Des décisions différentes aux étapes successives du parcours judiciaire ? fiasco ou bon fonctionnement ?
Récemment, un procès pénal très médiatisé impliquant entre autres prévenus un ancien responsable politique s'est conclu par une relaxe de la plupart des protagonistes, dont ce dernier. Mais parce que la décision du tribunal correctionnel a pris le contrepoint de l'avis des juges d'instruction, aussitôt certains commentateurs ont utilisé le mot devenu à la mode : "fiasco".
Cela mérite quelques brefs commentaires.
Arrêtons nous d'abord sur le versant juridique de la problématique.
En début de procédure, et en application de l'article 80-1 du code de procédure pénale (texte ici) le juge d'instruction "(..) ne peut mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi. "
A la fin de son instruction, le juge d'instruction "(..) examine s'il existe contre la personne mise en examen des charges constitutives d'infraction, dont il détermine la qualification juridique." (article 176, texte ici), puis "Si le juge estime que les faits constituent un délit, il prononce, par ordonnance, le renvoi de l'affaire devant le tribunal correctionnel." (article 179, texte ici).
Le juge d'instruction prend donc position sur l'existence, ou non, d'une infraction pénale pouvant être reprochée à la personne dont il a traité le dossier.
En cas de renvoi, à l'étape suivante, "Si le tribunal estime que le fait constitue un délit, il prononce la peine." (article 464, texte ici)
Le tribunal correctionnel doit donc dire à son tour, sur la base des éléments auparavant analysés par le juge d'instruction, mais en plus avec ce qu'ont apporté les débats à l'audience et les éventuels nouveaux éléments produits devant lui, si la personne renvoyée a commis, ou non, une infraction pénale.
Dans certains dossiers, l'absence de charges à l'issue de l'information est telle que le juge d'instruction rend une décision de non lieu (qui peut faire l'objet d'un appel). Il n'y a donc aucun examen du dossier en audience publique. A l'autre extrémité, il existe des dossiers dans lesquels l'intéressé a reconnu avoir commis une infraction, et ceux dans lesquels les charges sont tellement nombreuses que la culpabilité fait peu de doutes.
Mais entre les deux il a y a les dossiers incertains qui font l'objet d'un débat qui peut se résumer de la façon suivante : quand le juge d'instruction pense qu'il y a autant d'éléments à charge qu'à décharge, n'est-il pas toujours préférable que la décision finale arrive au terme d'un véritable débat public et pleinement contradictoire devant une juridiction de jugement, quitte à ce que la procédure se termine par une relaxe ou en cas de crime un acquittement ? Et non qu'elle se termine dans le secret d'un cabinet d'instruction ?
Mais venons-en à l'essentiel.
Quelle est la raison d'être de l'examen d'un dossier par une juridiction de jugement après l'analyse du dossier par le juge d'instruction ? C'est, par hypothèse, que tous les éléments du dossier de même que les arguments des uns et des autres soient de nouveaux étudiés, décortiqués, confrontés, et que le tribunal, après des débats ouverts, prenne une décision en toute indépendance par rapport à celle du juge d'instruction.
Et bien sûr, ceux qui contestent l'analyse du juge d'instruction essaient de convaincre la juridiction de jugement d'adopter un raisonnement différent.
C'est la même chose avec le double degré de juridiction (l'appel) puis le pourvoi devant la cour de cassation. La raison d'être du recours c'est, toujours, d'obtenir une décision différente de la précédente qui ne satisfait pas l'auteur du recours.
Comment dès lors parler de fiasco parce qu'un tribunal correctionnel n'a pas partagé l'avis d'un juge d'instruction ?
Non seulement dans l'absolu ce n'est en rien un fiasco, mais cela démontre que le système judiciaire fonctionne correctement. Car c'est si aux étapes successives des décisions identiques étaient trop souvent rendues qu'il faudrait vraiment s'inquiéter.
On a entendu d'innombrables fois des avocats se plaindre, par exemple, que les chambres de l'instruction adoptent trop souvent l'avis des juges d'instruction qui ont rendu les décisions dont elles sont saisies.
Alors peut-on, de façon convaincante, se plaindre un jour quand les décisions successives sont trop semblables, et se plaindre le lendemain quand elles sont différentes ?
Allons un peu plus loin, toujours au niveau des principes.
Le fait que deux décisions successives soient différentes ne signifie pas, à lui seul, que l'une d'elles est aberrante. Au pénal, dans de nombreux dossiers, il y a place pour des hésitations, notamment autour de certaines notions élastiques. C'est le cas, par exemple, quand il faut dire si telle personne était en état de légitime défense, ou en matière de violences suivies de mort si l'auteur des violences avait une intention homicide.
C'est pourquoi dans certains dossiers deux décisions successives différentes voire opposées peuvent, toutes les deux, être sérieusement argumentées.
La seule chose qui peut être véritablement contesté, parfois à juste titre, c'est la qualité intrinsèque de l'une des décisions successives. Mais encore faut-il, pour émettre un avis autorisé, avoir lu tout le dossier, avoir assisté à l'intégralité des débats devant la juridiction de jugement, avoir étudié tous les arguments mis en avant par les uns et les autres, et avoir analysé ligne par ligne chaque paragraphe des décisions rendues.
Il n'est pas certain que beaucoup de commentateurs s'imposent ces démarches préalables.
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