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De L'esprit des Lois (1748) Bac de français

De L'esprit des Lois (1748)



Texte étudié


"Il y a dans chaque État trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.


Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger, et l’autre simplement la puissance exécutrice de l’État.


La liberté politique dans un citoyen est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté ; et pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.

Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement.


Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pourvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur.


Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.


Dans la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré, parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs, laisse à ses sujets l’exercice du troisième. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne un affreux despotisme. "


De L’esprit des Lois (1748)


***

« Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Il faut donc que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »


Cette courte citation extraite de « De l’esprit des lois » (1748), œuvre colossale de trente tomes rédigée sur plus de vingt années, résume à elle seule la pensée de son auteur, Charles de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, philosophe français des Lumières et pionnier du libéralisme en politique.


La théorie de Montesquieu est principalement inspirée des expériences anglaises de ce dernier, qui y vécut un temps et pût constater la naissance du parlementarisme et des toutes premières tentatives de séparations des pouvoirs qu’il admirât profondément. Pour lui, la concentration des trois pouvoirs – qu’il distingue au premier paragraphe du texte qu’il nous incombe d’étudier comme étant « la puissance de faire les lois » (le pouvoir législatif), « la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens » (le pouvoir exécutif) et « la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit public » (le pouvoir judiciaire) – entre les mains d’un seul conduit inévitablement au despotisme. Pour qu’enfin, le « pouvoir arrête le pouvoir », Montesquieu énonce sa célèbre théorie de l’équilibre des pouvoirs, préconisant une séparation organique mais non fonctionnelle de ceux-ci. Le partage des pouvoirs devant selon lui conduire à l’établissement d’un gouvernement modéré qu’il n’aura de cesse d’appeler de ses vœux tout au long de sa vie.


L’extrait suivant du chapitre 6, Livre XI de « De l’esprit des lois » prépare donc à l’énoncé de la fameuse théorie de l’équilibre des pouvoirs. Comment Montesquieu s’y prend-il pour poser les bases du message qui le fera rentrer dans la postérité comme l’un des pères fondateurs de la science politique moderne ?


Montesquieu est tout d’abord un penseur de l’équilibre. Ce fait indéniable transparaît dans son texte tant au niveau de la forme que du fond. Le philosophe applique ici un raisonnement modéré qui s’inscrit dans le courant rationaliste des Lumières, raisonnement qui lui permet de poser les bases de sa célèbre théorie de l’équilibre des pouvoirs. Montesquieu est également l’un des plus farouches pourfendeurs de la tyrannie et du despotisme, et les conséquences d’un déséquilibre des pouvoirs, qu’il s’évertue à nous montrer dans son texte, sont la conséquence d’un déséquilibre de la pensée.

  1. I. Montesquieu, penseur de l’équilibre

  2. A. Un raisonnement modéré qui s’inscrit dans le rationalisme des Lumières
  • Un texte démonstratif structuré :

- Aux paragraphes 1 et 2 : Distinction des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire)

- Aux paragraphes 3 et 4 : Montesquieu présente l’intérêt de l’équilibre entre ces trois pouvoirs (thèse de l’auteur)

- Aux paragraphes 5, 6 et 7 : Montesquieu s’attache à justifier ses positions. Cette démonstration placée en fin de texte, elle-même composée de trois parties, vient étayer et illustrer sa thèse.

  • Des termes soigneusement choisis :

On remarque que dans la rédaction de ce texte, Montesquieu est lucide, méthodique, raisonné :

- Il emploie des phrases courtes, dénuées d’ironie, à la manière d’un texte didactique.

- Il mesure ses propos pour éviter la censure et la polémique

- On peut donc s’imaginer que son but n’est pas de choquer, mais bien d’instruire le peuple avec cette sérénité si caractéristique du penseur.

ð Ainsi, le père du libéralisme en politique s’inscrit donc bien dans le courant rationaliste des Lumières, analysant méthodiquement et à la lumière de la raison la situation qu’il cherche à démontrer.

  1. B. Montesquieu pose les bases de la théorie de l’équilibre des pouvoirs
  • Montesquieu expose sa théorie de la liberté :

Montesquieu expose sa conception de la liberté. « La liberté se définit comme le droit de faire tout ce que les lois permettent ; et si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir », explique l’auteur dans un autre texte que « De l’esprit des lois ». Pour lui, la liberté de chacun se doit d’être encadrée par un gouvernement et par des lois. Mais si le gouvernement concentre ces pouvoirs entre ses mains seules, la république (l’Etat) deviendrait alors autoritaire, les citoyens le craindraient et la liberté politique serait alors inexistante.

  • Montesquieu annonce la théorie de l’équilibre des pouvoirs :

La solution que Montesquieu propose n’est pas tant de séparer les pouvoirs, comme il le suggère à la ligne 16 du texte : « […] n’est pas séparée ». Mais plutôt de faire en sorte qu’ils n’atterrissent pas entre les mains d’un même homme ou d’un groupe de personnes (l. 20). Montesquieu prône ainsi un équilibre des pouvoirs pour que ceux-ci fonctionnent ensemble sans pour autant se voir concentrés entre les mains d’une seule institution. Voilà tout le sens de la séparation « organique mais non fonctionnelle » que préconise la théorie de l’équilibre.

  1. II. Montesquieu, pourfendeur de la tyrannie et du despotisme

  2. A. Les conséquences d’un déséquilibre des pouvoirs
  • Montesquieu démontre sa thèse sous forme d’équation :

- Paragraphe 4 (l. 12-15) : Thèse : lorsque les pouvoirs législatifs et exécutifs sont entre les mains d’un seul homme, on peut craindre le despotisme.

- Paragraphe 5 (l. 16-19) : Législatif + Judiciaire = Jugement arbitraire, celui qui fait les lois pourrait les faire appliquer sans contrôle.

- Paragraphe 5 (l. 15-19) : Exécutif + Judiciaire = Oppression, le pouvoir de juger devient le seul fait du prince.

  • Résultat de l’équation ? L’absolutisme ne peut être évité que par l’équilibre :

Paragraphe 6 (l.20-22) : Répétition « Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps de principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs.» : on lit dans cette courte phrase une crainte palpable chez Montesquieu, la crainte que la tyrannie n’empiète sur la sphère de liberté de l’individu. Montesquieu ne rejette pas seulement l’absolutisme d’un seul, il se montre également critique envers toute forme d’oligarchie (aristocratie ou même oligarchie populaire). La seule manière pour lui de mettre un terme à l’arbitraire que ces modes de gouvernements entraîneront inévitablement selon lui reste la séparation organique des pouvoirs.

  1. B. L’arbitraire : conséquence d’un déséquilibre de la pensée
  • Pour Montesquieu, la modération des gouvernements réclame la probité de ces dirigeants :

Paragraphe 7 (l.23-27) : « Dans la plupart des royaumes d’Europe, le gouvernement est modéré, parce que le prince, qui à les deux pouvoirs, laisse à ses sujets l’exercice du troisième ». Cet argument, qui renvoie sans nul doute aux voyages que Montesquieu a eu le loisir d’effectuer tout au long de sa vie (notamment en Europe : Allemagne, Hongrie, Italie etc.) démontre que sans honnêteté, il n’est pas possible de mettre en place le gouvernement modéré. C’est parce le prince prend à sa charge de déléguer une partie de ses pouvoirs que peut se mettre en place un gouvernement modéré en Europe.

  • L’absence de modération des dirigeants enferment leurs sujets dans le giron du despotisme :

Paragraphe 7 (l.23-27) : Montesquieu oppose son premier exemple avec celui du régime Turc de son époque : « Chez les Turcs, où les trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan » (l.25). Ainsi, cette métaphore nous laisse imaginer que le sultan porte une couronne qui symbolise ses pouvoirs et lui donnerait la légitimité de les exercer. L’emploi du terme « affreux despotisme » nous montre cette fois le visage le plus critique de Montesquieu, opposé à toute forme d’autoritarisme : le sultan turc n’est pas une personne modérée, son gouvernement est à son image.

Ainsi, au travers de l’étude de ce texte, nous avons pu voir de quelle manière Montesquieu posait les bases de sa théorie de l’équilibre des pouvoirs, par le biais d’un raisonnement construit et argumenté à rapprocher du rationalisme des Lumières, couplé à une critique sous-jacente du despotisme.

Les théories de Montesquieu ont eu une influence directe durant la Révolution de 1789, les révolutionnaires français souhaitant s’inspirer de la théorie de l’équilibre des pouvoirs pour rompre avec l’Ancien Régime qui les asservissaient, en mettant en place le fameux gouvernement modéré. Mais bien vite, les tentatives des révolutionnaires conduirent à l’épisode de la Terreur, puis aux coups d’Etat successifs du Directoire, avant que la stabilité ne revienne suite au… coup d’Etat du 18 brumaire et à la mise en place d’un gouvernement répressif et militaire par Napoléon Bonaparte. La théorie et la mise en pratique sont souvent deux choses difficiles à concilier.



15/11/2012
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