CHAPITRE II LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE
CHAPITRE II
LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE
Article 48
Extension, à titre expérimental, des compétences des départements
pour la mise en oeuvre des mesures d'assistance éducative
dans le cadre de la protection judiciaire de la jeunesse
Cet article a pour objet de mettre en place une expérimentation prévoyant l'extension de la compétence des départements dans la mise en oeuvre des mesures d'assistance éducative décidées par le juge des enfants.
1. Le droit en vigueur : des relations parfois conflictuelles entre les départements et l'autorité judiciaire
La protection de l'enfance en danger est assurée à la fois par les départements et l'autorité judiciaire. Leur rôle est complémentaire mais leurs relations sont parfois conflictuelles.
Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles, les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) des conseils généraux sont investis d'une quintuple mission :
« 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs, à leur famille, aux mineurs émancipés et aux majeurs âgés de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ;
« 2° Organiser, dans les lieux où se manifestent des risques d'inadaptation sociale, des actions collectives visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l'insertion ou la promotion sociale (...) ;
« 3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs (...) ;
« 4° Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation, en collaboration avec leur famille ou leur représentant légal ;
« 5° Mener, notamment à l'occasion de l'ensemble de ces interventions, des actions de prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et, sans préjudice des compétences de l'autorité judiciaire, organiser le recueil des informations relatives aux mineurs maltraités et participer à la protection de ceux-ci. »
Pour remplir cette mission, les services de l'aide sociale à l'enfance peuvent fournir aux familles des aides à domicile, leur verser des aides financières ou effectuer des placements, le cas échéant en faisant appel à des organismes publics ou privés habilités ou à des personnes physiques. Leur intervention, à vocation principalement préventive, est toutefois subordonnée à l'accord des parents.
Seul le juge des enfants peut imposer des mesures d'assistance éducative si, aux termes de l'article 375 du code civil, « la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises ».
Dans le cadre de l'assistance éducative, le juge des enfants peut ordonner à l'égard des mineurs des mesures d'investigation, des mesures d'action éducative en milieu ouvert (AEMO) ainsi que des mesures de placement. Ces mesures sont à la charge du département mais le président du conseil général a compétence liée pour mettre en oeuvre les décisions d'admission prises par le juge qui :
- désigne la personne qualifiée ou le service d'observation, d'éducation ou de rééducation en milieu ouvert auquel il a confié la mission d'apporter aide et conseil à la famille du mineur, lorsque ce dernier peut être maintenu dans son « milieu actuel » c'est-à-dire, en principe, son milieu familial naturel (article 375-2 du code civil) ;
- choisit la personne physique ou morale auquel le mineur sera confié s'il est nécessaire de le retirer de son milieu actuel (article 375-3). Son choix peut porter sur l'un des deux parents, un autre membre de la famille ou un tiers digne de confiance ; un service ou un établissement sanitaire ou d'éducation, ordinaire ou spécialisé, ou le service départemental de l'aide sociale à l'enfance.
En cas d'actes de délinquance, le juge tranche au pénal. Sur le fondement de l'ordonnance du 2 février 1945, il peut prendre deux types de mesures :
- soit des mesures « éducatives » - de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation - qui sont sensiblement les mêmes que celles prévues au titre de l'assistance éducative, et qui sont assurées et financées en pratique par le service départemental de l'ASE ;
- soit des mesures de placement du mineur délinquant dans un établissement ou une structure appropriée financée alors par le budget de l'Etat au titre de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Enfin, il convient de rappeler que le financement de l'accueil des enfants admis en qualité de pupilles de la Nation et du service des tutelles d'Etat sur les mineurs est à la charge du département.
Le rapport de notre collègue Jean-Claude Carle au nom de la commission d'enquête, présidée par votre rapporteur, sur la délinquance des mineurs a relevé une judiciarisation des interventions de l'aide sociale à l'enfance qu'elle a jugé nuisible pour la protection administrative : « L'autorité judiciaire considère aujourd'hui que les départements recourent de manière trop systématique à la justice pour obtenir le placement d'un enfant sous le régime de l'assistance éducative, afin de se défausser des cas lourds et d'éviter le plus possible le recours aux mesures d'assistance éducative en milieu ouvert. Les parquets, placés pourtant en position de modérateur, n'ont pas les moyens de jouer ce rôle. »
Si l'aide sociale à l'enfance se voit reprocher une saisine trop systématique de l'autorité judiciaire, celle-ci doit elle aussi faire face à des critiques concernant sa tendance à recourir aux procédures de l'assistance éducative à l'égard des mineurs délinquants.
En principe, les mesures d'assistance éducative, dont le régime est fixé par les articles 375 à 379 du code civil, sont réservées aux mineurs en danger tandis que les mineurs délinquants doivent faire l'objet d'un accompagnement dans le cadre de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
En pratique, comme l'a relevé le rapport de notre collègue Jean-Claude Carle au nom de la commission d'enquête, présidée par votre rapporteur, sur la délinquance des mineurs, « il est fréquent que les juges des enfants recourent aux règles du code civil pour placer certains mineurs délinquants. Cette attitude n'est pas sans conséquence, dès lors que la quasi-totalité des mesures prises au titre de l'assistance éducative sont financées par les conseils généraux tandis que les mesures prises au titre de l'ordonnance de 1945 sont financées par le ministère de la justice. »
L'examen des populations accueillies en établissement, ou bénéficiant d'une mesure d'AEMO, montre la part croissante des décisions d'origine judiciaire. Au début des années 80, le nombre de placement en établissement d'origine judiciaire s'élevait à 60 % ; ce taux passe à 71 %, voire 75 % dans certaines départements, dans les années 90. Il est observé une tendance à la baisse des placements décidés directement par les services de l'ASE (de 50.000 par an en moyenne dans les années 80 à 34.000 par an dans les années 90) en raison notamment de la diminution du nombre de pupilles de l'Etat due aux progrès de la contraception et au développement des aides aux familles monoparentales. Dans le même temps, les placements d'origine judiciaire se maintiennent continûment à niveau élevé, de l'ordre de 72.000 par an. Parallèlement, sur les mesures d'AEMO en cours, le taux de mesures décidées par le juge passe de 66 % en 1982 à plus de 70 % dix ans plus tard :
Les mesures décidées par le juge (mesures d'AEMO ou de placement) le sont pour une durée sensiblement plus longue que celles décidées par l'ASE.
La part croissante prise par les populations relevant d'une décision judiciaire traduit en fait, selon les services de conseils généraux, une tendance des juges à renvoyer vers l'ASE des jeunes qui relèveraient plus de l'éducation surveillée que de l'assistance éducative. De fait, l'évolution des missions et du fonctionnement des services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) gérés par l'Etat est préoccupante.
Malgré l'effort récent de planification, de renforcement et de redéploiement engagé par le ministère de la justice, les départements constatent que leurs services sont de plus en plus sollicités, en l'absence d'autres réponses pertinentes, pour accueillir des jeunes ayant, par ailleurs, commis des actes de délinquance.
Les efforts annoncés avec la création notamment des unités éducatives renforcées, sont loin de pouvoir satisfaire le besoin croissant de prise en charge éducative lourde de mineurs délinquants : cela conduit les magistrats dans un certain nombre de situations à pallier le manque de places en institutions de la PJJ par des prises en charge au titre de l'assistance éducative.
Ce phénomène de « judiciarisation » de la protection de l'enfance préoccupe légitimement les responsables des départements car il est moins le reflet d'une évolution des situations des familles en difficulté que d'une dérive des pratiques professionnelles. En effet, « la judiciarisation » ne semble pas correspondre à une aggravation effective de la situation des jeunes concernés mais à une dérive dans les pratiques de certains acteurs du système de protection de l'enfance, préoccupés de « se protéger » contre toute erreur d'évaluation du risque encouru par un mineur et des conséquences pénales qui en découlent.
L'insuffisance de la prévention administrative et le manque de concertation dans les décisions de placement contribuent à restreindre l'autonomie des départements.
Ils conduisent à affaiblir la responsabilité des parents, à restreindre les libertés individuelles et à réduire le champ des actions de prévention, tout en alourdissant les charges qui pèsent sur les budgets départementaux.
2. Le dispositif proposé par le projet de loi
L'expérimentation proposée par le présent article a pour objet de confier aux départements, et non plus au juge des enfants lui-même, le soin d'assurer la mise en oeuvre des mesures d'assistance éducative décidées par ce dernier, à l'exception :
- de celles confiées aux personnes physiques, qu'il s'agisse de la désignation de la personne qualifiée chargée d'apporter aide et conseil à la famille du mineur ou du placement de ce dernier auprès de l'un des deux parents, d'un autre membre de la famille ou d'un tiers digne de confiance ;
- des placements dans des établissements recevant des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux.
Les services de l'aide sociale à l'enfance pourraient soit assurer eux-mêmes la mise en oeuvre de ces mesures, soit les confier à des organismes publics ou privés ou à des personnes physiques habilités, non plus par le représentant de l'Etat dans le département, mais par le président du conseil général. Ce dernier serait toutefois tenu d'obtenir l'accord des procureurs de la République et des présidents des tribunaux de grande instance situés dans le département.
Les services et établissements ainsi habilités (pas les personnes physqiues) demeureraient toutefois soumis aux contrôles de l'autorité judiciaire et des services relevant de l'autorité du garde des sceaux, prévus par le deuxième alinéa de l'article L. 321-20 du code de l'action sociale et des familles.
L'expérimentation s'appliquerait aux mesures d'assistance éducative prononcées à compter de l'entrée en vigueur de l'expérimentation et non aux mesures en cours à cette date.
Ces dernières resteraient mises en oeuvre, jusqu'à leur terme, par la personne physique ou morale (« le service de l'Etat ou l'association ») qui en était initialement chargée. Bien plus, si la mesure devait être renouvelée, sa mise en oeuvre pourrait être confiée à cette même personne, à la double condition qu'il s'agisse d'un service de l'Etat et que l'intérêt du mineur le justifie et selon des modalités déterminées par voie de convention entre l'Etat et le département.
L'expérimentation serait réalisée pour une durée de quatre ans à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi. Les départements disposeraient d'un délai de six mois pour présenter leur candidature. Le garde des sceaux, ministre de la justice, se verrait reconnaître un pouvoir discrétionnaire pour arrêter, dans un délai de quatre mois à compter du dépôt des candidatures, la liste des collectivités participant à l'expérimentation.
Les modalités de mise en oeuvre de l'expérimentation, considérée comme une extension des compétences du département, seraient déterminées par convention entre l'Etat et le département. Cette convention devrait définir notamment :
- les modalités selon lesquelles l'avis conforme des procureurs de la République et des présidents des tribunaux de grande instance situés dans le département devrait être recueilli par le président du conseil général pour habiliter les organismes chargés de la mise en oeuvre des mesures d'assistance éducative ;
- les moyens transférés de l'Etat au département ;
- les conditions dans lesquelles, la mise en oeuvre d'une mesure confiée à un service de l'Etat avant le début de l'expérimentation et renouvelée en cours d'expérimentation pourrait continuer à être assurée par ce service.
Enfin, l'expérimentation serait soumise à une évaluation qui ferait l'objet d'un rapport du Gouvernement au Parlement, assorti des observations des départements concernés, dans un délai de trois mois avant le terme de l'expérimentation.
3. La position de la commission des Lois
L'expérimentation proposée présente un grand intérêt mais suscite un certain nombre d'interrogations.
En réponse à votre rapporteur, il a été indiqué que le juge des enfants ne pourrait plus, ni placer un mineur dans un établissement situé hors du département, ni choisir l'établissement dans lequel serait exécuté le placement. Sans ces restrictions au pouvoir de décision du juge, l'expérimentation perdrait, il est vrai, de son intérêt pour les départements.
Votre rapporteur s'interroge également sur les conditions dans lesquelles le juge des enfants pourrait remettre en cause les mesures qu'il aurait décidées. La logique voudrait qu'il puisse imposer à l'ASE de changer le mineur d'établissement mais non désigner lui-même le nouveau lieu de placement.
Actuellement, le juge ne peut prononcer une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert lorsqu'un mineur est placé auprès du service d'aide sociale à l'enfance. En revanche, il peut cumuler un placement dans un établissement qu'il désigne et une AEMO. On peut s'interroger sur le point de savoir si le cumul sera toujours interdit lorsque le service d'aide social à l'enfance disposera du monopole de la mise en oeuvre des mesures d'assistance éducative.
Ces interrogations devraient être levées dans le cadre des conventions car, en tout état de cause, la réussite de l'expérimentation dépendra de la bonne volonté des parties. A cet égard, votre rapporteur n'ignore pas les inquiétudes des juges des enfants. Il a pu en prendre la mesure lors de ses auditions. Il souhaite cependant insister sur la nécessité de surmonter ces réticences afin d'améliorer la protection de l'enfance en danger.
Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous propose quatre amendements, dont un de précision, ayant pour objet :
- de porter de six mois à un an le délai de présentation des candidatures des départements, la durée de l'expérimentation étant ensuite fixée à quatre ans ;
- de prévoir que le Gouvernement remettra au Parlement un rapport d'évaluation des résultats de l'expérimentation dans un délai de six mois avant son terme, contre trois dans la rédaction du présent article.
Elle vous propose d'adopter l'article 48 ainsi modifié.
A découvrir aussi
- France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1e chambre, 23 janvier 1991, 89NT00424
- Qui assure sa protection?
- Circulaire n° 2001-306 du 3 juillet 2001 relative à la prévention des violences et maltraitances notamment sexuelles dans les institutions sociales et médico-sociales accueillant des mineurs ou des personnes vulnérables