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Double bind, ou la double contrainte des acteurs sociaux

 

 

Introduction

Au plus simple, le paradoxe naît de la superposition ou de l’entrelacement d'idées et de propositions réputées incompatibles ou contradictoires, dans l’unité de temps et de lieu, comme la poule qui est à la fois fin et commencement dans la circularité de l’œuf conduisant à la poule qui est aussi exact que la poule à l’œuf, comme l’identité des différents et l’unité des distincts. Dans le dilemme, il y a nécessité de choisir alors que le paradoxe est une obligation de choisir. Ces paradoxes sont issus de la logique circulaire de l'approche écosystémique et s'appliquent aux thérapies systémiques familiales.

Depuis l’Antiquité gréco-latine, le paradoxe se développe comme un jeu d’esprit entre intellectuels désœuvrés. Parmi les paradoxes, il y a les paradoxes mathématiques mais aussi pragmatiques, comme les injonctions paradoxales d’un ordre assorti d’un contre-ordre du même type, sur un modèle « ne pas tenir compte de cet ordre ». Anthony Wilden a dégagé des paradoxes le paradoxe existentiel, dans l’organisation sociale, d’une importance vitale pour le sujet et qui se rapporte aux catégories du bien et mal, du vrai et du faux. La double contrainte est une situation de choix impossible avec l’obligation de choisir et l’interdiction du refus de choisir ainsi que l’interdiction de commenter sur cette absurdité.

La DOUBLE CONTRAINTE est une obligation de choisir et ne peut pas être confondue avec le DILEMME qui est une nécessité de choisir et peut se ramener au fameux exemple de l'âne mort de faim et de soif à égale distance d'un sac d'orge et d'un baquet d'eau dans un dilemme, car incapable de se décider entre lequel des deux commencer. Elle n'a heureusement que rarement des conséquences aussi tragiques. C'est la situation d'indécidabilité.

La double contrainte générale se particularise, de la collectivité à l’individu, et peut être une technique thérapeutique pour changer chez le sujet la façon de recevoir un message, comme une proposition pour une imposition.

La civilisation chinoise, en revanche, manipule ces paradoxes dans l’harmonie des contrastes du clair et obscur, du chaud et du froid et non pas de l’opposition des contraires. La pensée chinoise traditionnelle ignore (dans l'acception anglaise de « ne pas vouloir savoir ») les catégories d'opposition occidentales de corps et esprit, nature et culture, etc.

Généralité

Dans le vocabulaire commun, ce qui est paradoxal est défini comme ce qui est contraire à l'opinion commune, ce qui est bizarre, inconcevable, incompréhensible, ce qui heurte la raison, le bon sens ou la logique. En d'autres termes, le paradoxe naît de la rencontre des mondes qu'on a l'habitude de dissocier, de la superposition ou de la confusion des différents et des distincts. dans une "identité des différents" et une "unité des distincts".

La façon simple d'aborder le paradoxe est la recherche de l'identité des différents où, selon l'expression populaire, "plus ça change, plus c'est pareil". Pour lever ce paradoxe de ce qui est à la fois changement et constance, il suffit de rapporter le changement à une variation quantitative du type "plus ou moins de la même chose" à l'intérieur d'un cadre ou d'une structure et la constance à une structure, une forme ou une configuration dans laquelle procède cette variation quantitative, comme les cercles concentriques s'agrandissant de l'onde de choc lorsqu'un caillou tombe sur une surface d'eau dormante. La collision, le télescopage et la confusion du type " à fa fois...et" des mondes séparés (la quantité et la forme dans ce cas) conduit à ce genre de paradoxe. L'identité se rapporte à la forme ou à la structure, tandis que les différences ou les égalités concernent la quantité.

Les gravures d'Escher sont de bonnes illustrations de ce type de paradoxe. Sur une, on peut voir tantôt une vieille femme pauvre et laide et tantôt une jeune femme riche et belle, dans l'oscillation cybernétique d'une "Gestalt" figure/fond. Des mêmes éléments picturaux servent à la fois à la figure et au fond. Sur une autre gravure, on peut voir tantôt un vol d'oiseaux blancs dans un sens et tantôt un vol d'oiseaux noirs dans l'autre sens. Sur un troisième on peut voir, du même tableau, deux paysages différents, dans une alternance figure/fond. escher%20day%20&%20night%20full.jpg

Ce genre de paradoxe de l' "identité des différents" qui dit que ce qui est différent soit pareil est la base d'aimables plaisanteries et des jeux de mots. Il est source de l'humour où le "mot de la fin" ou la chute" oblige de revoir toute la séquence qui prend une toute nouvelle signification et de la créativité, comme l'ampoule électrique d'Edison où l'absurdité est levée en faisant le vide autour du filament incandescent; de même que le paradoxe de l'identité des différents soit levé en introduisant les niveaux distincts de la quantité et de la forme. Dans cette lignée, on peut introduire le paradoxe de l'identité qui assure à la fois l'identique (idem ) et le différent (ipse ) dans l'association-dissociation avec un modèle. Ce paradoxe a été déjà en cours dans le désir chez Freud et levé par René Girard avec le "désir mimétique", à propos du "modèle-obstacle". L’identification est plutôt une différenciation pour former le "soi" ou "moi" (ipse) individuel différent des autres tout en étant semblable.

Les paradoxes dont il est question ici surgissent de la communication humaine.

Communication, métacommunication et paradoxe

En se référant à la Théorie des contextes de Anthony Wilden qui introduit une hiérarchie de niveaux de type logique, de contrainte, étagés en texte et contexte où la métacommunication est le contexte de la communication qui est le texte. Le contexte donne sens au texte, dans le triple sens d’orientation (comme dans "sens unique"), de pertinence (comme dans "bon sens" et de signification.

la communication et la métacommunication sont à des niveaux distincts de type logique. La métacommunication est, au plus simple, la communication sur la communication en cours, c’est-à-dire le type d’orientation et de pertinence et de valeur de cette communication. La métacommunication indique et signifie la sorte de relation qu’entretiennent les protagonistes. Souvent, la métacommunication est un langage "analogique" de tonalité, de mimiques, gestes, postures et mouvements corporels. Ce langage est est une représentation directe dite "analogique", comme une photographie, un dessin ou une peinture. Ces expressions illustrent cette distinction

  • "Ceci n’est pas une pipe" (René Magritte). La représentation n’est pas ce qui est représenté. magritte-pipe-sm.jpg

La métacommunication n’est pas la communication. La con-fusion de fondre l’un dans l’autre et la confusion de prendre l’un pour l’autre entre métacommunication et communication entraînent une série de paradoxes jusqu’à la double contrainte. (en) http://www.rdillman.com/HFCL/TUTOR/Relation/relate1.html

Les paradoxes dont il est question ici surgissent de la communication humaine.

Les niveaux de type logique ou de contrainte sont distincts en saut quantique du type ou, bien l’un ou bien l’autre, en variation discontinue "digitale", comme les cinq "doigts" de la main, en contraste à la variation continue sur la paume de la main, à la racine des doigts avec qu’ils bifurquent et se disjoignent.

  • La "distinction" est "digitale" de la variation discontinue en saut quantique du type ou bien à un niveau, ou bien à l’autre, comme la progression sur les marches d’un escalier. La langue des mots de la parole est digitale, médiatisée par un code linguistique d’une convention mutuellement acceptée par des locuteurs de cette langue. De cette façon, les mots sont des représentations médiatisées, sans rapport continue ace ce qui est représenté. "Il n’y a rien de tabuliforme dans le mot ‘table’", disait Gregory Bateson, pour exprimer cette distinction
  • La "différence" est "analogique" de la variation continue, comme la progression sur un plan incliné. Le langage des icônes (images, sons, flagrances), gestes, mimiques, postures etc est analogique dans une progression continue entre la représentation et ce qui est représenté, comme une photographie, un dessin, une peinture et une sculpture.
  • "[…] le sens est le produit de l’information à prédominance iconique comme dans la communication corporelle et dans notre expérience des icônes de l’émotion ("états émotifs"). La signification est le produit de l’information à prédominance digitale, comme les définitions du dictionnaire. (Les traductions entre ces ordre de perception engendrent souvent des paradoxes, et les mauvaises traductions peuvent entraîner une pathologie)… ". (Anthony Wilden, p. 546, 1983).
  • - Au niveau biologique sont les processus perceptifs nécessaires et insuffisants de la réception des signaux physiques de son et lumière, au premier niveau physique de la communication.
  • - Au niveau social du sens sont les valeurs esthétiques et éthiques du deuxième niveau de la communication qui est la mise en commun des sens et des valeurs.
  • - Au niveau culturel des idées sont les croyances et les règles de conduite du troisième niveau de la communication qui est la communion autour de ces croyances et règles, formant une communauté sociale, de la nation au groupe familial.

Pour Ray Birdwhistell, la relation entre "communication" et "culture" est de l'ordre de celle entre "processus" et "structure".

  • "[…] La communication pourrait être considérée, au sens le plus large, comme l'aspect actif de la structure culturelle... Ce que j'essaie de dire est que la culture et la communication sont des termes qui représentent deux points de vue ou deux méthodes de présentation de l'interrelation humaine structurée et régulière. dans "culture", l'accent est mis sur la structure, dans "communication", sur le processus." (Ray Birdwhistell, 1970, p. 251, "Kinesics and Context. Essays on Body Motion Communication", University of Pennsylvania Press, Philadelphia.).

Un exemple de paradoxe est la recette de "savoir perdre pour gagner". Ce paradoxe se lève en distinguant le niveau psychique du gain en sagesse et en compétence de la perte physique dans le processus devieillissement, comme dans le proverbe populaire "Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait". En "Management", il s'agit de la "perte" temporaire dans les investissements et du gain dans les aiffaires. Ce genre de paradoxe se lève par la distinction des niveaux et en brisant l'unité de temps et de lieu, tout comme le paradoxe de l'autoréférence "je mens". Sans l'unité de temps et de lieu, comme dans le théâtre classique de Molière, ce paradoxe peut se comprendre:

  • Je mens de temps en temps!
  • je mens par ci et par là!

Le pradoxe du serpent est dans le bien et le mal réunis, à la fois mortel et emblème de la médecine, tout comme l'Homme de Pascal, à la fois ange et bête réuinis. Le paradoxe surgit de cette réunion d'éléments réputés antithétiques.

Les types de paradoxe

Watzlawick, Beavin et Jackson (1972, pp. 189-232) ont dégagé trois types de paradoxes pour éclaircir le sujet de l’ésotérisme et de l'exotisme de la logique formelle et des jeux intellectuels à la lumière des interactions humaines qui se laissent prendre souvent dans le dédale des sentiers pervers. Il s'agit d'une progression du paradoxe logico-mathématique innocent pour le plaisir des jeux au paradoxe pragmatique djà plus grave des dilemmes où il est nécessaire de choisir jusqu'au paradoxe existentiel dans le contexte humain, en passant par les injonctions paradoxales d'un ordre assorti à un contre-ordre dont on ne peut pas obéir à l'un sans désobéir à l'autre. Ce n'est pas encore la double contrainte. Dans les injonctions paradoxales, il y a toujours une possibilité de commenter sur l'absurdité, comme appuyer en même temps sur deux touches d'ordinateur, un pour commander la marche et l'autre l'arrêt. L'ordinateur peut afficher "erreur de syntaxe". Dans la double contrainte, il y a une troisuème injonction qui interdit le non-choix et tout commentaire sur l'absurdité de la situation.

1 - Les paradoxes logico-mathématiques sont souvent des jeux d'esprit.

2 - Les paradoxes pragmatiques sont le genre de paradoxe qui exige un pouvoir, une autorité ou une contrainte où un ordre est donné auquel on ne peut obéir qu'en désobéissant à l'exemple de ces deux panneaux de signalisation routière mis ensemble sur un même poteau à un carrefour, certainement par inadvertance. Un panneau ordonne un "arrêt" et l'autre porte l'ordre "arrêt interdit". Ces deux panneaux, dans l'unité de lieu et de temps et au même niveau de la langue constituée de mots écrits, sont plutôt une contradiction ou antinomie qu'un véritable paradoxe. C'est bien plus un dilemme où le conducteur est pénalisé s'il s'arrête et pénalisé s'il ne s'arrête pas face à un policier zélé. Une contradiction est une paire de propositions, de termes ou de systèmes opposés ou de sens contraire et obligatoirement du même niveau de type logique, de contrainte ou de réalité. L'opposition ou la contradiction des forces newtoniennes active et réactive est correcte, puisque ces forces sont à un même niveau de type logique ou ordre de réalité physique de matière et d'énergie. L'opposition ou la contradiction des propositions contraires situées aux niveaux de message et de métamessage est inexacte; elle est plutôt une injonction paradoxale.

Un exemple de paradoxe pragmatique, du type "à la fois... et" dans l'unité de temps et de lieu, est le "paradoxe de Confucius" qui dit:

  • Un bon discours est comme une minijupe. Il doit à la fois assez court pour capter l'attention et assez long pour couvrir l'essentiel!

3 - L'injonction paradoxale est mieux illustrée par l'ordre "sois spontané(e)", souvent utilisé par Paul Watzlawick comme exemple, où devenant spontané en obéissant à un ordre, l'individu ne peut pas être spontané. Dès qu'on étudie et manipule le paradoxe dans les contextes humains de l'interaction, ce paradoxe cesse de n'être qu'un jeu intellectuel et une fascination de l'esprit pour devenir un sujet d'une importance pragmatique considérable pour la santé mentale des actants, des individus, des familles, des sociétés ou des nations. Dans une situation d'indécidabilité, le dilemme est une neccessité de choisir, tandis que l'injonction paradoxale est une obligation de choisir.

Comme les trois mousquetaires sont quatre, à ces trois types de pardoxe Anthony Wilden ("Système et Structure. Essais sur la communication et l'échange" ., 1972, 1980 et la traduction française de 1983) a introduit un quatrième, dans les contextes humains, qui est le paradoxe existentiel. La double contrainte est de l'ordre de ces paradoxes existentiels. Pour Bateson, la schizophénie n'est qu'une illustration singulière de l'interaction humaine plurielle continue, d'une portée très grande, des individus aux nations.

Les paradoxes existentiels

4 - Les paradoxes existentiels impliquent un contexte humain, une temporalité humaine - contrairement aux séquences pures et fictives de la logique formelle qui ne se préoccupent que de l'aspect intemporel des paradigmes - et des interactions humaines. Ils nécessitent une interaction d'actants dans laquelle le sens "subjectif" - l'orientation, la pertinence, la signification et la valeur - a plus d'importance que le sens "objectif". Le paradoxe existentiel est d'un genre essentiellement différent du paradoxe logico-mathématique. C'est un ordre auquel on ne peut ni obéir ni désobéir.

Dans la théorie de la schizophrénie de Bateson, les injonctions paradoxales constituent de tels ordres. Formulés par l'Autre (l'autorité, le pouvoir ou quelque principe intériorisé capable de mettre en jeu la survie, le développement, le confort et la sécurité) dans un milieu familial où règne une communication pathologique Ces injonctions paradoxales visent une "victime émissaire", le membre "schizophrénique" du système et le forcent éventuellement à s'enfermer dans une double contrainte typiquement "schizophrénique": tenter de ne pas communiquer. Ce qui est impossible, puisque le "charabia" du "schizophérénien", le retrait ou le silence verbal ou postural même est une communication.

De même que le déni de communication soit encore une communication. Les injonctions paradoxales et les doubles contraintes sont des phénomènes assez courants et dépassent le cadre individuel du comportement humain pour entrer dans le comportement économique et social, des individus aux nations. Les totalitarismes secrètent quantité de doubles contraintes qui sont hors de notre propos. Il suffit d'évoquer, pour couvrir le sujet, que les dictatures imposent toujours des injonctions paradoxales du type de "sois spontané(e)" où il ne suffit pas assez de supporter ou de tolérer cette dictature, mais encore il faut la vouloir.

La double contrainte

À partir de l'analyse des films qu'il a pris à Bali, Bateson raconte qu'une mère manifeste par des mots d'amour de la langue un rapprochement tout en adoptant en même temps une conduite d'éloignement ou d'évitement par les langages corporels proxémique (distance et durée) et kinésique. (geste, mimique, mouvement et posture) . L'enfant ne sait pas et ne peut savoir ce que sa mère exige de lui. Il est condamné à osciller entre ces deux exigences contraires auxquelles il ne peut répondre en même temps et ne peut commenter ou discuter. L'enfant est condamné à osciller entre deux réponses d'approche et d'évitement. Quelque soit la réponse qu'il adopte, il est puni et reçoit l'ordre de changer de réponse et d'adopter l'autre.

Quand on doit affronter un paradoxe dont le sens général est qu'on ne peut ni obéir ni désobéir, quand on ne peut ni commenter, discuter ou métacommuniquer ni alterner les réponses en fractionnant les injonctions qui se disqualifient mutuellement, on est condamner à entrer dans une suite sans fin d'oscillations entre un choix et le choix contraire. Il arrive que, par mégarde, on donne une telle injonction paradoxale à un ordinateur qui ne peut ni exécuter cet ordre ni ne pas l'exécuter. Mais il peut toujours "métacommuniquer", c'est-à-dire commenter cet ordre en affichant à l'écran ceci: " erreur de syntaxe". Dans ce cas, l'injonction paradoxale n'est pas une double contrainte.

En suivant la conception de Bateson, la configuration de la double contrainte peut être ainsi schématisée:

1 - À la base se trouve une paire d’injonctions paradoxales. Ce qui signifie, entre autres, que le message reçu contient des éléments contradictoires et que ce message est un ordre. Dans l'interaction humaine, l'ordre est au niveau du métamessage où le message et le métamessage se disqualifient mutuellement. Le "double bind" correspond à une situation sociale ou interpersonnelle d'inégalité ou de domination/subordination. Quelque soit le mode de communication. le métamessage est le message sur le message et constitue son contexte qui lui donne sens, dans le triple sens d'orientation (comme dans "sens unique"), de pertinence (comme dans "ça a du bon sens") et de signification.

2 - En dépit de son caractère social ou interpersonnel, le "double bind" ne suppose pas nécessairement la présence physique de deux ou plusieurs personnes. La "victime" du "double bind" qui a intériorisé l'injonction paradoxale est un être socialisé acceptant, comme "allant de soi", de recevoir des ordres d'elle-même, étant entendu que "elle-même" désigne ce ce qu'il y a de socialisé en elle: son "surmoi", par exemple, ou bien la manière dont elle reçoit, interprète et comprend les messages de l'entourage ou des dispositifs sociaux "anonymes" (c'est-à-dire des dispositifs dont les acteurs sociaux ne sont pas identifiables). Le "double bind" s'installe par apprentissage dans la famille et le milieu social immédiat, au niveau de la manière de recevoir des signaux et il est intimement lié aux catégories de l'apprentissage et de la communication chez Bateson (1977, pp. 253-282).

- 3 - L'une des injonctions du "double bind" joue un rôle essentiel qui va le faire bifurquer dans la pathogenèse et se séparer des paradoxes pragmatiques et des injonctions paradoxales dans l'humour et la créativité. Thanh H. Vuong (1986-2004) a souvent utilisé ces types de paradoxe en politologie des guerres et paix et des stratégies technico-économiques asiatiques où il faut savoir perdre pour gagner et amener rivaux et adversaires au-delà de leurs limites d’efficacité. La perte est physique et le gain est psychique dans le Devoir, Vouloir et Savoir de la Guerre psychologique et de la Première Guerre d’Indochine et les deux suivantes, lorsque la route tortueuse est le chemin le plus direct. Sun Tzu a recommandé d’attaquer au niveau supérieur psychique de commande qui organise la physique des quincailleries. Le paradoxe se lève avec le psychique et le physique sur deux niveaux distincts d’une hiérarchie de niveaux de type logique, de dépendance de la Théorie des contextes d’Anthony Wilden. En effet, le psychique de l’esprit disparaîtrait si le physique du corps disparaît. De la même façon, la route tortueuse se rapporte à la stratégie de l’action, tandis que le chemin direct est à la politique de l’intention qui sont à des niveaux distincts de cette hiérarchie. Le niveau politique est celui de la détermination et du choix des buts et objectifs, tandis que le niveau stratégique est celui des modes d’action. Les fins et les moyens sont à des ordres ou niveaux distincts et le paradoxe surgit dès qu’ils sont enchevêtrés. Le "triangle de Penrose" illustre ce type de paradoxe. penrose.gif

Double Bind et double contrainte

À l’origine anglo-américaine, l'idée de "Double Bind" est tout de suite représentée par un enfant dont les parents divorcent et se séparent. Si la rupture se passe en douceur, alors ce serait épanouissant pour l'enfant avec deux foyers et deux milieux sociaux et culturels enrichissants et épanouissants.

Le drame arrive lorsque les parents, se battent et s'affrontent, alors l'enfant est écartelé entre deux loyautés et deux liens ("bind") qui divergent et s'affrontent.Les parents exigen l'enfant de choir entre l'un ou l'autre à partir de trois inonctione existentiels primordiaux pour la vie psychique et sociale de l'enfant.

  • Aimes -tu ton père?
  • Aimes-tu ta mère?

L'enfant répond: laissez moi tranquille avec vos affaires!

  • Tais-toi ingrat!

Le Double Bind se comprendrait mieux sur ses deux faces, celle épanouissante des injonctions paradoxales, source d'humour et de créativité et celle destructrice avec l'obligation de choisir dans l'unité de temps et de lieu et l'interdiction de commenter sur cette séparation houleuse.

En exemple de double contrainte en sociologie et politologie où la "majorité" (par le statut social et non la quantité) exige d'une minorité de s'assimiler à elle tout en la rejetant et interdisant tout commentaire (métacommunication). On trouve cet exemple banal en France avec ses "immigrés" dans des événements récents et depuis longtemps..

  • Sois comme nous!
  • Tu n'es pas "de souche"!

Qui suis-je répond l'immigré, de préférence "bougnoule" doublé d'un "métèque"?

  • Tais-toi ingrat, nous qui t'avons accueilli et nourri!

Pour la culture anglo-américaine qui n'est pas "cartésienne" du tiers exclu, les contrastes ne sont pas forcément dévoyés en contraires, et pervertis encontradictions et oppositions qui introduisent les paradoxes lorsqu'elles se présentent ensemble, enchevêtrées, dans l'unité de temps et de lieu. Le noir n'est pas le contraire du blanc, le chaud du froid et le haut du bas. C'est simplement une différence de longueurs d'onde de la lumière réfléchie, une différence de températures et une différence d'altitudes. Alors, la notion de paradoxe est familière. La Théorie des contextes dénonce cette pathologie de l’épistémologie occidentale, par rapport aux contrastes harmonisés de la "pensée chinoise" exposée par Marcel Granet.

L’antipsychiatrie de Ronald Laing et David Cooper a rendu le "Double Bind" en "knot " (nœud) pour évoquer l’idée d’un enfermement. La couverture du livre de Yves Barel ( "Le paradoxe et le système", PUG, Grenoble, 1979) présente l’image d’une personne montant un escalier entre deux murs, sans ouverture, pour cette même idée d’enfermement. La pièce de Jean-Paul Sartre "Huis clos" se dit en anglais "No Exit" pour représenter l’enfermement social dans la pièce de Sartre. La double contrainte, elle, peut être illustrée par l’enfermement dans un "cercle vicieux" où toute sortie est bloquée par la troisième injonction qui oblige à choisir dans une situation de choix impossible et qui interdit le non choix et tout commentaire.(en)fig5.gif

L'humour, la créativité et la pathogenèse

Dans son livre sur la double contrainte (Carlos E. Sluki & Donald C. nRansom (ed.), 1976, "Double Bind: The Foundation of the Communicational Approach to the Family", Grune & Stratton, N-Y. ) , Carlos Sluki affirme qu'il s'agit, en fait, d'une formulation générale de la pathologie des systèmes sociaux et non pas d'une théorie spécifique de la schizophrénie. Il estime qu'elle s'applique à un grand nombre de désordres, par exemple à divers types de conflits névrotiques ou interpersonnels. Elle s'applique également à divers types de créativité. Il continue de penser qu'elle est d'une application particulièrement étroite dans ce qui est nom-mé de "psychose". Il y a aussi la "névrose" qui est très différente. Elle est, sans doute, l'apprentissage d'une chose fausse et y croire très profondément. Comme la phobie, par exemple, la phobie des ponts (ou de n'importe quoi) est d'apprendre à avoir peur des ponts, et alors tous les ponts deviennent dangereux. La "psychose", elle, est la pathologie du système d'apprentissage lui-même. Ce n'est pas une pathologie de ce qu'on apprend, mais la pathologie du dispositif d'apprentissage, c'est-à-dire de la manière d'apprendre.

  • L'humour italien est fait d'autodérison dont voici est un exemple illustratif: "Courage, fuyons!" Ce paradoxe vient seulement des habitudes sociales d'associer le "courage" à l'attaque et la "fuite" à la lâcheté. Finalement, les paradoxes viennent des effets de la communication humaine, c'est-à-dire de la "pragmatique" de la communication et des habitudes sociales.
  • La créativité artistique picturale vient de la résolution du paradoxe de la représentation bidimensonnelle figée des scènes tridimensionnelles mouvantes. Tous les tableaux des grands maîtres de la peinture sont des exemples illustratifs.
  • La créativité scientifique vient de la résolution des paradoxes comme celui de Nicolas Copernic qui place le Soleil au centre autour duquel tourne la Terre, alors que tout le monde voit le soleil monter et se coucher, ainsi que le dogme du christianisme a placé la Terre au centre de la Création. La relativité généralisée d'Einstein est la résolution du paradoxe de Langevin du temps relatif à la vitesse, alors que la physique newtonienne pose le temps abolu et égal partout.
  • La pathogenèse est l'indécidabilité devant un dillemme, au plus simple, entre deux termes d'attraction égale, comme l'âne qui a faim et soif, à égale distance d'un baquet d'eau et d'un sac d'avoine.

Cette indécidabilité, plus-ou-moins grande, est aussi le résultat de l'apprentissage social, au niveau "2", qui forme une "personnalité" ou un caractère "volontaire" ou "hésitant".

Les niveaux d'apprentissage

L'apprentissage, ici, n'est pas du simple type skinnerien, mais une hiérarchie de niveaux où, au niveau "zéro", l'apprentissage est la simple réception d'un signal qui déclenche une réponse appropriée au contexte. Comme, par exemple, la sonnerie m'apprend qu'il est temps d'entrer en classe ou de sortir à la récréation. Dans un autre contexte, cette sonnerie aurait une autre signification. Au niveau "un", l'apprentissage est l'acquisition de la capacité de reconnaître un contexte et de discriminer entre des contextes. Au niveau "deux" suivant, l'apprentissage est l'acquisition des manières de reconnaître un con-texte et de discriminer entre des contextes et ainsi de suite jusqu'au niveau "trois" et peut-être plus, dans un recul à l'infini. Le niveau "deux" est celui de l'apprentissage nommé "apprendre à apprendre". La pathologie du dispositif d'apprentissage, en question, concerne le niveau "deux" de l'apprentissage.

En d'autres termes, l'apprentissage "0" est une "vague idée de quelque chose", comme lorsqu'on regarde les "nouvelles" à la télévision. L'apprentissage "1" est l'acquisition des aptitudes devenues habitudes par répétition dans des situations répertoriées. L'apprentissage "2" est l'acquisition des attitudes ou préférences qui sont des dispositions mentales en faveur de certaines catégories d'êtres, d'événements ou d'objets et au détriment d'autres catégories. Cet apprentissage "2" s'effectue principalement dans la famille et le milieu social et le résultat constitue des truismes comme le "caractère", la "personnalité", le "moi" ou le "soi". L'apprentissage "3" est l'acquisition des croyances et des valeurs qui orientent et délimitent les attitudes acquises au niveau directement inférieur de l'apprentissage "2". Chaque niveau est le contexte, l'environnement ou le fondement (Grund) des termes ou systèmes du niveau directement inférieur.

  • "[…] L'apprentissage II est illustré par les phénomènes bien connus de 'névrose expérimentale': dans le cadre d'un apprentissage pavlovien ou instrumental, l'animal est entraîné à faire la distinction entre un certain X et un certain Y (par exemple entre l'ellipse et le cercle); lorsqu'il a appris à le faire, on lui complique la tâche, en arrondissant progressivement l'ellipse et en aplatissant le cercle. On finit ainsi par parvenir à un stade où la discrimination devient impossible; à ce moment-là, l'animal commence à manifester des symptômes de perturbations graves...Selon mon expression, l'animal se trouve dans une situation typique de double contrainte (double bind) qui peut être considérée comme schizophrénogène..." (Bateson, 1977, p. 270).

On voit que, dans l'article de 1956 d'où est tirée cette présentation, Bateson a eu la maladresse de négliger la troisième injonction qui bloque toute sortie possible en punissant l'animal pour un choix ou l'autre et pour le refus de choisir. Sans cette "injonction-cliquet" (Yves Barel, 1979), la double contrainte deviendrait une simple injonction paradoxale. D'autre part, dans la névrose pavlovienne, la condition nécessaire et suffisante est l'apprentissage préalable à la descrimination entre l'ellipse et le cercle. Sans cet apprentissage préalable, l'animal ne présenterait aucun de ces symptômes.

En termes de comportement humain et dans le cadre familial ou social, il arrive qu'innocemment un parent (ou un supérieur hiérarchique) se met en colère et la manifeste à la fois par la parole et par les langages corporels analogiques, kinésique et proxémique, tout en exigeant par la parole à un enfant (ou un inférieur hiérarchique) de croire qu'il n'est pas en colère. La répétition d'un tel événement et ses variantes conduirait à la longue l'enfant (ou l'inférieur hiérarchique) à douter de ses capacités à reconnaître la relation en cours, à discriminer ou distinguer les types de relation, c'est-à-dire, dans les termes de Bateson, à "métacommuniquer". Il en resulterait la confusion (prendre l’un pour l’autre) et la confusion (fondre l’un dans l’autre) du littéral au figuré, du message au métamessage et du repas au menu.

la double contrainte pathogène

Pour avoir une double contrainte pathogène, il faut et il suffit un cadre de pouvoir ou d'autorité dans lequel se trouve une relation d'inégalité ou de domination-subordination où est puni un choix ou l'autre de l'injonction paradoxale et où s'exerce l'injonction-cliquet en punissant le non-choix ou toute tentative de sortir de ce cadre de pouvoir, de l'inverser ou de discuter sur l'absurdité de l'injonction paradoxale, c'est-à-dire de métacommuniquer.

Une double contrainte constructive est un paradoxe pragmatique en dehors du cadre de pouvoir, de la relation d'inégalité de domination-subordination. Elle est source d'humour et de créativité. On rapporte cette plaisanterie de Groucho Marx qui dit ne pas vouloir entrer dans un club qui accepterait des gens comme lui. Il est de notoriété publique que les frères Marx sont de tradition hébraïque. Pour se moquer de l'antisémitisme qui régnait dans certains milieux sociaux des États-Unis, alors, il affirme par là, avec l'humour yiddish typique (Leo Rosten, 1968, "The Joys of Yiddish", Pocket Book, N-Y.), ne pas vouloir fréquenter un lieu qui accepte des juifs. Le paradoxe vient du terme "comme lui" qui est une condensation de membre à classe, de l'individu au groupe. Le "mot de la fin" ou la "chute" déclenche l'hilarité, en obligeant l'auditoire à revoir toute la séquence à la nouvelle lumière ainsi projetée et à rire de la confusion provoquée par l'absurdité, par l'oscillation entre le tragique et le comique et par le mélange des genres. Raymond Devos racconte cette histoire dont voici la trame. L'art du conteur est de ménager des effets pour captiver l'auditoire et le mener dans la confusion à partir d'une trame.

- L'étranger vient manger notre pain, on a chassé l'étranger.

- Depuis, on n'a plus de pain.

- L'étranger, c'était le boulanger.

Les deux premières propositions installent le paradoxe pragmatique et la troisième le lève.

Un autre exemple illustratif de l'humour est le "catch 22" où les chances de survie de l'équipage d'un bombardier diminuent avec l'augmentation des missions de bombardement. Si un des membres de l'équipage veut se faire relever de ces missions, il irait devant une commission de santé pour se faire déclarer "fou" en simulant la démence.

- S'il se fait déclarer "fou", c'est qu'il est "normal", car la peur de mourrir est considérée comme une manifestation de santé mentale.- S'il se porte volontaire pour plus de missions, c'est qu'il est devenu complètement "fou" et, alors, il serait relever des missions dangereuses.

À partir de la théorie du jeu et du fantasme ( 1977, pp. 209-224) de Bateson, Fry (William F. Fry, 1963, "Sweet Madness: a study of humor", Pacific Book, Palo Alto.), l'un des collaborateurs de Bateson, a appliqué l'idée du paradoxe de la confusion du metamessage avec le message au phénomène de l'humour. Au moment où se révèle l'humour de l'histoire - c'est-à-dire celui où l'auditoire perçoit le métamessage "ceci est un jeu" - on est un présence d'un renversement ou d'un recadrage, à la fois explicite et implicite, quand le dénouement final, la "chute" ou le "mot de la fin" qui provoque le rire est exprimé.

L'humour et le jeu

Ce renversement ou ce recadrage distingue l'humour du jeu, du rêve et du fantasme. Par contre, ce recadrage tient une place très importante dans la psychothérapie et la créativité. Des renversements brusques, comme ceux qui sont typiques des créations artistiques et scientifiques et du dénouement des histoires humoristiques, font éclater quelque chose et sont étrangers au jeu, au fantasme et au rêve. Il n'y a qu'en psychothérapie et dans la créativité que ce type de renversement est compatible avec la structure de l'expérience. Il oblige à revoir toute la séquence des expériences et des croyances pour la psychothérapie et pour la science et tout le récit pour l'humour.

Le jeu, le fantasme (ou rêve éveillé) et le rêve lui-même sont les manifestations d'un comportement paradoxal dans la collision des termes ou systèmes qui se nient mutuellement, de "ce qui est, tout en n'étant pas ", comme dans le jeu des jeunes animaux qui se poursuivent, dans un non-combat tout en étant un combat, où le mordillement n'est pas une morsure. Comment savent-ils qu'ils ne se battent pas? Ils "métacommuniquent" nous répond Bateson. Le jeu, le rêve et le fantasme sont des représentations dites "théâtrales" où la même personne est à la fois l'auteur, l'acteur et le metteur en scène, en pleine connaissance des effets et de la distance entre ses représentations théâtrales et la vie concrète avec ses contraintes. Dans le jeu (play ), comme activité ludique, le fantasme et le rêve, la séquence des événements est imprévisible et tout peut survenir en tout temps. C'est ce qui distingue le jeu, le fantasme et le rêve du rituel et du sacrement qui sont aussi des activités de représentations, mais régies par des règles qui font du déroulement une séquence entièrement prédictible et reproductible en copies conformes.

Communication et métacommunication

C'est seulement au moment où la connaissance des effets et la distance entre la représentation et ce qui est représenté s'estompent - en se fondant l'un dans l'autre et en prenant l'un pour l'autre - que le jeu, le fantasme, le rêve et le sacrement prennent des formes pathologiques de la fabulation, de la mythomanie et du mysticisme. Dans cette lignée, le "schizophrène" ne métacommunique pas, dans la confusion entre le littéral et le figuré, entre le texte et le contexte, entre la communication en cours et la métacommunication qui, dans le comportement humain, est de l'ordre de la relation entre les actants. Le paradoxe, dans l'ordre de la créativité scientifique, peut être décrit comme une "contradiction" qui vient au terme d'une déduction correcte à partir des prémisses 'consistantes". Le paradoxe révèle aussi que les prémisses "consistantes" d'hier sont les erreurs, les insuffisances et les sophismes d'aujourd'hui. Tout progrès scientifique entraîne une légère correction et les grands progrès entraînent de grandes corrections, comme la révolution copernicienne - où le "paradoxe de Copernic" dit que la terre tourne autour du soleil, ce qui est contraire au bon sens qui voit le soleil se lever et se coucher à l'horizon de la terre - et la révolution einsteinienne est dans la résolution du "paradoxe de Langevin" qui est un exemple illustratif de paradoxe pragmatique de la créativité dans les sciences physiques. Isaac Newton a "cartographié" ou modélisé l'univers à partir de la gravitation "universelle" et du temps absolu", le même et égal partout et pour tous. Or Paul Langevin (1872-1946) a montré, à la fin du XIXème siècle, que des horloges atomiques, se mouvant à des vitesses différentes, donnaient des temps différents. Ce qui était antinomique avec le temps newtonien absolu et égal partout. Ce paradoxe a été résolu par Albert Einstein avec la théorie de la relativité qui a replacé la théorie newtonienne dans sa plage de validité, de l'universalité à une certaine localité.

La créativité

Arthur Koestler, dans son livre monumental ("The Act of Creation", "Le cri d'Archimède", en français, 1964, 1965) lance l'idée que l'humour et la création scientifique, tout comme la création artistique, viennent d'un processus mental qu'il nomme de "biassociation" et définit cette double association ou bi-association comme la perception d'une situation ou d'une idée sur deux plans de référence dont chacun a sa logique interne, mais qui sont habituellement "incompatibles". Ce qui rejoint notre première description du paradoxe comme la rencontre de mondes qu'on a l'habitude de dissocier dans la vénérable tradition cartésienne de l'analyse et de l'élémentarisme. Depuis la Renaissance et la "nouvelle science" de Newton, les ciences se sont penchées sur la matière-énergie et ont laissé l'humain à la philosophie et à la religion. Les behaviorismes et les psychanalyses sont représentatifs de cette césure que les théories et pratiques de la communication tentent de jeter un pont où l'information organise la matière et l'énergie, à la manière du "code génétique" de l'ADN, en biologie, pour l'organisation, la production et la reproduction de la matière-énergie du vivant. La première révolution scientifique de l'information est dans l'aspect fonctionnel de l'information cybernétique, comme signal qui déclenche un processus de production ou de régulation.

Les paradoxes pragmatiques ne sont pas seulement pour étonner et indisposer des gens ou encore des plaisanteries de salon, mais encore mis en oeuvre, souvent de façon subtile. ¢<est le compromis des stratégies doubles du sabre et du goupillon, du bâton et de la carotte comme dans la complicité entre la punition et la récompense, de la simple famille à la société globale. Une observation fine et profonde verrait toute une gamme de stratégies paradoxales comme l'alliance de l'action militaire avec l'action diplomatique dans la relation entre crise et conflit et et celle entre crise et catastrophe. Ces stratégies pradoxales se seretrouvent souvent dans les thérapies systémiques familiales. Elles sont à la base de l'homéopathie en médecine où il s'agit de guérir le mal par le mal, fondement de la vaccination chez Louis Pasteur. La "pragmatique" de la relation entre les signes et leurs effets est l'une des trois branches des théories et pratiques de la communication avec la "sémantique" des relations entre signifiants et signifiés et la "syntaxique". des relations entre les signes pour la cohérence de l'ensemble. Les stratégies paradoxales représentent la mise en action volontaire des paradoxes pour servir quelque fin. L'homéopathie et la vaccination sont des exemples de'une statégie paradoxale qui consiste à soigner le mal par le mal et à prescrire le symptôme, Les dictatures organises des doubles contraintes dans leurs stratégies paradoxales qui sont des paradoxes de différents types en action.

Les stratégies paradoxales et la double contrainte

Yves Barel ("Le paradoxe et le système. Essai sur le fantastique social", PUG, 1979) a déployé les stratégies doubles, multiples et paradoxales en compromis, compartimentage et double contrainte dans la reproduction sociale que l'on peut retrouver dans les thérapies systémiques familiales de changement, de passage ou de transition qui sont des phénomènes paradoxaux dans la coexistence indissociable et les références mutuelles du fluctuant et de l'invariant de la différence et de la similarité. En effet, le changement est inconcevable en dehors de la permanence ou de la stabilité et réciproquement, comme l'identification l'est en dehors de la différenciation.

- Le compromis n'est pas une conciliation, un moyen terme, un produit "bâtard" ou encore moins un "juste milieu", comme le veut le sens commun, qui consiste à rejeter les extrêmes ou "contraires" et prendre le reste. Le compromis est une manière d'agir caractérisée par la mise en oeuvre des extrêmes ou contraires en même temps et au même endroit, comme la marche bipédique sur les deux jambes à la fois, dans l'alternance et l'altercation de l'oscillation et le dandinement à gauche et à droite, en avant et en arrière du centre de gravité. L'exemple illustratif en histoire est un "compromis typiquement chinois" ( Thanh H. Vuong dans Études intenationales",Vol. XVIII, No.3, 1987, p. 550) où le souverain d’Annam était à la fois "roi" à l’usage externe et "empereur" à l’usage interne, pour éviter un conflit sanglant avec l’État suzerain des Han qui avait déjà une impératrice. Ce "compromis typiquement chinois" s’est retrouvé plus tard avec la politique de Deng Zaoping de " un pays, deux systèmes" dans l’dentité des différents. Le compromis est la mise en oeuvre de la redondance qui n'est pas la répétition à l'identique, mais le déploiement d'une multitude de fonctions différentes d'une même structure (complexité) ou d'une multitude de structures différentes pour une même fonction (complication).

- Le compartimentage est la coupure et l'ignorance feintes entre des stratégies différentes et parallèles dont l'unité ne se retrouve qu'à un niveau supérieur de la conduite, à la manière de la main gauche qui ignore (dans la signification anglaise de "ne pas vouloir savoir") la main droite, de l'alliance du sabre et du goupillon, des bonnes paroles et du bâton, dans l’unité des distincts. L'exemple illustratif du compartimentage est la relation du sabre et du goupillon, du bâton et de la bonne parole qui feignent de s'ignorer mutuellement et dont l'unité se trouve au niveau supérieur de la commande politique qui oriente et délimite les stratégies possibles de dissuassion (promesse du pire) et de séduction (promesse du meilleur).

Relativité du normal et du pathologique

La normalité et la pathologie impliquent une relation de pouvoir et d'autorité, le pouvoir de définir l'altérité, le normal et le pathologique, le changement et la stabilité. Ce pouvoir demande toujours une position individuelle dans un "système" (groupe social ou famille) tout entier qui impose, d'une façon impersonnelle, cette contrainte à l'individu. Dans la thérapie familiale systémique, on cherche précisément à empêcher que la guérision du "patient identifié" ne fasse éclater le reste de la famille qui, souvent, délègue un autre membre de la famille comme un nouveau "patient identifié" et ainsi de suite pour préserver ces constances et sa structure. Sans cette relation de pouvoir, il n'y aurait pas de double contrainte pathologique, mais humour et créativité.

Il y a des doubles contraintes qui sont imposées par la famille et par la société et qui, à un moment (signifiant à la fois "instant" et "rapport de forces"), deviennent intolérables. Dans ce cas là, l'individu se réfugie dans la maladie mentale ou la dissidence. Chaque famille et chaque société, pour pouvoir exister et satisfaire des exigences biologiques, psychologiques ou sociales, établissent et imposent un certain nombre de règles. Mais, en même temps, elles laissent un espace de liberté ou "jeu", suffisamment souple pour que chacun puisse développer son propre style personnel ou sa propre individualité. Dans des familles ou des sociétés dites "saines", il y a presque toujours une possibilité de métacommuniquer, c'est-à-dire de commenter et de discuter sur des actes ou des comportements. Dans les familles ou sociétés "troublées", toute métacommunication est interdite, à l'instar des dictatures, des sociétés totalitaires où il faut non seulement obéir, mais encore ne pas poser la moindre question ou exprimer le moindre commentaire.

On peut soutenir que, dans ces cas là, la "maladie mentale" ou la "dissidence" n'est plus l'état d'un individu isolé, mais la dialogique ou dialectique qui s'instaure à l'intérieur d'un groupe qui a besoin de la répartition ou de la "distribution de rôles" pour fonctionner correctement. Alors, la "guérison" d'un "malade" pourrait faire apparaître un autre "malade", ou faire ressurgir la maladie chez le patient "guéri", ou encore faire éclater le groupe dans lequel il est inséré, dans l'hypothèse de Donald D. Jackson d'une homéostasie familiale. En effet, c'est la difficulté avec le traitement individuel qui, souvent, fabrique des récidivistes, lorsque les patients "guéris" retrouvent leur milieu de vie habituel. Dans les traitements classiques, il est relativement facile de guérir un malade mental et de le faire parvenir à un état de fonctionnement satisfaisant. Mais, dès qu'il rentre dans sa famille, la situation préalable - celle qui l'a envoyé à l'institution psychiâtrique - se rétablit. Dans cette perspective, il n'y a que deux solutions: soit le "malade" redevient "fou" de nouveau, soit s'il a la force de caractère ou s'il a résolu les contradictions pour résister à cette influence pathogénique de la famille, de la société ou du groupe social, presqu'inévitablement un autre membre du groupe commence à manifester une symptômatologie. Il s'agit d'un contexte de règles, souvent implicites, dont les membres ignorent (aussi bien dans la signification française qu'anglaise de "ne pas savoir" et de "ne pas vouloir savoir") l'existence et la source.

Mise en contexte

En élargissant le champ d'observation et d'action, de l'individu au groupe social primal qui est sa famille, de groupe en société et de société en culture, on arrive ainsi à relativiser le normal et le pathologique. Cette relativité n'est pas seulement transculturelle, mais encore temporelle à l'intérieur d'une même culture qui varie et fluctue dans le temps. La "folie" est absolument relative aux idées du moment (comme "instant" et "rapport de forces") et du lieu sur la normalité et la déviance et aux pouvoirs qui ont la capacité de privilégier certaines idées plutôt que d'autres et de les imposer. Le pouvoir est cette possibilité de transformer les préférences des uns en obligations de tous dont les balises sont des normes. La "normalité" est tout ce qui est en-deça de ces balises et la "déviance" est tout ce qui est au-delà. La culture est de l'ordre des idées et des représentations engendrées par les activités des êtres sociaux dépendants de la nature inorganique et de la nature organique sans lesquelles ils n'existeraient pas.

L'identité est une unité paradoxale qui assure à la fois l'identique (idem) et le différent (ipse) et l'identification revient finalement à une différenciation, comme dans le stade du miroir chez Lacan où l'enfant se retrouve être un autre de l'Autre et sortir des injonctions paradoxales du "Nom du Père" et du "Non du Père" qui ordonnent et interdisent à la fois d'être semblable au Père. Que l'on songe aux minorités ethnique, culturelle ou autre (non par le nombre, mais par le statut social) à qui on ordonne d'être semblables à la majorité au nom de l'intégration, tout en rappelant constamment la différence de diverses manières et pour diverses raisons dont la plus fréquente est la ."pureté" dans la peur d'un mélange "confus", à la différence du creuset (melting pot) qui donne un produit nouveau, l'alliage des métissages d'une identité nouvelle.

Conclusion

Pour sortir des affres du paradoxe sur lequel ses sont fracassés des crânes de prophète, l'Occident a inventé la logique du tiers exclus qui a donné les disjonctions de l'analyse (littéralement couper et disjoindre), en contraste au tiers inclus de la pensée chinoise du compromis de l'harmonie des contrastes qui manipule les paradoxes de l'unité des distincts et de l'idemtité des différents. Pour une intelligibilité complète et profonde, il y a lieu, peut-être, d'aborder la Théorie des contextes de l'ordre de l'épistémologie.

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24/03/2013
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