Procédure pénale Récusation et requête en suspicion légitime : une articulation précisée
Procédure pénale
Récusation et requête en suspicion
légitime : une articulation précisée
Mots-clefs : Magistrat, Impartiatlité, Récusation, Suspicion
légitime, Compétence
La requête visant à remettre en cause l’impartialité de la
présidente d’un tribunal correctionnel relève des dispositions relatives à la
récusation en ce qu’elle vise un magistrat en particulier et non de celles
relatives au renvoi pour suspicion légitime qui ne concerne que les requêtes
dirigées contre une entière juridiction. Dès lors, une telle requête doit être
présentée devant le premier président de la cour d’appel et non devant la
chambre criminelle.
Parce que « s'il est un juge dont l'impartialité doit être
plus particulièrement garantie, c'est celui qui peut prononcer des sanctions
pénales » (v. J.-P. Marguénaud), le législateur a mis en place divers
mécanismes permettant de garantir cette impartialité, dont l’articulation n’est
pas toujours facile à opérer.
Ainsi, l’article 662 du Code de procédure pénale prévoit
qu’en matière pénale, la chambre criminelle peut dessaisir toute juridiction
d’instruction ou de jugement et renvoyer la connaissance de l’affaire à une
autre juridiction de même ordre pour cause de suspicion légitime.
L’article 668 du même code envisage, quant à lui, les
différentes causes qui permettent le recours à la récusation telles le lien de
parenté, de dépendance, le différend personnel du magistrat sur une question
identique à celle débattue entre les parties, ou encore les doutes sur
l’impartialité du magistrat.
On comprend dès lors les logiques différentes qui
sous-tendent ces deux articles.
Alors que le premier vise la partialité d’une juridiction,
le second fait référence à la partialité du magistrat lui-même, dans sa
subjectivité et son attitude personnelle. La qualification de la requête est
primordiale dans la mesure où les régimes applicables à l’une et à l’autre ne
sont pas les mêmes.
C’est cette distinction fondamentale entre les deux
mécanismes que la Cour vient défendre dans ces deux arrêts du 17 avril 2013.
En l’espèce, une femme était poursuivie, aux côtés d’un
grand nombre de prévenus, des chefs de complicité de tromperie aggravée et
complicité d'escroquerie devant le tribunal correctionnel de Marseille. Elle
reprochait à la présidente de cette formation d’avoir apporté un soutien
logistique aux parties civiles en leur distribuant un formulaire pré-imprimé
intitulé « constitution de partie civile » accompagné d'un document intitulé «
présentation des dossiers de demande d'indemnisation ». Ce magistrat avait
également tenu une réunion avec les avocats des parties civiles hors la
présence des avocats des prévenus.
La femme présente donc une requête devant la chambre
criminelle afin que celle-ci prononce le renvoi de l’affaire pour cause de
suspicion légitime. Parallèlement, elle dépose une question prioritaire de
constitutionnalité (QPC) portant sur l’article 662, alinéa 3, du Code de
procédure pénale qui impose la signification de la requête en suspicion
légitime à toutes les parties intéressées quelque soit leur nombre. Pour la
requérante, cette disposition porterait atteinte au droit à un recours
effectif.
Le non-respect de cette signification à l’ensemble des
parties entraîne l’irrecevabilité de la requête et fait l’objet d’un contrôle
rigoureux par la Cour de cassation (Crim. 31 oct. 2012 ; Crim. 30 mai 2012). La Cour rejette
d’ailleurs fréquemment les requêtes en suspicion légitime par des
décisions très brièvement motivée (v. à
titre d’exemples : Crim. 15 janv. 2013 ; Crim. 13 oct. 2010).
Dans un premier arrêt du 17 avril 2013, la chambre
criminelle se déclare incompétente en estimant que la requête, dirigée contre
un magistrat, et non contre la formation dans son ensemble, ne vise pas le bon
fondement. Il s’agit d’une requête en récusation devant à peine de nullité être
présentée devant le premier président de la cour d’appel. Par conséquent, elle
considère que la QPC vise une disposition législative non applicable au litige
et doit donc être déclarée irrecevable (second arrêt).
La distinction opérée par la Cour de cassation dans ces deux
décisions n’est pas nouvelle. De jurisprudence constante, elle estime qu’une
requête en suspicion légitime doit viser une juridiction et non un magistrat
nommément désigné (Crim. 29 janv. 1948 ; Crim. 25 nov. 1976).
En ce qui concerne la QPC, il est important de préciser que
celle-ci intervenait dans le cadre du procès de Poly Implant Prothèse tenu hors
les murs du palais de justice à Marseille et comptant pas moins de 5 250
plaignants et 300 avocats. Dans ce contexte très particulier, la disposition
imposant la signification à toutes les parties civiles de la requête en
suspicion légitime pouvait, en effet, sérieusement entraver le droit à un
recours effectif.
La pertinence de la QPC ne pouvait donc se comprendre qu’en
considération des circonstances particulières de l’affaire, et du nombre
exceptionnellement élevé de parties civiles.
Si la Cour refuse de transmettre la QPC, la requérante aura
au moins eu le mérite de lever une crainte quant à l’avenir de la QPC. La
plupart de la doctrine s’accordait sur le fait qu’une fois l’ordonnancement
juridique purgé de ses dispositions inconstitutionnelles, le mécanisme
tomberait en désuétude. En effet, l’impossibilité de soumettre une disposition
déjà déclarée conforme à la Constitution, fût-ce par un contrôle a priori,
abondait dans ce sens.
L’arrêt rapporté est un très bel exemple des problèmes
d’inconstitutionnalité que peuvent révéler les circonstances particulières
d’une affaire, que n’aurait pu déceler un contrôle a priori. En l’espèce, la
constitutionnalité de l’article 662, alinéa 3, du Code de procédure pénale
n’aurait pu être remise en cause dans un autre contexte. La présente affaire
témoigne donc du fait que la QPC restera une ressource dynamique susceptible
d’offrir des possibilités de défense inédites en fonction des particularités de
l’affaire en cause.
Crim. 17 avr. 2013, F-P+B, n° 13-82.672
Crim. QPC, 17 avr. 2013, F-P+B, n° 13-82.672
Références
■
J.-P. Marguénaud, « Médiatisation du procès pénal et impartialité du juge répressif », note sur ordonnance du premier
président de la cour d'appel de Paris 26
oct. 2000, D. 2001. Jur. 1646 s.
■ Code
de procédure pénale
Article 662
« En matière criminelle, correctionnelle ou de police, la
chambre criminelle de la Cour de cassation peut dessaisir toute juridiction
d'instruction ou de jugement et renvoyer la connaissance de l'affaire à une
autre juridiction du même ordre pour cause de suspicion légitime.
La requête aux fins de renvoi peut être présentée soit par
le procureur général près la Cour de cassation, soit par le ministère public
établi près la juridiction saisie, soit par les parties.
La requête doit être signifiée à toutes les parties
intéressées qui ont un délai de dix jours pour déposer un mémoire au greffe de
la Cour de cassation.
La présentation de la requête n'a point d'effet suspensif à
moins qu'il n'en soit autrement ordonné par la Cour de cassation ».
Article 668
« Tout juge ou conseiller peut être récusé pour les causes
ci-après :
1° Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un
pacte civil de solidarité ou son concubin sont parents ou alliés de l'une des
parties ou de son conjoint, de son partenaire lié par un pacte civil de
solidarité ou de son concubin jusqu'au degré de cousin issu de germain
inclusivement.
La récusation peut être exercée contre le juge, même au cas
de divorce ou de décès de son conjoint, de son partenaire lié par un pacte
civil de solidarité ou de son concubin, s'il a été allié d'une des parties
jusqu'au deuxième degré inclusivement ;
2° Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un
pacte civil de solidarité ou son concubin, si les personnes dont il est tuteur,
subrogé tuteur, curateur ou conseil judiciaire, si les sociétés ou associations
à l'administration ou à la surveillance desquelles il participe ont intérêt
dans la contestation ;
3° Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un
pacte civil de solidarité ou son concubin, est parent ou allié, jusqu'au degré
indiqué ci-dessus, du tuteur, subrogé tuteur, curateur ou conseil judiciaire
d'une des parties ou d'un administrateur, directeur ou gérant d'une société,
partie en cause ;
4° Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un
pacte civil de solidarité ou son concubin, se trouve dans une situation de
dépendance vis-à-vis d'une des parties ;
5° Si le juge a connu du procès comme magistrat, arbitre ou
conseil, ou s'il a déposé comme témoin sur les faits du procès ;
6° S'il y a eu procès entre le juge, son conjoint, son
partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin leurs parents
ou alliés en ligne directe, et l'une des parties, son conjoint, ou ses parents
ou alliés dans la même ligne ;
7° Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un
pacte civil de solidarité ou son concubin, ont un procès devant un tribunal où
l'une des parties est juge ;
8° Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un
pacte civil de solidarité ou son concubin, leurs parents ou alliés en ligne
directe ont un différend sur pareille question que celle débattue entre les
parties ;
9° S'il y a eu entre le juge ou son conjoint ou son
partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin et une des
parties toutes manifestations assez graves pour faire suspecter son
impartialité ».
■ Crim. 31 oct. 2012 n° 12.86.955.
■ Crim. 30 mai 2012, n°12.83.749.
■ Crim. 15 janv. 2013, n°13-80.219.
■ Crim. 13 oct. 2010, n°10.86.732.
■ Crim. 29 janv. 1948, Bull. crim. n°40.
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