Une reconnaissance tardive et « partielle » de la notion dans l'arsenal juridique français
Le harcèlement moral en tant que concept juridique
Une reconnaissance tardive et « partielle » de la notion dans l'arsenal juridique français
La sphère juridique a été beaucoup plus frileuse et ne s'en est emparée que tardivement. En effet, au niveau européen la première apparition de la notion juridique du harcèlement s'est faîte en 2000 par le biais de la charte sociale européenne, sous le nom de « droit à la dignité au travail » (article 26 de la loi du 4 février 2000). A suivi le décret d'application du 4 février 2000 puis une directive européenne du conseil de l'Europe du 27 novembre 2000 (n° 2000-78).
En France, il aura fallu attendre la loi de modernisation sociale (Loi du 17 janvier 2002 - article 169, loi n° 2002-73) pour que le législateur fasse enfin apparaître cette notion dans un contexte légal. La notion, plutôt que la définition, a été intégrée dans le code du travail (article L 1152-1 et suivant du code du travail) dans le code pénal (article 222-33-2 du code pénal) ainsi que dans le statut général des fonctionnaires (article 6 quinquiès du statut général des fonctionnaires).
Cette reconnaissance du harcèlement n'existe cependant que dans le seul contexte du travail. En effet, si l'on peut engager la responsabilité civile et pénale pour harcèlement moral d'un collègue ou d'un supérieur hiérarchique il ne sera pas possible de le faire contre un camarade de classe.
La définition juridique et la sanction du harcèlement moral : état des lieux
Au préalable, et avant d'examiner la manière dont est articulé dans le système juridique le « délit » de harcèlement moral, il convient de rappeler qu'une telle notion n'est applicable qu'à la sphère professionnelle. Ainsi, l'article L1152-1 du code du travail dispose : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
L'Article 222-33-2 du code pénal définit le harcèlement ainsi : « fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende ». Seul le statut général des fonctionnaires a tenté, dans sa définition, de préciser la notion afin de corriger quelques imprécisions.
Ces différents codes ne définissent pas le harcèlement moral, ils se contentent de dégager des grands principes comme la « répétition », la « dégradation », la « dignité » etc...
Cette imprécision permet avant tout de ne pas enfermer la notion dans un cadre trop stricte qui aurait pour effet de compliquer davantage la preuve du harcèlement et de ne pas admettre certains contextes non prévus par la loi. Si une telle imprécision est nécessaire elle reste parfois trop généraliste et trop floue pour permettre de la mettre en œuvre. Comme souvent, il faut donc s'en remettre à la jurisprudence qui vient construire et préciser la définition que propose actuellement la loi. Il faut aussi préciser qu'en ce domaine les juges ont une appréciation souveraine.
Concernant la charge de la preuve (c'est-à-dire qui doit prouver le harcèlement) c'est l'article L 1154-1 du code du travail qui énonce la règle en s'inspirant d'une décision du droit communautaire. Il en ressort que s'il appartient au salarié de rapporter un faisceau d'indices suffisant pour présumer la réalité des faits ce sera au harceleur de prouver que ce qui est dénoncé n'est pas constitutif d'un harcèlement. Même en présence d'un tel mode de preuve, qui est plutôt favorable à la victime, son apport n'en demeure pas moins complexe en application. En effet, là encore, la peur des « spectateurs » et le fait de témoigner en faveur du « harcelé » est très présente, la mise « au placard », ou la crainte que le harcèlement se retourne contre soi constituent un frein à la preuve du harcèlement.
Une fois la preuve apportée, quelles sont les sanctions ? Si un collègue ou un responsable hiérarchique est reconnu « harceleur » il pourra voir sa responsabilité civile engagée (condamnation à verser des dommages-intérêts, avoir une sanction disciplinaire ou encore être licencié pour faute grave). Sur le plan pénal, la sanction est une peine d'amende pouvant aller jusqu'à 15000 euros et un an d'emprisonnement.
Dernière précision, il ne faut pas nécessairement un lien de subordination pour que le harcèlement soit reconnu, c'est ainsi une manière implicite de reconnaître l'ascendant moral d'une personne sur une autre en dehors de son statut dans l'entreprise.
Les raisons d'un tel vide juridique
En droit pénal, le principe de légalité des délits et des peines dispose qu'on ne peut être condamné pénalement qu'en vertu d'un texte pénal précis et clair. En d'autres termes, on ne peut sanctionner quelqu'un pour un fait qui n'est pas prévu par la loi. Il faut donc en conclure que si tous les ingrédients sont réunis pour qualifier de « harcèlement » une situation, il ne sera pas possible de faire condamner le harceleur sur ce principe dès lors que le cadre légal ne le prévoit pas.
Certes, le législateur condamne le harcèlement mais il n'est pas reconnu dans la sphère privée c'est à dire ni à l'école, ni dans le cadre familial. Pourquoi le reconnaître dans un contexte et l'ignorer dans un autre, le harcèlement ne se manifeste-t-il que dans le cadre du travail ?
Première explication, la subjectivité de la manifestation du harcèlement peut effectivement être un obstacle à sa reconnaissance. En effet, où commence le harcèlement ? Il est encore plus délicat de répondre à une telle question quand elle s'inscrit dans le cadre de la vie privée. Sa survenance peut être tellement subtile qu'il convient d'admettre qu'elle est parfois difficilement perceptible pour les autres.
Seconde explication, en lien avec la première, la preuve du harcèlement est aussi très complexe, en l'absence de témoins comment le faire reconnaître ? Même quand ils existent, beaucoup hésitent à sortir du silence, souvent par peur d'être mis à l'écart, de représailles, soit par crainte d'être à leur tour harcelé. La pratique démontre en effet, que, tant du côté de la victime que de celui du témoin de harcèlement, c'est le silence qui prédomine. Il est important ici de marquer la différence, de « déculpabiliser ». Dénoncer est le fait de signaler à une autorité (qu'elle soit parentale ou institutionnelle) un fait condamnable pour qu'il cesse au nom de la protection de la personne ou de la société. La délation est, au contraire, motivée par la vengeance, la jalousie ou encore par l'intérêt d'un bénéfice secondaire.
D'autre part, il semble bien difficile de formaliser le principe et cela explique le tâtonnement du juriste sur cette délicate transposition de la notion psychologique à la pratique juridique. Un tel concept révèle la difficulté du législateur à théoriser sur « la complexité humaine ».
Enfin, le libre arbitre, l'autonomie de la volonté ou encore le droit au respect de sa vie privée sont autant de symboles pouvant faire obstacle à une reconnaissance du harcèlement dans la sphère privée. Mais qu'en est-il de l'enfant ou de l'adolescent qui en est victime ? La question du choix ou de la liberté pour le mineur n'ont pas le même sens que pour un adulte. En effet, il reste soumis à l'autorité parentale et sa vulnérabilité impose de s'en remettre à la protection de ses parents et/ou de l'institution.
Comment sortir d'une situation de harcèlement ?
Le harcèlement à l'école n'étant pas en tant que tel sanctionné il faut, en attendant une éventuelle reconnaissance légale, user de moyens déjà existants pour tenter d'y mettre un terme.
Ainsi, le premier réflexe du parent devra être de contacter la direction de l'école pour l'alerter de la situation et qu'elle prenne toutes les dispositions nécessaires pour y mettre un terme. Cela fait notamment référence à la responsabilité des écoles concernant leurs devoirs de protection et de surveillance des mineurs qu'ils ont en charges. Si cela ne suffisait pas, il convient d'alerter l'inspection académique ou le rectorat de son secteur. Le médiateur de l'Education nationale peut aussi être un organe « ressource » dans une telle situation. S'il s'agit d'une école privée, le diocèse pourrait éventuellement intervenir.
Solliciter les représentants des parents d'élèves est très important car ils peuvent, notamment, permettre de révéler d'autres cas de harcèlement, de les regrouper pour que le jeune et sa famille se sentent moins isolés et que les familles concernées agissent ensemble.
Enfin, si toutes ces tentatives échouent, les parents peuvent porter plainte et engager la responsabilité de l'école, d'un professeur, du ou des mineurs responsables du harcèlement. Bien évidemment ce dépôt de plainte ne pourra pas avoir pour motif le harcèlement. Il sera donc nécessaire de la qualifier pénalement par des notions existantes comme les violences verbales, physiques, bizutage, menaces, diffamations...
Dernière précision, la responsabilité pénale d'un mineur peut être engagée dès ses 13 ans. En dessous de ce seuil il ne pourra pas lui être appliqué de sanctions pénales mais des sanctions éducatives.
Les preuves du harcèlement étant difficiles à réunir, il est important de rassembler le plus d'éléments possibles et de détails (non pas pour le faire reconnaître puisqu'il n'existe pas encore en tant qu'infraction mais pour venir étayer ses dires). Ainsi, noter dans un « journal de bord » les phrases et les comportements ambigus, en précisant à chaque fois le jour, l'heure et le lieu, est indispensable.
Perspectives d'avenir et droit comparé
Le harcèlement moral en milieu scolaire (bullying) a été étudié dans beaucoup de pays comme l'Angleterre, le Canada ou encore le Japon.
Malheureusement, la France connaît un retard important dans ce domaine, c'est pourquoi les statistiques permettant de mesurer l'ampleur du phénomène proviennent pour la plupart de l'étranger.
Dans une étude de 2004 (réalisée en Angleterre), une victime sur 4 déclare avoir gardé le silence (Young Voice "Les brimades entre élèves", Sciences Humaines, n° 190, février 2008).
Une autre étude réalisée en Irlande en 1997 a ainsi établi que « 65% des victimes dans les écoles primaires et 84% des victimes dans les écoles secondaires n'avaient pas avoué à leurs professeurs qu'elles étaient persécutées » (Mona O'Moore, "Questions cruciales à aborder dans la formation des enseignants pour contrer les agressions et les persécutions").
En Scandinavie, une autre étude démontre que 15 % des élèves des écoles primaires et secondaires sont régulièrement confrontés à des problèmes de brimades (Dan Olweus, « Les brimades à l'école : s'attaquer au problème »). Les études ont porté sur un panel de 150 000 élèves.
La prévention reste un excellent outil pour empêcher l'émergence, déceler le plus tôt possible ou limiter dans le temps le harcèlement. Elle permet aussi aux professionnels d'observer une certaine vigilance.
Certes le harcèlement moral à l'école ne connaît pas encore une réalité juridique mais il convient de relever une certaine évolution en ce domaine.
En effet, une nouvelle définition du harcèlement moral issue du droit communautaire (Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008) a été adoptée (elle est entrée en vigueur le 11 janvier 2010). Elle pourrait bien ouvrir des perspectives d'élargissement de la notion au droit interne.
En effet, grâce à cette nouvelle définition, le harcèlement moral est considéré comme une discrimination au même titre que le racisme ou l'homophobie.
Autre évolution, l'Assemblée nationale a approuvé à l'unanimité, le jeudi 25 février 2010, une proposition de loi destinée à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes avec la création d'un délit de harcèlement psychologique au sein du couple. La transposition de la notion de harcèlement moral au travail à la sphère familiale permettra peut-être un élargissement à la sphère scolaire.
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