.
Dès sa première page, le rapport souligne le poids du passé, la compétition
des pouvoirs et l’importance des absents. Et les grands absents des
services de l’aide sociale à l’enfance, ce sont, dit le rapport Bianco-Lamy,
les parents, les enfants et les familles d’accueil. Non absents physiquement,
bien sûr, mais en capacité d’exprimer leur avis ou de le voir prendre
en compte. Chacun de nous a pu entendre mille fois, à cette époque :
“On m’a placé et déplacé mais on ne m’a jamais demandé mon avis”
.
Les Cahiers de l'Actif - N°276/277
27
Éthique et Déontologie :
implications pour les professionnels
L’hypothèse du rapport Bianco-Lamy et des lois qui vont s’en suivre
(6 juin 1984 essentiellement) c’est que, certes, il y a des familles défaillantes,
mais que ce n’est pas en les remplaçant, en agissant à leur
place qu’on résoudra durablement leur situation ; c’est au contraire en
leur reconnaissant des droits et en leur donnant les moyens d’exercer
leurs droits qu’on les fera sortir de leur défaillance. C’est un retournement
de perspective : on passe de l’intérêt pour l’enfant aux droits de
l’enfant.
On entre donc dans une nouvelle période où on ne parlera plus d’orphelin,
de pupille, d’enfant en difficulté, mais d’usager. Le mot
“usager”
entre pour la première fois dans le droit social par une loi de 1985 sur les
conseils d’établissements qui prévoit que « dans les institutions sociales
visées par la loi de 75, les usagers, les familles et les salariés sont associés
au fonctionnement de l’établissement par la biais notamment de conseils
d’établissement ».
Le terme de « contrat » ou de « démarche contractuelle » se répand de
plus en plus et va devenir une pratique sociale générale après la réforme
à l’étude de la loi de 1975..
Comme il apparaît dans ce rappel de terminologie, l’image que l’on a des
parents
a aussi évolué : on est passé du père absent, au père déchu
puis aux
parents
défaillants pour en être aujourd’hui aux usagers
du service avec qui
nous sommes engagés dans une mission de « coéducation ».
La mission assignée aux services se modifie en conséquence : il fallait d’abord
remplacer
les parents absents ou gommés, puis protéger
l’enfant contre
ses parents réputés dangereux, puis
soigner
le lien défectueux et aujourd’hui
soutenir
. Soutenir, c’est se tenir dessous pour faire tenir debout.
Mais il faut bien relever que, dans cet édifice, aucune étape n’annule la
précédente, mais la complète : c’est un peu comme des couches de peinture,
toutes nécessaires.
3.
2
La responsabilité
Peut-être face à la fragilisation et à la précarisation du monde, le principe de
responsabilité est réaffirmé.
Deux applications :
n
d’abord, pour reprendre les motifs de quête déontologique que nous
avons énoncés plus haut, c’est à dire :
.
parce que les règles de conduite deviennent floues,
.
parce que le monde évolue vite et nous bouscule,
Dossier
28
Les Cahiers de l'Actif - N°276/277
.
parce que nos responsabilités peuvent être engagées devant les
tribunaux,
.
parce que l’usager a pris une nouvelle place,
il y a de plus en plus un devoir de compétence. Se former, travailler, fait
partie de notre responsabilité, et cela tous les codes de déontologie le relèvent.
n
Ensuite, nous sommes de plus en plus conscients de notre responsabilité
pour l’avenir. Nous savons maintenant que nous sommes responsables
du monde que nous laisserons à nos enfants. Ceci a des
incidences pour tout ce qui touche la bioéthique, la recherche, les
manipulations génétiques, mais aussi le type de famille que nous
permettons, les jeunes que nous formons ou aidons, et aussi pour tout
ce qui touche à la conservation de l’information. Être responsable,
c’est avoir conscience qu’on n’est pas seul au monde.
3.
3
La régulation
Bien sûr les options éthiques sont personnelles. Lorsqu’on parle d’éthique
appliquée, ou d’éthique de service, on est proche de la déontologie.
Mais pour peser tous les aspects d’un problème, pour soutenir cette remise
en cause, ce questionnement permanent, il est important de prévoir des
lieux de régulation.
Le législateur et beaucoup de professions en ont mis en place : citons la
COB (commission de l’organisation bancaire), la CNIL, le CSA, le Comité
national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé créé par un décret
de 1983, les nombreux comités locaux, régionaux, hospitaliers, de spécialités,
comme les comités de l’Assistance publique de Paris créés en 1981,
non prévus par la loi.
Il est important que les professions sociales aient aussi ces lieux de régulation.
L’ANCE pour sa part, a mis en place un Comité des avis déontologiques
que l’on peut solliciter pour avis.
Travail social et éthique, travail social et responsabilité, travail social et engagement,
travail social et citoyenneté doivent selon nous avoir partie liée.
Dans tous les cas il s’agit du respect et de la promotion de l’Autre. De
l’Autre un et indivisible.
Les Cahiers de l'Actif - N°276/277
29
Éthique et Déontologie :
implications pour les professionnels
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIE
Pierre Verdier
est l'auteur de :
• L'autorité parentale, le droit en plus
, Bayard Éditions, Paris, 1993.
• L'enfant en miettes
,
Dunod Éditeur, Paris, 1997 (5ème édition).
• L'adoption aujourd'hui
,
Bayard Éditions, Paris, 1994 (5ème édition).
• On m'a jamais demandé mon avis
,
(avec Marieke AUCANTE), Éditions
Robert Laffont, Collection "Réponses", 1990.
• Le guide de l'Aide Sociale à l'Enfance
,
Bayard Éditions, Paris, 1995
(4ème édition).
• Enfant de personne
,
(avec Geneviève DELAISI), Éditions Odile Jacob,
Paris, 1994.
• Face au secret de ses origines. Le droit d'accès au dossier des enfants
abandonnés
,
(avec Martine DUBROC), Dunod, 1996.
• Le secret professionnel en travail social
,
(avec J.P. ROSENCZVEIG),
Coédition Dunod et Jeunesse et Droit, 1996.
• Ces enfants dont personne ne veut
,
(avec Marieke AUCANTE), Dunod
Éditeur, 1997, (L'adoption des enfants dits inadoptables).
• Le Droit à la connaissance de son origine : un droit de l'homme,
(avec Nathalie MARGIOTTA), Jeunesse et Droit, 1998.
A découvrir aussi
- MANIFESTE DE PROFESSIONNELS DE LA SANTÉ ENGAGÉS DANS LA PRISE EN CHARGE D'ENFANTS VICTIMES DE VIOLENCES
- Les maltraitances psychologiques à l'égard des enfants
- http://familleavocat.com/