Violence, maltraitance…
Violence, maltraitance…
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mercredi 05 novembre 2003
Depuis que j’interviens comme formateur, soit en formation initiale, soit dans les établissements, j’ai eu connaissance de situations de violence et de maltraitance. Dans un internat, un jeune « pète les plombs » à la suite d’une remarque de l’éducateur et le plante avec un couteau. On l’envoie chez le directeur qui lui passe un savon ! Deux résidents partagent la même chambre : l’un d’eux pris de démence se rue sur son compagnon et le roue de coups, sans qu’on sache ce qui a déclenché la crise. Le médecin constate les coups et les blessures graves. La direction « punit » le contrevenant de sortie le week-end. Il a 37 ans ! Un éducateur excédé par les fugues à répétition d’un ado, et ses déversements d’insultes à chaque fois qu’il le croise, craque et le frappe violemment : « une bonne branlée, ça n’a jamais fait de mal, ça remet les idées en place ». La direction couvre l’acte en demandant à l’éducateur de faire attention la prochaine fois. Des histoires comme celles-ci, j’en ai entendu des dizaines. Il s’agit toujours d’un débordement de jouissance, pour employer un concept issu de la psychanalyse.
Cette jouissance habite autant les usagers, les personnels à tous les niveaux, que l’institution. Pas la peine de se voiler la face, ni de tomber dans des discours angéliques : l’homme n’est pas cet être débonnaire, respectueux de son prochain que l’on croit. L’être dit humain est habité d’une violence indéracinable. Seuls des substitutions à ses modes de manifestation peuvent être proposées par la culture. Le traitement de la violence passe donc par des détournements. On ne saurait l’éradiquer. Tel est le rôle sans fin de la fonction civilisatrice. « Le terme de civilisation (Kultur) désigne la totalité des œuvres et des organisations dont l’institution nous éloigne de l’état animal et qui servent à deux fins : la protection de l’homme contre la nature et la réglementation des relations des hommes entre eux « (S. Freud, Malaise dans la civilisation). Chacun agit comme il peut face à la violence inhérente autant à la nature humaine qu’aux institutions qui tentent de la réguler. Aussi, plutôt que de jeter l’opprobre sur qui que ce soit, ou de verser dans des scénarii dramatisés, j’aimerai dégager trois pistes de réflexion et d’action :
1- La loi juridique. La loi (pénale, civile etc) est ce qui vient réguler la jouissance de tout un chacun en tant que citoyen. Elle est bordée par deux impératifs : tous égaux devant elle et nul n’est sensé l’ignorer. Donc la première voie à explorer en cas de violence ou de maltraitance, c’est d’en référer à la Justice. Que je sache aucune institution n’est au-dessus de la loi, je dirai même plus : ce n’est pas l’institution sociale ou médico-sociale qui fait la loi, c’est plutôt le contraire : la loi fait l’institution. Il me paraît donc indispensable dans un premier temps d’accompagner celui qui a commis un acte répréhensible, devant l’instance qui a à juger cet acte : ça s’appelle la Justice. Je parle bien d’accompagnement, et non de largage, de lâchage. Surtout quand il s’agit d’ados, cela paraît indispensable à la fois pour leur expliquer ce que dit le juge et pour les soutenir dans cette épreuve de confrontation à la loi. Pour les éducateurs cet accompagnement et ce soutien relèvent d’un mode de socialisation qui prend tout son sens. Il est indispensable que la personne coupable puisse répondre de ses actes devant qui de droit, qu’elles que soient les raisons qui l’ont poussé à le commettre. Ce n’est ni aux équipes éducatives, ni aux directions d’en juger. Vouloir régler cette question « en interne », c’est non seulement placer l’institution hors la loi, donc dans une position de toute puissance, mais déposséder le sujet de la responsabilité de son acte, au sens où il a à en rendre compte. Seul cette responsabilité assumée en parole a des effets d’apaisement de la culpabilité. C’est le rôle des directeurs d’assurer ce passage à la Justice.
2- La règle institutionnelle. Toute institution est régie par une règle interne qui régule ceux qui y vivent ou y travaillent. C’est en général le règlement intérieur qui fait référence. Il s’agit donc là aussi de dégager les instances qui ont a statuer sur la violence ou la maltraitance, sans empiéter sur la loi juridique.
3- La loi symbolique. C’est la loi qui fonde l’être humain comme être de parole. Sur le plan éducatif, il est indispensable en cas d’acte de violence, de proposer un espace d’élaboration pour que, au-delà du jugement, voire de la sanction qui regarde la Justice, au delà du rappel de la règle institutionnelle et de son application, celui qui a commis un acte de violence, usager ou travailleur social, puisse s’en expliquer. Evidemment cela n’est possible que si la Justice a été saisie et qu’on ne mélange pas, comme je le vois trop souvent, responsabilité et culpabilité. Il s’agit qu’un acte prenne sens pour un sujet. Le problème est que la plupart des institutions sont démunies en termes d’outils pour travailler cette dimension humanisante de la loi. Qu’en est-il des espaces de régulation ou de supervision clinique pour les équipes ? Qu’en est-il des groupes de parole pour et avec les usagers ? Qu’en est-il des lieux de concertation avec les directions ?
Là où le bât blesse bien souvent, c’est que les institutions veulent faire la justice, là où elles n’ont pas le droit de l’exercer, et qu’elles se dédouanent ainsi de la part du travail de la loi qui leur revient. Résultat des courses, comme on dit dans le Midi : un pataquès. Réfléchir et agir sur les différents niveaux de la loi (juridique, institutionnelle et symbolique), proposer des espaces et des passerelles pour que ces différents niveaux soient traités, ne met certes pas à l’abri de la violence ou de la maltraitance, mais cela permet d’en apaiser les effets, et même parfois d’en prévenir les expressions les plus asociales. Reste de plus à inventer des modes de traitement de la violence qui soient socialement acceptables, c’est là toute la noblesse du travail éducatif que d’engager des sujets sur les voies de ce que Freud nommait la sublimation, que j’ai repris sous le terme de médiations. Mais ça ne se fait pas sur commande et ce n’est pas garanti sur facture ! L’homme est violence, autant apprendre à aborder la question… sereinement.
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