Full text of "De l'autorité judiciaire dans les gouvernements monarchiques
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.m. i Digitized by the Internet Archive in 2010 witii funding from University of Ottawa littp://www.arcli ive.org/details/delautoritjudiOOIienr DE L'IMPRIMERIE DE P. DIDOT L'AINE. 1 1 , DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE DANS LES GOUVERNEMENTS MONARCHIQUES; Par m. HENRION DE PANSEY, PRÉSIDENT A lA COUR DE CASSATIOK, ET MEMBRE DE I.A tÉGION d'hONHEIIR. Les royaumes, sans bon ordre de justice , ne peuvent avoir durée ue fermeté aucune. Préambule de l'Ordon- nance de 1455. ^ E'r-'OTHèQUE?^ A PARIS CHEZ THEOPHILE BARROIS PERE, LIBRAIRE, EUE HAtTE-FECILLE, N " 28. M. DCCCX. •A*;- ♦.^. DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE DANS LES GOUVERNEMENTS MONARCHIQUES. INTRODUCTION. De ï J[ dministration de la Justice en France , et du Conseil d'Etat , depuis l'établissement de la Monarchie jusque vers la fin du quinzième siècle. Je vais parler de l'autorité' judiciaire, de sa na- ture, de ses attributions , de son influence , des éléments qui la composent , des divisions dont elle est susceptible , de ses rapports avec la puis- sance législative, le pouvoir administratif, et le commandement militaire; des circonstances dans lesquelles le prince doit la déléguer , de celles où il peut l'exercer lui-même ; enfin de la hiérarchie des tribunaux , et des prérogatives qui appar- tiennent à chacun d'eux. Dans les discussions auxquelles m'entraînera l'examen de ces différents objets, mes regards se porteront souvent sur nos anciennes ordonnan- ces, sur les écrits de ces magistrats, de ces juris- consultes qui ont répandu tant de lumière sur 1 2 INTRODUCTION. les seizième et dix-septieme siècles , et auxquels la France doit la plus belle organisation judiciaire qui ait jamais existé. Je rappellerai fréquemment leurs pensées et leurs institutions ; je les repro- duirai successivement, et à mesure que j'aurai besoin d'autorités et d'exemples : en exposant ce qu'ils ont dit et ce qu'ils ont fait , j'aurai encore un autre avantage, celui de présenter une his- toire assez complète des tribunaux français de- puis le quinzième siècle. Celle des temps antérieurs n'offre pas le même intérêt; cependant il faut la connoître : car, pour juger sainement un tableau, il faut en avoir toutes les parties sous les yeux. D'ailleurs , nous senti- rons mieux ce que nous devons aux grands hom- mes dont je viens de parler, en voyant le point d'où ils sont partis. Enfin on sera moins travaillé du désir d'innover , et l'on s'attachera davantage à l'ordre établi lorsque l'on saura combien il a coûté de temps , de méditations et d'efforts. Une nation telle que celle des Francs , une na- tion de soldats étoit trop étrangère aux principes de l'organisation sociale , pour sentir la nécessité de séparer les pouvoirs. Cette belle conception étoit loin de tous les esprits : au contraire , la règle de ces temps-là étoit que le droit de juger les habitants d'une contrée étoit inséparable de INtRODUCTION. 3 celui de les conduire à la guerre ; et le capitaine d'un territoire en ëtoit toujours le premier ma- gistrat. Ces hommes, qui n'eslimoient que la pro- fession des armes , qui portoient la liberté jusqu'à la licence, et ce que Ton appeloit les vertus guer- rières jusqu'à une sorte de férocité , auroient rougi de plier sous une autorité purement civile. En conséquence , l'administration de la justice et le commandement militaire , cumulativement réunis dans la main des comtes et des seigneurs de fief, suivoient la hiérarchie des pouvoirs , et résidoient éminemment dans la personne du roi , juge en dernier ressort de toutes les affaires , comme généralissime de toutes les armées. Ainsi l'histoire du conseil d'état se liera nécessairement à celle des tribunaux. Les détails relatifs à cet ancien état de choses formeront la matière de cette Introduction. Je lés divise en cinq époques. La première, depuis l'établissement de la mo- narchie jusqu'à la fin de la seconde race. La seconde, depuis Hugues Capet jusqu'en 1270. La troisième, dejjuis 1270 jusqu en i3o2. Sous la quatrième, je ne parlerai que du par- lement. J exposerai le résultat des ordonnances qui le concernent depuis i3oîi. jusqu'en i363. Sous la cinquième, je présenterai l'hittoire du « IITTRODUCTION. conseil d'ëtat depuis le commencement du qua- torzième siècle jusqu'à la fin du quinzième. §. I. JDe r Administration de la Justice en France , et du Conseil d'Etat, depuis rétablissement de la Mo' narchie jusqu'à la fin de la seconde Race, La justice, sous les deux premières races, e'toit rendue au peuple ; par les seigneurs , dans leurs fiefs ou bénéfices ; par les comtes , les envoyés du roi, et les centeniers, dans les terres immédiate- ment soumises à la jurisdiction royale. S'il s'éle- Yoit des difficultés entre les comtes , les évê- ques, les abbés, en un mot, entre les personnes que les Capitulaires appellent potentiores , elles ëtoicnt portées devant le roi lui-même (i), qui les jugeoit ou les rcnvoyoit , suivant leur (^i) Ut -episcopi , ahbates , comités et potentiores qiùqne , si causam interse habuerintet si pacijîcare noluerint, ad nostrarr jubeantur venire prœsentiam , neque illorum cortentio clihi judicetur; ne propter hoc pauperum et minus potert'um justitiœ remaneant , atque nullvs cornes palatii nosiri , potenHorwn causas , sine nostra jussione , Jinire prcesuTr,.at ; s^d tantiim ad pauperum et rninii': poîentium justitias finierdas sibi sciât esse vacandum. Capit., lir. 3, chap. 77. "■iit f^omines boni generis qui in suis comiialibus, wjust^ "^el INTRODUCTION. 5 nature , au comte du palais ou à l'archi-cliape- lain , deux des grands-officiers de la couronne dont nous aurons encore occasion de parler. Enfin les prétentions des grands de l'Etat , lorsqu'elles intéressoient l'ordre public , ëtoient discutées dans les assemblées générales de la na- tion (i). Les centeniers étoient des juges subalternes préposés pour rendre la justice dans des arron- dissements peu considérables , ordinairement composés d'environ cent chefs de famille. Sui- vant DuC'''nge, ces officiers n'exerçoient leur ju- risdiction que dans les campagnes. Ce/z^e/zam, dit cet auteur (2). qui centenis prœerant et par pagos judicahant , et comiti suberant. inique se agiint, ad prceseatiarn régis ducantur; ut rex super eos distractionem faciat incarcerandi vel exilandi , uscjue ad emcndationem illoruiti. Càpit. de l'an 8i3, art. 12. (1) Il y a beaucoup de preuves de cette assertion : nous nous contenterons de rapporter le témoignage d'Hertius , sa- vani publiciste allemand. Voici comme il s'exprime dans le se- cond volume de ses OEuvres , chap. 5, §. 36 : /« comitaûbus populi generalibus causas principum , sive primorum , quales tune fuêre dvces , episcopi, comitum prcecipui, saltem illas quce rempuhlicam attinebant decisas f is^e, ex nplis complu- ribus probat contingens. (2) Gloss. , vcrbo Centenarii. 6 INTRODUCTION. Les centeniers neconnoissoient que des affaires peu considérables. Suivant un cnpitulaire de l'an 8i3, ils ne pou- voienl juger neque ad mortem , neque ad liber- tatem amittendam , aut ad res reddendas vel mancipia. Les affaires de celte importance dé- voient être portées aux plaids du comte ou de l'envoyé du roi. Sed ista iii prœsentia comitis, vel missorum nostrorum judicentur f i). C'étoit alors une règle inviolable qu'aucune affaire ne pouvoit être jugée par un liomine seul : en conséquence , les seigneurs de fiefs étoient obligés de s'adjoindre un certain nombre de leurs vassaux; et les comtes avoient des assesseurs, auxquels on donnoit la dénomination de scabins, scahini. Ces officiers , au nombre de sept au moins, composoient le tribunal du comte; ils étoient aussi quelquefois présidés par l'envoyé du roi. L'envoyé les nommoit sur la présentation du peuple. (i) Voici l'idée que nous donne de ces centeniers , la loi des Lombards , liv. % , tit. 54 : Volumus ut comités nostri libertatem hahcant inquisitionem facere de vicariis et centenarus , qui magis per cupiditatein quiim propter justitiamfacîendam scepissimè placita tentnt, et indè populos nimis affligant. INTRODUCTION. ^ Un capilulaire de Cliarlemagne nous apprend encore que, dans certaines circonstances, plu- sieurs comtes se rëunissoient pour former un tribunal (i). Le roi surveilloil ces différents tribunaux par. les envoyés dont nous venons de parler, missi dominici , qui parcouroient successivement \es provinces, et recevoient les plaintes de tous ceux qui se croyoient en droit d'en former. S'il étoit constaté qu'un seigneur ou un comte avoit refuse d'assembler son tribunal et de rendre la justice , l'envoyé du roi s'établissoit cliez lui {ji)Ut unusquisque missorurn nostrorum in placito suo notuin faciat comidhus , qui ad cjiis missaticum pertinent , ut in illis mensibus f in quibus ille Icgationem suam nonfacit, conveniant inter se , ut communia placitafaciant , tam adlatrones distrin- gendos quàm ad cœteras justitiasfaciendas. Cap. Carol. Mag. , liv. 'i, cLap, 87. Les Anglais ont très heureusement appliqué cet ancien usage à leurs juges de paix , qui ne peuvent faire seuls que les actes d'instruction, et qui, pour juger définitirement , sont obliges de se réunir au nombre de trois ou quatre. Le brevet de no- mination de chaque juge de paix lui indique le lieu de la ré- union , ceux qui doivent la composer. Peut-être seroit-il sage de donner la même organisation à nos juges de paix , au moin» dans certains cas, sur-tout si l'on augmen toit leur compétence. Ce ne seroit pas imiter les Anglais, mais prendre d'eux ce qu'ils tiennent de nous. 8 INTRODUCTIO]Y. avec toute sa suite, ety vivoit à ses dépens jusqu'à ce qu'il eût répare ses torts (i); mais lorsque le seigneur ou le comte avoit jugé , la partie qui vouloit se pourvoir devoit s'adresser au roi lui- même, qui recevoit son appel et rëformoit le ju- gement, s'il ëtoit contraire aux lois (2). L'erreur de ceux qui ont pense que l'on appe- loit du centenier au comte , et du comte à l'en- voyé du roi , provient de la surveillance que les envoyés exerçoient sur les comtes , et les comtes sur les centeniers. Mais les personnes seules (i) Si vassiis noster just'uiam non fecerit , tune et cornes et missus noster ad ipsius casam sedeant et de sua vivant qucusque justitiamfaciat. Capit. de l'an 879, art. 14. Et si forsan Francus aiit Longobardus hahens heneficium , justitiamfacere noluerit , die judex , in cujiis ministerio fuerit , contradicat illi heneficium suiim, intérim diim ipse , aut missus ejus , justitiamfaciat. Capit. de l'an 798, art. 10. (2) .... Si aliquis episcopus , ahbas aut ahbatissa , vel ca- mes , aut vassus noster, suo homini contra rectam justitiain facit, et si indc ad nos reclamaverit , sciât quia sicut ratio et Icx atque justitia est, hoc emendare faciemus, Capit. de l'an 869. Voyez aussi l'art. 8 du second capitulaire de l'an 855. Le chapitre 243 du livre 5 de la collection intitulée Capi- tularia, etc. porte : Ut si quis voluerit dicere quod ei juste non judicetur, lune in prcesentiam nostram veniat : aliter vero non prœsumat in prœsentiam nostram venire pro alterius justitid dilatendâ. INTRODUCTION. g ëtoient subordonnées ; les jurisdictions ne l'e'- toient pas. Toutes placées sur la même ligne, elles ne différoient qu'en ce que l'envoyé tenoit ses plaids pendant quatre mois de l'année, et le comte pendant les huit autres; que le comte et l'envoyé pôuvoient condamner à mort, prononcer sur les questions de liberté , ei sur les demandes en res- titutions, et que les centeniers n'en avoient pas le droit. Les grands changements survenus dans les premiers fiefs en 6i5 , dans les comtés et dans les fiefs de la création de Charles Martel en 877, n'en apportèrent aucun dans cet ordre de choses. Quoique , par les capitulaiies de ces deux épo- ques, les fiefs et les comtés eussent été rendus héréditaires et patrimoniaux , les rois continuè- rent de surveiller les seigneurs et les comtes , et de recevoir l'appel de leurs jugements. Dans un pareil état de choses , le prince devoit nécessairement avoir un conseil ; mais de quelles personnes étoit-il composé ? de quelle manière étoit-il organisé? C'est ce que l'on entrevoit à peine dans les an- ciens monuments. Voici ce que j'en ai recueilli de moins vague. Toutes les affaires qui se portoient devant le roi étoient d'abord remises à deux des grands- lO liVTRODUCTION. officiers de la couronne , le comte du palais et rarchi-cliapelain. Le premier recevoit celles des laïques; le second, celles des ecclésiastiques. Le comte, assiste de deux officiers que les chroni- ques du temps apY>^\lent scabini comitis palatii y statuoit sur les affaires qui concernoient les gens de peu de considération (i); mais il lui étoit dé- fendu de juger celles des grands; il étoit obligé de les présenter au roi , et de lui en faire le rap- port :1e roi, d'après le compte que lui en rendoient ses envoyés, statuoit de même sur les plaintes et les requêtes qu'ils avoient reçues dans le cours de leurs missions. Enfin, si l'affaire étoit de na- (t) Lorsque les affaires présentoient des questions d'un in- térêt général, les rois se rendoient en personne aux assises du comte du palais ; alors les jugements étoicnt intitules de leur nom, etfaisoient mention qu'ils étoient émanes d'eux. Marculfe donne la formule des jugements ainsi prononcés par le roi : et il en reste deux exemples , l'un rendu par Clotaire second , et rapporté par M. Bignon ; l'autre de Charles-le-Chauve , que l'on trouve dans les Mélanges du P. Labbe. Il arrivoit quel- quefois que ces assises étoient composées d'hommes de la plus haute qualité. Les jugements étoient intitulés de leurs noms, et les comtes du palais n'y figuroient que comme chargés de lïnstruction et du rapport de l'affaire. Ducange en rapporte un de cette espèce dans sa quatorzième Dissertation sur la Vie de S. Louis. ^ INTRODUCTION. II ture à exiger le secret, le comte introduisolt la partie plaignante dans le cabinet du roi, qui l'é- coutoit, disent les anciennes chroniques , /zo/zo- rahiliteT\ patienter, vel misericorditer, suivant sa qualité. Ce mot misericorditer prouve que les pauvres partageoient ce privilège avec les grands. Mais comment ces rois pouvoient ils à-la-fois gouverner et remplir les fonctions de juge? D'abord, on voit que le comte du palais et l'ar- chi-chapelain ëtoient autorisés à juger eux-mêmes une grande partie des affaires , et que celles des hommes puissants ëtoient les seules qui fussent immédiatement soumises à la décision du roi. Secondement, les hommes puissants, les com- tes et les seigneurs , fiers et braves, dédaignant de demander une justice qu'ils pouvoient se rendre eux-mêmes, décidoient sans doute la plupai t de leurs différents par la voie des arm^'s. Enfin, si l'on en croit les historiens d'alors, les rois consacroient des journées entières , et même quelquefois une partie des nuits , à l'examen et au jugement des procès portés devant eux. Frédegaire raconte (i) que Dagobert, dans un séjour qu'il fit à Dijon, s'occupa tellement du soin (i) Vie de Dagobert, chap. 21. 12 INTRODUCTION. de rendre Injustice à ses sujets, ut nec somnum caperet , nec cibo saturaretur^ intentissimè cogitans ut omnes cum justitiâ receptâ, de conspectu ejus remearent. Charlemagne , aussi grand adini.iistrateur que grand capitaine , ne passoit pas un jour , même dans le cours de ses voyages ^ ou. , ce qui est la même chose, de set conquêtes, sans s'occuper des affaires des particuliers. Il y consacroit , dit Eginard, son historien, le temps où il s'habilloit. Il faisoit appeler ceux qui se prèserToient pour lui demand r justice , les ecoutoit, et les jugeoit. LitigantCô introduci jubebat, etlite cognitâ , sen- tentiam dicebat (i). (i) L'abbé de Mably, dans ses Observations sur le règne de cet empereur, rend le même hommage à son respect pour les droits des citoyens , et à son amour pour la justice. Voici ses termes : « Croira-t-on que je parle de la cour d'un roi , si je dis « que les officiers du palais étoient chargés d'aider de leurs « conseils ceux qui venoient y chercher du secours contre la « misère , l'oppression et la calomnie ; ou ceux qui , s'étant « acquittés de leur devoir avec distinction , avoient été oubliés « dans la distribution des récompenses ? Il étoit ordonné à « chaque officier de pourvoir à leurs besoins , de faire passer « leurs requêtes jusqu'au prince , et de se rendre leurs soUici- « teurs. Qu'il est beau de voir les vertus les plus précieuses à • l'humanité devenir les fonctions ordinaires d'une charge , et. I introduction; i3 Louis-le-Dëbonnaire s'occupoit avec la même assiduité du soin de rendre la justice. Un capitu- laire de l'an 819 porte : Ludovicus pius ita st - tiit : hoc missi nostri notum faciant coniitihus et populo , quod nos in omni hehdomadaruin die , ad causas audiendas et judicandas sedere voLumus. Dar>s l'examen de ces a-Oaires, les rois avoient pour conseils ou pour assc'-S'eurs habituels le comte du palais <^' l'archichapelain- Sans doute aussi les envoyés qui se trouvoient auprès de la personne du roi étoient appelés à ces délibéra- tions; et ces envoyés, institués pou ^- surveiller et, dans beaucoup le "circonstances, présider les tribunaux i étoient nécessairement versés dans la connoissance des lois. Voilà déjà un conseil que l'on peut regarder comme en permanence auprès des rois de la pre- n /.ère et de la seconde race. Ils en avoient encore deux autres : l'un, qu'ils composoient des grands de l'Etat, à leur choix, et que l'on appeloit pro- prement le conseil; l'autre, bien plus solemnel, n'étoit rien moins que l'assemblée générale qui se « par une espèce de prodige , les courtisans changés en instru- « ments du bien public , en ministres de la bienfaisance du « prince ! » 14 INTRODUCTIOiV. tenoit tous les ans au mois de mars , et ensuite au mois de mai. Je dis que le conseil ëtoit compose des grands de l'Etat ; cela résulte de ces expressions que l'on trouve fréquemment dans les monuments an- ciens: Inito consilio cum procerihus . Quels étoient ces grands? en quel nombre étoient-ils? étoient- ils choisis dans l'ordre de la noblesse? ou dans l'ordre ecclésiastique? ou, ce qui est plus vrai- semblable, dans l'un et dans l'aulre? C'est ce que ' l'on ne voit pas. Mais de la manière indéfinie dont XqvcïoI proceres est employé, on peut raisonna- blement conjecturer que lorsque le prince tenoit un conseil , il y appeloit ceux des grands qu'il reconnoissoit pour être les plus versés dans la matière qu'il se proposoit de soumettre à leur délibération ; de manière qu'il ne pouvoit pas arriver qu'un membre du conseil opinât sur des choses qu'il n'entendoit pas. Ce conseil délibéroit sur la guerre, sur la paix , sur les alliances à former ou à rompre , sur la police intérieure , sur les objets qu'il convenoit de soumettre aux assemblées générales de la na- tion ; et très fréquemment sur des procès que le prince , à raison de leur importance ou des diffi- cultés qu'ils présentoient, ne vouloit pas décider INTROnUCTIOîT. l5 lui-même, le conseil les jugeoit ou les renvoyoit à l'assemblée générale. Ce fut, au rapport de Frédegaire , dans un de ces conseils, inito consilio ciun proceribus ^ que fut résolue la guerre que Pépin fit au roi des Lombards, au sujet du pape Etienne; résolution que Pépin fit ensuite confirmer par une assemblée du Champ de Mars. Cum Francis et proceribus suis, placitiun in Campo Martio tenens. Ce fut encore à ce conseil que Clotaire soumit le jugement de la reine Brunehaut. Pour donner une idée de l'importance de ceux qui le compo- soient, je rapporterai la manière dont le prince leur parla; la voici : Dunimodo vos, dulcissimi cojnmilitones , et prœeminentes Franciœ primores , decernatis cui subjaceat supplicia tanti obnoxia sceleris (x). Il arrivoit aussi, et même assez fréquemment, que le prince renvoyoit des procès à l'assemblée générale, et les soumettoit à sa décision. On lit dans la chronique de Fuldes (2), qu'en Tan 670 , Childéric, de l'avis des grands, suadentibus po- tentibus, fit enfermer l'évéque d'x\utiin dans un ( i) Aimoin , liv. 4 , chap. ler, (2) Chap. 21. I l6 INTRODUCTION. monastère, pour y demeurer jusqu'à ce qu'il eût ëtë statué sur son affaire par l'assemblée générale : donec conventus haberetur ac denub deliheraretur quidfîeri placeret. Enfin ce fut de même par une assemblée générale de la nation que Charlemagne fit juger Tassillon, duc de Bavière. Ainsi , pour les affaires journalières et ordi- naires , le prince avoit habituellement auprès de sa personne un conseil composé de quelques uns de ses officiers , notamment du comte du palais et de l'archi-chapelain. S'agissoit-il d'objets plus importants , il assembloit les grands de l'Etat dans lesquels il reconnoissoitle plus de zèle et de capacité; enfin il déféroit à l'assemblée de la na- tion tout ce qui tenoit essentiellement à l'ordre public. Dans ces grandes assemblées , tout se réunissoit pour opérer le bien général. La volonté du roi , l'expérience des hommes les plus consi- dérables dans l'état civil , les lumières du clergé, et , ce qui est sujet à moins d'écarts que les lu- mières , le bon sens des généraux. Il est impossible de parler de ces assemblées sans s'arrêter un instant sur le phénomène qu'el- les présentent. En elles résidoit la suprême puis- sance ; et tous ceux qui les composoient , accou- tumés à l'emploi de la force et constamment couverts de leurs armes , pouvoicnt à tous les INTRODUCTION. I7 instant en abuser. Comment donc est-il arrivé que la nation n'a été ni opprimée par ses rois, ni entraînée par ses chefs dans les abymes de l'anar- chie? quel génie a si long- temps maintenu l'équi- libre entre ces deux pouvoirs? quelle main avoit tellement affermi la barrière qui les séparoit , qu'elle ne fut pas même ébranlée par les grands mouvements inséparables d'un changement de dynastie , et qu'elle n'a cédé qu'au torrent irré- sistible du régime féodal? Cela s'explique fort naturellement. Ces réunions, d'abord excessivement nombreu- ses, finirent bientôt par n'être plus composées que du roi et des grands de lEtat, c'est-à-dire, des évéques et des hommes les plus considérables par leurs places et leurs propriétés. Ainsi le chef et les membres de ces assemblées étoient également intéressés au maintien de l'ordre public, ou , ce qui est la même chose, du gouvernement établi; et en général , les hommes sont sages et modérés toutes les fois qu'ils ont plus à perdre qu'à gagner en s'écartant de la sagesse et de la modération. D'ailleurs, l'ambition de chacun étoit contenue par l'ambition de tous ; et celle des rois , par cet amour de l'indépendance né avec les Francs, qu'ils avoient apporté dans les Gaules, et qui est le der- nier des sentiments que perd une nation guer- 2 l8 INTRODUCTIOTîr. riere, généreuse, et continuellement en armes. Mais ce qui contribua le plus puissamment au maintien de cet ordre de choses , c'est qu'il n'é- toit pas le fruit des combinaisons de l'esprit; qu'il n'avoit pas été établi par des spéculateurs plus ou moins habiles , mais qu'il étoit sorti comme de lui-même du caractère, des mœurs, des habitu- des , et de l'esprit général de la nation; qu'il exis- toit par la seule force des choses , et que le peuple trouvant ses lois en harmonie avec ses penchants , leur obéissoit bien moins par un sentiment de crainte que par une sorte d'instinct, et parceque, sans autre régulateur que sa volonté, il auroit fait à-peu-près ce qu'elles lui commandoient. Et voilà les constitutions stables. Il n'y a point de bonté absolue dans les gouvernements. Le meil- leur est celui qui convient te mieux à la nation pour laquelle il est établi ; et il n'y en a qu'un seul qui puisse parfaitement convenir à chaque nation : c'est celui qui est tellement pris dans son caractère et ses habitudes , tellement calculé sur la nature et l'étendue de ses relations et de son territoire, enfin sur ses véritables intérêts, qu'il est à présumer que le temps seul et le cours na- turel des choses le lui auroient donné. Que ceux qui osent entreprendre d'organiser des sociétés se persuadent donc bien profondément qu'une INTRODUCTION. ï^ conslitution n'est pas un acte de pure création ; autrement , quelque puissant que soit leur génie , ils survivront souvent à leur ouvrage. Cette organisation subsista jusque vers la fin de la seconde race. La révolution qui porta Hu- gues Capet sur le trône la fit entièrement dispa- roîlre. §. II. De V jidrninistration de la Justice et du Conseil d^Etat depuis Hugues Capet jusqu'en i2'jo. Les grands qui avoient souffert que la couronne passât sur la tète de Hugues Capet, bien plus par indifférence que par le sentiment de leur infé- riorité, n'oublioient pas que le nouveau roi avoit été leur égal : de là des prétentions immenses et des entreprises de toute espèce ; de là le relâche- ment de tous les ressorts de l'administration ; de là , enfin, de très grands changements dans le ré- gime de la justice. Les trois premiers furent : d'abord^ le refus de recevoir les envoyés du roi, ces niissi dominici qui, sous les deux premières races, surveilloient les juges inférieurs; ensuite, l'extinction du pri- vilège donné à certaines personnes, de ne pou- voir être jugées que par le prince ou par les offi- 20 INTRODUCTION. ciers de son palais. Le troisième fut encore plus considérable, et opéra une véritable révolution : le droit d'appel fut aboli ; et les grands fvHida- taires, ensuite tous les seigneurs haut-justiciers , devinrent juges souverains, et par conséquent législateurs dans leurs seigneuries. De là cette division de la France' en pays de V obéissance le roi et hors V obéissance le roi{\)\ de là ces maximes qui régnoient encore vers la fin du treizième siècle : Bers si a toute justice en sa terre ; ne h roi ne peut mettre ban en la terre au baron sans son assentement, ne li bers ne peut mettre ban en la terre au vas>as6C>r [d). Chacun r^es Lafuns si est souverain en sa baronie (3). Plusieurs causes influèrent sur cette révolu- tion; la grande puissance des seigneurs , la fci- blesse du nouveau ministère, et sur-tout 1 usage du comjat judiciaire , usage devenu il général que presque toutes les questions et de droit et de fait se décidoient par le due'. On regardoit le duel comme un jugement de Dieu; nos pères croyoient fermement, ou si l'on (i) Etablissement de S. Louis , liv. 2 , chap. i5. (2) Idem , liv. i , chap. 24. (3) Beaumanoir, chap. 3^. INTRODUCTION. 21 veut Stupidement , que Dieu lui-même prësicloit à ces combats , pour faire éclater la vérité et triompher l'innocence. On sent combien cette opinion s'opposoit à ce que l'on soumît de nou- veau l'affaire à la décision d'un tribunal supé- rieur ; c'eût été se révolter contre les décrets de la Providence. Ces combats se faisoient avec la plus grande solemnité. Les formalités religieuses et militaires oui dévoient les précéder; les précautions pour éviter les sortilèges , pour que le Goleil n'incom- modât oas l'un des combattants plus que l'autre; les cas où l'on pouvoit se laire représenter par des champions; la position du cnamp de bataille; enfin l'armure des combattants , tout étoit réglé a^r^ - beaucoup de précautions par l'usage et les statuts. Je dirois des choses très curi^'usep , si je déve- loppois ces détails • mais ce seroit trop i 'écarter de mon sujet. Cepeiidaui., avant d'y rentrer, je dois faire encore une remarque. Le duel , comme l'on voit , terminoit les pro- cès; mais toutes les affaires n'étoient pas réglées par la voie des armes. Dans certains cas, par exemple, lorsque la coutume étoit bien notoire, les juges statuoient sur les moyens des parties ; mais celle qui succomboit n'étoit pas sa^s res- 22 INTROnUCTIOlV. sources : elle avoit celle de fausser la cour qui avoit prononcé. Fausser une cour de justice, c'ëtoit en accuser les membres d'avoir jugé déloyaument , et d'être faux, traîtres et méchants. L'atrocité d'une pareille accusation frappoit tous les juges d'une interdiction absolue jusqu'à ce que l'injure fût effacée par le sang. Car cour qui est faussée ?ie peut plus faire esgart, ne recort, ne connaissance qui soit valable (i). Comme l'honneur des corps est solidaire , le fausseur étoit obligé d'offrir le gage de bataille à tous les membres de la cour, à ceux dont le suf- frage lui avoit été favorable, comme à ceux qui avoient opiné contre lui. S'il ne le faisoit pas, il étoit à l'instant décapité. S'il offroit de justifier son accusation par les armes , il falloit qu'il se battît contre tous les pairs un à un. S'il sortoit vainqueur du combat, le ju- gement étoit reconnu mauvais et son procès ga- gné ; mais s'il ne les vainque tous en un jour , il doit être pendu (2). (i) Assises de Jérusalem, cliap. 3. (■2) Assises de Jérusalem, chap. 3. Celui qui étoit condamné à mort ne pouvoit pas fausser le jugement; car tous l'auroient fait/>o«r sauver ou alongier leur vie , dit Beaumanoir. INTRODUCTION. sS Il est vraisemblable que les épreuves de l'eau , du feu et de la croix , assez fréquemment em- ployées dans les siècles précédents, avoient don- né ridée de cette manière de procéder. Quoiqu'il en soit, elle fut en usage depuis Hugues Capet jusque vers la fin du treizième siècle , et même on en trouve des exemples pendant le cours du quatorzième. Un ancien auteur parle avec beau- coup de détails d'un combat judiciaire ordonné par sentence du Cliâtelet de Paris, de l'an i586, sur une plainte en adultère rendue par un mar- chand de la rue Saint-Denis contre un de ses voisins (i). Comme à côté des égarements les plus déplo- rables de la raison humaine se place quelquefois un peu de bien, le combat judiciaire fit dispa- roîlre un abus qui, dans les siècles précédents, avoit causé beaucoup de désordres ; le conseil d'état ne fut plus, comme sous les deux premières races , une cour de justice. Ce conseil, exclusivement renfermé dans les bornes naturelles de ses attributions, ne s'occu- poit que des intérêts de l'Etat et du prince. Aussi , malgré le peu de lumières de ces temps-là, voit- on les règles de l'administration se développer {^i^ Joannes gain arresta parlamenti , Question 55. 24 INTRODUCTION. successivement , et la prérogative royale faire chaque jour de nouveaux progrès. Cela prouve encore que ces conseils ëloient composés des hommes les plus sages et les plus recommanda- bles par leur expérience dans les affaires , et par le rang qu'ils tenoient dans l'Etat (i). Ici se présente une réflexion. Sous les deux premières races , les conseils , perpétuellement distraits par les affaires litigieu- ses, ne surent ni prévoir ni prévenir les événe- ments qui firent descendre du trône les succes- seurs de Clovis et de Charlemagne; et lorsqu'en- suite , sous les premiers Capétiens , le Conseil n'est plus occupé que des affaires publiques et de l'administration intérieure, l'autorité royale, si foible, si bornée sous Hugues Capet, mine in- sensiblement les digues que lui oj)posoient les (i) Comment en douter, lorsque l'on voit que , du temps de S. Louis, le savant et judicieux Beaumanoir y éloit souvent appelé ? Par des lettres datées du camp près Carlhage , le 12 octobre 1270, Pliilippe-le- Hardi institua, pour le cas où il mourroit avant la majorité de son fils, son frère régent du "oyaume, et nomma, pro negotiis rcgni faciendis , un conseil de régence composé de trois évêques , de l'abbé de Saint-Denis , de quatre chevaliers , et de son chambellan. INTRODUCTION. 25 grands vassaux , les renverse, et finit par couvrir toute la surface de la France. Indépendamment d'un conseil politique et d'administration , les premiers rois de la troi- sième race en assembloient encore d'extraordi- naires , que l'on peut appeler législatifs. En voici la cause et l'objet. On vient de voir que chaque seigneur avoit dans sa terre le dernier ressort de la justice ; ainsi les rois n'exerçoient l'autorité judiciaire, et par conséquent n'étoient réellement souverains que dans les fiefs de leur mouvance immédiate. En effet , point de souverain sans cour souveraine. On convenoit à la vérité que la puissance légis- lative étoit un des attributs de la couronne de France. Mais on méprisoit les actes de cette puis- sance ; et n'ayant ni le droit de ressort , ni des forces capables d'en imposer à leurs vassaux, les rois étoient également dans l'impuissance et de connoître et de réprimer les infractions à leurs ordonnances. Chaque jour fortifioit et légitimoit ces abus ; cependant les attaquer de front eût été une en- treprise aussi vaine qu'imprudente. Les rois, qui ne le sentoient que trop, imaginèrent un moyen très sage et très propre à suppléer à leur impuis- sance ; ce fut de s'environner d'une partie des Z6 INTRODUCTION. hauls barons, de délibérer avec eux les lois qu'ils vouloient promulguer, et de leur faire jurer qu'ils joindroient leurs forces à celles du roi pour en procurer l'exécution. C'est avec celte solemnilé qu'en i23o fut rédi- gée l'ordonnance concernant les Juifs et les usu- riers. Le préambule porte qu'elle est faite pour l'utilité générale du royaume, de la volonté ex- presse du roi , et par le conseil de ses barons;/>ro utilitate totius regni nostri , de sincerâ voluntate nostrâ , et de communi concilio baronum nostro- rum. Elle est signée des comtes de Boulogne, de Champagne, de la Marche, de Montfort*, de Saint-Paul, d'Auvergne; et l'article 5 est conçu en ces termes : Et si aliqui harones hoc noluerunt obseivare ^ ipsos ad hoc compellemus , ad quod alii barones nostri^ cum posse suo , bonâ Jîde j'u- vare tenehuntur ; et si aliqui in terris baronum inveniantur rebelles , nos et alii barones nostri ju- vabinius ad compellendos rebelles prœ dicta statuta servare (i). Comme les rois étoient les maîtres de choisir, (i) Ordonnance du Louvre, tome i^r.... L'ordonnance de I22"3 , également relative aux Juifs , fut faite de même pcr as- sensum baronum.... quod juras' erunt tcnendum. l^e slabiliinen- ium feudorum de l'an 1209 est dans la même forme. INTRODUCTION. VJ pour délibérer leurs ordonnances , ceux des ba- rons qui avoient le plus de dévouement pour leur personne , on sent combien cet usage pouvoit donner d'extension à l'autorité royale. Tel fut le conseil d'état sous les premiers Ca- pétiens. On le voit exclusivement occupé des af- faires publiques , et constamment étranger à l'exercice de l'autorité judiciaire ; mais bientôt il sera tellement surchargé d'affaires litigieuses , qu'il faudra le décomposer pour former d'une partie de ses membres une cour de justice : et comme la seule force des choses l'avoit contenu dans les limites de ses attributions naturelles , ce sera la même cause qui len fera sortir. Voici comment. La grande affaire des rois étoit de se ressaisir du dernier ressort de la justice ; mais les sei- gneurs, qui connoissoient toute l'importance de cette haute prérogative, l'auroient défendue avec succès si 1 on ei\t entrepris de l'attaquer ouverte- ment : on le savoit , et l'on s'y prit avec plus de ménagement et d'adresse. Philipjjc-Auguste fit le premier pas. Avant ce prince , lorsque le seigneur veeoib le jugement de sa cour, c'est-à dire refusoit justice, il ne restoit définitivement d'autre ressource que de lui déclarer la guerre, si l'on étoit assez puis- 25 INTRODUCTION. sant pour la faire avec succès. Philippe-Auguste établit qu'en ce cas il seroit libre de se pourvoir à la cour du seii^neur dominant; on nommoit ce recours à la justice supérieure appel de défaute de droit. Ce règlement subordonnoit, à la vérité, la jus- lice des barons à celle du roi ; mais il leur donnoit la même prérogative sur leurs vassaux , et ils gagnoient plus qu'ils ne perdoient. D'un autre côté, il ne touchoit à leur autorité que dans les cas où ils ne jugeoient pas à propos d'en faire usage ; enfin ilsétoient les maîtres de l'annuller, en rendant la justice qui leur étoit demandée. Aussi ne voit-on pas qu'il ait excité aucune récla- mation ; et même cette coutume étoit déjà telle- ment affermie au commencement du treizième siècle, qu'en 1224 la comtesse de Flandre ayant refusé d'assembler les pairs de sa cour pour juger un différent qui existoit entre elle et un nommé Jean de Nigel, ce dernier appela au con- seil du roi pour défaute de droit. La comtesse y comparut , et son refus de rendre justice ayant été constaté, le conseil ordonna qu'elle se dé- fendroit devant lui. Judicatuin est quod Joannes de Nigella non dehehat re's'erti ad curiain comi- tissœ, et quod comitissa dehehat et respondere INTRODUCTION. zg in curiâ domini régis, ubi eam appellaverat de juris defectu (i). Voilà un acte de supériorité bien marquée. Ces cas se présentoient à la vérité bien rarement; mais celte première conquête de l'autorité royale sur les grands vassaux familiarisoit les esprits avec l'idée de la supériorité de la couronne , et c'étoit avoir beaucoup fait. S. Louis acheva la révolu- tion. Il faudroit de longs développements pour exposer les obstacles qu'il eut à vaincre , et sur- tout pour donner une idée de l'art et de la sagesse qu'il employa pour les surmonter; mais comme, ici , mon unique objet est de montrer comment le conseil du roi , depuis si long-temps étranger aux affaires litigieuses, en fut tout-à-coup surchargé, je ne dirai que ce qui va le plus directement à ce but. En 1260 , S. Louis fit un règlement (2) par le- quel il défendit le combat judiciaire dans toutes les justices de ses domaines, et ordonna que les appels de faux jugements qui, désormais, seroient (i) Dans les actes de ces temps-là, ces mots : Cour du roi, conseil du roi, curia domini régis , consiliurn cloniini régis , sont employés comme synonymes. m, (a) Ordonnance du Louvre, tome i^r. 3o INTRODUCTION. portés devant ses cours, seroient décidés sans bataille, et uniquement d'après les moyens res- pectifs des parties. Dix ans après, en 1270, parut le règlement connu sous le nom cV Etablissement de S. Louis. Ce prince, le premier de nos législateurs depuis Charlemagne, y proscrit de nouveau le combat judiciaire dans toutes les justices de ses domai- nes, et en toutes querelles. Comme, en l'an 1260 , il établit que Ton j^ourra fausser sans combattre , et, ce qu'il n'avoit pas fait dans son premier rè- glement, il substitua à la pratique monstrueuse du duel judiciaire des formes et des règles qui supposent dans S. Louis des connoissances et des vues très supérieures à son siècle. Le texte des Etablissements qui permet de fausser sans combattre mérite d'être connu : c'est le chapitre 6 du livre premier. Il forme une des grandes époques de notre histoire. C'est celte loi qui, en conférant à nos rois le dernier ressort de la justice, les a ressaisis de la puissance législa- tive (i). (i) '( Se aucun veut fausser jugeinenl en pays là où fausse- « ment de jugement aflert, t||&i'y aura point de bataille ; mais « ly élain , ly répons et ly autre ei*rement du plait seront rap- « portés en notre cour j et selon les errements du plait l'en fera INTRODUCTION. 3l On ne pouvoit attaquer les jugemenls que d'une seule manière; en les faussant. Fausser un jugement, c'étoit, comme nous l'a- vons déjà dit, accuser les juges de l'avoir rendu méchamment , comme faux , traîtres et men- teurs. On pouvoit diriger cette accusation contre les pairs du fief, ou, dans certaines circonstances, contre le seigneur. Dans les deux cas , il y avoit duel. Dans le premier, le gage de bataille se don- noit contre les jugeurs : le seigneur le recevoit, et l'affaire se terminoit dans sa cour; mais si lui- même éloit pris à partie, la contestation étoit dé- volue à la cour de son dominant ; il étoit obligé d'y suivre son justiciable, et là s'engageoit le duel judiciaire. Lorsqu'il fut établi qu'à la cour du roi on pou- voit fausser sans combattre , les appels furent plus fréquemment dirigés contre les seigneurs. En effet , la partie condamnée y trou voit le dou- ble avantage de sortir d'un tribunal dont elle « tenir, ou dépiécer les errements du plait, tôt le jugement : et « cil qui sera Ireuvé en son tort , laraendra ])ar la coutume du « pays et de la terre ; et se la drfaute est prouvée , li sire qui « est appelé perdra ce qu'il devra par la coutume du pays et de « la terre. » Etablissements , liv. i, chap. 6. 32 INTRODUCTION. avoit à se plaindre et d'éviter les hasards d'un combat. Ainsi tous les vassaux immédiats de la cou- ronne, et par conséquent tous les hauts barons, se trouvèrent, dans beaucoup de circonstances, forcés de comparoître devant la cour du roi , de s'y défendre, et par conséquent de reconnoître sa supériorité. Cette première innovation étoit la plus diffi- cile; bientôt il s'en fit une seconde, et dont l'in- fluence fut encore plus étendue. S. Louis , comme nous en avons déjà fait l'ob- servation, n'abolit le combat judiciaire que dans ses domaines ; forcé à de grands ménagements envers des seigneurs qui se prélendoient législa- teurs dans leurs terres, et qui jouissoient paisi- blement de cette prérogative , il ne pouvoit leur donner que des conseils et des exemples. Ce que l'autorité du roi auroit vainement es- sayé de faire, l'autorité de la raison ne tarda pas à l'opérer. L'usage pratiqué dans les justices royales des- silla les yeux sur l'absurdité du combat judiciaire ; bientôt la procédure établie par le règlement de .S. Louis fut adoptée par un grand nombre de seigneurs, et les appels de toutes ces justices se portèrent encore définitivement devant le roi. INTRODUCTION. 35 Une nouvelle manière de fausser les jug.ements , qui s'introduisit quelque temps après, multiplia encore beaucoup ces appels. // sotU, dit Beau- manoir, deux manières de fausser Jugement des- queles li un des apiaux se doit démener par gages ^ si est quant l'en ajoute avec l'apel vilain cas; l'autre se doit démener par erremens seurquoi li jugemens fu t fes ( i ) . Il résulte de ce texte que toutes les fois que le fausseur appeloit de la sentence , sans vilain cas, c'est-à-dire, sans accuser le seigneur ou les juges d'être faux et menteurs, la question sur l'appel étoit décidée parles moyens qu'il avoit employés devant le premier tribunal ; et c'est précisément l'appel tel que nous le pratiquons aujourd hui. Comme il étoit libre à chacun de fausser sans vilain cas, on sent combien ce nouvel usage dut multiplier les appels. Pierre Desfontaines (2) , qui paroît avoir écrit quelques années avant Beaumanoir , rapporte qu'il a vu un appel de la cour du comte de Pon- thieu en celle du roi; que le comte réclama l'an- cien usage; et que, malgré son opposition , l'af- (i) Coutume de Beauvoisis , chap. 67, p. 337. (2) Conseils, chap. 21. 3 34 INTRODUCTION. faire fut jugée par droit et sans combat judi- ciaire [i). Cependant un apJDel dans la forme usitée au- jourd'hui n'auroit pas été reçu. Suivant la procé- dure établie par les Etablissements de S.Louis, il falloit dire que Ion faussoit le jugement. Ainsi , pour que Tinnovation fût moins sensible , ce prince, aussi habile que sage, conserva le mot; mais la chose fut réellement changée. Enfin les seigneurs de fiefs, qui ne regardoient le droit de rendre la justice comme la plus belle de leurs prérogatives, que parceque juger c'étoit combattre, s'éloignèrent des tribunaux à mesure que les combats judiciaires devinrent moins fré- quents; ils furent remplacés par des baillis et des prud'hommes; et l'ordre judiciaire, replacé sur (i) En i3o6, PIiilippe-le-Bel défendit pour toujours le duel judiciaire, en matière civile , et ne le toléra , en matière crimi- nelle, que dans le seul cas où celui qui seroit violemment soup- çonné d'un crime ne pourroit en être convaincu par témoins. Cependant la noblesse française tenoit tellement à cet usage , qu'en l'an i3i5 les nobles de Bourgogne , de Moulins , de Lan- sres et du comté de Forez obtinrent de Louis-Hutin une or- donnance qui leur permit, quant aux gages de bataille , d'en user comme ils faisoient anciennement. IS'éanmoins l'ordonnance de i3o6 prévalut; mais cet abus ne cessa que pour faire pkce à un autre, celui des cartels. INTRODUCTION. 35 ses véritables bases, fut dès-lors à-peu-près tel qu'il est aujourd'hui. A mesure que dans une justice seigneuriale on adoptoit la jurisprudence des Etablissements , l'appel tel que nous le pratiquons aujourd'hui étoit substitué au combat judiciaire; et comme la dévolution de ces appels avoit lieu suivant la loi des fiefs, c'est-à-dire, du seigneur inférieur au seigneur supérieur, tous étoient définitive- ment portés devant le roi , non comme roi, mais comme chef de la hiérarchie féodale, et comme le grand p^effeux du royaume , ainsi que l'on s'exprimoit alors. Dans les cours le roi ^ ou , ce qui est la même chose, dans les justices royales, le régime étoit différent. Comme on tenoit alors que l'appel contenoit félonie et iniquité, le respect pour le roi, dont ces cours étoient les organes, avoit fait rejeter la voie de l'appel , et celle de la supplica- tion étoit la seule ouverte contre lés jugements émanés d'elles (ij. (i) « Se aucune des parties se sent du jugement greuée , et « que le'n leur ait fet tort, et grief qui soit appert, il en doit « tantost appeller sans demorer, au chief seigneur, ou à la cort « de celuy de qui il tiendra de degré en degré, etc.... « Souplication doit estre faite en cort de roy, et non pas ap- 56 INTRODUCTION. Ces supplications ëtoient de deux sortes ; les unes adressées au roi , les autres au tribunal qui avoit rendu le jugement. La supplication étoit présenle'e au roi lorsque la partie condamnée se plaignoit d'une erreur de droit (i); et pour simple mal jugé, ou pour erreur de fait, elle étoit portée devant le tribunal qui avoit rendu le jugement (2). Ainsi, dès-lors, on connoissoit le recours en cassation et le pourvoi en requête civile ; et ce qui est assez remarquable , ces deux manières d'attaquer les j ugements en dernier ressort avoient lieu dans les mêmes circonstances et à-peu-près de la même manière qu'aujourd'hui. On ne voit pas quels étoient les délais pour présenter la supplication au roi; mais celle au juge devoit être faite dans le jour même de la prononciation du jugement. Si le bailli l'accueil- loit , il rassembloit les mêmes juges, leur en ad- joignoit quelques autres, et l'affaire étoit sou- mise à un nouvel examen j mais si le bailli ne « pel; car appel contient felonnie, et iniquité. » Etablissements de S. Louis , liv. 2 , chap. i5. (i) Etablissements, chap. 2. (2) Idem f chap. 86. INTRODUCTION. 5j voulait /aire l' amendement du Jugement , on pou- vait appeler devant le roi. §. in. De V Organisation judiciaire et du Conseil d^Etat depuis Van ii'^o jusqu'en i3o2. Cependant la révolution s'ëtoil faite si promp- tement , que Ton n'avoit pas songé à établir une cour supérieure investie du droit de recevoir les appels et les supplications dont nous venons de parler. Le jugement en étoit donc naturellement et même nécessairement dévolu à ceux qui , pré- cédemment, jugeoient les affaires dont les rois avoient coutume de connoître. Ces affaires , suivant qu'elles présentoient plus ou moins de difficultés , étoient portées ou au conseil d'état, ou devant le roi lui-même, ou à un tribunal que l'on nommoit les plaids de la porte. Ce tribunal étoit établi dans le palais du roi; on lui donnoit cette dénomination de plaids de la porte y sans doute parcequ'il étoit dans le lieu le plus accessible au publie. Le sire de Joinville, parlant de ces plaids dans la Vie de S. Louis, dit que ce prince avoit cou- tume de l'envoyer avec les sires do Nesle et de 38 INTRODUCTION. Soissons aux plaids de la porte, et que s'il y avoit quelque chose qu'ils ne pussent bonnement vider, ils en faisoient leur rapport au bon roi qui, lors, envoyoit quérir les parties et jugeoit leurs causes. Pasquier, dans ses Recherches, liv. 2, chap. 3, dit qu'il a trouvé un rôle, fait avant que le par- lement fût rendu sédentaire, qui est terminé par ces mots : a M. Pierre de Sargives , Gilles de Com- « pieigne, et Jean Mailliere : ces trois orront les «plaids de la porte. Aura Gilles de Compieigne « autant que M. Pierre de Sargives , et mangera « avecques le chambellan. » Jean de Joinville nous dit, comme on vient de le voir, que lorsqu'il ne pouvoit bonnement Viàev une affaire, il la renvoyoit au roi. Alors, en effet, les rois étoient dans l'usage de juger eux-mêmes ; en voici un exemple : Le chambellan de Longue- ville se plaignoit que le seigneur d'Harcourt, à Ja tête d'une troupe armée , l'avoit assailli , mal- traité , et contraint de signer certains accords contre lesquels il réclamoit. Philippe-le-Bel jugea lui-même cette affaire; son jugement, consigné dans les registres nommés olim , sous la date de 1296, est conçu dans les termes qui suivent : a Nous, de notre souveraineté et de notre plein « pouvoir, ordonnons et voulons que cette pré- « sente notre ordonnance ait force de jugement; INTRODUCTION. Sq « nous voulons que toutes conventions qui ont « été faites et toutes obligations, quelles qu'elles « soient, entre les seigneurs d'Iîarcourt et deLon- Kgueville, pour raison desdits contents, soient « nulles, et que toutes les lettres surce faites d'une « part et d'autre nous soient livrées et rendues. » Si les gens tenant les plaids de la porte dëlais- soient souvent au roi le jugement des affaires qui leur étoient soumises , parcequ'ils en trouvoient la solution trop difficile, il arrivoit encore plus fréquemment que les rois s'abstenoient de juger par le même motif. Alors ils renvoyoient à leur conseil. Comme le conseil du roi ne pouvoit donner aux affaires des particuliers que les moments qu'il n'étoit pas oblige de consacrer aux affaires publiques, il rësultoit de cet état de choses, et que l'an ne pouvoit jamais savoir pour quel jour il falloit donner les ajournements, et qu'il ëtoit impossible de prévoir quel seroit le terme d'un procès. Cependant les appels devenoient chaque jour plus nombreux; il falloit donc les assujettir à des formes déterminées: c'est ce que l'on fit en fixant quatre époques dans Tannée , pendant lesquelles le conseil, ou du moins une partie du conseil, seroit exclusivement occupé à les recevoir et à 4o INTRODUCTION. les juger. Ces époques ëtoient les fêtes de la Tous- saint , de la Chandeleur, de Pâques, de l'Ascen- sion , et quelquefois de l'Assomption. Alors le conseil prenoit la dénomination àe parlement , et chaque parlement celle de l'époque à laquelle il étoit réuni; ainsi 1 on disoit : Le parlement de la Toussaint, le parlement de la Chandeleur, etc. Le conseil, ainsi réuni en parlement, se divi- soît en deux chambres : l'une , que l'on appeloit des enquêteurs ^ étoit uniquement occupée à faire des eiiquétes , c'est-à-dire, à constater par la preuve testimoniale les usages des tribunaux et les conventions des parties alors presque toutes verbales, attendu que très peu de personnes sa- voient écrire;, l'autre, que depuis on a nommé la grajid' chambre , jugeoit les procès sur les re- quêtes des parties et sur les plaidoyers des avo- cats , ou sur le rapport des enquêteurs , lorsque la décision du point en litige avoit été subordon- née à la preuve testimoniale. Les deux chambres restoient assemblées jus- qu'à ce qu'elles eussent statué sur toutes les af- faires instruites; on renvoyoit au prochain parle- ment celles dont l'instruction n'étoit pas complète. Dans l'intervalle d'un parlement à un autre, les conseillers d'état reprenoient leurs fonctions ordinaires. INTRODUCTION. ^l Ainsi le conseil existoit sous deux dénomina- tions; mais lors même qu'il prenoit celle de par- lement, cetoit toujours le conseil d'état, et le roi y délibéroit les lois et les actes d'administra- tion générale que les circonstances pouvoient exiger. Cela explique la variété que l'on remarque dans la forme des ordonnances de ce temps-là. Celle de 1272, concernant les nouvelles avoueries , commence par ces mots : Prœcepit doininus rex et voluit in pleno parlamento quod , etc. Une autre de la même année, relative aux sergents à gages, finit ainsi : Per regem Philippum Parisiis in parlamento Ascensionis ^ anno ii'-ji. Une troisième qui fut faite au parlement de la Chandeleur de l'an 1290, et qui ordonne à tous les Juifs venus d'Angleterre de sortir du royaume, commence par cette formule : Ordinatiun fuit domino rege prœsente et prœcipiente. Mais il en est d'autres, en nombre à-peu-près égal, dans les- quelles il n'est question que du conseil , et qui commencent ou finissent par ces formules : Or- dinatum fuit per dominum regem et ejus consi- lium[\). Il est accordé par le roi et par son conseil, (i) Ordonnance de l'an 1277, touchant la manière de rendre Jes jugements en Touraine. 42 INTRODUCTION. et commandé à garder [i). Enfin il y a quelques ordonnances qui ne parlent ni du parlement ni du conseil. Il en reste deux de l'année 1274, l'une du 25 octobre, concernant les avocats et leurs honoraires , l'autre de la veille de S. André , qui finissent simplement par ces mots : Datiun Pa- risiis. D'autres , qui sont de Ph"ilippe-le Bel , por- tent, et rien de plus : Philippe ^ par la grâce de Dieu, roi de France. Donné à Paiis le , etc. On peut conjecturer que les ordonnances pro- mulguées dans cette dernière forme avoient été rendues par les rois de leur propre mouvement, et seulement de l'avis de quelques personnages graves qui n'étoient point de leur conseil; que celles portant datuni in parlamento avoient été délibérées par le parlement , le roi y séant ; enfin , que la formule donné par le roi et son conseil in- dique les lois faites dans le conseil et dans l'inler- valle d'un parlement à autre. Les lois ainsi données de l'avis du conseil étoient adressées au parlement le plus prochain, qui les faisoit transcrire dans ses registres. Cette formalité étoit indispensable. Puisque le parle- ment éîoit obligé de juger en conformité de ces (i) Ordonnance touchant les retraits lignagers en jN^orman- die, du 9,9 sej>tombre 13.78. INTRODUCTION. 4^ lois, il falloit bien qu'il les connût. Voici des exemples de ces enregistrements. L'ordonnance de 1287, portant que les justices temporelles seront dorénavant exercées par des personnes laïques, commence par ceS mots : Or- dinatum fuit per consilium domini régis; et au bas est écrit : Hœc ordinatio registrata est inter con- silia,judicia, et arresta ( 1 ) expedita in parlamento omnium Sanctoriim; anno 1287. (1) On appeloit arresta , ai-rèts, les jugements rendus parla grand'chambre sur les plaidoiries des avocats. Leur formule étoit : Quitus rationihus utriusque partis hinc indè auditis , dictum fuit per arrestum curias , etc. On appeloit jugements, judicia , ceux qui étoient rendus sur les procès par écrit et sur les enquêtes faites par l'un dfes juges commis à cet effet, qui en faisoit son rapport à la chambre, Leur formule étoit : Fisâ inquestâ et diligenter inspecta, etc. y pronuntiatum fuit per curiœ judicium. On noramoit consilia les jugements par les- quels on donnoit aux parties des délais pour instruire leur procès et consulter leurs avocats. Leur formule étoit : Dies consilii assignata esttali , super, tali Vite ad aliud parlamcntum proximum. Enfin il y avoit une quatrième espèce de jugements , par lesquels la cour enjoignoit aux baillis , sénéchaux et autres juges inférieurs, de faire telle enquête, de se conformer aux ordonnances, et en général aux ordres qui leur étoient adres- sés : ces jugements s'appeloient mandata; leur formule étoit : Injunctum est haillino tali , etc. Les arrêts de règlement que les cours de parlement étoient en usage de faire sous le bon 44 INTRODITCTION. La forme de cet enregistrement n'indique qu'une opération purement matérielle. Dans ce- lui de l'ordonnance touchant les bourgeoisies, on voit le mot approbata , qui suppose une délibé- ration, et par conséquent la faculté de faire des remontrances sur les dispositions de la loi. Cette ordonnance touchant les bourgeoisies ne fut d'abord qu'un règlement général fait par le parlement hors la présence du roi, mais de son commandement. Elle commence et finit ainsi : Icelle ordonnance faite par la cour de notre sei- gneur H roi , et de son commandement Entend la cour que cette ordonnance soit tenue , non con- trestant {ij tout usage ou saisine. Fait au parle- ment de la Pentecôte de Van 1277. Six ans après, Philippele-Bel fit examiner ce règlement par son conseil , ordonna qu'il au- roit force de loi dans tout le royaume, et fît apposer au bas la formule suivante : Domiuus rex^ anno 1293, apud Pontisaram cum majori et saniori parte sui consilii voluit et prœcepit quod plaisir du roi avoient pris leur origine dans ces jugements appelés mandata , et ceux nommés consilia avoient donné naissance à la formule Des appointements au conseil à écrire et produire, (i) Nonobstant. i INTRODUCTION. 4^ dicta mdinatio per totum regnum observetur. Il manquoit encore à cette ordonnance la for- malité de l'enregistrement. Deux ans après, cette formalité fut remplie dans les termes qui suivent : Anno 10.^^ ^ prœsentibus duce Burgundiœ comité Sancti Paidi y constahulario , episcopis Tresensi et Dolensis , fuit recitata prœdicta ordinatio et ap- PROBATA in parlamento ^ omnium Sanctorum prœ- sente toto parlamento (i j. Cet état de choses avoit beaucoup d'inconvé- nients. Je vais indiquer celui qui se fit sentir le premier, du moins qui fut le premier auquel on remédia. Le parlement étoit composé de tous les mem- bres du conseil ; mais aucun d'eux n'étoit spéciale- ment délégué pour y rendre la justice: de manière qu'il pouvoit arriver qu'une audience manquât, parceque les juges n'étoient pas assez nombreux , et que le lendemain la délibération fût entravée par leur trop grand nombre. Philippe le Bel fit disparoître cet inconvénient (i) « Or estoient ces parlements de telle et si grande recom- '<■ mendation, que Frédéric II , empereur de ce nom, en 1244 1 a ne douta de vouloir remettre à iceluy tous les différents qu'il « avoit avec le pape Innocent IV, ausquels n'y alloit que du nom « et tiltre de l'empire, v Pasquier, Recherches , liv. 2, ch. 2, 46 INTRODUCTION. par une ordonnance qu'il publia au parlement de la Toussaint de l'an 1291. Les deux premiers articles de cette ordonnance sont relatifs aux affaires qui se jugeoient sur les requêtes des parties, c'est-à-dire, sans audition de témoins. Philippe-le-Bel les partage en deux classes , celle des pays coutumiers et celle des pays de droit écrit. Pour statuer sur les premières, il ordonne que pendant toute la durée de chaque parlement , trois personnes de son conseil siége- ront et donneront audience tous les jours de la semaine. Il nomme de suite ceux qui feront ce service dans le prochain parlement. Il désigne de même les membres de son conseil qui jugeront les causes des pays de droit écrit. Ils seront au nombre de quatre ; ils siégeront les vendredi , samedi et dimanche de chaque semaine, et même tous les jours , si les affaires l'exigent. Dans l'article 3 , le législateur s'occupe des af- faires dans lesquelles des témoins avoieiit été en- tendus. Comme l'examen des enquêtes exigeoit plus de temps et d'attention , il porte à huit le nombre des enquêteurs, et il les partage en deux sections, dont l'une siégera les lundi et mardi , et l'autre les mercredi et jeudi. Enfin, par l'article 4 -, il est enjoint à ceux que le parlement chargera de faire des enquêtes , de INTRODUCTION. 4? les examiner dans leur cabinet diligemment et avec la plus grande attention, et de ne se présen- ter pour en faire le rapport que lorsque la cour les mandera (i). (i) Ces ordonnances prouvent que, dans son origine, le parlement fut un démembrement du conseil d'état; aussi voyons-nous que toile étoit l'opinion de Bodin, de Pasquier, €t de Loyseau. Voici ce que nous lisons dans leurs écrits : « Les commissions et arrêts de la cour sont conçus sous le « nom et scel du roi , et même les commissions de la cour, en- « core qu'elles soient conçues au nom de la cour, sont scellées « du petit scel du roi , à une fleur de lis ; au lieu que les autres «magistrats, baillifs, sénéchaux, etc. ayant puissance ordi- '< naire , décernent leurs commissions sous leurs noms et sous « leurs scels ; ce qui est retenu de l' ancienne forme , alors que le n parlement étoit le conseil privé du roi. Lequel conseil n'ayant « puissance ordinaire, ne fait rien de soi. » Bodin , République , liv. 4 , chap. 4- « A l'égard du parlement , lorsqu'il étoit ambulatoire , il est «certain que les officiers d'icelui éloienl révocables, à sçavoir « qu'ils n'étoient que commissaires, et non pas officiers ordi- « naires ; car c'étoit une assemblée de certains personnages dn « conseil du roi qu'il choisissoit et députoit une fois ou deux l'an « pour juger en son nom et comme ses assesseurs , certaines « grandes causes touchant les droits de sa couronne, et les « procès des pairs de France : d'où s'ensuit que ce n'étoit pas « une justice ordinaire, au moins que les juges du parlement a n'étoient pas vrais officiers.... « Ainsi qu'encore aujourd'hui le conseil privO' du roi n'a 48 INTRODUCTIOrf. Les choses demeurèrent en cet e'tat jusqu en l'an 1002. §. IV. Du Parlement depuis \6oi jusqu'en i36j. On venoitdc remédiera un inconvénient; il en restoit un autre non moins grave. Les parlements , comme nous venons de le dire, étoient composés « point de jurisdiction oi'dinaire , et les conseillers d'icelui ne « sont que commissaires : aussi n'ordonnentils rien en leur « nom , et font toujours -parler le l'oi en tout ce qu'ils ordon- «nent. Comme pareillement fait encore le parlement , ensuite « de ce qu'il faisait lorsqu'il étoit le conseil du roi. » Loyseau , des Offices, liv. i, chap. 3, no^ 86 et 87. « Ayant été le parlement arrêté dans la ville capitale de la «France, et le roi dégarni (ce lui sembloit) de son ancien « conseil , pour en avoir voulu accommoder ses sujets ; cette « nouvelle police donna acheminement à une autre , d'autant « qu'il fut nécessaire au pi'ince d'avoir gens autour de soi pour « lui administrer coîiseil aux affaires qui se préscntoient pour « l'utilité du royaume. Ces personnages étoient pris tant du « corps du parlement sédentaire que des princes et grands seî- « gneurs de la Finance , selon les faveurs qu'ils avoient de leur « maître. Ce conseil, dans les vieux registres, est tantôt appelé , « conseil secret, tantôt conseil étroit , tantôt grand-conseil : met « qui à la fin gagna le dessus des deux premiers , parcequ'il étoit « dédié pour décider toutes les grandes affaires de la France. « Recherches de Pasquier, liv. 2 , chap. 6. INTRODUCTION. 4g de membres du conseil d'état ; mais, pour l'ordi- naire , le conseil accompagnoit les rois dans leurs voyages : il falloit donc aussi que les plaideurs suivissent la cour. Philippe-le-Bel sentit combien ces déplacements nuisoient au bien de la justice, et, par l'art. 62. de son ordonnance du 25 mars i3o2 , il ordonna que dorénavant le parlement siégeroit dans Paris. Voici les termes de cet article 62 : Projeter com- moditateîn subjectorurn nostjorum et expeditio- nem causariun proponimus ordinal e , quod duo paiiamenta Parisiis bis tenebuntur in anno. On voit, par ce texte, que Philippe-le-Bel n'en- tendoit prendre qu'une mesure purement admi- nistrative; qu'il n'avoit d'autre objet que d'accé- lérer l'expédition des affaires, et que le parlement, rendu sédentaire à Paris, sans attributions, sans prérogatives nouvelles , ne fût que ce qu'il étoit dans le temps où, comme partie intégrante et active du conseil d'état , il suivoit le roi dans ses voyages. Si les choses fussent demeurées dans cet état, le parlement n'auroit jamais été qu'une cour de justice ordinaire. Mais cette innovation fut bien- tôt suivie d'une seconde , et non moins impor- tante : pour l'exposer, il faut que je rentre dans le régime féodal. 4 5o INTRODUCTION. Depuis long-temps toutes les justices e'toient patrimoniales-, chaque seigneur haut-justicier, magistrat suprême de son territoire , en étoit le premier juge et en presidoit le tribunal. Ces tribunaux étoient composés de tous les vassaux immédiats de la seigneurie. Les deux premiers devoirs de tous les propriétaires de fiefs étoient de servir leur seigneur à la guerre et dans sa cour de justice; et, comme juger c'étoit com- battre, puisque les affaires se terminoient presque toutes par le combat judiciaire, le service aux plaids et le service militaire étoient également commandés par l'honneur. JJn pair , dit Pierre Desfontaines (i), ne pouvait pas dire qu'il ne ju- seroit pas s'ils n étoient que quatre , ou s'ils n'y étoient tous , ou si les plus sages nj étoient. Cest comme s'il eût dit dans la mêlée qu'il ne secourrait pas son seigneur, parcequ'il ri avait auprès de lui qu une partie de ses hommes. Ce n'est pas tout: le jugement délibéré, le ministère des vassaux n'é- toit pas consommé; ils dévoient tous être présents lorsqu'on le prononçoit , afin qu'ils pussent dire oi/à celui qui, voulant le fausser, leur demandoit s'ils ensuivaient. C'est, dit le même Pierre Desfon- (i) Chap. 27, art. 28. INÏRODUCTIOJV. 5l t ai nés , une affaire de courtoisie et de loyauté j et il n'y a là ni fuite ni remise. Devant ces tribunaux se portoient générale- ment toutes les affaires qui inleressoient les prérogatives du seigneur (i), les domaines, les droits et les charges des vassaux; de manière que la règle de ces temps-là ëtoit qu'un propriétaire de fiefs ne pouvoit être jugé que par ses pairs (2). Comme la France étoit alors gouvernée, moins comme une monarchie, que comme un grand fief, et que les usages du régime seigneurial for- m oient , à très peu de chose près , tout le code des Français , les rois , presque sans autorité comme souverains, mais revêtus de toute celle que donnoit la qualité de seigneur dominant, a voient, comme tous les seigneurs justiciers, leur cour féodale composée de tous les vassaux immé- diats de la couronne. Ils étoient les présidents de cette cour, et toutes les affaires qui intéressoienÈ (1) Lorsque l'affaire intéressoit directement le seigneur, il établissoit et régloit la cour, mais ne jugeoit pas. Son adver- saire pouvoit l'appeler au combat , mais en lui rendant le fief qu'il tenoit de lui. (2) Nemo beiieficiuni suuin perdat , nisi seciuicliim consuetu- dinciii autccessoruin nostroruin , et per judiciiim panum suo- jutn. Const. de l'empereur Conrad. 5l2 INTRODUCTION. personnellement les hauts barons dévoient y être portées (i). Mais telle étoit la nullité de la prérogative royale, sous les premiers rois de la troisième race, que Tautorité de leur cour féodale ne devoit être réclamée que par ces vassaux alors de peu d'im- portance , et qui cependant, à raison de la situa- tion de leurs seigneuries dans les duclaés de France et d'Orléans, partageoient, avec les hauts barons, les avantages attachés à la mouvance immédiate de ]a couronne. A l'égard de ces hauts barons, tels que les ducs de Bourgogne, de Guienne , de Bretagne , les comtes de Provence , de Cham- (i) On sait que le code connu sous la dénominalion d'.^sai'ses de Jérusalem n'est autre chose que le recueil des usages alors reçus en France. Voici , relativement à la manière dont la jus- tice étoit administrée à cette époque, ce que nous y lisons, chap. 2 : « Le duc Godefroy de Buillon establi deus cours , ft l'une-ci est la haute court , de que il fut governot et justicier; « et l'autre-ci est la cour des borgés en laquele il establi un « home en son leuc à être governor et justicier , lequel est « appelé visconte, et establi à être juges de la haute court ses « homes chevaliers qui lui estoient tenus de foi par i'omage « qu'ils lui avoient fait , et de sa cour de la borgésie , borgois « de ladite cité.... les plus sages.... Et establi que lui et ses « homes , et lor fiés , et les chevaliers fussent menés par la « haute court.... » INTRODUCTION. 53 pagne , d'Artois , etc. , une déclaration de guerre eût , à coup sûr, été, de leur part, la seule réponse à quiconque les auroit cités devant la coûr féodale du roi. Il étoit donc de la sagesse des premiers Capétiens de paroitre oublier une prérogative que tant de seigneurs pouvoient mépriser impune'- ment , et d'attendre des temps plus heureux . C'est ce qu'ils firent; et ces temps arrivèrent. En 1216, Blanche, veuve du comte Henri , et Philippe son fils, n'ayant pu régler à l'amiable leurs prétentions respectives sur le comté de Champagne , soumirent cette contestation à Phi- lippe-Auguste, qui , en sa qualité de seigneur do- minant des parties, assembla, pour les juger, une cour féodale qui fut composée de l'arche- vêque de Reims , des évêques de Langres , de Châlons, de Bea.uvais, et de Noyon ; d'Auxerre, de Chartres, deSenlis, et de Lizieux ; du duc de Bourgogne, des comtes de Bretagne, de Ponthieu, de Dreux, de St. -Paul, de Joigny, de Beaumont, d'Alençon; du sénéchal d'Anjou , et de plusieurs autres barons. Le jugement qui priva Pierre Mauclerc de la Garde du comté de Bretagne fut de même rendu par une cour féodale présidée par S. Louis , et dont les membres, qui tous signèrent l'arrêt, étoient les comtes de Champagne, de Flandre, 54 TNTRODUCTIOJV. de Nevers, rie Blois, de Chartres, de Vendôme; le vicomte de Beaumont, le connétable, l'arche- vêque de Sens , et les évéques de Paris et de Chartres (i). L'auteur du livre intitule de Gestis Liidovici Francorum régis rapporte qu'un des plus grands seigneurs du royaume ayant fait pendre trois jeunes Flamands trouvés chassant dans ses bois, S. Louis le fit constituer prisonnier au Louvre , et que par jugement , auquel assistèrent le roi de Na- varre, le duc de Bourgogne, les comtes de Bar, de Soissons, de Bretagne, de Champagne, de Blois, et Thomas, archevêque de Beims,il fut ordonné que les trois Flamands seroient honorablement inhumés dans trois chapelles bâties et dotées aux frais du seigneur ; qu'il seroit privé de sa haute- justice ; qu'il paieroit au roi une amende de 12,000 liv. , et que ses bois seroient vendus, pour le prix en être appliqué à des établissements pieux. Tel étoit donc dans le treizième siècle notre régime judiciaire. L'administration suprême de la justice étoit partagée entre la cour féodale du (i) Ces jugements, et quelques autres également émanés de la cour féodale du roi, sont rapportés par Dutillet , Bodin , Pasrjuier, Laroche-riavin. INTRODUCTION. 55 roi, qui connoissoit de toutes les contestations qui intëressoient directement les pairs de France, et le conseil du roi , qui, sous la dénomination de parlement, jugeoit en dernier ressort et à des époques déterminées, les affaires ordinaires. A peine le parlement fut il rendu sédentaire à Paris, que la majesté de son costume (i), sa di- gnité dans l'exercice de ses fonctions, la sagesse de ses arrêts, et l'usage où étoient les rois de dé- libérer avec lui sur les plus grands intérêts de (i) « Il n'est permis aux magistrats de France, fors qu'aux seuls parlements , de porter robes d'escarlate, ou couleur de pourpre, estant cerlain que l'escarlate et le cramoisi sont les vraies couleurs et habits des rois. » La Roche-Flayin , des Parlements de France , llv. lo , cliap. i'^. « Outre les robes de pourpre, ou escarlate, les rois ont com- muniqué leurs autres habits royaux , sauf le sceptre et la cou- ronne, au chancelier et aux présidents des parlements. « Le premier ornement qu'ils leur ont donné a été celui de la ttte , que le -v ulgaire appelle un mortier.... Que nos rois aient usé de ces mortiers pour bonnets, il en appert par quelques effigies de rois encore affublés ou couverts de leurs mortiers. On en voit aux verrières de la Ste.-Chapclle, quisontdu temps de S. Louis... Outre laquelle tiare ou mortier, nos rois leur ont communiqué leurs habits et mantcaus royal , tel que nous voyons qu'ils por- tent , d'escarlate, longs, et fourrés.... Que tels habits , robes et manteaus fussent l'habit des rois, 3Ionstrelet le dit, parlant de l'entrée du roi Charles VIT à Rouen. » Ibidem , chap. %^. 56 INTRODUCTION. l'Etat, le rendirent l'objet de la ve'ne'ration uni- verselle. Le droit d'avoir cette cour pour juge immédiat, et de ne pouvoir être traduit devant aucun autre tribunal, fut mis au rang des plus belles prérogatives. Les rois se l'attribuèrent pour toutes les affaires qui intéressoientleur domaine, et la conférèrent aux grands du royaume et aux établissements publics qu'ils vouloient le plus favoriser (i). On lit dans des lettres de sauve-garde de l'an i358(2), que Jeanne de Navarre, veuve de Charles-le-Bel , en jouissoit ; et que le duc d Orléans, oncle du roi, avoit le même privilège. Enfin les pairs de France, qui sentirent combien les formes de procéder, nouvellement introduites, embarrasseroient un tribunal uniquement com- posé de hauts barons, placèrent la cour féodale du roi dans la cour du parlement. La fusion fut telle , que bientôt les deux corps n'en firent qu'un seul ; et ce nouvel ordre de choses fut érigé en loi fondamentale de l'Etat par l'ordon- nance du mois de décembre i363 , qui , après avoir dit que le parlement est le modèle et le ré- gulateur de tous les tribunaux du royaume , to- tiiis justltiœ regni nostri spéculum clarisiimum , (i) L'hôpital général de Paris en jouissoit encore en 1789. (2) Ordonnance du Louvre, tome 3 , page 328. INTRODUCTION. 67 ajoute que ceux-là seuls qui , comme les pairs de France, en ont le droit, pourront porter directe- ment leurs affaires à cette cour. Ordinamus et statuimus quod nulla causa indictâ nostrâ ciiriâ parlamenti introducatur, nisi sit talis quod jure suo ibidem debeal agita? i , sicdt sunt causae pa- RiUM Franciae. C'est à cette réunion que le parlement devoit et la magnifique qualification de cour des pairs ^ et cette haute importance qui , pendant près de cinq siècles, a jeté tant d'éclat «ar la magistrature française. * % V. Détails historiques sur le Conseil d'Etat, depuis le commencement du quatorzième siècle jusqu'à l'éta- blissem,ent du Grand-Conseil en i497' Le conseil étoit alors divisé en deux sections ; les maîtres des requêtes de l'hôtel , et les conseil- lers d'état. Les fonctions des maîtres des requêtes de l'hô- tel étoient de recevoir les placets présentés au roi; de les examiner, de rejeter les demandes dérai- sonnables, et, quant à celles qui leur paroissoient justes , de faire dresser les lettres nécessaires par le notaire du roi , qui faisoit les fonctions de 58 INTRODUCTION. greffier auprès d'eux. Ces lettres ëtoient terminées par cette formule : In reqiiestis hospitii ; ou : Es requêtes de l'hôtel. Elles ëtoient ensuite portées au conseil du roi , où , après une nouvelle dis- cussion , elles étoient définitivement rejetées ou admises. Cela est prouvé par les lettres du mois d'avril i36i (i), à la fin desquelles on lit : Autrefois ainsi signées. Ensuite est écrit : Apres ce , de votre cominandement , vues ^ et les articles contenus, en icelles corrigiés par le conseil et par le procureur du roi en parlement ^ et depuis rescrites et à moi ainsi baillées pour signer. Ces lettres, ainsi rédigées par les maîtres des requêtes , corrigées et adoptées par le conseil , étoient envoyées au sceau. Le chancelier avoit encore le droit de les examiner et d'y faire les corrections qu'il croyoit convenables : suivant l'article 44 de l'ordonnance du mois de mars i356 , l'une des fonctions de ce premier magis- trat étoit de voir et examiner, corriger, passer et sceller les lettres qui seront à passer et à sceller; et par l'article 12 de 1 ordonnance du 14 mai i358, il lui est enjoint de ne pas sceller les lettres pas- (i) Ordonnance du Louvre, tome 3, page 36i. INTRODUCTION. 69 sëesau conseil, lorsqu'elles ne seront pas revêtues des formalités prescrites par cet article (i). Quelques unes des lettres ainsi dressées par les maîtres des requêtes, approuvées par le conseil et scellées , avoient force de loi dans tout îe royaume : tels étoient les privilèges accordés à des villes. Il étoit encore dans les attributions des maîtres des requêtes de faire les règlements que les corps et communautés demandoient au roi. Les maîtres des requêtes avoient aussi une ju- risdiction.Dans l'ordonnance du mois de décem- bre i353, rendue en conséquence de l'assemblée des trois états de la Langued'oïl, on lit , art. i8 : « Voulons et ordonnons que toutes jurisdictions « soient laissées aux juges ordinaires,.... excepté a tant seulement que les maîtres des requêtes de « l'hôtel auront la connoissance des offices et « aussi des officiers de notre hôtel en action per- « sonnelle pure, en défendant tant seulement, et « non pas en demandant. » Le roi étoit toujours accompagné de quelques maîtres des requêtes; aussi sont-ils désignés, dans quelques ordonnances, sous la dénomination de poursuivants le roi ; et, comme ils auroient pu abuser de cette prérogative, il leur étoit expres- (i) Ordonnance du Louvre , tome "î , i)age 226. 6o iNrnoDCUTioif. sèment défendu de rien demander, ni pour eux ni pour leurs parents ou amis. L'ordonnance du mois de mars i356 renferme à cet égard une dis- position que nous croyons devoir transcrire; c'est l'article 47 '• « Nous ferons jurer au chancelier , « aux maîtres des requêtes et aux autres officiers « qui sont entour de nous, comme nos chambel- « lans et autres , que par devers nous ils ne pro- « cureront ne à eux , ne à leurs amis, aucuns dons « de l'argent de nos coffres, ne autrement; ne re- « querront de passer grâces, ne remissions ; mais « si aucunes'choses nous veulent demander pour « eux ou pour leurs amis , ils nous requerront en «audience, présent notre grand-conseil , ou la « plus grande partie. » Il n'y a voit , du temps de S. Louis , que deux maîtres des requêtes ; leur nombre , beaucoup augmenté sous Philippe-le-Bel, fut réduit à six par l'article 47 de l'ordonnance de i357, rendue, sur les remontrances des trois états , par Charles V, pendant la prison du roi Jean. Cet article porte : « Pour ce qu'il est venu à «notre connoissance, parle bon avis des trois « états, qu'aux requêtes de l'hôtel avoit trop grand « nombre de personnes , et aucuns qui étoient en « icelles, non agréables au peuple , nous avons « ordonné , établi et retenu certain nombre de INTRODUCTION. 6l «f personnes sages , expertes , loyaux et pleins de « grant science et mûreté, c'est à savoir quatre « clercs et deux laiz. » Telles ëtoient les fonctions des maîtres des re- quêtes. A l'égard du conseil , voici comme les choses se passèrent après linstitution du parlement : * Ayant été, dit Pasquier (i), le parlement arrêté « dans la ville capitale de la France, le roi dégarni « de son ancien conseil , pour avoir voulu en « accommoder ses sujets; cette nouvelle police « donna acheminement à une autre , d'autant « qu'il fut nécessaire au prince d'avoir gens autour « de lui, pour lui donner conseil aux affaires. Ces « personnages étoient pris tant du corps du par- a lement que des princes et grands seigneurs, se- « Ion les faveurs qu'ils avoient de leurs maîtres. Ce a conseil est tantôt appelé conseil secret , tantôt « conseil étroit , tantôt grand-conseil. » On lui donnoit aussi quelquefois le titre de conseil préexcellent y de conseil prééminent. La dénomination de grandc-OJiseil étoït la plus ordi- naire ; elle a prévalu jusqu'au règne de Charles VIII. Ce grand-conseil , ou du moins une partie de ses membres , suivoit les rois dans tous leurs (i) Recherches, chap. 6. 62 INTRODUCTION. voyages. Cela est prouvé par différentes lettres ou règlements, dans lesquels on lit : Le grand-conseil du roi , étant a\>ec lui en Bourgogne : Le conseil du roi tenu à Nismes: L'honorable conseil du roi y étant avec lui à Avignon; et même le roi Jean , pendant sa prison en Angleterre, avoit avec lui une partie de son conseil (i). On voit, par la grande ordonnance de i356 , rendue sur l'avis des trois états , que le grand- conseil, devenu, par l'institution du parlement, tout-à-fait étranger aux affaires des particuliers, ne s'occupoit que de celles du gouvernement. Je transcris les articles l\i et 43 de cette ordonnance : « Comme pour le temps passé il y ait eu , en a aucuns des grands conseillers de ce royaume, «tout plein de négligence sur le gouvernement « du royaume, de venir tard en besogne, et quand « on y étoit venu , de petitement besogner; nous « avons, pour obvier à ce , enjoint étroitement à « tous ceux que nous avons maintenus el retenus « dudit grand-conseil , par le bon avis et conseil «desdits trois états, que dorénavant, sur ledit (S. gouvernement que nous leur avons commis , ils « entendent et veillent diligemment toutes autres ( I ) Ordonnance du Louvre , tome 3 , page an. INTRODUCTION. 63 « besognes arrière mises; et ainsi leur avons fait «jurer sur saints Evangiles, et outre leur avons « enjoint que chacun jour, heure du soleil levant, « ils viennent au lieu que nous leur avons député « et ordonné. « (Art. 42.) « Nous leur avons fait jurer que au tout ils va- « queront et entendront aux choses touchant le « gouvernement de ce royaume et de la chose « publique. » (Art. 43.) Aux termes du même règlement, les gens du grand-conseil ne commenceront point de nou- velles affaires qu'ils n'aient terminé les anciennes , à moins qu'il n'y ait nécessité; et, dans ce cas, ils en rendront compte au roi. Ils auront des^ages, qu'ils perdront pour les jours qu'ils ne viendront pas au conseil à l'heure marquée ; et s'ils y man- quent souvent, ils seront destitués. L'article 11 de l'ordonnance donnée à Com- piégne le 14 niai i358, porte que toutes les af- faires seront examinées au conseil, en présence de trois personnes au moins de ceux qui le com- posent, et seront décidées par leur avis, en pré- sence du régent; et les lettres expédiées sur les affaires seront souscrites par ceux qui auront as- sisté au conseil, avant que d'être signées par les secrétaires ou notaires ; et lorsque ces formalités n'auront pas été remplies , il est défendu au 64 INTRODUCTION. chancelier de les sceller, et à quelque personne que ce soit d'y avoir égard. On trouve dans les ordonnances de cette épo- que plusieurs autres règlements relatifs au con- seil. En voici quelques uns : Les gens du grand-conseil ne pourront faire le commerce ni personnellement , ni par des per- sonnes interposées , ni s'associer avec des com- merçants, sur peine de perdre la marchandise et d'être puni à notre volonté. Le motif de cette dé- fense est consigné dans le règlement. Cest que marchandise en est moulte empirée , et le peuple grevé (i). Il ne sera plus fait d'ordonnance , et il ne sera plus accordé de privilèges que de l'avis du con- seil (2). Le chancelier, nonobstant tous les ordres qu'il pourroit recevoir , ne scellera aucunes lettres portant aliénation des domaines du. roi, forfai- tures, épaves et confiscations, qu'il n'ait déclaré au conseil ce que la chose peut valoir par an. Avons déclaré et déclarojîs dès maintenant que (1) Ordonnance de décembre i35i, art. 24- (2) Ordonnance portant règlement sur tous les officiers du royaume , donnée à Paris le 27 janvier iSSt), art. 'iQ. INTRODUCTION. 65 tout ce qui sera fait au contraire soit nul et de nulle valeur (i). On délibérera dans le conseil sur lés dons, les grâces, etc. qui seront demandés au roij et il y aura au moins deux conseillers, qui seront nom- més dans les lettres qui seront expédiées sur de- mandes, à peine de nullité desdites lettres, qui ne seront point signées ni scellées', et si elles le sont , on ny obéira point (2). Ces règlements ne nous apprennent pas quel étoit alors le nombre des conseillers d'état ; ce- pendant on y entrevoit qu'il étoit peu considé- rable. Un registre de la chambre des comptes donne plus de lumières sur ce point; on y voit qu'en i35o, le conseil du roi n'étoit composé que de cinq personnes (5). (1) Ordonnance du mois de mars i356, art. 45. (2) Ordonnance du 27 janvier iSSq, art. 21. (3) Je parle de ce registre sur la foi de MM. de Lauriere et Secousse , dont l'exactitude et la profonde érudition sont bien connues. Dans une de leurs notes sur le mandement adressé à la chambre des comptes le 25 mars i35o, on lit : « Le « conseil, comme nous l'apprenons du l'Cgistre C de la chambre « des comptes, étoit alors composé de Guillaume Flotte , sei- « gneur de Revel, chancelier ; de Matthieu de Trie, seigneur de « Moucy, et de Pierre de Beaucou , chevaliers , d'Enguerand du. 5 66 INTRODUCTION. Indépendamment de ce conseil, qui vraisem- blablement ne connoissoit que des affaires ordi- naires et journalières , les rois en assembloient fréquemment de beaucoup plus nombreux, que les actesde ces temps-là appellent consilium ple- nius (i). Ces conseils extraordinaires étoient com- posés de conseillers d'état, de plusieurs membres du parlement ou de la chambre des comptes, d'évéques , de barons, et de bourgeois sages et discrets (i) 'j et même, lorsqu'il s'agissoit d'objets d'une haute importance, par exemple, de délibé- rer sur des points de législation, sur des règle- ments généraux, en un mot, sur des mesures d'une grande influence sur l'ordre public , il ar- rivoit souvent que le roi , accompagné de son « petit Cellier, et de Bernart Fermant, trésoriers. Chaque con- « seiller d'état avoit looo liv. de gages, et le roi ne faisoit rien « que par leur avis, v Ordonnance du Louvre , t. 3 , p. 33o. (i) Dans les lettres de l'an i357, en faveur des habitants de Villefranche en Périgord , le roi renouvela une défense précé- demment faite. Deliberatione maturâ super hoc in nostro grandi consilio pleniori. (2) L'ordonnance de i36o, qui permet aux Juifs d'habiter le royaume pendant vingt ans , porte : « Et sur ce délibération , « avis et conseil avec aucuns prélats , comtes , barons , gens « d'église , bourgeois sages et discrets , et autre* habitants de s notre royaume. » r- INTRODUCTION. 67 conseil, se rendoit en personne au parlement ou à la chambre des comptes , et dëlibëroit avec les magistrats de ces deux cours. Pour s'en assurer, il ne faut qu'ouvrir les trois premiers tomes des ordonnances du Louvre (i). Tel fut le conseil du roi depuis i3o2 jusqu'au règne de Charles VI. On voit que rien n'étoit plus simple que son organisation. Un petit nombre de conseillers et de maîtres des requêtes accompa- gnoient toujours le roi, et formoient son conseil ordinaire. Lorsque les affaires exigeoient un ^^lus grand concours de lumières et des formes plus solen- (i) L'ordonnance de i36o, citt'e dans la note précédente, finit par ces mots : Par le roi en son conseil , étant en la chambre des comptes. Des lettres du ig novembre i3G3, portant annnllation des procédures au sujet des créances des Lombards , sont ainsi ter- minées : Données à Paris , en la chambre de notre parlement. Au dos d'une déclaration donnée en faveur de l'université de Paris, et adressée au Cliâtelet, est écrit : Declaratio supra scripta fuit in caméra parlamenti septimâ die maii lî/jS^ prce- sentibus in/rà scriptis. Suivent les noms des souscripteurs, au nombre de quarante-quatre ; savoir : vingt-quatre laïques et vingt clercs , dont deux évêques. Dans les lettres données par le roi Jean le iG novembre ï353 , on lit : Nostri consiliarii Jidclcs et dilecti , nostrUp2 par" lamentum lenentes. 68 INTRODUCTIOIf. nelles, on rëunissoità ces conseillers des hommes d'une capacité bien connue , choisis dans toutes les classes de la société, notamment dans le par- lement et dans la chambre des comptes; et jamais on ne soumettoit à leur délibération que des af- faires d'administration et de gouvernement. «Ce « grand-conseil , dit Pasquier (i) , du commence- « mentn'étoit fondé en jurisdiction contentieuse; « car telles matières étoient réservées ])our la « connoissance de la cour de parlement ; ains « seulciDenl connoissoit de la police générale de «la France, concernant ou le fait des guerres, « ou l'institution des édils dont la vérification « appartenoil au parlement. « Et dura , continue Pasquier, cet état de choses « jusque vers le commencement des factions qui « intervinrent entre la maison d'Orléans et celle « de Bourgogne, auquel temps, ainsi que toutes « les choses de la France se trouvèrent grande- ce meni brouillées et en.très grand désarroi ; aussi « ceuîi qui avoient la force et puissance par devers « eux , pour gouverner toutes choses à leur appé- « lit, faisoient évoquer les négoce* qu'il leurplai- « soit par devers le conseil du roi, qui étoit com- « posé ou de Bourguignons ou d'Orléanois, selon (i) Recherches, liv. ii, chap. 6. I INTRODUCTION. 6g « que les uns ou les autres des deux factions « avoient le crédit en la cour du roi Charles VI , « qui alors ëtoit mal dispose de son bon sens ; et, «par cette voie, frustroient ceux de la cour du « parlement des causes qui leur étoient affectées. « Ainsi joûans ces grands seigneurs à boutte-hoi^s;... « et à peu dire , toutes et quantes fois que les « seigneurs qui gouvernoient avoient envie d'é- « garer quelque matière en faveur des uns ou « des autres , ils en usoient en celte manière , la « quelle depuis fut très curieusement gardée par « le duc de Bethfort, pendant que les Anglais oc- « cupoient une grande partie du royaume Et « plusieurs autres telles causes qui empêchèrent « au long aller de telle façon ce conseil , que l'on «fut contraint, pour la multitude des procès, « de faire nouveaux conseillers , qui commen' a cerentde prêter le serment, à leur réception , et « au roi et à la cour de parlement, comme s'ils « eussent été du corps de cette cour. » Après l'expulsion des Anglais , Charles YII au- roit pu rappeler son conseil à sa véritable insti- tution, et le rétablir dans sa dignité primitive, mais les circonstances s'y opposèrent. Sous la régence du duc de Bedfort , les confiscations s'é- toient multipliées; beaucoup de grandes maisons et une multitude de particuliers avoient été de- 70 INTRODUCTIOIT. j)6uîllcs et leurs biens vendus; des réclamations s'clevoient de toutes parts : Charles VII pensa, et je crois avec raison , que des contestations de cette nature dévoient plutôt être jugées par la loi politicpie que par la loi civile. Il en attribua la connoissance à son conseil d'état ; de manière qu'au lieu de diminuer le nombre déjà si considé- rable des conseillers , il fallut encore l'augmenter. Tel étoit l'état des choses à l'avènement de Charles VIII. Les états - généraux , assemblés à cette époque , lui firent de très sérieuses repré- sentations sur les fréquentes évocations à son conseil; et comme la réforme de cet abus rendoit inutile la majeure partie des membres qui le composoient, pour que cette réforme ne s'éten- dît pas jusque sur les personnes, ils lui suggé- rèrent l'idée de composer de la majeure partie de ces conseillers une cour de judicature, qui con- noîtroit des affaires qui lui seroient successive- ment attribuées. C'etoit perpétuer l'abus des évo- cations ; mais du moins les parties, renvoyées à ce tribunal, y trouvoienl les formes conservatrices de la procédure judiciaire. Charles VIII adopta cet expédient; et de la ma- jeure partie de ses conseillers , il forma (i) cette (1) Edit dft 2 août 1497- I INTRODUCTION. yi cour établie à Paris sous la dénomination de grand-conseil , et qui a existé jusqu'en 1790. Dès-lors cette qualification de grand-conseil , sous laquelle le conseil du roi étoit liabituelle- ment désigné depuis la fin du treizième siècle > cessa de lui appartenir. Charles VIII recomposa un nouveau conseil d'état formé d'un petit nombre de personnes, que l'on appela conseil d'état ou privé , et qui , rendu à ses attributions naturelles, ne s'occupa plus que des affaires publiques pendant les pre- mières années qui suivirent ce changement. Je m'arrête à cette époque , par la raison que , dans le cours de cet ouvrage, j'aurai souvent oc- casion de rappeler les faits et les lois postérieurs; et même je serai plus d'une fois obligé de rétro- grader. CHAPITRE PREMIER. De V Autorité judiciaire , de son Objet ^ et de son Influence. J^A souveraineté se compose de deux éléments ; la puissance législative et le pouvoir exécutif. La puissance législative a pour objet de déter- miner les droits et les devoirs réciproques da f]1 CHAPITRE PREMIER. souverain et des sujets, et les rapports des citoyens entre eux. Le pouvoir executif est un faisceau composé de trois branches. La première est relative aux choses qui sont du droit des gens ; c'est-à-dire , qui intéressent la sûreté extérieure de l'Etat et ses relations avec ses voisins. La seconde embrasse tous les actes du droit politique; c'est-à-dire, les actes qui concernent la sûreté intérieure de l'Etat, et qui dérivent des rapports qui existent entre le gouvernement et les gouvernés. La troisième a pour objet le droit civil ; c'est-à- dire , le droit de punir les crimes et de régler les intérêts privés par l'application des lois générales. La première de ces trois branches conserve la dénomination de pouvoir exécutif; la seconde prend ceWeàe pouvoir administratif; la troisième constitue l'autorité judiciaire. Ce droit d'appliquer les lois civiles et crimi- nelles embrasse une sphère immense , et donne à l'autorité judiciaire une influence incalculable. Organe de la puissance législative, c'est elle qui lui donne la vie et qui la met en action ; c'est elle qui , faisant prévaloir les droits du plus foible sur les prétentions du plus fort , assure et le règne CHAPITRE PREMIER. ^5 de la loi et la paix entre les citoyens; c'est elle qui forme la morale publique , en flétrissant les actions mal-honnêtes et en retranchant de la so- ciété ceux qui en ont commis de criminelles: en un mot , c'est elle , cVst cette autorité tutélaire qui donne à chacun cette opinion de sa sûreté, sans laquelle l'homme, inquiet sur sa liberté, sur sa fortune, sur son existence même, ne fait rien pour acquérir, parcequ'il n'est pas sûr de conser- ver, et se regarde comme étranger dans sa propre patrie. Il y a bien peu de lois qui n'aient des lacunes et des obscurités. Les juges expliquent et sup- pléent ; le peuple , qui n'a jamais imploré vaine- ment le secours des tribunaux, confondant le magistrat et la loi , les respecte également l'un et l'autre : et le respect d'une nation pour ses lois et pour ses magistrats est le plus sûr garant de son obéissance et du maintien de l'ordre public. Combien de séditions prévenues ou étouffées par le seul ascendant des magistrats! Après s'être livré aux plus violentes diatribes contre les plé- béiens, Coriolan sortoit du sénat. Le peuple se précipitoit sur lui. Les patriciens s'avançoient pour le défendre. Encore un instant , et le sang couloit. Un tribun s'écrie : a Vous voulez le pu- nir, et il n'est pas jugé ! » A ces paroles les armes ^4 CHAPITRE PREMIER. tombent, et Rouie doit son salut aux formes ju- diciaires. On conuoU une foule d'exemples pa- reils. Les desordres, qui n'ont eu d'autre cause que des vices dans l'organisation judiciaire , ne sont pas moins nombreux. L'homme qui a le plus profondement réfléchi sur l'ordre social, Machia- vel , n'hësite pas d'attribuer la plupart des maux de sa patrie à la circonstance que le tribunal éta- bli à Florence pour juger les crimes publics n'é- toit pas composé d'un assez grand nombre de magistrats (i). La constitution de l'Etat elle-même est sous l'influence de l'autorité judiciaire. Le seul dépla- cement de cette autorité a ébranlé, jusque dans ses fondementsje plus puissant empire du monde, l'Empire romain. Le peuple avoit la majeure partie de la puissance législative, une part dans l'exercice du pouvoir exécutif, et encore , dans certaines circonstances, le droit de juger. Le sé- nat, investi de la plus grande partie du pouvoir (i) «Contre des citoyens ambitieux, contre des coupables « puissants, un tribunal do huit juges ne sauroit suffire. Il faut «que ceux-ci soient nombreux, parceque , dans ces circon- « stances , la réunion de très peu d'hommes n'a juste que la ■ force du nombre. » Disc, sur Tite-Liye , là: i , chap. 7. CHAPITRE PREMIER. y5 executif, n'avoit que quelques branches de la puissance législative; mais la presque totalité de rautorité judiciaire résidoit dans ses mains. Cette organisation maintenoit l'équilibre entre les deux ordres de l'Etat ; et Rome , libre , glorieuse et triomphante, accomplissoit ses hautes destinées. Les Gracques , qui , comme tous les factieux , vouloient augmenter la puissance du peuple pour en faire l'instrument de leur ambition , firent ordonner que les juges seroient pris parmi les chevaliers. Alors le sénat ne fut plus assez fort pour résister au peuple, et bientôt se dévelop- pèrent ces germes d'anarchie qui , moins de cent ans après, firent de la reine des nations l'esclave des Césars. L'influence de l'autorité judiciaire sur la con- stitution de l'Etat s'étend encore plus loin : bien organisée, êIIc tempère et corrige cette même constitution lorsqu'elle est vicieuse. Que le prince ne puisse déléguer cette autorité qu'à des mandataires dont l'aptitude et la liberté soient garanties par la double restriction qu'il ne les choisira qu'entre ceux que la loi lui désigne, et qu'il sera dans l'impuissance de révoquer les pouvoirs qu'il leur conférera ; que l'ordre des ju- risdictions soit invariable; que l'on ne connoisse ni les cojnmissions ni les évocations; que l'hon- yG CHAPITRE PREMIER. nçur, la liberté, la vie et la fortune des citoyens, soient inviolablement sous la garde des formes judiciaires, et quelque mauvais que soit d'ailleurs le gouvernement, on le supportera ; et même l'ha- bitude pourra le faire aimer. Si l'on veut y faire attention , on reconnoîtra qu'il y a dans l'Europe plusieurs gouvernements qui ne différent guère de ceux d'Asie que par l'indépendance de l'ordre judiciaire. Les derniers font horreur, et les autres n'effraient personne (i). C'est sur-tout dans les monarchies qu'il importe que l'autorité judiciaire soit bien constituée. (i) « La puissance des empereurs pouvoit plus aisément pa- TOître tyraiiniqiie que celle des princes de nos jours. Comme leur dignité étoit un assemblage de toutes les magistratures romaines; que dictateurs , sous le nom d'emperexirs, tribuns du peuple, proconsuls, censeui's, grands pontifes , et quand ils vouloient consuls, ils exerçoient souvent la justice distri- butive; ils pouvoient aisément faire soupçonner que ceux qu'ils avoient condamnés , ils les avoient opprimés ; le peuple jugeant ordinairement de l'abus de la puissance par la grandeur de la puissance : au lieu que les rois d'Europe, législateurs et non pas exécuteurs de la loi, princes et non pas juges , se sont dé- chargés de cette partie de l'autorité, qui peut êlre odieuse; et, faisant eux-mêmes les grâces, ont commis à des magistrats par- ticuliers la distribution des peines. » Grandeur et Décadence des Romains , chap. i6. 4|| \ CHAPITRE PREMIER. 77 Chaque espèce de gouvernement a des prin- cipes de dissolution qui lui sont particuliers et qui tiennent à sa nature. Il est dans Tessence des monarchies d'avoir des distinctions, des rangs, et des privilèges : de là, différents ordres dans l'Etat, des grands et des petits, des hommes revêtus du triple éclat des honneurs, du pouvoir, el des richesses; et d'au- tres, en ])eaucoup plus grand nombre, réduits à traîner leur pénible existence entre les humilia- tions, l'indigence, et le travail. Comme, en gé- néral , les grands et les petits oublient que cet ordre de choses n'est établi ni pour eux ni contre eux, mais uniquement pour le bien de la société, il arrive trop souvent que les premiers, regardant ces avantages comme leur propriété , mettent de l'arrogance et de la dureté dans leurs rapports avec les seconds; et que ceux-ci, ne voulant voir dans leur dépendance q^i'une suite de 1 injustice des hommes et du sort , sout naturellement dis- posés à concevoir des jalousies, des défiances et des haines d'autant plus actives, que le mépris est la chose du monde que riiomine supporte le plus impatiemnjent. Ces dispositions réciproques, qui dans les mo- narchies constituent les différentes classes de ci- toyens dans un état habituel de réaction, forment 78 CHAPITRE PREMIER. un des germes de dissolution de cette espèce de gouvernement. Ce germe est indestructible , parcequ'il tient à la nature des choses. Cependant, s'il vient à faire explosion , il produira les effets les plus désas- treux ; et cette explosion est inévitable, si les actes d'oppression que les grands pourroient se per- mettre ne sont pas à l'instant réprimés. La puissance répressive ne peut résider que dans les mains du prince ou dans celles des ma- gistrats. Deux raisons principales s'opposent à ce que le prince exerce lui-même cette branche de son au- torité. D'abord, obligé d'appliquer alternative- ment des lois pénales aux grands et aux petits , il pourroit finir par être odieux à tous; en second lieu, le peuple, qui le verroit constamment envi- ronné de ceux qu'il regarde comme ses ennemis, ne cioiroît jamais avoir obtenu une justice com- plète , lors même qu'il auroit prononcé en sa faveur. Il est donc de l'intérêt et de la sagesse du prince de ne jamais intervenir dans les discussions de cette espèce, et d en renvoyer la décision à ses tribunaux. Le vrai magistrat, tout entier à l'exercice de ses fonctions , étranger, pour ainsi dire , aux autres CHAPITRE PREMIER. yQ classes de la société , ne pnrtnge ni leurs passions, ni leurs plaisirs, ni leurs prétentions, ni leurs jalousies. Plein de cette idée qu'il est Torgane de la loi , qu'il est la loi vivante, il a un grand ca- ractère. Toujours dans la solitude du cabinet ou sous les regards du public , ses mœurs sont sim- ples et graves. Son mépris pour le luxe et ses ha- bitudes modestes Télevent au-dessus de tous les genres de séduction. Comme l'estime de ses con- citoyens est le dernier terme de son ambition , on se plaît à la lui accorder; et il marche couvert de la vénération qu'il est impossible de refuser à la réunion du savoir et de la vertu. Si les hommes propres à former de pareils ma- gistrats paroissent rares , c'est qu'ils sont épars et qu'ils cachent leur vie; mais les moyens de les découvrir sont dans les mains du gouvernement. Que seuls ils soient a])pelés à remplir les places de la magistrature , que le prince les environne d'un appareil imposant , sur-tout qu'il les couvre de sa bienveillance ; et tranquille sur la paix in- térieure de ses étals, il pourra ne se réserver que les actes qui font aimer l'autorité, et renvoyer à ses cours l'application des lois et des mesures qui pourroient la rendre odieuse. C'est la pensée de INIachiavel, lorsque dans son livre intitulé le Prince , il dit : « La France tient 8o CHAPITRE PREMIER.* « le premier rang parmi les états bien gouvernés. «Une des institutions les plus sages, c'est sans « contredit celle des parlements, dont l'objet est « de veiller à la sûreté du gouvernement et à la a liberté des peuples. Les auteurs de cette insti- «tulion, connoissant, d'un côté, Tinsolence et «l'ambition des nobles, de l'autre, les excès « auxquels le peuple peut se porter contre eux , « ont cherché à concilier les uns et les autres , « mais sans l'in'ervention du roi, qui n'auroit pu « prendre parti pour le peuple sans mécontenter « les grand^^ , ni favoriser ceux-ci sans s'attirer la « haine du peuple. Pour cet effet, ils ont institué « une autorité qui , sans que le roi eût à s'en « mêler, pût réprimer les grands et favoriser le «peuple. Il faut convenir que rien n'est, plus « propre à donner de la consistance à un gouver- « nement et à assurer \à tranquillité publique. Les « princes doivent apprendre par là à se réserver « la distribution des grâces et des emplois , et à « laisser aux magistrats le soin de décerner lesJ « peines, et en général la disposition des choses « qui peuvent exciter du mécontentement (r). » (i) Du Prince , chap. 19. Le cardinal de Retz expiime la même idée dans le passage suivant : « Les rois qui ont Oté sages et qui ont connu leurs I CHAPITRE SECOND. CHAPITRE II. Le Prince doit-il s immiscer dans l'exercice de l'autorité judiciaire? J^A puissance législative et les différentes attribu- tions du pouvoir executif, divisées dans les repu bliques, sont réunies dans les gouvernements monarchiques, et résident éminemment dans la personne du prince. Cette réunion est effrayante; aussi n'a-t-elle jamais existé sans modifications. Dans les états despotiques eux-mêmes, l'autorité du prince est limitée, sinon par des lois fonda- mentales, au moins par la religion, comme en Turquie; ou par les habitudes, les usages et les mœurs du pays, comme en Chine. Dans les monarchies tempérées (i) , chaque « véritables intérêts , ont rendu les parlements dépositaires de * leurs ordonnances , particulièrement pour se décharger d'une « partie de l'envie et de la haine que l'exécution des plus saintes « et des plus nt'^essaires produit quelquefois. Ils n'ont pas cru « s'abaisser en s'y liant eux-mêmes ; semblables à Dieu , qui € obéit toujours à ce qu'il a commandé une fois. » Mém. du Card, de Retz, t. i, p. i49i édit. de 1717. (1) On appelle monarchie tempérée, celle où l'exercice de la puissance législative et l'action du pouvoir exécutif sont assu- jettis à des solennités et à des règle* qui garantissent la sagesse G Sa CHAPITRE SECOND. branche de la souveraineté a des limi tations qui lui sont propres. La principale pour l'autorité judi- ^ ciaire, est que le prince soit obligé de la déléguer à des mandataires de son choix à la vérité , mais qui soient inamovibles (i). de la législation, la stabilité du gouvernement, la liberté des personnes , et la sûreté des propriétés. Ainsi l'organisation de la monax'chie tempérée présente deux problèmes à résoudre : lO Comment est il possible de régler l'exercice de la puissance législative, sans choquer la nature du gouvernement monar- chique ? 20 Quels sont les moyens propres à régulariser l'action du pouvoir exécutif, sans nuire à l'autorité qu'il doit avoir? (i) « Le premier roi qui rendit en France les officiers perpé- • tuels , et non destituables, fut Philippe-le-Bel , qui, en l'an o i3o2, après une recherche et réformation générale , destitua « ceux qui avoient malversé, et confirma les auti-es en leurs « offices , ordonnant qu'ils ne pourroient être destitués. Mais , « à mon avis, ce fut plutôt un privilège qu'il donna aux bons « officiers de son temps , en récompense de leur intégrité , qu'une « règle générale et perpétuelle pour l'avenir. « De fait , deux des plus accorts de ses successeurs ont heurté « lourdement à cette pierre d'achoppement , et tous deux out « vu leur état en hasard, pour avoir trop hardiment destitué « leurs officiers. L'un est Charles V, dit le Sage, qui, pendant « la captivité du roi Jean son père , désappointa (par l'avis a néanmoins des trois états) plusieurs des principaux officiers « du royaume , dont il accrut fort le parti du roi de Navarre son « ennemi, qui fut cause qu'incontinent après il les rétablit tous ; « et pour ce faire alla exprès au parleinent, où il prononça lui- CHAPITRE srcoNn. 83 Il y a des fonctions qii«' le prince ne peut pas déléguer; d'autres qu il pi-ut déléguer ou remplir lui-iriêine; d'aultes enfin qu'il doit déléguer. Le prince ne peut pas délégiser les attributs essentiels de la souveraineté, parceque ce seroit choquer la nature du gouvernement. Il est libre au prince de déléguer ou de se ré- server le commiindement militaire et le pouvoir administratif; mais il doit déléguer l'autorité ju- diciaire. « même un arrêt par lequel il déclara cette privation avoir été « faite contie raison et justice, et comme telle la cassa et annulla. « L'autre fut Louis XI , lequel , à son avènement , changea la « plupart des principaux officiers du royaume : qui tut l'une c des principales causes de cette mémorable guerre civile, nom- « roée bien public : ce qu'ayant bien reconnu, il ordonna, en «l'an 1467, que désormais les officiers de France ne pour- < roient être destitués sans forfaiture jugée ; même conuoissant « par expérience la grande utilité de cette sienne ordonnance , « et craignant qu'après son décès elle ne fût non plus observée « que celle de Philiupe-le-Bel, il s'avisa , quinze ans après qu'elle «fut faite , et étant au lit de la mort , de la faire jurer par «Charles VIII, son fils et successeur, lui remontrant, dit « riiisloire , que l'observatiou d'icelle seroit une des grandes « assurances de son état j et non content de la lui rvoir fait « jurer, il envoya tout à l'instant au parlement l'acle c» ■ ce ser- « ment pour y être publié et enregistré. » Loyseau, Tt. ité des Offices , Uv. i^chap. 3 , «"* 9G , 97, 98 , gy, et 100. 84 CHAPITRE SECOND. L'usage de déléguer le pouvoir administratif et le commandement militaire n'a d'autre motif que l'impossibilité où sont les princes de remplir eux- mêmes tant de fonctions diverses. Mais ils doivent déléguer l'autorité judiciaire, parcequ'ilsnepour- roient l'exercer sans danger pour la liberté civile. Cependant la justice est une dette du prince , et cette dette résulte d'un contrat synallagmatique entre lui et ses sujets : comme ceux-ci sont obli- gés de le servir en personne , il doit donc lui-même leur rendre la justice. Rien d'ailleurs n'est plus propre à nourrir l'af- fection mutuelle des princes et des sujets que la communication habituelle que la distribution de la justice établit entre eux. Et combien n'est-il pas consolant pour celui qui a perdu sa cause de pouvoir dire : Le prince que rien ne peut corrompre , et qui ne peut avoir d'autre intérêt que celui de la justice, a entendu tous mes griefs et pesé toutes mes raisons ! Enfin les juges les plus sages, les plus purs, les plus éclairés , liés par des formes souvent minu- tieuses , ou arrêtés par le sens équivoque de la loi , éternisent les procès : au contraire, le prince, interprète de la loi et juge des formes, ne voit que la justice, et la rend. A ces considérations on pourroit joindre beau- CHAPITRE SECOND. 85 coup d'exemples; mais tout cela disparoît devant des motifs d'une tout autre importance. Si le prince , qui est investi de la puissance lé- gislative et du pouvoir exe'cutif , se rëservoit en- core l'exercice de l'autorité judiciaire , cette ré- union confondroit des choses essentiellement différentes , et qui doivent nécessairement de- meurer séparées. En effet , comme le prince , en exerçant l'au- torité judiciaire, n'en auroit pas moins la puis- sance législative , il pourroit indifféremment ap- pliquer la loi comme juge, ou la modifier comme législateur; et de là, ces rescrits qui causèrent tant de maux aux Romains sous les empereurs qui eurent la manie de juger. Ce n'est pas tout : la loi , qui cesseroit d'être la règle invariable et nécessaire des jugements, tom- beroit dans le mépris; les formes lentes et solen- nelles, établies pour assurer la sagesse et la sta- bilité de la législation, seroient négligées, parce- que la nation ne les regarderoit plus que comme un vain appareil ; les gouvernants sentiroient moins la nécessité de mettre la puissance législa- tive en action; et bientôt les rapports des citoyens entre eux n'auroient d'autre régulateur que la volonté versatile du prince. Ajoutons que le prince , «n vertu du pouvoir 86 CHAPITRE SECOND. executif, auroit encore rexécution de ses juge- ments. Ses agents auroientdonc le pouvoir d'exé- cuter tyraiiniquenient des sentences qui pour- roient être injustes. «Dans les monarchies, dit Montesquieu (i), « si le prince jugeoit lui-même , la constitution « seroit détruite, les pouvoirs intermédiaires ané- « antis ; on verroit cesser toutes les formalités « des jugements; la crainte s'empareroit de tous rt les esprits ; on verroit la pâleur sur tous les « visages. Plus de confiance, plus d'honneur, plus « d'amour, plus de sûreté, plus de mon^irchie. » A ces motifs généraux s'en joignent de parti- culiers aux procès criminels. Dans les monarchies , c'est le prince , comme partie publique , qui accuse et qui poursuit la punition des crimes. S'il les jugeoit , il seroit tout à-la-fois la partie, l'accusateur, et le juge. Les amendes et les confiscations appartiennent au prince : s'il jugeoit, il seroit encore , sous ce point de vue, juge et partie. Enfin, s'il jugeoit les criminels, il perdroit le plus bel attribut de la souveraineté, celui de faire grâce ; car il seroit contre toutes les conve- nances que le prince donnât la vie à celui qu'un (i) Esjyrit des Lois ^ ^'^'«6; chap. 5, CHAPITRE SECOND. 87 instant auparavant il auroit juge digne de mort. En i386, le duc de Bourgogne, en sa qualité de premier pair de France , protesta contre la présence de Charles VI au jugement du roi de Navarre; le parlement donna acte de la protesta- tion , et ordonna qu'elle seroit insérée dans ses registres. Lors du procès fait au marquis de Saluées , il fut représenté à François I", par vives raisons et autorités divines et humaines (^i) , disent les his- toriens, qu'il ne pouvoit assister au jugement, puisqu'il y alloit de la confiscation du marquisat de Saluées. (i)« Quand le roi François I" fit constituer le chancelier « Poyet prisonnier, il ne voulut pas être son juge, ni même « assister au jugement, ains le renvoya au parlement de Paris; n et comme il eut récusé tous les présidents et conseillers de la « cour, le roi lui permit d'avoir deux juges de chacun parle- « ment. En quoi chacun peut juger combien la justice a été sin- « cèrement administrée en ce royaume au prix des autres. » Bodin , qui rapporte ce trait historique dans sa Republique , liv. 4 , ch. 6 , rapproche la conduite de François \^^ de celle du l'oi d'Angleterre qui , dans le même temps , mit de même en jugement son chancelier Thomas le Moore, et souffrit que ce fût son ennemi et son successeur qui lui fit son procès ; cette condamnation, ajoute Bodin, donna très mauvais bruit au roi d'Angleterre , tant envers les étrangers qu'envers ses sujets , plus pour la forme de procéder que pour le fonds en soy. 88 CHAPITRE SECOND. Dans le procès du duc de la Valette, renvoyé à une commission composée de conseillers d'état et de magistrats du parlement, le président de Bellievre dit à Louis XIII, qui présidoit lui même cette commission, « qu'il voyoil dans cette affaire « une chose étrange, un prince opiner lui-même « au jugement d'un de ses sujets; que les rois ne « s'étoient réservé que les grâces, et qu'ils ren- ée voyoient les condamnations vers leurs officiers. « Et votre majesté voudroit bien voir sur la sellette « un homme devant elle, qui , par sou jugement , « iroit dans une heure à la mort ! Que la face du « prince , qui porte les grâces, ne peut soutenir « cela ; que sa vue seule levoit les interdits des « Eglises; que l'on ne devoit sortir que content de « devant le prince. y> Dans la dernière séance , et lors du jugement définitif, le même président dit : « Cela est un «jugement sans exemple, voire contre tous les « exemples du passé jusqu'à huy, qu'un roi de G France ait condamné, en qualité de juge et par « son avis, un gentilhomme à mort. » Les paroles suivantes de Montesquieu termi- neront ce chapitre : Quelques empereurs romains eurent la fureur de juger; nuls règnes n'étonnèrent plus l'univers par leurs injustices* Esprit des Lois , liv. 6, chap, 5. CHAPITRE TROIS. 89 CHAPITRE III. Exception à la règle établie dans le Chapitre précédent. Les Princes peuvent juger eux- mêmes toutes les fois que le droit en litige tient à l'essence de la Monarchie , ou en dérive im- médiatement. JDes jurisconsultes d'une très grande autorité pensent que le prince a le droit de statuer lui- même sur toutes les difficultés qui le concernent, même sur les questions de propriété relatives au domaine corporel de sa couronne (i). (i) « S'il s'agit, dit Domat, d'un bien ou d'un droit conten- « tieux entre le prince et quelqu'un de ses sujets , le prince en « est lui - même le juge naturel , puisqu'il ne peut avoir de « supérieur qui le juge , et qu'il est le dispensateur souverain a de la justice dans son état, » Domat trace ensuite au conseil du prince la manière dont il doit se conduire dans le jugement des affaires de cette espèce : « Le devoir du conseil, dit-il , l'oblige à distinguer deux inté- « rets différents du prince : l'un qui ne regarde ni sa personne «ni ses devoirs, mais seulement les droits dont il s'agiroit; « l'autre qui est son intérêt réel et essentiel de rendre justice , t même en sa propre cause. Ceux qui ont à le conseiller doivent C)0 -CHAPITRE TROIS. Je crois cette proposition trop absolue. Les droits du prince sont de trois sortes: ceux qui tiennent à l'essence du gouvernement mo- narchique, ceux qui en dérivent immédiatement, et ceux qui lui appartiennent à titre patrimonial. Je compose cette dernière classe de tous les droits , de toutes les prestations foncières , et de tous les immeubles réels , qui appartiennent à la couronne, ou qui forment le patrimoine parti- culier du prince. A l'égard de ces droits, de ces prestations et de ces immeubles : que le prince attaque ou qu'il se défende , qu'il agisse pour acquérir ou pour con- server, c'est une question de propriété qu'il s'agit de résoudre; et comme les propriétés particu- lières ne sont pas moins sous la sauve-garde des lois que les propriétés publiques , les chances , dans une lutte de cette espèce, doivent nécessai- rement être égales. D'ailleurs, le prince ne peut opposer à son adversaire que ses titres ou sa pos- session , ccst-à-dire, que les droits qu'il tient de la loi civile. Or, toutes les contestations que règle t régler leurs sentiments sur ce que demande ce second et prin- « cijial intérêt du prince , et le proposer et appuyer avec la pru- * deuce et la liberté que demande un devoir de cette nature. » Traité du Droit public , liv. i, tit. i, scct. a, n° 5. CHAPITRE TROIS. QI la loi civile sont du domaine de Tautorité judi- ciaire : c'est donc aux tribunaux qu'il appartient de statuer sur les questions de cette nature (i). Il ne faut pas beaucoup de réflexions pour sen- tir qu'il ne peut pas en être de même à l'égard des prérogatives qui tiennent à l'essence de la souveraineté. En effet , si lorsqu'il plairoit , soit à des citoyens, soit à une corporation, de contes- ter au prince telle ou telle de ces prérogatives, la question étoit soumise à un tribunal quelconque , il est clair que , de fait , la souveraineté résideroit dans ce tribunal , puisque , supérieur aux lois fondamentales de l'Etat, supérieur au prince lui- même, il pourroit le forcer à descendre successi- vement tous les degrés du Irène, changer ainsi la (i) On voit, par l'ordonnance de i363, que dès lors le par- lement étoit reconnu pour le juge naturel de toutes les affaires domaniales. Après avoir dit dans le préambule que par un abus trop général, on porte de piano au parlement une foule d'af- faires qui doivent être d'abord soumises aux juges inférieurs, l'article i*'' de l'ordonnance ajoute : Ordinamus et statuimus , quod nulla causa de cetera in dicta nostra curia , introdueatur, nisi sit lalis quod jure suo ihldein deheat agitari.... Sicut sunt cause parium Francle et nonnidlarum personarum , etc. , et CAUSE PROPRiETATis DOMANii NOSTRi ; cttusc ctiani appclla- tionutn emissaruni a preposito parisiensi , senescallis , haiLlivis , et aliis judicibiis. Ordon. des Rois de Fx'auce, t, 3 , p. 65i. 92 CHAPITRE TROIS. forme du gouvernement, et par conse'quent com- promettre , à son gré , la tranquillité publique. Dans l'impuissance de déférer les jugements ren- dus contre lui à une au lori té supérieure , puis- qu il n'en exisleroit pas, que seroit-ce qu'un roi dans un pareil ordre de choses? le jouet des fac- tieux , et même un objet d'indifférence pour les I gens de bien , parcequ'il seroit hors d'état de rem- plir le but de son institution. Toutes les fois qu'il s'agira de statuer sur des prérogatives de cette espèce, il faudra donc dire avec Heineccius : Su- ^ periorem non habet princeps ; ac proindè , nisi eum à suhditis ùnpunè spoliari passe dixeris , ipsa eum j'udicem constitult nécessitas (i). Les droits qui appartiennent au prince, comme dérivant de la nature du gouvernement, sont ceux de déshérences, de confiscation , de bâtardise et d'aubaine ; ceux que le prince est fondé à ré- 1 clamer sur les vacants, sur les trésors trouvés, sur les mines , sur les fortifications des villes et citadelles, et après quelles sont détruites, sur le local qu'elles occupoient; sur les lais et relais de la mer, sur les fleuves et rivières navigables , leurs bords , et sur les isles et atterrissements qui peu- vent se former dans leurs lits. (i) Heineccii Opusc. Syll. II, p. 323, Exercit. 35, §. la» CHAPITRE TROIS. C)3 Sons le rapport qui nous occupe , il y a , rela- tivement à ces différents objets, deux choses à distinguer; le droit en lui-même, l'étendue et l'application du droit. Par exemple , un bâtard est décédé sans testament et sans héritier; un particulier s'est emparé de sa succession , et ré- pond à l'agent du fisc qui se présente pour la ré- clamer, ou que le droit de bâtardise n'appartient pas au prince, et qu'il entend le lui contester; ou que la nue propriété des biens qui composent cette succession lui appartenoit, et cjue le bâtard n'en avoit eu que l'usufruit. Dans le premier cas, le prince peut évoquer l'affaire et la juger ; dans le second , il doit traduire son adversaire dans les tribunaux. Au nombre des droits qui appartiennent au prince, comme dérivant de la nature du gouver- nement monarchique, il faut encore placer celui de lever et percevoir les impôts légalement éta- blis ; et mon opinion est qu'il peut, par puissance réglée, statuer lui-même sur toutes les difficultés relatives à cette perception. Le prince sera donc juge dans sa propre cause , et dans une cause qui. ne présente qu'un intérêt pécuniaire. Cela choque d'abord ; mais si l'on veut y faire attention , on verra que telle est la nature de ces sortes d'affaires , que , quel qu'en g4 CHAPITRE TROIS. soit le juge , il sera vrai de dire qu'il est aussi partie au procès. Il s'agit, par exemple, du point de savoir si l'im- pôt établi sur les vins est exigible dans telle cir- constance. L'agent du fisc soutient l'affirmative, et le contribuable prétend qu'il ne doit rien. Sans doute cette question intéresse le prince, puisque le produit entrera dans le trésor public ; maisilfaut reconnoître aussi qu'elle n'est étrangère à aucun des juges de l'Empire, puisqu'il n'en est aucun qui ne puisse se trouver dans les mêmes circon- stances ou dans des cas analogues. Quel que soit le juge de l'affaire, le prince ou le magistrat ordi- naire , celui qui la jugera sera donc nécessaire- | ment, d'une manière plus ou moins directe, par- tie au procès. Il en est de même du droit d'enre- gistrement et de tous les impôts indirects. Eh quoi ! le prince jugera lui-même les innom- brables procès qui s'élèvent journellement sur tous les points de l'Empire, à l'occasion des im- pôts de toute espèce ! Mais cela est impossible, même dans un état d'une étendue médiocre , même avec le conseil le plus nombreux. Nous en convenons ; mais il falloit établir le principe avant d'exposer les conséquences qui en résultent. La règle est donc que le prince a la faculté de CHAPITRE TROIS. gS jiigPF lui-même toutes les fois que le droit en li- tige tient à l'essence du gouvernement monar- cliique ou qu'il en dérive immédiatement , ou qu'il s'agit de la perception des tributs ; mais il n'usera pas de cette prérogative dans toute son étendue. Il en sera de ces sortes d'affaires , au moins pour la majeure partie, comme de celles entre particuliers; la décision en sera renvoyée à des juges. Mais ces deux espèces de délégation , quoique les mêmes en apparence, parcequ'elles donnent le même résultat , sont néanmoins bien diffé- rentes. Ce n'est pas la loi de l'Etat qui force le prince à déléguer le jugement des procès dont nous par- lons. Sans doute cette mesure lui est conseillée par la sagesse, par la prudence , par l'intérêt de la justice et par celui de ses sujets ; mais elle n'en est pas moins, de sa part , un acte libre et pure- ment volontaire. Au contraire, dans les monar- chies tempérées, le prince choqueroit la nature du gouvernement, et par conséquent ébranleroit les fondements de sa puissance , s il ne renvoyoit pas le jugement des procès civils entre particu- liers, et des procès criminels indistinctement, à des tribunaux que les lois ont créés , dont elles règlent la marche et garantissant l'indépendance. 96 CHAPITRÉ TROIS. De cette différence entre ces deux sortes de de'- lëgation, dont l'une est obligée, et l'autre volon- taire, dérivent trois conséquences qui forment toute la théorie de cette matière. D'abord , il en résulte que, s'il s'élève quelques difficultés qui intéressent éminemment les droits de la couronne ou les revenus publics^ le prince peut les juger lui-même. Il en résulte encore que , dans les délégations de ces sortes d'affaires , le prince n'est pas telle- ment assujetti à l'ordre des jurisdictions et aux formes judiciaires, qu'il ne puisse, sinon les in- tervertir arbitrairement , au moins les modifier de la manière la plus propre à assurer la conser- vation de ses droits et à faciliter le recouvrement des impôts. Les impôts et les besoins de l'Etat sont dans une co-relation. telle , que le corps social tombe- roit en dissolution, si les mesures d'exécution pour le recouvrement des deniers publics n'a- voient pas quelque chose de la rapidité avec la- quelle le cours des événements fait naître les be- soins de l'Etat. Enfin, de la double considération que le prince n'a pas de supérieur auquel il puisse déférer les jugements dont il auroit à se plaindre, et qu'il a droit de statuer lui-même dans ces sortes d'af- CHAPITRE TROIS. gi^ faires, résulte, pour dernière conséquence, que ' dans les procès de cette espèce, le mal -jugé évident forme un moyen de cassation. Cette ' dérogation à la règle générale peut avoir une grande influence; mais elle sort de la nature des choses. En effet , lorsque, pour le jugement des affaires criminelles ou des procès entre particuliers, le prince délègue l'autorité judiciaire, cette déléga- tion absolue, parcequ'elle est obligée, ne lui lais- sant , sous ce rapport , que l'exercice de la bran- che du pouvoir exécutif qui le constitue le ven- geur et le gardien des lois et des formes, il ne peut annuller les jugements que pour violation des formes et contravention aux lois. Mais relati- vement aux contestations qui nous occupent, le prince est dans une position bien différente : comme il lui est libre de les juger lui-même , la transmission qu'il fait de ses pouvoirs ne le dé- pouille pas d'une manière aussi complète. Il lui reste le droit d'examiner si les juges qu'il a com- mis ont fidèlement rempli toutes les conditions du mandat qu'il leur a conféré, et par conséquent celui de les réformer, s'ils s'en sont écartés. Il ne seroit pas même au pouvoir du prince de renon- cer à ce droit de révision. En effet, par cette ab- dication , il se rendroit en quelque sorte étranger 7 gS CHAPITRE TROIS. à la fortune de l'Etat, et manqueroit ainsi au pre- mier de ses devoirs. Notre ancienne organisation étoit conforme à ces principes. On partageoit les affaires concer- nant les prérogatives de la couronne en deux classes, les grandes et les petites régales : les rois statuoient sur les premières dans un conseil peu nombreux, et presque uniquement composé des ministres et des secrétaires d'état ; et renvoyoient les autres aux cours de parlement. Les difficultés relatives aux vingtièmes , cen- tième denier, contrôle, franc-fief, nouveaux ac- quêts, étoienl jugées, en premier ressort, par les intendants des provinces ; et sur l'appel , par une section du conseil d'état , connue sous la qualifi- cation de conseil royal des finances . Pour les tailles, aides, gabelles, et autres droits compris dans ce que l'on nommoitles cinq grosses fermes, il y avoit des tribunaux connus sous les dénominations de ^re/z/er^ rt ^e/^ élections, traites foraines, et cours des aides. Les trois premiers ne jugeoient qu'en premier ressort; les cours des aides recevoient les appels de leurs sentences, et statuoient définitivement , sauf le recours au conseil du roi , qui cassoit leurs arrêts non seulement pour contravention aux lois , mais pour mal-jugé évident ; et même quelquefois CHAPITRE TROIS. QQ ëvoquoit l'affaire, et en jugpoit le fond (i). Les affaires relatives aux domaines de la cou- ronne ëtoient de même attribuées à des tribunaux extraordinaires, que l'on nommoit bureaux des Jînaiices. Mais comme, en général, ces affaires présentoient des questions de propriété , et que sous ce point de vue elles appartenoient à la loi commune, après avoir subi un premier jugement, elles reutroient dans Tordre légal des jurisdic- tions ; et les appels des bureaux des finances se portoient comme ceux des juges ordinaires aux cours de parlement, avec cette modification néan- (i) Dans un mémoire dont l'objet étoit de mettre sous les yeux du roi les principes suivis dans son conseil sur les cassa- tions , et qui lui fut présenté en 1762 par M. Joly de Fleury, nous lisons : « Les contraventions aux ordonnances, aux prin- « cipes du domaine , et aux édits de finances , sont toujours « des moyens du fond ; et c'est par cette raison qu'en ces ma- te tieres, qui sont toutes d'ordre public, qui intéressent esseu- « tiellementles droits du roi, et qui exigent souvent une grande <• célérité et peu de formes, on cumule quelquefois le rescindant « et le rescisoire , et qu'en cassant un jugement on prononce » sur le fond : ce qui n'arrive jamais au conseil des parties, où « on ne cumule pas la demande en cassation avec le jugement « du fond. « Ces affaires ne se portent pas au conseil des parties , mais « au conseil royal , ou à la grands direction des finances, x lOO CHAPITRE TROIS. moins que les grand' - chambres de ces cours avoient seules le droit d'en connoître. Ces tribunaux extraordinaires et d'exception, bien moins nombreux que les tribunaux ordi- naires, n'étoient établis que dans les lieux où le fisc avoit des agents principaux. Ainsi dans toutes les villes d'élection se trouvoit un receveur des tailles, un directeur des aides, et un directeur des traites foraines ; de même, auprès de chaque bu- reau des finances étoit un directeur général des domaines. Ces préposés , qui ne parvenoient à ces places qu'après avoir parcouru tous les grades inférieurs, qu'après de longs travaux et d'utiles services , connoissoient parfaitement la partie qui leur étoit confiée; et le fisc étoit bien défendu. D'un autre côté , ces juges , faisant des lois fiscales et doma- niales l'affaire de tous les jours et l'occupation de toute leur vie , en avoient une connoissance très exacte, et les appliquoient avec beaucoup de sagesse. Aujourd'hui ces sortes d'affaires sont dissémi- nées entre tous les tribunaux de première in- stance; tribunaux qui ne sont composés que de quatre ou cinq juges, dont aucun, par consé- quent, n'a le loisir de faire des lois fiscales l'objet spécial de ses études ; tribunaux qui , n'ayant à CHAPITRE TROIS. lOI s'occuper de ces matières qu'à des intervalles très éloignés, manqueroient d'expérience et d'usage, quand même ils auroient une théorie suffisante; tribunaux enfin qui, presque tous, sont placés dans des villes peu considérables , et auprès des- quels les administrations financières n'ont que des agents d'un ordre très secondaire. Je ne proposerois pas de rétablir les tribunaux d'exception; peut-être suffiroit-il d'attribuer tou- tes les affaires de cette espèce aux tribunaux des chefs-lieux de département, en leur donnant une organisation analogue à ces nouvelles fonctions. CHAPITRE IV. Que V Autoiité judiciaire se compose de deux éléments , la J urisdiction et le Commandement. Définition de la J urisdiction. Du Commande- ment uni à la Jurisdiction , de son étendue, et de ses effets. L'altorité judiciaire se compose de deux élé- ments, la jurisdiction et le commandement. Le mot jurisdiction est formé de ces deux autres, JUS et dicere. Aussi dit-on : Jurisdictio à jure di- cendo.. lOa CHAPITRE QUATRE. Ainsi la toi confère une jurisdiction toutes les fois qu'elle donne le droit d'appliquer les lois gé- nérales aux cas particuliers, par des décisions dont elle règle la forme, et qu'elle prend l'en- gagement de faire exécuter; ainsi l'action de la jurisdiction commence au moment où le juge prend connoissance de l'affaire qui lui est sou- mise, et finit à l'instant où il a définitivement prononcé (i). En un mot , le pouvoir juris- dictionnel est tout entier dans la faculté de connoîlre et de juger, in notione et judicio , comme parlent les jurisconsultes. In notione , c'est-à-dire, dans le droit d'ordonner tout ce qui est nécessaire pour éclairer la religion du magis- trat; ce qui comprend la vocation, vocationem , ou , ce qui est la même chose, le droit d'appeler tous ceux dont l'assistance en cause peut être utile au bien de la justice. Mais que seroit-ce qu'un jugement sans moyens d'exécution? un siniple conseil, toujours méprisé par celui dont il clioqueroit les intérêts. (i) Quumque jurisdicdo in sola notione consistât , sequitur, ut ea tantùm in decernendo etjudice dando sit posita : ut , si- mul ac aliqua vis et coactio accedit , statim scse exserat impc- riuin ; ut non exsequutio , sed sententia , sit ertremum in juris- dicîione. Heineccics, ad Panel, lib. 2, lit. i , §. 2/j4. CHAPITRE QUATRE. lo3 Celte réflexion a frappe tous les législateurs, et tous ont joint le commandement à la jurisdic- tion ; et c'est, comme nous venons de le dire, cette union du commandement à la jurisdiction qui constitue l'autorité judiciaire , ou , ce qui est la même chose , le mixtum imperium des Romains. Nous ne donnerions donc qu'une idée très im- parfaite de l'autorité judiciaire, si, après avoir défini la jurisdiction , nous ne faisions pas voir en quoi consiste le commandement judiciaire. Le mot commandement j pris dans une signifi- cation absolue, embrasse tous les genres de pou- voir, et caractérise éminemment la souveraineté; mais, appliqué aux autorités secondaires, il a une signification beaucoup plus restreinte. Sous ce point de vue , le commandement ju- diciaire se divise en deux branches, la coercition et l'exécution. La coercition consiste dans le droit qui appar- tient à tous les juges de punir par des peines lé- gères, telles qu'une amende peu considérable ou un emprisonnement de peu de durée , les injures qui leur seroient faites dans l'exercice de leurs fonctions. Dans les lois romaines , ce droit est générale- ment appelé coémfto; quelquefois cependant elles I04 CHAPITRE QUATRE. le noitiment imperium; et c'est en prenant le mot imperiiim dans cette signification , que les juris- consultes disent : Jurisdictio inhœrct , cohœret , et adhœrct imperio. En effet, tous les juges, quelque degré qu'ils occupent dans la hiérarchie judiciaire, ont ce droit de coercition ; il leur est également assuré et par les lois romaines (i) et par les lois françaises. Cette coercition n'est qu'une foible partie du commandement judiciaire. L'autre branche est beaucoup plus importante; c'est le commande- ment proprement dit. JMais , en s'unis.^ant à la jurisdiction , ce com- mandement se tempère et se modifie de manière qu'il n'a m la même liberté dans ses mouvements, ni la même sphère d'activité que celui qui réside dans la main des principaux agents de l'ordre administratif. (i) Cui jurisdictio data est, ea qiioque concassa esse 'vide n- tur, sine quibus jurisdictio explicari non polcst. Dig. de Jiiris- dictione, I. 2. Sine modicâ coërcitione nulla est jurisdictio. L. ult. de Ofûcio ejus cui... Contemni non patiatur, qui jus reddit. L. 19 , de Officio Praesidis. Magistratus jurisdictionem suavi pœnuli judicio defendcre potcit. L. j, Si quis jus,,. CHAPITRE QUATRE. lo5 11 ëtoit impossible d'assujettir à des règles in- variables le pouvoir confié à ces agents, parce- qu'obligés de prévoir et de prévenir tout ce qui pourroit troubler l'ordre public, ils ne peuvent, le plus souvent , prendre conseil que des circon- stances. Mais il n'en est pas de même du commande- ment uni à la jurisdiction. Comme cette union n'est fondée que sur la nécessité d'assurer le règne de la loi , le juge ne peut commander qu'au nom de la loi, que dans les formes par elle établies, et pour l'exécution des ordres qu'elle l'autorise à donner. Mais le juge ne peut statuer que de deux manières : par des ordonnances pour citer et faire comparoître devant lui; par des jugements pour prescrire ou défendre, pour condamner ou ab- soudre. Pour remplir le vœu de la loi et le but de cette institution, il suffisoit donc qu'au droit déjuger fût unie une portion de la force publique telle qu'elle piit assurer l'exécution de tous les ordres , de toutes les ordonnances, de tous les jugements, en un mot, de tous les décrets de la justice; et en effet ,• c'est à cette exécution que se borne le commandement judiciaire. En résumant cette théorie , on voit que l'auto- rité judiciaire a deux parties très distinctes , la loG CHAPITRE QUATRE. jurisdictioii et le commandement; que la juris- diction est concentrée dans le double droit de connoître des procès et dé les terminer par des jugements; et que par son union avec la jurisdiction , le commandement se modifie de manière que tous ses mouvements sont régies par la loi , et qu'il ne peut agir que pour faire exécuter les décrets de la justice. En dernière analyse , ton t cela s'explique par les mots suivants : Notio, vocatio , coërcitio ^ judicium , etexecutio. Cette décomposition de l'autorité judiciaire n'étoit rien moins qu'inutile; elle nous conduira à la solution de plusieurs difficultés. Et d'abord, elle va nous servir à classer les juges et les tribu- naux, et à assigner à chacun d'eux le rang qu'ils doivent occuper. Nous parlons de rangs et de 1 classifications. Sans doute , on voit déjà qu'une autorité ainsi composée , pouvant facilement se diviser, peut être répartie d'une manière inégale» et par conséquent donner lieu à des distinctions entre les juges et les tribunaux. Ces distinctions seront la matière des chapitres suivants. Nous commencerons par ce qui concerne la personne des juges, et les qualifications qui les distinguent. CHAPITRE CINQ. IO7 CHAPITRE V. Des Juges, des Qualifications qui les distinguent 3 et de la Hiérarchie qui existe entre eux. Les gouvernements reposent sur deux colonnes, la justice et la force; mais la force, sans la justice, les prëcipiteroit dans l'anarchie; et sans la force, la justice méprisée ne seroit qu'un vain nom. Il est donc également nécessaire que la justice di- rige l'emploi de la force , et que la force fasse respecter les actes de la justice. De leur union dépend, en effet, la stabilité des empires et la tranquillité des peuples. C'est en ne les séparant jamais que les rois, s'élevant à toute la hauteur de leurs destinées, se montrent les images et les organes delà Divinité, et que, couverts des rayons de sa gloire, ils inspirent aux hommes amour, crainte et respect, et les conduisent , par l'heu- reux mélange de ces sentiments, au bonheur et au bien. Lorsque le prince délègue et le droit de distri- buer la justice et celui d'assurer l'exécution des lois et des jugements par l'emploi de la force pu- 168 CHAPITRE CINQ. bliqiie , il confère donc l'exercice de ses plus hautes et de ses plus nobles prérogatives. Mais il ne cumule pas toujours ces deux attri- butions. Il peut les séparer; et, en effet, souvent il les sépare. Il y a des fonctions judiciaires de trois sortes : avec jurisdiction et commandement , avecjurisdiction sans commandement, avec com- mandement sans jurisdiction. Ainsi la jurisdiction et le commandement sont tantôt unis et tantôt séparés ; et c'est leur union ou leur séparation qui distingue les différents officiers de justice, et qui leur assigne le rang qu ils doivent occuper dans la hiérarchie judi- ciaire. Le premier appartient à ceux qui , dans une circonscription déterminée, ont tout à-la-fois, par le droit de leur office, et à titre universel , et la jurisdiction et le commandement. On leur donne l'imposante qualification de magistrat , parcequ'on leur doit toute la soumission qu'ils doivent eux-mêmes aux lois, et que, suivant l'ex- pression des lois romaines, ce sont des puissances, potestates. JLn effet, et les personnes et les choses , tout est soumis à leur autorité ; ils sont les arbi-» très de toutes les destinées, les gardiens de toutes les propriétés, les juges de toutes les conventions, les garants de l'exécution de tous les engage- CHAPITRE CINQ. lOQ ments (i) : obéissante à leur voix, la force publi- que exécute tout ce qu'ils ont ordonne; et c'est son plus noble usage. C'est, nous le répétons, c'est aux hommes re- vêtus de ce grand caractère, et à eux seuls, qu'ap- partient le titre de magistrat. Comme l'usage n'est rien moins que conforme à celte théorie, je l'ap- puierai des deux autorités les plus graves que l'on puisse invoquer en cette matière. «Ceux, dit Bodin, qui ont charge publique «ordinaire et honorable, et puissance de com- « mander avec jurisdiclion , ce sont ceux-là qui « proprement s'appellent magistrats (2). » Celui de tous les jurisconsidtes français qui a le mieux connu la nature des offices, LoySeau , s'exprime à-peu-près dans les m.çmes termes; les voici : « Outre les officiers des cours souveraines « extraordinaires, il n'y a d ailleurs que ceux de a la justice ordinaire qui soient vrais magistrats; « ayant seuls puissance ordinaire , jurisdiction (i) Magistratûs hanc esse vun y ut prœsit , prœscribatque recta , et utiLla , et conjuncta cum legibus. Ut enim mngiitrati- biis leges , in populo prœsiint mogistratus ; verèque dici putest , inagistratum legem esse loquentern , legem autem mutum ma- gistiatuin. CicERO, de Legibus, lib. 3. (a) République , li^. 3, chap. 3. IIO CHAPITRE CINQ. « entière , et vrai de'troit et territoire , qui est à « nous la marque de la jurisdiction et magistra- « ture (ij. » Les fonctions judiciaires avec jurisdiction , msiis sans co7?imandement, sont celles qui ne confèrent que le droit de connoître d'un certain genre d'af- faires, et de juger jusqu'à une certaine somme. Comme ces attributions sont des démembrements de la jurisdiction ordinaire, par conséquent des exceptions au droit commun, et qu'il est de règle que les exceptions doivent être renfermées dans les limites les plus étroites , ces sortes de tribu- naux ne peuvent, sans excéder leurs pouvoirs, sortir du cercle dans lequel la loi a jugé à propos de l(?s circonscrire. Ainsi, toutes les fois qu'elle ne leur confère pas explicitement, et par une dis- position formelle, le droit de faire exécuter leurs jugements , la j urisdiction seule leur est transmise; le commandement reste attaché à la justice ter- ritoriale. Ils ne peuvent donc prendre d'autre qualification que Thonorable qualification de juge, puisque le titre de magistrat appartient exclusivement à ceux qui réunissent le comman- dement et la jurisdiction. Et quand même, par dérogation à la règle , la (i) Des Offices , liv. i, diop. 6, np /|B. CHAPITRE CllVQ. I 11 loi confëreroit le commandement à un tribunal (l'exception, les officiers de ce tribunal neseroient pas autorises à prendre la qualité de magistrat. Loyseau , qui fait cette judicieuse remarque , ca donne les raisons suivantes : « Les élus de France, « officiers des gabelles, des eaux et forets, prévôts « des maréchaux, les consuls et autres juges ex- « traordinaires, ne sont pas des magistrats, quoi- « qu'ils aient préhension, vocation, voire même «le droit de glaive, c'est-à-dire, le pouvoir de « coi\damner à mort ; car nous tenons en France « qu'il n y a que ceux de la justice ordinaire qui « soient vrais magistrats , ayant seuls puissance «ordinaire, jurisdiction entière, et vrai détroit « et territoire et jurisdiction universelle sur « les personnes et les choses qui sont en iceloi; de «laquelle justice, ces autres justices extraordi- « naires et extravagantes sont démembrées , et « extra ordinem utilitatis causa constitutœ (i). » Comme les tribuns à Rome , parmi nous les officiers du ministère public ont commandement S2^ns jurisdiction. Ils ont le commandement, par- cequ'ils sont autorisés à disposer de la force pu- blique toutes les fois que son emploi est néces- saire pour que force reste à justice; ils n'ont pas (i) Des O/fioes, liv, i , chap. 6 , ««s 48 ef 49. Il2 CHAPITRE CINQ. la jurisdiction, parcequ'ils ne sont pas investis du droit de rendre des jugements. Sont-ils vrais magistrats ? D'après les bases que nous venons d'établir, la question n'est pas difficile à résoudre. Cependant Loyseau paroît disposé à leur accorder cette prérogative. Voici comme il s'exprime à cet égard : « Quant aux avocats et procureurs du roi « des bailliages et prévôtés, il y a beaucoup d'ap- « parence de les tenir pour magistrats , pour ce « qu'ils sont comme contrôleurs de la justice, et « qu'en certains cas ils peuvent enjoind^ aux « sergents d'emprisonner; et partant, prehensio- if. nem hahere videntiir ; et ainsi le tient Bodin , « dans sa République , qui pourtant est un peu « suspect en ce point-ci , pour ce qu'il étoit pro- « cureur du roi à Laon (i). » Je pense avec Loyseau que les fonctions de ce ministère sont tellement importantes, qu'il est ' dans les convenances de donner à ceux qui en sont investis la qualification de magistrat. {x)Des Offices f liv. i, chap. G , n^ 64. CHA.PITRE SIX. 1 IJ CHAPITRE VI. Des Prérogatives attachées à l'exercice de l'Au- torité judiciaire. J_jES principales prérogatives des magistrats et des juges sont : 1^'inviolabilité des juges dans l'exercice de leurs fonetions, et le respect dû aux magistrats dans tontes les circonstances ; Le droit de commander, au nom de la loi, à tous les citoyens; La préséance sur leurs justiciables dans les actes et dans les cérémonies publiques; Enfin le droit d'imprimer l'authenticité aux actes émanés d'eux. Des nombreux devoirs des rois, le premier, le plus impérieux est, sans contredit, celui de ren- dre la justice à leurs sujets. Cette importante fonction est si essentiellement inhérente à la royauté, que pour concilier l'obli- gation de la remplir avec la nécessité de la délé- guer, la loi se prête à une fiction fort remarqua- ble. Elle identifie le juge avec la personne du prince , et suppose que c'est le prince lui-même qui parle par l'organe des juges. Cette fiction, qui est une vérité légale, et qui 8 Il4 CHAPITRE SIX. explique l'usage de placer le nom du prince à îa tète des jugements, établit une différence bion frappante entre les fonctions judiciaires et les autres fonctions publiques. Les délégués du Prince, dans toutes les parties d'administration , agissent en son nom ; et c'est ce qui fait leur gloire et leur force: mais c'est le Prince- lui-même qui proclame les décisions de ses délégués de l'ordre judiciaire. * Ainsi les juges participent à l'inviolabilité at- tachée à la personne du Prince, Ainsi, pour nous servir des expressions de Loyseau , tout ofjicier, quelque petit qu'il soit, exerçant sa charge , est sacré et inviolable.... C'est une branche du crime de lese-majesté , d' attenter à sa personne . Et com- me, aux yeux de la loi , c'est le prince qui est of- fensé , et qu'elle voit dans le juge un tiei'S entre la perf=onne offensée et l'auteur de loffense ; faisant taire ia règle qui défend de se faire justice à soi-même, non seulement elle confie au juge le soin de sa propre vengeance, mais elle lui en fait un devoir rigoureux (i). (i) Ç)ue cil qui tenront le parlement , ne souffrent pas euls viti'peier par oultrageuses paroles de a{<ocat, ni de parties. Car Ihoneur du roi de qui il représentent la personne , ne le doit mie souffrir. Règlement donné en i344i par Philippe de Valois, pour le parlement, art. 17. Ordon. du Louvre, t. 2,/). 22B. CHAPITRE SIX. Il5 Il y a néanmoins une distinction à faire. Si l'injure ne comporte qu'une peine légère, telle qu'une amende peu considérable ou un enipri- sonnement de peu de durée, le juge offensé l'in- fligera lui-même ; mais s'il y a lieu à peine afflic- tive ou infamante , il doit renvoyer le prévenu devant les tribunaux criminels. Cependant il ne descendra pas dans l'arène pour demander justice; elle lui sera rendue sur la poursuite du ministère public. On vient d'en lire le motif. Et que l'on ne croie pas que ce respect n'est dû au jugeque lorsque, couvert des insignes de la magistrature, il distribue la justice, ou que, des- cendu de son tribunal , il remplit néanmoins quelques fonctions publiques. L'injure seroit la même, et appelleroit la même peine sur son au- teur, si elle avoit pour cause quelques actes éma- nés du juge dans l'exercice de son ministère. Car alors, dit Loyseau, rapportant V effet à .\a cause , il est vrai de dire qu'il est outragé en tant qu'of- fcier, et partant c'est le prince qui est outragé en sa personne (i). Mais si le juge n'a été insulté ni dans ses fonc- tions ni à raison de ses fonctions , sera-t-il assu- (i) Des Offices , lii>. i, chap. 6 , n" i5. Il6 CHAPITRE SIX. jetli à la loi commune, et n'aurat-il d'autres réparations à prétendre que celles dues à tous les citoyens? A cet égard Loyseau fait une dis- tinction que nous adoptons , et que nous allons transcrire. «En ce point-ci, il faut distinguer les « magistrats et principaux officiers d'avec les i.a « très; car les magistrats étant en la sauve-garde « spéciale du prince souverain , duquel ils font « la plus haute fonction, sont sacrés et inviola- « blés en tous temps et en tous lieux. Lege ho- « ratia , de sacro-sanctU magistratibus ; sauf s'ils « étoient en habits Je^uisés et inconnus.... Mais « les simples officiers non magistrats , qui n'ont « le commandement, n'étant pas sacrés (c'est-; - « dire mis en la sauve-garde publique comm a sont les magistratsj, bien que toujours ils soient «en honneur, néanmoins n'ont pas continuel- ce lement ce second effet de puissance publique « que ce soit rébellion de les outrager, mais « ne l'ont seulement qu'en l'acte de leur exer- ce cice , auquel précisément ils représentent le c( prince (i). » A l'obligation d'honorer les magistrats et les juges se joint celle encore plus étroite d'obéir aux commandements de la justice. (i) Des Offices , Uv. i , chap, 6 , «o» i4 et i5. CHAPITRE SIX. I {'] Tous les jugements sont termine's par un man- dement de les mettre à exécution. Dans ces mafi- dements , c'est le prince qui , déployant son au- torité souvem'H' , commande lui-même l'obéis- saiice. Toute 0]>position, toute résistance de fait, ^roit donc un acte de rébellion. Ce mot est de Loyseau qui ajoute : « Aussi voyons-nous qu*un petit sergent ^ porteur du mandement de son u juge, fera des commandements et des défenses «à un grana set^aeui enlèvera ses biens, les «vendra; voire le d i-même prisonnier, si le cas y échet; et fa: .. ^>..'à tout cela il obéisse, ou s'il prétend qu'ori iui fasse tort , qu'il se uovirvoie par Jes voies de justice, implorant l'aide du magistrat supérieur ^ sans résister par " voie de fait. Encore qui observeroii l'ordon- f nance de Moulins, art. 3i , comme elle a lieu .^s états bien policés, sitôt que le sergent auroit a touché de sa verge celui qu'il voudroit empri- '< sonner, il seroit tenu de le suivre volontaire- « ment sous peine de rébellion. Tel est l'effet de ce la puissance publique que tout officier, au fait fc de sa charge, a puissance légitime sur tous su- ce jets de son prince de quelque qualité qu'ils ce soient (i). » (i) Des Offices , liv. I, cJtap. C, «o n. Il8 CHAPITRE SIX. Le jugement es^il inique , évidemment inique? ti 'importe. La loi donne des moyens pour se sous- traire à son exécution , et il n'est pas permis d'en employer d'autres. Ces moyens sont 1 oj)posilion ou l'appel , s'il est rendu en première instance ; l'opposition , la requête civile , ou la demande en cassation , s'il est rendu en dernier ressort. Mais s'il pouvoit arriver que le juge refusât de recevoir 1 opposition , ou que dans le cas où l'ap- pel est suspensif, il ordonnât de passer outre à l'exécution de son jugement , au moins alors ne seroit-il pas permis de repousser la force par la force ? car ici l'acte du juge ne peut être regardé que comme un acte de force et de violence. Bodin qui se fait cette question , y répond par la distinc- tion suivante : « Ou le grief est irréparable , ou « bien il se peut réparer: si le grief se peut répa- « rer , il n'est pas licite de faire résistance : si le «cas est irréparable, comme s'il est question de « la vie , ou de peine corporelle , et que le magis- cc trat voulût passer outre à l'exécution , sans dé- « férer à l'appel , en ce cas il seroit licite de résis- « ter , non pas pour offenser le magistrat , ains « seulement pour défendre la vie de celui qui se- a roit en danger, et que la défense fût sans fraude : a autrement il n'est pas permis de résister au ma- « gistrat en l'exécution tortionnaire des biens, CHAPITRE SIX. llf) « ores qu'il excédât son pouvoir, et qu'il ne défé- oc rat à l'appel , ou quil fit injure: attendu qu'on « se peut pourvoir par appellation , par requête « civile , par action d'inj ure ( i) , et autres moyens «justes et légitimes. Mais il n'y a loi divine ni ce humaine qui permette de revenger ses injures « de fait et de force contre les magistrats , comme « quelques uns ont pensé , qui font ouverture « aux rebelles pour troubler tout un Etat; car s'il « est permis aux sujets de se revenger de fait et de « force contre les magistrats , on usera des mêmes « arguments pour résister au prince souverain, et « fouler les lois aux pieds. (2) « Que celui qui a droit de commander ait la pré- séance sur ceux qui sont tenus de lui obéir , cela ne peut pas faire le moindre doute : cependant le prince auquel seul il appartient de distribuer les honneurs et d'assigner les rangs , peut, par des motifs dont il ne doit compte à personne , mo- difier , à cet égard , la prérogative des magistrats et des juges. Enfin, c'est encore un des privilèges des ma- gistrats , des juges et en général de lous ceux qui (i) Dans l'idiome du palais, on nomme prise à partie ce qu« Bodin appelle action d'injure. (2) De la République f liv. 3, chap. 5. 120 CHAPITRE SIX. exercent des fonctions judiciaires, qu'ils commu- niquent la puissance publique dont ils sont in- vestis à tous les actes qui dépendent de leur mi- nistère : que ces actes, par le fait seul qu'ils sont revêtus de leurs sipjnatures , sont authentiques , font foi pleine et entière , et ne peuvent être at- taques que par la voix de l'inscription de faux. CHAPITRE VII. Du Mi'tistej'e public. J-j'ÉTABLissEMENT d'unc partie publique , c'est-à- dire d'un fonctionnaire obligé par le titre de son office de surveiller les ac;jiojis de tous les citoyens, de dénoncer aux tribunaux tout ce qui pourroit troubler l'harmonie sociale , et d'appeler l'atten- tion des juges et la vengeance des lois sur tous les crimes , même sur les moindres délits, est un des plus grands pas que les hommes aient faits vers la civilisation; et cette institution appartient aux temps modernes. Il ne paroît pas que cette grande et salutaire idée se soit présentée à l'esprit des anciens légis- lateurs. Sansdoute, elle auroit frappé les Romains, mais elle étoit incompatible avec leurs formes populaires. CHAPITRE SEPT. I2l Cependant Verapereur Auguste établit dans les provinces des Procureurs Impériaux ; Procurato- res Cœsaris ou Rationales : mais ce prince , trop habile pour choquer les formes républicaines dans les points qui n'intéressoient pas directement son autorité, borna les attributions de ces officiers à la manutention de ses domaines et à la recette des impositions ; et s il s'élevait quelques difficultés entre eux et les contribuables , ils étoient obligés de les soumettre au jugement des tribunaux. L'empereur Claude , dont les règlements n'é- toient guères que les fantaisies d'un imbécille , donna à ces receveurs du fisc le jugement des af- faires fiscales concurremment avec les pro-pré- teurs et les pro consuls , et même on vit bientôt de mauvais œil ceux des pro-consuls et des pro- préteurs qui voulurent user de cette concurrence. Ce qui explique ce conseil d'Ulpien (i) , melius fecerit si ahstlneat. Enfin , la prérogative du fisc continuant à s'étendre, une loi de l'empereur Constantin attribua à ces procureurs la connois- sance exclusive de toutes les affaires fiscales (2). Hâtons-nous de le dire pour la gloire des Romains : ( 1 ) Dig. L. I , tit. 16 , 1. 9 , <;?(? Ofjicio proconsutis et legati. (2) Ad fiscum pertinentes causas rationalis décidât. Cod. L. 3, tit. 26, 1. 5, iibi caiisœ fiscales... etc. 122 CHAPITRE SEPT. leur code renferme bien peu de lois de cette es» pèce. Les Francs trouvèrent ce régime e'tabli dans les Gaules , et les rois des deux premières dynas- ties eurent leurs procureurs , que l'on appeloit tanlot procuraiojes , tantôt adores régis. Mais leur bon sens leur fit sentir combien il ëtoit contraire à la saine raison , et alarmant pour les citoyens , que le réfîjisseur des domaines du prince et le re- ceveur des impositions fût en même temps le juge des difficultés qu'il lui plairoit de susciter. Et ces procureurs furent réduits aux attributions que l'empereur Auguste leur avait originairement con- férées, (i) Cependant l'établissement d'une partie pu- blique qui représente la société et qui agit en son nom dans toutes les affaires , dans toutes les cir- constances qui peuvent l'intéresser , est une ins- titution monarchique , et la France étoit dès lors (3) Cette double assertion , que les rois des deux premières races avoient des procureurs , et que ces procureurs, étrangers aux affaires ])ubliques et aux fonctions judiciaires , n'étoient charges que de la manutention du domaine de la couronne et de la défense de ses droits dans les tribunaux, est prouvée par différents capitulaires, par les anciennes formules, et notam- ment par celles de Marculfe. CHAPITRE SEPT. 123 en monarchie. Pourquoi donc cette belle idëen'a- t-elle pas frappe l'esprit de. nos pères ? Il y en a plusieurs raisons. Voici la principale. Il n'y avoit chez les Francs que doux crimes ca- pitaux : on noyoit les traîtres et on pendoit les poltrons. Tous les autres crimes s'expioient par des compositions, c'est-à-dire par des sommes pé- cuniaires que le coupable donnoit à l'offense ou à sa famille (i). De manière que la poursuite des (i) La précision avec laquelle tous les délits sont tarifés dans les lois saliques , bourguignones , ripuaires et bavaroises , est fort remarquable. En voici quelques exemples tirés de la loi salique: Si quis ingenuus hominem francum aut harharuin occident qui lege salicâ vivit , octo mille denaiiis , qui faciunt solidos duccntos , culpahilis judicetur. Tit. /j3, art. i. Si romanus homo francum exspoliaverit , his mille et quin- gentis denariis , qui faciunt solidos sexaginta duos cum dimi- dio, culpabilis judicetur. Tit. i5, art. 2. Si quis unrorem alienatn , vivo viarito , tulerit , octo mille denariis, qui faciunt solidos ducentos , culpabilis judicetur. Tit. 1/, , art. 12. Dans le quatorzième chapitre, intitulé : De ingenuis hnmini- bus qui ingenuas mulieres rapiunt , on lit , art. 4 : Raptor verb his mille et quingentis denariis, qui faciunt solidos s^xaginta duos cum dimidio , culpabilis judicetur. Le chapitre 3i est relatif aux mutilations ; en voici l'art, i : Si quis alteri manum aut pedem truncaverit , vel oculum effo- 12 4 CHAPITRE SEPT. crimes n'ëtoltqu'uno affaire civile et n'intëressoit que la partie plaignante. Ces procureurs du roi , adores régis , se perdent dans la confusion des premiers règnes de la troi- sième race. Ils reparoissent vers le treizième siè- cle , mais seulement avec les attributions qu'ils *fcivoient précédemment. Il ëtoit bien impossible qu'il y eût des accusateurs publics dans un temps ou toutes les questions de fait et de droit , et sur- tout les procès criminels se dëcidoientpar la voie des armes. Qui eût voulu se cbarger d'un mi- nistère qui l'eut oblige d'entrer en champ clos avec tous les accuses ? de rit , aut auriculam vel nasum amputaverit , quatuor mille denariis , qui faciunt solidos centuni , culpahilis judicetur. Il restoit encore dans le quatorzième siècle des traces de cette ancienne jurisprudence. Elles furent entièrement effacées par l'article 9 de l'ordonnance du mois de mars i356 , qui défend aux juges de recevoir les accusés à composition ; voici les ter- mes de cet article : « Comme il est venu à notre connoissance « que les officiers de nos balllagcs et prévôtés.... ont reçu , en «cas criminels et capitaux.... composition dont les crimes « étoient demeurés sans élre poursuivis, contre la raison et le «bien de la justice, voulons et ordonnons que toutes telles « compositions cessent dorénavant... défendons à tous justiciers « qu'ils ne reçoivent aucunes personnes à composition , en cas « de crime , ains soit fait pleine justice. » CHAPITRE SEPT. 12^ Mais à 2")eirie le parlement est-il fixe clans la ca- pitale que l'on y voit un procureur général et des avocats généraux avec toutes les attributions dont ils jouissoient encore dans ces derniers temps; et ce qui est fort remarquable , les hommes revêtus de cette nouvelle magistrature déployent , dès le premier instant de leur existence, ce grand ca- ractère qui , pendant près de cinq siècles , a jeté tant d'éclat sur notre ancien ministère public (i). (i) Comment, par quelle série d'idées a-t-on été conduit â cette institution? à qui la devons-nous? quelle est l'époque précise de son établissement ? Il paroît que M. d'Aguesseau lui- même l'ignoroit, et qu'à cet égard il en étoit réduit à des con- jectures. Voici , en effet, ce que nous lisons dans le lome 5 de ses OEuvres , page 2^2 : « Par un très mauvais usage, mais » qui a peut-être donné la première idée du ministère des offi- « ciers qu'on a établis dans la suite , pour requérir, au nom du «roi, la mort et la punition des coupables, il étoit autrefois « assez ordinaire que les rois se rendissent eux-mêmes accusa- « teurs des évêques qui avoient commis des crimes de lese- « majesté. » M. d'Aguesseau rapporte ensuite plusieurs exem- ples d'accusation intentée contre des évêques par des rois de la première et de la seconde race. Peut-être n'est-il pas nécessaire de remonter si haut pour trouver l'origine de cette institution. L'usage consigné dans le passage suivant de Eeaumanoir pourroit en avoir donné l'idée : « Se chll qui vient accuser vieut il puet denoncicr au juge que « tel raeffes a été fçs à la viie et à la sciie de tant de bonnes gens 126 CHAPITRE SEPT. On aime encore à se mppeler que ce fut le pre- mier de tous les avocats généraux , Pierre de Cu- gnieres, qui, par sa courageuse résistance aux pré- tentions de la cour de Rome , sauva Tindépen- dance de la couronne et les libertés de l'Eglise Gallicane du despotisme ullra-nionlaiu. La ville de Touriiay étoit un lieu d'asile ; une fois dans ses murs , les homicides , sûrs de l'im- punité, bravoient la justice et les lois. Dès l'an i356 , le procureur général du roi (i) disant que tels usages et coutuwe<; ne sont à soutenir; alnssont contre le droit commun et bien de justice ; requiert ajournement contre les hahitans afin que s'ils en avaient usé au temps passé par abus , il leur fut fait défense que jusqu'à ce qu autrement fût or- « qu'il ne puet cstre celé, et seur che il en doit fera comme bons « juge , et en doit enquerre tout soit che que la partie ne se « veuille concilier en enqueste, et se il treuvele meffet notoire « et apert il le puet justicier selonc le meffet, car mal chose se- « roit se l'en avoit ocis mon prochein parent , en pleine feste , « ou devant grant plante de bonnes gens , se il convenoit que « je me combalisse pour le vengement pourcachier, et pour che « puet on en tex cas qui sont apert aler avant par voie de dé- « noncialion. » Coutume de Benuvoisis , ch. 6i, second alinéa. (i) On voit que , dès cette époque, le procureur du roi près le parlement avoit la qualification de procureur général. Or- donnances du Louvre, t. 3 , p. 93. CHAPITRE SEPT. 12y donné sur ce, dores en avant Us ne usent de ladite coutume , ne ne reçoivent en leurdite ville de telle manière de gens. Je rapporte ces détails pour faire voir combien dès ses premiers pas la marche du ministère pu- blic a été mesurée. En effet , le procureur géné- ral se contente de dénoncer et de requérir , et il attend de la sagesse du parlement le remède aux abus qu'il lui défère. Le parlement permit au procureur général d'as- signer les habitans de Tournay devant lui , et par provision leur fit défense de donner asile aux mal- faiteurs. Les services rendus à la couronne par cette haute magistrature sont incalculables. Les rois ne dédaignoient pas de consulter leurs procureurs généraux sur les lois et sur les règlements qu'ils avoient faits. Les auteurs des ordonnances du Louvre parlent d'une ordonnance à la fin de la- quelle on ^t , autrefois ainsi signée. Es requête de l'hôtel, après ce de votre commandement , veûe et les articles contenus en icelle , corrigés par le con- seil et par le procureur du roi en parlement ; et de- puis, récritte , à moi ainsi baillée pour signer, (i) Dans un règlement de l'an i358 on lit : Et de- (i) Toœe 3 , Table des matière», p. i3o. 128 CHAPITRE SEPT. puis de notre commandement baillé à voir à Jios procureurs et avocats, en parlejnent , desquels la relation ouïe^ nous par bonne délibération et pour le profit commun , etc. Ces magistrats avoient à peine cinquante ans d'existence que déjà reposoit dans leurs mains et Texercice dt^ toutes les actions criminelles, et, par une délégation spéciale, la poursuite de toutes les vexations , de tous les abus de pouvoir commis par des hommes assez puissants pour que leur con- damnation pût compromettre Tautorilé royale , de manière qu'il ne resloit dans la main des rois que ce qui pouvoit leur concilier la reconnois- sance et 1 amour, c'est-à-dire le droit de modérer les poursuites, d'adoucir ou de remettre les pei- nes. On voit par deux ordonnances données, Tune par le roi Jean en décembre i355 , et l'autre par Charles, régent du royaume, au mois de mars i356 , que pendant les désordres des temps an- térieurs, les capitaines , les maîtres dej^garnisons le maître des arbalétriers , les amiraux, les maré- chaux , le connétable et même les princes du sang, s'étoient arrogé le droit de faire , lorsqu'ds étoient en voyage , des prises en bled , vin , vivres , char- rettes , chevaux et autre chose dont le peuple étoit moult grevé et dommagié. Les deux ordon- nances proscrivent ces vexations, et renferment CHAPITRE SEPT. 12Q l'une et l'autre la disposition suivante : Et jurera le procureur du roi qui est à présent et qui sera pour l'avenir, que sitôt comme il viendra à sa connoissance , il poursuivi a lesdits preneurs au plus rigoureusement qu il pourra , combien que les parties ne fassent aucun pourchas ou pour- suites ( f ). Par l'intermédiaire de cette magistrature , le roi voyoit tout , entendoit tout , ëtoit présent par-tout. Il surveilloit l'exécution des lois , la conduite des juges, les actions de tous les citoyens; il concouroit à la confection de tous les règle- ments de police et les faisoit exécuter ; entin , il assistoit aux délibérations de tous les corps et de toutes les corporations de l'Etat. La conservation des droits du domaine , des prérogatives de la couronne et de l'autorité royale étoit surtout l'objet de l'infatigable sollicitude de ces magistrats. (2) Enfin , tout ce qui pouvoit in- (i) Ordonn. du Louvre, t, 3 , p. i34 , ait. i8. (2) Pour s'en convaincre , il ne faut que lire les OEuvrps de M. d'Aguesseau. Il y en a bien d'autres preuves. Je m'arrête à celle-ci : En 14^4 , l'évéque de Nantes fit traduire un particulier devant son officiai. Ce particulier déclina la jurisdiction; et son dcclinaluire ayant été rejeté, il appela au parlement de Paris. L'Ovèfjue y comparut, et déclara, pur le ministère de son pro- 9 l3o CHAPITRE SEPT. téresser l'ordre public étoit dans les attributions de ce ministère. Si , pendant le cours d'un pro- cès , les parties , après s'être fait justice elles- mêmes , vouloient donner à leur accord la forme et l'autorité d'un jugement , il falloit que le pro- jet en fût soumis aux gens du roi pour y garder notJ'e droit et celui de justice , disent les ordon- I nances. Les prérogatives de cette magistrature étoient proportionnées à son importance, La qualifi- cation de gens du roi donnée à ceux qui en étoient investis réveilloit , à tous les instants , cureur, qu'il ne reconnoissoit aucun supéiieur, même temporel, que le pape; que Constantin nvoit donné à Vévéque de Nantes le temporel de celle église , qui ne faisait pas partie du royaume de France , et Cjui ne relevoit que du pape. Après avoir combaUu cette extravagante prétention , le pro- cureur général conclut à ce que l'évèque de Nantes fût con- traint , même par ejyiprisonnement de sa personne , à déclarer publiquement, en présence de la cour, que mal conseillé , et avec un cœur et un esprit endurcis , il avait dit et fait dire tout ce qu'il avoit proposé contre la souveraineté du roi; quil en de mandait pardon qu roi , à la cour, et à la justice; qu'il fût enfin condamné au bannissement perpétuel, et que la révoca- tion qu'il feroit de tout ce qu'il avoit dit contre l'autorité du roi fût écrite dans deux tableaux , dont l'un seroit affiché à la grande porte de l'église cathédrale de Nautes , et l'autre dans la graîide chambre du parlement. CHAPITHli: SEPÏ. 10 1 Vidée, des rappoiis'qui existoient entre eux et le monarque. Les procureurs-généraux nommoient tous les procureurs du roi près les bailliages. Ils ont joui de cette prérogative jusqu'en i522, époque à la- quelle un edit a érige ces commissions en titre d'office. C'est par suite de cet ancien état de choses que, même dans ces derniers temps , les parlements ne donnoient aux procureurs du roi d'autre dénomination que celle de substitut du procureur général. Une ordonnance du mois de décembre i363 , en vingt-deux articles, donnée par le roi Jean , pour régler la manière dont on devoit procéder au parlement, porte , art. 19. Les rcQlemens con- tenus en cette ordonnance n auront pas lieu dans les affaires qui regardent le roi et où son procureur est seul partie, principalement dans les affaires do- maniales. De cette disposition, on avoit fait sor- tir la maxime que le ministère public ne pou voit être que difficilement condamné par défaut, que l'on devoit rabattre ceux obtenus contre lui en prouvant qu'il avoit été empêché pour le ser\ ice du roi. Boulillier, conseiller au parlement pen- dant les dernières années du quatorzième siècle et les premières du quinzième , magistrat (\\\\\ savoir profond, et qui nous a laissé u\\ ouvrage iZz CnAPlTRE SEPT. '■' infiniment précieux , parle de cet usage en ces termes : ce Est à savoir que contre le procureur « du roi ne se donne légèrement défaut comme « contrepartie privée, pour les exoines qu'il peut « avoir pour le fait du roi ; mais toutefois si le «procureur défaut à son jour, défaut peut être « donné, et peut avoir lieu en faveur de la partie « adverse ; si ainsi n'est que le procureur ait eu « très légal exoine pour le fait du roi et ainsi « fut-il conseillé par le conseil du roi à Paris. « Somme rurale , liv. II , tit. II. C'étoit par l'organe de ces magistrats que le roi communiquoit ses intentions et transmettoit ses ordres à ses cours de justice , et quoiqu'ils ne fissent pas corps avec ces cours , ils en jDarta- geoient néanmoins tous les privilèges, toutes les prérogatives (i). (i) La question s'éleva dans les premières années du quin- zième siècle; elle fut décidée en faveur des officiers du minis- tère public, par un arrêt du ii avril i4i6, ^vie Joannes Lucius , Placit. Cur. L. 4 , tit. 9 , rapporte en ces termes : Prù'ilegium curice irrogatian , regiœ procurationis triuniviro , an complec- teretur, addubitatuin est. Neque cniin orcJicstrain ciuialein conscindunt., neque quicquam pro iinperio ac potestate décer- nant : sed in subselliis sedent , et si quid oraiiduin est, e.v. infe- riore loco id faciunt, aperto per initia capite , qnoad ei qui fasccs hahet , fiierit visum. Plaçait tamen eos coinj?rehendi ; CHAPITRE SEPT. l33 C'ëloit encore un des privilèges du procureur gëijëral de porter directement à la grande cham- bre du parlement les affaires dans lesquelles il etoit partie principale. L'article 5 de la grande ordonnance de i453, faite pour régler l'adminis- tration de la justice et la compétence des tribu- naux , monument très précieux de la sagesse de nos pères, après avoir fait l'énumération des causes dont la connoissance immédiate appartient au parlement, ajoute: Et toutes celles es-quelles Jiotre procureur général serait principale partie. L'importance de ce ministère se déployoit sur- tout dans ces jours solennels que l'on appeloit mercuriales^ jours de courage et de justice, où les juges se soumettoient à leurs propres juge- ments; où les censeurs publics se censuroient eux-mêmes; où les négligences les plus légères étoient relevées comme des fautes graves; où ce- lui dont les habitudes étoient peu compatibles avec l'honneur et la gravité de la magistrature, étoit signalé sans ménagement; enfin , pour nous servir des expressions de M. d'Aguesseau, oii le juste Denoit rendre compte de sa justice même. Ces assemblées, dépositaires et gardiennes de esse enim veluti quoddam cuiiœ additamcnlum , quasique corollarium. l34 CHAPITRE SKTT. la dignité âes cours de justice, etoient sous la surveillance spéciale des officiers du ministère public. Les ordonnances leur faisoient un devoir de les provoquer; de déférer iiu roi lui-même le tribunal qui avoit refusé de les tenir aux époques fixées par les lois; d'informer le chancelier des résolutions qui s'y prenoient , et d'en suivre l'exé- cution (i). (i) « Enjoignons à nos avocats et procureurs généraux, sur «peine de privation de leurs charges, de promouvoir lesdites <. mercuriales, d'en poursuivre le jugement, et de nous avertir « prompteraent de leur retardation ou empêchement d'icelles ; «faire aussi toutes diligences que lesdites mercuriales nous «soient, et à notre chancelier, incontinent connues, x Ordon- nance de Blois , art. \!\l\. Par les ordonnances de i53<), i56o et 1.^)79, les mercuriales dévoient avoir lieu tous les quinze jours, les mercredis après- dîner. Des ordonnances postérieures les avoient réduites à deux par an ; l'une à Piujues , l'autre à la Saint-Martin. Aux termes de ces ordonnances, les mercuriales avoient pour objet d'examiner : Si les ordonnances étoient exécutées; Si les conseillers étoient irréverents ou désobéissants à nous, à ladite cour, on aux présidents d'icelles ; S'ils étoient négligents ou nonchalants de venir en ladite cour aux jours et heures qu'il est requis , et y faire la résidence d le et ordonnée; CHAPITRE SEPT. 1 35 Cependant telle étoit l'oiganisation de ce mi- nistère qu'avec une sphère d'activité aussi éten- due^ et pour ainsi dire sans limites , ceux qui en étoient investis ne pouvoient nuire à personne, ne jjouvoient jamais être un sujet d'inquiétude ni pour le prince ni pour les citoyens. Surveillants des juges, ils étoient sous leur sur- veillance , et même en quelque sorte dans leur dé- pendance. Ils ne pouvoient pas s'absenter sans leur congé, et lorsqu'ils n'étoient pas dans le lieu des séances de la cour, ils dévoient attendre dans une S'ils faisoient leurs devoirs de rapporter et d'extraire les procès dont ils étoient cliargés ; Et, en général, s'ils ne faisoient "point choses repréhensibles ou dérogeantes à nosdites ordonnances, et à l'honneur et gra- vité de ladite cour et présidents d'icelle. Les mesures d'exécution étoient : i" Remontrances à ceux qui se trouvoient coupables des fautes, négligences ou irrévérences susdites. a** En informer le roi, et, à cet effet, en faire registre à part, afin que le roi prit mander un ou plusieurs présidents, et y pourvoir ainsi qu'il appartiendra. 3» Punir sévèrement les contrevenants par la suspension ou privation de leurs offices, ou autres peines, suivant l'exigence des cas. . 4° Faire des règlements pour la discipline de la compagnie , lesquels dévoient èlre envoyés au roi et au chancelier. l56 CHAPITRE SEPT. pièce voisine les communications qu'elle vou- droit leur faire , ou les ordres qu'elle pouvoit avoir à leur donner (i). Les délais des procédures couroient contre eux de même que contre tous les citoyens. Le procu- reur général avoit interjeté appel d'une sentence après l'expiration du terme fixé par la loi, le par- lement rejeta cet appel par arrêt du 12 août i568. Joannes Lucius ^ qui le rapporte dans son livre intitulé /*/<2ato curiœ, lib. 11, lit. 10, ajoute ces paroles remarquables: Digjia quidemvox estma- jestate regjiantis, legibus alligatum se prîncipem projîteri. Leur présence aux délibérations des cours au- roit pu gêner les suffrages, notamment dans les (i) « Ne pourront s'absenter de la cour sans congé et licence « d'icelle, et pour nos affaires et celles de ladite cour, à peine «< de privation de leurs gages. » Ordonnance donnée à Is-sur- Tille en i535 , art. 7. Des ordonnances postérieures ajoutent : « Pour la seconde « fois, suspension de leur office; et pour la troisième, priva - « tien . « Ordonnons qu'içeux nos avocats et procureurs viennent « bien matin au palais, à ce que prompte expédition puisse se « faire des matières dont ils auront charge , et qu'ils soient prêts ft quand ils seront mandés en notredite coTir. » Ordonnance de 1^193 , art. 60. CHAPITRE SEPT. 1^7 affaires concernant le domaine, les droits et les prérogatives de la couronne. Les ordonnances leur défendent d'y assister, et ne dérogent en leur faveur aux règles générales que pour leur per- mettre d'être présents aux rapports des affaires domaniales (\). Dans les affaires criminelles, le procureur du roi maître absolu de dénoncer et de requérir n'avoit pas le droit de donner une simple citation de sa seule autorité ; il falloit qu'un décret du juge lui en dontiât le pouvoir. Moins circonscrit, moins gêné dans ses mouvements lorsqu'il agis- (l) Pro/iibemus ne senescalU aut alii judices consulant pa- tronos , seu advocatos vel procuratores nostros , aut alios , vel curn eis délibèrent qualiter pronunciare hahehunt , veljudicare in caitsis nostris vel aidx , in quibus ipsi procuratores fuerint vel patroni , sed eos à consilio , seu deliberatione hujusmodi, otnninà repellant , ne ibidem intersint. Ordonnance de i338, art. 12. • Au jugement des causes du roi , les avocats et procureurs « du roi n'auront point d'opinion , et ne seront pas du conseil « quand on voudra ju^^er les procès ; toutefois pourront être « présents au rapport et relation d'iceux. » Ordonnance de 1490, art. 42. On retrouve les dispositions de ces deux ordonnances dans l'article 88 du décret impérial contenant règlement pour la dis- cipline et la police des cours et des tribunaux. l58 CHAPITRE SEPT. soit comme défenseur du domaine et des droits delà couronne, il avoit une action directe, et pouvoit assigner à sa requête. Cependant quoique ces affaires purement civiles ne pussent compro- mettre ni l'honneur, ni la liberté, ni la vie des citoyens, son pouvoir, à cet égard, recevoit une limitation importante ; il ne pouvoit intenter les procès de celte nature qu'après avoir préalable- ment pris l'avis de l'avocat du roi (i). Pour la facilité de ceux, qui pouvoient avoir des actions ou des accusations à intenter contre les officiers du ministère public, une ancienne (i) « Aucun , eu matière criminelle , né sera ajourné à la re- « quèle de notre procureur, sans qu'il y ait décret du juge; el: « ne pourra intenter, notredit procureur, action ne procès en «matière civile, sans avoir le conseil de notre avocat es lieux « où avons avocat, sous peine d'être condamné, en son propre «et privé nom, es dépens, dommages-intérêts de la partie in- «téressée, et en amende arbitraire envers nous autant qu'il «sera trouvé calomnieusement et pour vexer aucuns, avoir « intenté ledit procès contre notre présente ordonnance. » Or- donnance de Louis XII , de l'an 1499? "'^' ^*' « Tous décrets seront rendus sur les conclusions de nos « procureurs ou de ceux des seigneurs. « Selon la qualité des crimes , des preuves et des personnes , « la partie sera assignée, ajournée à comparoir en personne, ou « décrétée de prise de corps. » Art. i et 2, tù. 10 de Vordon- iiance de 1G70. CHAPITRE SEPT. lOQ ordonnance leur enjoignoit de continuer leur ré- sidence, dans le lieu où ils avoient rempli leurs fonctions , pendant cinquante jours après en avoir cessé l'exercice (i). La disposition de cette loi , concernant la rési- dence des officiers du ministère public pendant cinquante jours , ne tarda pas à tomber en dé- suétude ; mais relativement à leurs malversations elle conservoit toute sa force, et tous ceux qui avoient à se plaindre de vexations par eux com- mises d:ins l'exercice de leurs fonctions étoient , lorsque les faits étoient graves et bien établis, autorisés à les prendre à partie. CHAPITRE VIII. Des différentes espèces de Jurisdiction. J'ai déjà parlé de la jurisdiction; j'ai dit qu'elle consistoit dans le droit de connoître et déjuger, (i) Ordinanius et statuiiniis qitod post dimissionem dicti nf~ Jicii in illo loco , deheant per 5o dies immédiate seqiientes con- tinué residcre , et querelantibus de ipsis haheant respondere , ut posxintipsi querelantcs facilius consequijus suum contra eos. Ordonnance de ;338, art. 34. l4o CHAPITRE HUIT. in notlone et judicio ; j'ai ajoute que, réunie au commandement, elle constituoit l'autorité judi- ciaire: ainsi je ne l'ai présentée que comme un des «éléments de cette autorité. Maintenant j'a- bandonne cette précision , et prenant le motyw- risdiction dans le sens qu'on lui donne commu- nément (i), j'en distingue de plusieurs sortes. La jurisdiction contentieuse et la jurisdiction volontaire. La jurisdiction ordinaire, et la jurisdiction ex- traordinaire et d'exception. La jurisdiction propre et la jurisdiction pro- rogée. La jurisdiction en premier et en dernier res- sort. Enfin la jurisdiction qui, supérieure à toutes (i) Noodt , dans son traité de Jurisdictione et Imperio , lib. i , cap. I, explique très bien comment l'usage s'est établi de com- prendre sous ce mot jurisdiction et le droit de juger et celui de faire exécuter les jugements. Voici ses termes : Jus dicere est pronunciare id quod omnibus vel pluribus in civitate utile hahetur, At quia ea utililas , sive id jus pariim intelligi solct , prœterquam causa cognitd; etiam frustra dici , nisi jurisdiction i cogendi vis potestasque insit , facile obtinuit, ut jurisdictionis appellatione non tantiim juris pronunciatio y sed cognitio quo~ que atque executio , contineri viderentur. CHAPITRE HUIT. l4l les antres, annulle les jugements contraires aux lois (i). Nous allons nous occuper successivement de ces différentes espèces de jurisdiction. Cette matière est d'un grand intérêt. En effet, on ne verroit pas autant de conflits, autant de variété dans les jugements de compétence, au- tant de malheureux plaideurs obligés de s'épuiser pendant des années entières en frais et en dé- marches pour savoir enfin quel sera leur juge, si les justiciables et leurs conseils connoissoient mieux la nature des jurisdictions ; si les juges n'étoient pas si souvent incertains sur l'étendue de leur autorité ; si les législateurs tracoient d'une main plus ferme la ligne de démarcation entre les différents pouvoirs ; enfin si cette grande vérité, consignée dans le préambule de l'ordon- nance de 1453, éloit mieux sentie par les juris- consultes, par les magistrats, par les législateurs, Les royaumes sans bon ordre de justice ne peuvent avoir durée ne fermeté aucune. (i) Je ne parle pas de la jurisdiction criminelle; une matière aussi vaste et d'une aussi haute importance exige un traité parliculior. l42 CHAPITRE NEUI". CHAPITRE IX. De la Jurisdiction contentieuse et de la Jurisdiction volontaire. Le juge exerce la jurisdiction contentieuse toutes les fois qu'il prononce sur des intérêts opposés , après des débats contradictoires entre deux par- ties dont Tune a cité Taiitre à son tribunal. Tout ce qu'il fait sur la demande d'une seule personne, ou surcelledeplusieursd'accordentreelleselsans contradicteur, appartient à la jurisdiction volon- tai re. JurisdiGlio recte dhnditur in volonlariaui , quœ inter volentes , et sine causœ cognitione exer- cetLU\ et contentiosam ^ quœ inter invitos et liti- gantes cwn causœ cognitione explicatur. Ces définitions sont de Heineccius (i). On y voit que deux caracleres principaux distinguent ces deux espèces de jurisdiction ; que la conten- tieuse s'exerce inter nolenies ^ et la volontaire inter volentes; que dans les actes de la première le juge prononce causa cognitâ, et dans ceux de la seconde sine causœ cognitione. (j) Ad Pandect. Lib. a, lit. i, tic Jurisdkt. y n^ 2 4<J. CHA^PITRE NEUF. 1 45 De cette dernière différence faut-il conclure que, dans l'exercice de la jurisdiction volontaire, le juge purement passif doit déférer à tout ce que les parties , sans contradicteur et d'accord entre elles, peuvent avoir la fantaisie de lui demander? Non. 11 faut appliquera ces mots, connoissance de cause , la judicieuse distinction de d'Argentré. Ce jurisconsulte dit, comme Heineccius , que la jurisdiction volontaire est celle qui s'exerce inter volentes et sine cognitione ; mais expliquant ce que l'on doit entendre par ces mots connois- sance de cause, il en distingue de deux sortes: l'une qui peut résulter de tous les moyens pro- pres à éclairer la religion du juge, et que par cette raison il appelle informatoriam; l'autre qu'il appelle légitimant (i), parceque le juge ne peut en faire la base de sa décision que lorsqu'elle lui est parvenue parles voies légales; et c'est de cette seule connoissance que parlent les jurisconsultes lorsqu'ils disent que la jurisdiction volontaire est celle qui s'exerce sans connoissance de cause , sine causée cognitione {p). Telle est donc la préci- (i) Coût, de Bretagne , art. i , note i , n» 2. (2) Voet , qui n'a pas saisi cette distinction , et qui sentoit combien il étoit inconvenant de faire d'un juge un instrument purement passif , a imaginé une troisième espèce de jui'isdic- tion , qu'il appelle mixie. l44 CHAPITRE NEUF. sion de cette théorie-, dans les actes de la juris- diction volontaire, le juge peut se décider par ses connoissances personnelles; dans ceux de la ju- risdiction contentieuse , il est obligé de juger sc- cundum allegata et probata. Dans les premiers, il peut prendre pour base de sa décision les laits articulés par le demandeur, ou refuser d'y croire par des motifs qui lui sont personnels ; au con- traire dans les seconds, lorsqu'un fait essentiel est dénié par l'une des parties, il ne lui est pas permis de le tenir pour certain , et quelque con- noissance qu'il en ait d ailleurs, il doit en or- donner la preuve. Une seconde différence entre ces deux espèces de jurisdictions, c'est que celui qui a recours à la jurisdiction volontaire ne demande au juge que l'interposition de son autorité , et que ceux que des prétentions contradictoires forcent de s'adres- ser aux tribunaux , leur demandent d'abord une sentence , c'est-à-dire de prendre connoissance de leurs moyens et de les juger, et n'invoquent l'au- torité du juge que secondairement et pour l'exé- cution de cette même sentence ; ce qui a fait dire aux jurisconsultes que la jurisdiction volontaire est jnagis impejii quam jurisdictionis , et que la contentieuse est magis jurisdictionis quam im- perii. CHAPITRE NEUF. l45 De ces notions, 1rs auteurs, d'accord avec les lois romaines, ont tiré la conséquence que le juge peut fîire les actes de la jurisdiction volontaire les ^ ; 'rs fériés, dans sa maison ou dans tel autre , . ^y^ i il lui plaît, et même hors de son tern- toue , quoiqu'il ne puisse exercer la jurisdiction contentiense que sur son tLihnnal , dans l'enclave de sa justice, et les jours destinés à l'expédition des affaires (i). (l ) Er quibus dcfinldonibu<flu'U voluntaridin qunrjue loco et de piano explicaii poase : contentiosain non nlsi pro trihunali. Illain et dlebusfeiiatis , hancfastis tanlùin dichas ea-.erccri. Illain rectè explicaii e.vtra terrilortuin ; et quod ad liane extra territorium judicantl iwpunà noîi paretur. Hkineccius, ad Pandect. lib. a, tit. i, n" i^o. Après les textes qui portent : Feriœ dilationes sunt omnium litium , les lois romaines ajoutent (L. i, ■! et 3 , Dig. de Feriis et Dilat.) : Fallit ut tuloj-es et cui-atorcs dentiir et ex.cusentur. Si de alendis libe/is , parentibits , pat'ronis agatur. Emanclpare ac inanumiltere licet eliain die dotninicd. Quant à la faculté de faire les actes de la jurisdiction volon- taire en tous lieux, même hors de leur territoire, elle est ac- coi'dée aux juges par les lois i eti ,ff. de Officio proconsuUs y dont voici les termes : Proconsul nbique quidem procon^ularia insignia habet, slatini atque urbem egresxus est. Potesiatem autcm non exercet, nisi in ed prbvincid solâ quœ ci deereta est. Oinnes proconsules statiin quam urbem cgi cssi facrint, habent jurisdictionem , scd non contcnliosain , sed voliuilariam. 10 l46 CHAPITRE NEUF. ^ Les actes auxquels ces règles s'appliquent , c'est-à-dire les actes de la jurisdiction volontaire, sont la dation de tutelle, 1 adoption, lëmanci- pation, l'envoi en possession des biens tj,*^*-- ab- sents, l'ouverture des testaments, le dëcrii[ers,i d'autoriser la consignation des deniers of/hn^, l'aliénation des biens des mineurs et des commu- nautés ; a et autres tels actes de cérémonie ezquels « reluit et paroit Tautorité et puissance du ma- « gistrat, qui partant sont dits, esse magis imperii a quam jurisdictionis ». Ce sont les termes de Loiseau (i). Ces actes cessent d'appartenir à la jurisdiction volontaire, et passent dans le domaine de la ju- risdiction contentieuse et en suivent les formes, toutes les fois qu'ils sont attaqués par des tiers. Voluntaria jurisdictio transit in contentiosam in- terventu justi adversarii (2). (i) Des Offices, liv. 1, chap. 5, n» /JS. (2) D'Argentrk, Coutume de Bretagne , art. i, note i, n° 2. Cet auteur examine avec beaucoup de soin la question de savoir si celui qui attaque le décret homologatif de l'avis de parents qui l'a nommé tuteur, doit se pourvoir par opposition devant le même juge, ou s'il peut déférer ce décret au juge supérieur par la voie d'appel. « Je sais , dit-il , que l'usage est de recevoir ces sortes d'appel ; mais cette forme de procéder n'est rien CHAPITRE NEUF. j ^t Enfin de la circonstance que la jurisdiclion volontaire a})partient plus au commandement qu'à la jurisdiction, résulte la conséquence fort notable c[ue, de droit commun, cette espèce de jurisdiction est attachée à la justice ordinaire et territoriale , et que les juges extraordinaires ne peuvent l'exercer qu'en vertu d'une délégation expresse (i). moins que régulière. » Faber, ad Codiceni, Uh. 7, tit. 29, defin. i, pensoit de même :  tutelce quidetn datione appellatio regula~ r'Uer non admiltitiir, nisi proposiln prias er.cusalionc , etedper judicem rejectâ. (i) Celte règle, puisée dans la nature des choses et dans le droit l'omain, est encore sanctionnée par le suffrage de Loy- seau , qui en rend les raisons suivantes : « Il faut remarquer « que le ini.rtum imperiutn , étant metoyen entre le pur com- « mandement et la jurisHirtion, avoit deux parties; l'une ^arti- «cipante, même cohérente tout-à-f'ait à la jurisdiction, et né- «cessaire à la manutention d'icelle , comme la légère punition; alautre plus séparée de la jurisdiction, et, au l'eboui's , plus € approchante du j)ur commandement, qui gissoit aux décrets « de justice , restitution en entier, adoption , manumission , etc. « Celte seconde partie du mlrtuin imperium n'étoit pas trans- <> férée à celui auquel la jurisdiction étoit commise, parceque « les. actes légitimes, qui consistent en l'exécution de la loi, ne « ressentent point tant la jurisdiction que le commandement ; à « moins qu'ils ne fussent délégués spécialejnent. w Des Offices , liv. I , chap. 5, n^'^ It^ et fi6. 148 CHAPITRE DIX. CHAPITRE X. De la Jurisdiction propre et de la Jurisdiction déléguée, JLes Romains distinguoient avec beaucoup de soin ces deux especesdejurisdictions. La raison en est que la première avoit une importance et des pré- rogatives que la seconde ne partageoil pas. C ëtoit une maxime de leur droit public, que la jurisdic- tion propre étoit, dans la main du magistrat qui en étoit investi , une véritable propriété. Il n'en étoit pas de même de la jurisdiction déléguée; ce- lui auquel une partie quelconque de la puissance publique étoit transmise par la voie de la déléga- tion , n'en étoit que le dépositaire , et ne l'exer- çoit qu'au nom et comme mandataire de l'auto- rité de laquelle la délégation étoit émanée. De celte manière de voir, on tiroit la consé- quence , que le magistrat devoit remplir lui-même les fonctions qu'il ne tenoit qu'à titre de mandat, mais qu'il pouvoil transmettre l'exercice de celles qui lui étoient propres. More majorum ita corn.' parât uni est, ut is jurisdùtionem mandare possit ipdsuojure, non alieno habet. Lib.i, ff.de jurisdict. CHAPITHE DIX. 149 Ce texte ne parle que de la jurisdiction propre, le suivant s'applique également à l'une et à 1 autre. Quœcumque specialiter lege velsenatus consulto , vel constitutione principum trihuuntur, mandata jurisdictione non transferuntur , quœ vero jure ma- gistiatus competunt mandari possunt ( i). En con- séquence , les consuls et les préteurs ne pouvoient pas déléguer le droit de donner des tuteurs aux pupilles, parcequ'ils n'a voient pas cette attribu- tion y«/e magistratiis j mais sexAtiminiper novam et adventitiain autoritatem. Cependant la règle que le magistrat pouvoit transmettre l'exercice de la jurisdiction , qui lui apjjartenoit titulo ojjïcii , recevoit une exception, relativement aux actes qu'il ne pouvoit faire que sur son tribunal , qui alibi Jîeri non poterant , qiiam pro trihiinali. Aucun magistrat, disent le^ jurisconsultes , ne pouvoit déléguer les actes de cette espèce , parcequ'aucun magistrat ne pouvoit conférer le droit d'ériger un tribunal. Tels étoient , relativement à ces deux espèces de jurisdictions, et les principes des Romains, et les conséquences qu'ils tiroient de ces principes. La manière dont les choses se passèrent en France est remarquable :au milieu des désordres (i) Z. I ,^". de Officio ejus cui, etc. l5o CHAPITRE DIX. de la conquête, et maigre l'ignorance de ces teraps- là, on y suivit la distinction que nous venons d'exposer entre l'autorité propre et l'autoiité dé- léguée. Les premiers rois francs étaient dans l'u- sage de joindre l'autorité judiciaire aux bénéfices et aux gouvernements qu'ils conféroient à leurs principaux capitaines: mais cette délégation n é- toit que temporaire ; le leuda taire et le gouver- neur ne jouissoient que sous le bon plaisir du roi , et ne rendoient la justice que comme ses manda- taires. Tout le temps que subsista cet ordre de choses , ces officiers , comme ceux de Rome qui n'avoient le droit de juger que par délégation, exercèrent constamment eux-mêmes les fonctions judiciaires, et ne les déléguèrent à personne. Mais , après que vers la fin de la première race , et au commencement de la seconde, les seigneurs et et les comtes eurent usurpé la propriété du pou- voir, des prérogatives et des domaines dont ils n'avoient eu jusqu'alors qu'une jouisssance pré- caire , bientôt , comme les grands magistrats de Rome , on les vit commettre des préposés pour exercer , en leur nom , l'autorité judiciaire. Alors s'éleva un pouvoir intermédiaire entre le prince et ses peuples ; la puissance royale fut reculée d'un degré ; et cette innovation , à laquelle on ne fit pas d'abord toute l'attention qu'elle méritoit , CHAPITRE DIX. l5l fut une des principales causes de la cliùte des deux premières dynasties. Cependant la propriété du droit de juger avoit également résidé dans la main de la plupart des magistrats de Rome qui en déléguoient pareille- ment l'exercice , et il n'en étoit résulté aucun in- convénient (i) : pourquoi donc le même système a-t-il eu en France des suites aussi graves ? c'est qu'il n'y a de bonnes lois que celles qui sont en harmonie avec la nature du gouvernement , et l'ensemble de la législation. Ainsi l'on pouvoit, sans inconvénient , conférer la propriété d'une portion de la puissance publique à des magistrats dont les fonctions comnienroient et finissoient avec l'année, et qui comptoienl autant de sur- veillans et de censeurs que de citoyens. Et telle étoit l'organisation de Rome. Mais adapter cette mesure à une monarchie , et souffrir que des par- (i) Il paroît que les empereurs eurent le bon esprit d'en craindre , et qu'ils privèrent tous les juges du droit de déléguer leur autorité. En effet, les jurisconsultes remarquent que les mots mandate autoritatein ne se trouvent pas dans le code, et que le titre de Officia ejus qui vice prœiidis adininiitrat ne désigne que celui que le prince ou le sénat avoit nommé pour remplir les fonctions du président de la province , en son absence iSa CHAPITRE DIX. lies de cette même puissance fussent posse'dées à titre patrimonial par des particuliers, et surtout par des hommes voués à la profession des armes, c'étoit changer la nature du gouvernement , c'é- toit le convertir en une espèce d'aristocratie qui devoit nécessairement en opérer la ruine. Le temps exerça , sur cet abus , son influence ordiii;iire : il fuggrava. Bientôt ces lieutenants des seigneurs et des coîiiles que, dans la suite, on appela ])aillifs, c'est-à-dire , gardiens de la jus- tice, emportés par l'esprit national, qui ne voyoit de bonheur et de gloire que dans les hasards de la guerre , dédaignèrent l'exercice de leurs fonctions, se permirent de les déléguer, et, vers le treizième siècle , ces lieutenants avoient eux- mêmes des lieutenants. L'abus fut porté si loin, que le même baillif avoit plusieurs b;tillinges (i) ; des lieutenants , commissionnés par lui , rendoient la justice en son nom ; et , le plus souvent , ces commissions ëtoient à l'enchère. Les lois leur défendoient ce (i) Un règlement donné, en i36i, par le bailliage de Troyes aux drapiers de la même ville , commence ainsi : « Pierre de « Fontaine, lieutenant de noble homme, M. Tristan Dubois, ♦ chevalier , seigneur de FumecLon , baillif de Troyes et de « Meaux , etc. » CHAPITRE DIX. 1 53 trafic bonteux(i) , et leur imposoient l'obligation de résider et d'exercer eux-mêmes. Plus puissants que les lois , ils en bravoient lautoritë. Cet ordre de clioses , tout \icieux qu'il etoit , subsista jusqu'au siècle de François I , siècle des grands hommes et des grandes découvertes ; ce- lui dans lequel l'esprit bumain a déployé le plus de force et de majesté ; celui de tous qui a pro- duit les plus grands magistrats et les juriscon- sultes les plus profonds ; de tous , enfin , le plus précieux pour nous, parceque nous lui devons nos plus belles lois et nos institutions les plus sages. Ces magistrats, ces jurisconsultes proclamèrent le principe , que dans une monarchie, la pro- priété de la puissance publique ne peut résider que dans la main du prince ; que nul ne peut exercer l autorité judiciaire qu'en son nom , comme son mandataire et sous sa surveillance. En conséquence, dans tous les bailliages royaux , les fonctions des lieutenants furent érigées en titre d'office ; et , de simpjles préposés , des bail- (i) « Défendons à nos baillifs et sénéchaux, et antres nos « justiciers, que dorénavant, pour commettre leurs lieutenants, «ils ne prennent et n'exigent aucune somme d'iceux lieule- «nants. » Ordonnance de i453 , ait, 88. l54 CHAPITRE DIX. lifs , ces lieutenants, nommés et pourvus par le roi , devinrent ses officiers. Enfin, pour assurer 1 leur indépendance, et, surtout, pour extirper jusqu'aux dernières racines d'un abus qui avoit été si funeste à la France , l'ordonnance d'Or- léans défendit aux baillifs de s'immiscer dans l'exercice des fonctions judiciaires , et ne leur laissa , de leur ancienne autorité , que les préro- gatives honorifiques (i). Par l'effet de cette innovation, toutes les par- ties du vaste système de l'organisation judiciaire se trouvèrent enfin assises sur leurs véritables bases ; et il fut géiiéralement reçu , que l'autorité judiciaire, comme tous les autres pouvoirs , rési- doit dans la main du roi : que les juges ne pou- voient l'exercer qu'en son nom ; et que sinqjles dépositaires de cette autorité , ils n'avoient pas le droit de la déléguer. Mais si l'on eut appliqué ce principe dans toute son étendiie, on auroit, dans beaucoup de cir- constances, multiplié les frais et retardé l'expé- dition dès procès: on le sentit; et, par un tempé- (i) Déjà celle prohibition existoit à l'égard des seigneurs hauls -justiciers. Cette mesure et quelques autres, qu'il est inulile de rappeler, avoient modifié leur droit de justice de manière qu'il n'avoit plus rien d'inquiétant pour l'autorité royale. \ . CHAPITRE DIX. l55 rament très sage, il fut établi que le juge saisi d'une affaire, toujours oblige de la juger lui- même, pouvoit déléguer, non à ceux qu'il lui plairoit de choisir, mais à des hommes déjà re- vêtus du caractère de juge, les actes d'instruction qui exigeroient son transport dans des lieux trop éloignés. Et c'est le dernier état. Cependant on voit tous les jours les cours d'ap- pel et celle de cassation ordonner qu'un procès, porté devant un tribunal, sera jugé par un autre. Cela a lieu dans lés règlements de juges, lorsque la majeure partie d'un tribunal est récusée , et pour cause de sûreté publique ou de suspicion légitime. Mais il ne faut pas s'y méprendre; dans ces différentes circonstances , ce n'est pas son au- torité que la cour supérieure délègue : dans les règlements déjuges, tout se réduit, de sa part, à une simple déclaration; elle dit, et rien déplus, que le jugement de telle affaire appartient, non à tel tribunal, mais à tel autre; et dans les trois autres cas, c'est uniquement par la voie de la su- brogation qu'elle agit, et non par celle de la dé- légation. En effet ce n'est pas , comme nous venons de le dire, son autorité qu'elle transmet, puisqu'elle ne donne au tribunal, auquel elle renvoie l'affaire , que le droit d'en connoître;et que ce droit elle ne Tavoit pas. lS6 CHAPITRE DIX. Il en est de même lorsque le conseil d'état statue sur un conflit, ou que, sans conflit, il renvoie, devant les tribunaux, une affaire portée devant lui. Sa décision est moins un jugement qu'une simple déclaration; et le juge auquel l'af- faire est renvoyée y statue non comme délégué, comme mandataire du pouvoir administratif, maisy'^re magistratûs , et en vertu d'un droit qui lui est propre. CHAPITRE XI. De la Jiuisdiction ordinaire et de la Jurisdiction extraordinaire . Pour saisir la différence qui existe entre les ju- risdictions ordinaires et les jurisdictions extra- ordinaires, il ne faut que se faire une idée de la manière dont les dernières se sont établies. L'Jîtat a si peu d'étendue, que le prince suffit à tous les détails du gouvernement, de l'adminis- traiiun et de la justice. Tel Moïse dnns le désert , tel Romulus avant la réunion des Albins. La population augmente, les affaires litigieuses se multiplient, et on sent la nécessité des formes CHAPITRE ONZE. iS'] judiciaires. Ces formes lentes et minutieuses ab- sorberoient tous les moments du prince; il ne tarde jjas à le reconnoîlre , et il délègue le pouvoir jurisdiotionnel à un conseil de vieillards qu'il choisit, comme Moïse, ou à un sénat qu il vient d'établir, comme Romulus. Ce tribunal, unique dans l'Etat, exerce l'au- torité judiciaire dans toute sa plénitude: tous les citoyens sont ses jubticiables; ses attributions embrassent tous h^s genres d'affaires: il a tout ensemble vocationem, notlonem , judicium et exe- ciitionem , c'est à dire le droit d'appeler devant lui, d'ordonner les actes d'instruction , de rendre des jugements et de les faire exécuter ; en un mot, il a la jurisdiction ordinaire du territoire. L'Etat s'agrandit encore; le nofubre des affaires nuità leur expédition; les justiciables demandent que la justice soit plus rapprochée d'eux ; en un mot , le tribunal ne peut plus suffire. Alors on concentre son autorité dans des bornes plus étroites; et celle qu il exerçoit au-delà de ces bornes, on la confère à des tribunaux que l'on crige sur les principaux points de lEmpire. Chacun de ces nouveaux magistrats, subrogé aux premiers, a dans sa circonscription tous les pouvoirs qu'ils y exerçoienl avant ce nouvel ordre de choses. Comme eux, il a la plénitude de l'au- 258 CHAPITRE ONZE. tori te judiciaire; et comme eux, par conséquent, il a la jurisdiction ordinaire de son territoire. Nous n'avons pas encore de tribunaux extra- ordinaires ; mais les relations sociales se sont multipliées avec la population, le commerce, la navigation , et les arts ; et le législateur est obligé de multiplier les lois. Il faut des codes civil , cri- minel, de police, de finance, de voierie; il en faut pour régler le régime des douanes, celui des forêts, celui des canaux et des rivières navi- gables. Et telle est la complication de ces différents codes; telle est l'étendue et la variété des con- noissances que leur application exige, qu'il est presque impossible de les trouver réunies dans la même personne. De là ces différentes jurisdictions qui, avant le régime actuel, partageoient l'administration de la justice avec les tribunaux primitifs. Ces jurisdictions, successivement et même assez récemment établies, étoient connues sous les dénominations de bureaux des finances, élec- tions, greniers à sel, traites foraines, amirautés, connétablies , cours des monnoies , cours des aides, tribunal des juges de commerce, table de marbre, des eaux et forêts. Cependant les tribunaux primitifs qui , après CHAPITRE ONZE. 1 Sq avoir existe SOUS différentes modifications, etoient connus dej)uis la fin du treizième siècle sous les qtialifications de bailliages, de sénéchaussées, de vigjieries et de prévôtés, n'en étoient pas moins considérés, malgré ces nombreuses distractions, comme ayant la plénitude du pouvoir judiciaire. On disoit de ces tribunaux : leur compétence em- brasse tout à l'exception des cas soustraits à leur jurisdiction par une loi formelle. On disoit des autres: chacun d'eux, sévèrement restreint dans le cercle de ses attributions, ne peut connoître que des affaires qui lui sont spécialement et for- mellement déléguées. De là les deux espèces de jurisdictions qui nous occupent; l'une ordinaire, l'autre extraordinaire. Cette distinction est bien marquée dans les textes que l'on va lire. « Orclinaria jurisdictio hreviter illa est qiiœ per « legem vel piinçipem datur universaliter pro « modo teiTitorii [\). a. Extraordinaria jurisd'ictio est quœ non, Jiisi « certis magistratibus , spcciali lege deferturyi). « Nous tenons en France qu'outre les officiers « des cours souveraines extraordinaires, il n'y a (i) Dumoulin, ad Lib. 3 Cod. tit. i3. (a) Heineccius, adPand. lib. 2, tit. 1, u" aîi. ï6o CHAriTRFONZE. K d'ailleurs que ceux de la justice ordinaire qui «soient vrais magistrats, ayant seuls puissance « ordinaire, jurisdiction entière et vrai détroit et « territoire , qui est à nous la marque de là juris- « diction et magistrature; et quant aux officiers « des justices extraordinaires, ils ont plutôt une « simple notion ou puissance de juger qu'une « vraie jurisdiction. Les élus sont juges des aides « et des tailles; les grenetiers, juges du sel ; les « maîtres des eaux et forêts, des rivières et bois ; « les prévôts des maréchaux, des vagabonds; les «juges consuls, du fait de marchandise; mais les « juges ordinaires sont juges des lieux et du ter- « ritoire : ubi , tanquam magistratus , jus terrendi « habent ; et ont justice régulièrement et univer- « selleraent sur toutes les personnes et les choses «qui sont dans icelui , de laquelle justice, ces « autres justices extraordinaires et extravagantes «sont démembrées, et extra ordinem, utilUatis « causa ^ constitutœ {i). « La première distinction (2) à faire est celle « des officiers qui connoissent de toutes matières «civiles, criminelles, et de toutes autres indis- « tinctement, à l'exception de quelques unes qui (i) Loysf.au, des Offices, liv. i, cliap. G, n" 4S. (2) DoMAT, Droit public, part. 2 , liv. 2 , tit. j , sect. 2 , §. i5. CHAPITRE 0^'ZE. l6ï « ont été attribuées à d'autres juges ; et c'est par « cette raison que Ton appelle cette jurlsdiction (c ordinaire , pour la distinguer de celle de ces « autres juges que 1 on appelle extraordinaire, « Ainsi les parlements, lesbaillifs, les sénéchaux, «et les autres officiers semblables, exercent la «jurlsdiction ordinaire; et les autres qui con- « noissent des finances, des tailles, des aides, des «gabelles, des monnoies, et d'autres matières « distraites de la jurisdiction ordinaire, sont cen- « ses des jurisdictions extraordinaires... Ainsi les li juges ordinaires sont ceux qui ont naturellement « la connoissance de toutes matières , sans autres « exceptions que de celles qui ont été attribuées « expressément à d'autres juges. » En appliquant ces notions au régime actuel , on voit que, comme dans l'ancien, nous avons de même des jurisdictions ordinaires et des ju- risdictions extraordinaires. Les cours d'appel et les tribunaux d arrondissement forment la pre- mière classe; la seconde renferme les tribunaux de paix, de police, de commerce, ei les conseils de préfecture. Cette distinction est bien clairement écrite dans Tarticle 4, titre 4, de la loi du 24 août 1790, dont voici les termes: « Les juges de district connoî- «< tront en première instance de toutes les affaires 1 i 162 CHAPITRE ONZE. « personnelles, réelles et mixtes, en toutes ma- « tieres, excepte seulement celles qui ont été dé- « clarées de la compétence des juges de paix, les « affaires de commerce, dans les districts où il y « aura des tribunaux de commerce établis, et le « contentieux de la police municipale. » Il ne faut que jeter les yeux sur cette disposi- tion pour sentir que les tribunaux d'arrondisse- ment, subroges à ceux de district, ont seuls , comme dit l^oyse^m ^ puissance ordinaire ^ juris- diction entière, et vrai détroit et territoire. . . qu'Us sont les juges ordinaires des lieux et du territoire , ayant justice jàgulièrejnent et universellement sur les personnes et les choses qui sont en icelui; ou , pour nous servir des expressions de Domat, qu'ils ont naturellement la connoissance de toutes ma- tières , sans autres exceptions que de celles qui ont été attribuées expressément à d'autres juges. Mais si telle est la nature des tribunaux d'ar- rondissement, les justices de paix, les tribunaiiX de police et de commerce, et les conseils de pré- fecture ne peuvent être, et ne sont en effet que des tribunaux extraordinaires et d exception. Cela n'est susceptible d'aucune espèce de diffi- culté, 23uisque , circonscrits par la loi dans un petit nombre d'affaires dont la connoissance leur est spécialement déléguée, ces tribunaux et ces CHAPITRE ONZE. .l65 conseils n'ont pas cette puissance ordinaire, cette jurisdiction entière et universelle qui caractéri- sent les tribunaux ordinaires. On verra, dans le chapitre XIII, la conséquence de cette décision. CHAPITRE XII. Des Tribunaux cV exception, et particulièrement des Conseils de Préfecture. Ij'attribution aux tribunaux extraordinaires donne, aux affaire*:^ qui en sont lobjet, deux di- rections difiérenles. Les unes, après avoir subi un premier degré de jurisdiction , soumises pour le dernier ressort à la loi commune, se confondent, devant les cours souveraines, avec celles jugéespa-r les tribunaux ordinaires. Les autres , après avoir quitté la ligne, n'y rentrent plus, et^ désormais étrangères à la hiérarchie judiciaire , sont portées sur l'appel à un tribunal extraordinaire, comme celui qui a jugé l'affaire en premier ressort. Ainsi deux espèces de tribunaux exraordinai- res: je laisse cette dénomination aux premiers, et, pour distinguer les autres, je les appelle tri- bunaux d'exception. On voit en effet que, relati- l64 CHAPITRE DOUZE. vement à l'ordre judiciaire , ils font exception à toutes les règles du droit commun. Dans notre organisation actuelle, nous avons des tribunaux de ces deux espèces ; ceux de com- merce et les justices de paix appartiennent à la première, et les conseils de préfecture à la se- conde. Ces conseils sont tout-à-la-fois extraordi- naires et d'exception, parcequ'ils ressortissent au conseil d'état. Mais est-il bien vrai que les fonctions des con- seils de préfecture soient judiciaires? ne doit-on pas plutôt les considérer comme administratives? Cette question conduit à l'examen des points suivants. Quelles sont les attributions de ces conseils? quelle est la manière de procéder devant eux? comment leurs décisions sont-elles rendues exé- cutoires? ces décisions ont-elles l'autorité des ju- gements? La nouveauté de l'institution justifiera la lon- gueur des développements auxquels nous allons nous livrer. Dans notre ancien régime , le contentieux des impositions, du domaine de l'Etat et de la grande voierie , étoit attribué à des tribunaux extraordinaires et d'exception. Les élections con- noissoient du fait des tailles. Les intendants des CHAPITRE DOUZE. l65 provinces , auxquels on donnoit la qualification crinterulants de justice, police et finances, connoissoient des vingtièmes et du contrôle. Les affaires relatives aii domaine de l'Etat et aux mou- vances de la couronne étoient portées devant les bureaux des finances. La petite voierie étoit lais- se'e aux justices locales. La grande voierie, tant pour la partie réglementaire que pour la partie contentieuse, étoil partagée entre les états, dans les pays d'état ; les bureaux des finances , dans quelques généralités; et les intendants des pro- vinces, dans les autres. Enfin les intendants et les bureaux des finances connoissoient des diffi- cultés qui pouvoient s'élever Cr»tre l'administra- tion et les entrepreneurs des travaux publics , et du règlement des indemnités dues aux proprié- taires, à raison des terrains pris ou fouillés pour ]a confection des chemins , des canaux naviga- bles, et autres ouvrages de cette espèce. Notre première assemblée nationale a jugé convenable de supprimer tous ces tribunaux, d'abolir une partie des droits dont la connois- sance leur étoit attribuée, et s'est contentée de modifier les autres et d'en changer les dénomi- nations. Il falloit des juges pour ces derniers. L'expérience des siècles conseilloit de recréer des tribunaux extraordinaires pour en connoître: on l66 CHAPITRE DOUZF. préfera de les partager enlie ranlorité judiciaire et le pouvoir administratif. Celte attribution aux administrations départe- mentales avoit un grand inconvénient. Les admi- nistrateurs, étrangers aux formes judiciaires , et ne soupçonnant pas même qu'ils fussent revêtus du caractère de juges , confondoient les affaires administratives avec les affaires litigieuses, et statuoienl adtninistrativement sur les unes com- me sur les autres. Le 18 brumaire parut. La liuuiere qu'il répan- dit fit voir les vices de notre organisation, et, entre autres innovations, on créa les conseils de préfecttire. La loi de leur établissement est du 28 pluviôse an 8. Aux termes de cette loi, les conseils de préfecture prononcent sur les demandes des par- ticuliers tendantes à obtenir la décharge ou la diminution de leurs contributions directes; sur les difficultés qui peuvent s'élever entre les en- trepreneurs des travaux publics, concernant le sens et l'exécution des clauses de leurs marchés ; sur les réclamations des propriétaires, à raison des dommages qu'ils pourroient souffrir par le fait personnel de ces mêmes entrepreneurs ; sur les demandes et contestations concernant les in- demnités dues aux particuliers, à raiî^on des ter- CHAPITRE DOUZE. iGj rains pris ou fouilles pour la confection des che- mins, canaux et autres ouvrages publics; sur les difficultés qui peuvent s'élever en matière de grande voierie; sur les demandes présentées par les communautés des villes, bourgs ou villages, à l'effet d'être autorisés à jilaider; enfin sur le contentieux des domaines nationaux. Voilà les fondions déléguées aux conseils de préfecture par la loi de leur établissement. Des règlements postérieurs leur en ont attribué quel- rues autres, notamment le contentieux de la petite voierie, c'est-à-dire la police des chemins vicinaux. Or ne tardii pas à s appercevoir que la loi du a8 phiviose laissoit beaucoup de choses à désirer. A peine fut-elle promulguée, qu'elle donna lieu à plusieurs difficultés, notamment à la question suivante : Ces expressions, domaines nationaux , comprennent-elles, comme leur généralité l'in- dique, tout le domaine public, ou seulement partie de ce domaine? Un arrêté du gouvernement, sous la date du 5 fructidor an 9 , répondit à cette question. On y voit que cette disposition de la loi : Les conseils de préfecture prononceront sur le contentieux des domaines nationaux , étrangère à l'ancien do- maine de l'Etat, n'est applicable qu'aux biens des l68 CHAPITRE DOUZE. corporations et (les particuliers déclarés nationaux par les lois nouvelles , et même que les conseils de préfecture ne sont compétents, pour connoître des difficultés qui peuvent les concerner, que dans les circonstances suivantes : Lorsqu'un par- ticulier revendique sa propriété vendue comme nationale; lorsqu'après une adjudication consom- mée, il s'agit d'interpréter lacté de vente, d'en fixer le sens, et d'en déterminer 1 application et l'étendue ; lorsque l'adjudicataire prétend que 1 immeuble à lui vendu n'existe pas, ou n'existe qu'en partie; lorsque deux acquéreurs d^ domai- nes nationaux élèvent des prétentions sur le même objet , et soutiennent rcspectivem.ent qu'il est compris dans leur adjudication ; enfin , lorsque la même difiicullé s'élève entre un adjudicataire et un particulier. « Ces règles, ce sont les termes de l'arrêté que nous analysons , « ces règles, ap- « pliquées aux seules difficultés originelles des « actes administratifs, ne déj)ouillent pas les Iri- « bunaux du droit de connoître des actes posté- « rieurs , passés de particuliers à particuliers» (( relatiA^emt^nt à des biens d'origine nationale. » Cette attribution du contentieux des domaines nationaux ainsi restreinte aux seules difficultés originelles d( s actes adujiuislratifs , c'est-à-dire , aux se'des dilficulté.s oui i^euvcnt s'élever sur le CHAPITRE DOUZE. 169 sens et l'effet des premières adjudications, ne présente qu'une mesure transitoire que la poli- tique commandoit, comme la plus propre à ga- rantir la stabilité des ventes nationales, mais dont l'intérêt diminue chaque jour, et qui sera bientôt sans objet. Ce moment est si prochain , que, le regardant comme arrivé , je vais considérer les conseils de préfecture comme déjà dépouillés de cette attri- bution. Envisagée sous ce point de vue, la compétence des conseils de préfecture se partage en trois branches principales : 1° Les réclamations rela- tives aux impositions directes ; 2° les difficultés qui peuvent s'élever sur le sens et l'exécution des marchés passés entre l'administration et les en- trepreneurs des travaux publics , et sur les in- demnités que des propriétaires peuvent deman- der, soit à l'administration, pour des terrains pris ou fouillés, soit aux entrepreneurs, pour des dommages procédant de leur fait; 3" le conten- tieux de la grande et de la petite voierie. Ainsi les conseils de préfecture sont subrogés aux élections , pour les impositions directes; aux bureaux des finances et aux intendants des pro- vinces, pour les difficultés relatives aux travaux publics; enfin aux tribunaux correctionnels et de lyo CHAPITRE DOUZE. police , pour le contentieux de la grande et de la petite voierie. Quant à la manière de procéder devant ces conseils de préfecture, elle n'est encore réglée par aucun acte législatif. Jusqu'à présent, la loi s'en est rapportée à leur sagesse sur les mesures à prendre pour éclairer leur justice. Il n'en est pas de même de leurs décisions. Le législateur en a réglé la forme et l'autorité. Elles doivent être motivées comme les jugements Le préfet , investi du commandement dans cette partie , les rend exécutoires par une ordonnance qu'il y fait apposer, dans la forme des mande- ments d'exécution qui terminent les actes de Tautorité judiciaire ; et la loi du 29 floréal an 10 leur donne l'autorité des jugements. Cette loi re- lative à la grande voierie, après plusieurs dispo- sitions pénales, après avoir réglé la manière de constater les contraventions, ajoute : « Il sera « statué en conseil de préfecture. Les arrêtés se- <f ront exécutoires sans visa ni mandements des « tribunaux, nonobstant et sauf tout recours au « conseil d'état. Les individus condamnés seront « contraints par la voie des garnisaires et la saisie a de leurs meubles, en vertu desdits arrêtés, qui « seront exécutoires et emporteront hypothèque. » Ainsi, les décisions des couseiîs de préfecture, CHAPITRE DOUZE. TJl rédigées dans la forme des jugements , sont , comme eux, revêtues d'un mandement d'exécu- tion , et, comme eux, confèrent l'hypothèque judiciaire. Enfin , des di\ ers éléments qui composent l'autorité judiciaire, trois sont dans les attribu- tions des conseils do préfecture. Ils ont vocatio- nem ^ notionem , judicium; c'est-à dire, le droit de faire comparoître devant eux , celui d'ordon- ner les actes d'instruction qu'ils jugent néces- saires, celui de terminer, par des jugements, les contestations qui leur sont soumises; et si la loi ne leur donne pas la connoissance des difficultés auxquelles l'exécution de leurs jugements et 1 hy- pothèque qui en est la suite peuvent donner lieu , ce défaut de pouvoir leur est commun avec tous les tribunaux extraordinaires. A la vérité , leur jurisdiction n'embrasse qu'un certain genre d'affaires : mais il en est de même de celle attribuée aux juges de paix et de com- merce; et tout ce qui en résulte, c'est qu'ils n'ap- partiennent pas à la classe des tribunaux ordi- naires. On peut encore remarquer que l'appel de leurs jugements se porte au conseil d'état, et que la réformation des sentences des juges de paix et de commerce appartient à la jurisdiction ordi- naire : mais cette différence, purement acciden- l^JI CHAPITRE DOUZE. telle , est sans influence sur la nature de leurs fonctions; et la seule conséquence qu'il faut en tirer , c'est que les justices de paix et de com- merce sont des tribunaux extraordinaires , et les conseils de préfecture, des tribunaux tout à-la- fois extraordinaires et d'exception. Il me semble que le doute que j'ai énoncé au commencement de ce chapitre est maintenant résolu , et que voilà de fortes raisons de décider que les conseils de préfecture appartiennent à l'ordre judiciaire, et sont de véritables tribu- naux. A la vérité, l'appareil des cours de justice n'en- vironne pas les conseils de préfecture; ils n'ont ni prétoire, ni ministère public, ni greffe, ni avoués, ni huissiers : mais ce n'est là qu'un dé- faut d'organisation, défaut qu'il est très facile de faire disparoître. Dans cet examen de la nature des fonctions attribuées aux conseils de préfecture , je n'ai pas parlé de l'autorisation à donner aux communau- tés d habitants, à l'effet de plaider. Je n'ai pas dû le faire, parceque cette autorisation, qui n'est autre chose qu'un acte de la puissance paternelle, n'appartient ni à l'autorité judiciaire ni au pou- voir administratif. La loi retient ces communau- tés dans les liens d'une minorité perpétuelle; le CIJAPITRE DOUZE. l'j'5 Prince est leur tuteur, et il leur doit, en cette qualité, toute la sollicitude que les tuteurs ordi- naires doivent à leurs pupilles. Ne pouvant tout voir par lui-même , il est force de déléguer cette fonction , et il la délègue à qui bon lui semble. Les intendants des provinces en étoient chargés; mais, distraits par les détails d'une grande admi- nistration , et trop pénétrés de l'importance de ce devoir, pour le transformer en une vaine for- malité, ils étoient dans l'usage de s'en rapporter à des avocats. Les mêmes motifs auroient déter- miné les préfets à en faire de même : de là des longueurs et des frais. On a évité ce double in- convénient, en donnant cette attribution aux conseillers de préfecture; mesure très sage, pour- vu toutefois qu'on choisisse ces fonctionnaires dans la classe distin£juée des hommes de loi. CHAPITRE XIIL Suite des deux Chapitres précédents ; Conséquences qui en résultent, et du Droit de territoire. JMous venons de dire, avec Dumouli-V, que la jurisdiction ordinaire est celle qui est conférée uniyersaliter et pro modo territorii ; c'est-à-dire, 1^4 CHAPITRE TREI/E. à titre universel et avec droit de territoire. D'a- bord, qu'est-ce que le territoire jurisdictionnel? Il ne faut pas s'y méprendre. Le mol territoire, pris dans cette acception, ne signifie pas seule- j ment la circonscription d'un tribunal; autrement, chaque tribunal auroit droit de territoire. Pour avoir ce droit , pour être investi de cette haute prérogative, il faut tenir de la loi primitivement, à titre universel et dans une circonscription dé- terminée, la plénitude de l'autorité judiciaire; ou , ce qui est la même chose , avoir, dans cette circonscription, la répression de toutes les infrac- tions aux lois, et les moyens de coercition néces- saires pour forcer tous les citoyens à l'obéissance qu'ils leur doivent ; sous la seule exception des cas attribués à d'autres juges par des lois spé- ciales. C'est en conséquence de ce pouvoir d'inspirer aux citoyens une terreur salutaire , que les Ro- mains ont appelé teiritorium la circonscription dans laquelle le magistrat, c'est à-dire , l'officier qui a la jurisdiction ordinaire, a le droit de rendre la justice. Territoriuin dictum est ah eo quod magistratus , intrajines ej'iis, terrendijus habet ( i ). Mais si, dans chaque arrondissement de justice, (i) Loi a '3 9, S- 8, ff. de Fcrb. signif. CHAPITRE TREIZE. lyS le droit de territoire n'appartient qu'au magistrat qui en a la jurisdiction à litre primitif et un!\ or- sel, il est clair que , quel que soit le nombie des tribunaux établis dans cet arrondissement , un seul pourra dire : Je suis dans mon territoire. En effet, deux droits universels ne peuvent pas exis- ter simultanément et dans le même degré. Nous disons dans le même degré , parcequ'il y a autant de territoire judiciaire que la jurisdic- tion ordinaire a de degrés, et que la dévolution, qui, dans les cas d'appel, transfère cette juris- diction aux cours souveraines, leur donne un droit de territoire supérieur dans tout leur res- sort. Ainsi, les cours d'appel exceptées, tous les tribunaux extraordinaires sont dans le territoire de la jurisdiction ordinaire dans l'arrondissement de laquelle ils sont établis. De là cette première conséquence, que le tri- bunal qui a le droit de territoire , a la préséance sur toutes les autorités qui peuvent exister dans son arrondissement. Cet ordre peut être modifié par la volonté du Prince ou par (ic?s circonstances particulières; par exemple, si l'une de ces auto- rités a le dernier ressort. Mais voilà le principe ; il est bien explicitement énoncé dans la loi sui- vante : Ciim plenimmam jurUdicLivnern procQiisul iy6 CHAPITRE TREIZE. habeat... . rnajus imperium habet in sua provinciâ post principem (i). Ce texte, comme l'on voit, place le proconsul immédiatement après le prince; et ce n'est pas à raison du nombre et de l'étendue de ses différents pouvoirs , mais uniquement par le motif qu'il avoit la plénitude de la jurisdiction : Ciim ple- nissiinain jurisdicUonem habeat. Une autre prérogative, et beaucoup plus im- portante, dérive encore de ce droit de territoire; c'est que le magistrat qui en est investi connoît des difficultés qui peuvent s'élever pour l'exécu- tion non seulement de ses propres sentences, mais même de celles rendues par les tribunaux extraordinaires et d'exception. La raison en est fort simple. Tous les actes relatifs à l'exécution des décrets de la justice appartiennent au pur commandement; et les tribunaux extraordinaires n'ont pas le commandement, à moins qu'il ne leur soit conféré par une loi spéciale (a). (i) Lois 7 et 8, ff. de Officio procons. [2) Suas scnlcndas excqul non possunt , qui tenitorium non hahcnt , ut prœfecd inercatorum , nisi quatcnùs novissiniis legi- hus ohdnuerant. D'Arcentré, sur la Coutume de Bretagne, art. 19 , note i , n^s 4 ^t 7. '< Les sergents de la justice ordinaire peuvent exécuter les CHAPITR.E TREIZE. 1 y7 Enfin c'est encore du droit de territoire que dérivent les principales règles relatives à la com- pétence et à l'incompétence des tribunaux. sentences des juges extraordinaires ; même il n'y a et n'y doit « avoir que les sergents de l'ordinaire qui puissent faire vente « de biens à l'encan et par subhastation ; parceque c'est comme n un acte légitime et dépendant de Tactiou de la loi , laquelle « n'appartient qu'à la justice ordinaire. Et est vrai, en bonne « école, que les oppositions formées aux exécutions de biens, « faites en vertu des sentences des juges extraordinaires , de- « vroient être traitées en la justice ordinaire, parceque les ju- « ges qui ont pouvoir limité, ayant donné leur sentence défini- « tive, ont accompli leur pouvoir, et ce qui survient par après n est de l'ordinaire, sauf seulement s'il étoit question de l'in- « terprétation de leur sentence , parceque alors c'est la même « notion, et que d'ailleurs c'est toujours à celui à s'interpréter « qui a parlé obscurément. « Sur-tout quant aux décrets, baux et ventes judiciaires des «'héritages, c'est sans doute qu'ils ne peuvent être faits que «par-devant le jnge ordinaire, qui seul peut prononcer do, « dico et addico , et faire les actes légitimes, et est seul le juge « des lieux et territoire, et par conséquent des héritages y en- « clavés. Et outre que cela est clair en point de droit , il s'en « ensuivroit autrement deux absurdités fort apparentes : l'une , •< que par le moyen des oppositions et autres incidents qui sur- « viennent aux décrets, les juges extraordinaires, non lettrés '< pour la plupart, auroient la connoissance d'infinies matières, « les plus difficiles de la justice ordinaire, étant mente un chef- « d'œuvre de justice de faire bien un décret et une sentence 12 1^8 CHAPITRE TREIZE. Il y a deux espèces d'incompétence ; celle à raison des personnes, ratione personarum ; celle à raison des choses, ratione materiœ. La première dépend du domicile ; la seconde, de la nature de l'objet en litige. La première est établie en faveur des citoyens; là seconde est une disposition d'or- dre public. En conséquence, lorsqu'un particu- lier est traduit devant un tribunal autre que ce- lui de son domicile , il peut en décliner la juris- diction ; mais s'il ne le fait pas , rincompétence disparoît , et le juge statue légalement. La raison en est, que le droit de réclamer le juge de son domicile n'est autre chose qu'une prérogative personnelle, et qu'il est libre à chacun de re- noncer à un privilège qui n'est établi qu'en sa faveur. Il n'en est pas de même de l'incompétence qui dérive de la nature de l'objet en litige. Etablie , comme nous venons de le dire, par des motifs d'ordre public, pour le maintien des jurisdictions et à l'effet d'empêcher la confusion des pouvoirs, «d'ordx'e; l'autre , que les créanciers et autres ayant intérêt o au décret, ne se défiant pas qu'on vendit les biens de leurs tt débiteurs en ces justices borgnes, scroient bien souvent sur- « pris et privés de leurs droits. » Loïseau, dc$ O/fiscs ^ liv. i , chap. 6, «0» 5i, 32 et 53. CHAPITRE TREIZE. lyC) elle est indépendante de la volonté des parties; et, sans attendre que le déclinatoire lui soit pro- posé, le juge doit renvoyer Taffaire devant le tri- bunal investi du droit d'en connoître ; s'il se permet de prononcer, son Jugement est nul par défaut de pouvoir. Cette distinction entre rincompétence ratione personœ et celle ratione materiœ a , comme l'on voit, une grande influence sur l'organisation ju- diciaire, et c'est encore le droit de territoire qui en règle l'application. Cela se développe en peu de mots. Il existe une différence très notable entre les tribunaux extraordinaires et les juges ordinaires. Les premiers n'ayant qu'une autorité partielle et d'exception , et sanS} influence directe sur les personnes, ne peuvent statuer que sur les con- testations dont la connoissance leur est déférée nominativement, et par une loi spéciale ; et toutes les fois que l'objet litigieux n'est pas dans leurs attributions, ils doivent se déclarer incompétents; et cela quand même les parties se soumettroient volontairement à leur jurisdiction. Le juge ordinaire et territorial a bien une autre spbere d'activité: investi d'un droit universel, tout, dans son territoire, est soumis à sa juris- diction, et son autorité pesé également sur les l8o CHAPITRE TREIZE. personnes et sur les choses. Un domicile étran- ger peut seul le rendre incompétent à raison des personnes : quant aux choses , son pouvoir n'a d'autres limites que celles de l'autorité judiciaire elle-même. Et s'il n'a pas le droit de connoître des affaires administratives, ce n'est pas qu'à cet égard sa compétence soit restreinte; c'est qu'elle ne s'est jamais étendue jusques-là ; en un mot , juge naturel etimiversel de son territoire, il ne connoît pas d'incompétence , ratione materiœ , et il connoitroit légalement d'une affaire de com- merce, et de toute autre attribuée aux tribunaux extraordinaires qui seroit portée devant lui, et dont le renvoi ne lui seroit pas demandé. Telle est la théorie de cette matière ; nos an- ciennes lois l'avoient modifiée , et les nouvelles semblent en écarter l'application. Dans l'ancien régime , les justices des seigneurs étoient patrimoniales ; et , dans les sièges royaux , les émoluments de la justice étoient, à raison de la vénalité des offices , considérés comme formant pour les juges une espèce de propriété. Cet ordre de choses avoit altéré la nature pri- mitive des jurisdictions. L'obligation de recourir au juge du domicile, qui n'avoit d'abord été im- posée qu'au demandeur, étoit devenue commune aux deux parties. Il n'étoit plus rigoureusement CHAPITRE TREIZE. l8l vrai que les juges ne sont établis que pour l'a- vantage des justiciables, et Ton avoit modifie ce grand principe par la règle qui dit, Que les ju- risdictions appartenant au droit public, les parti- culiers ne peuvent pas y déroger. En conséquence les seigneurs ayant droit de justice , les sièges royaux étoient autorisés à revendiquer leurs justiciables, lors même que le tribunal, auquel ils avoient déféré le jugement de leur contestation , habile à connoître de l'objet litigieux, n'étoit incompétent qu'à raison du do- micile des parties. La suppression des justices seigneuriales et de la vénalité des offices royaux, en écartant l'obs- tacle qui s'opposoit à l'application des principes que nous venons d'exposer, devoit naturellement leur rendre l'autorité qu'ils n'auroient jamais dû perdre. Mais une nouvelle difficulté s'élève; elle résulte de la manière dont nous avons réorganisé notre ordre judiciaire. La France étoit couverte de tribunaux; leur nombre éloit excessif: on pouvoit le diminuer; on pouvoit les réformer. On a pris une méthode plus tranchante; on a tout détruit, et travaillant sur une table rase, les réformateurs ont, d'un seul jet et par la même loi , recréé toutes les ju- risdictions que nous voyons aujourd'hui. A la iSa CHAPITRE TREIZE. vérité les innovations ont plus porté sur les mots et sur les circonscriptions que sur les choses ; et nous avons, comme auparavant, des tribunaux ordinaires et des tribunaux extraordinaires. Mais s'il est toujours vrai de dire que les premiers ont seuls le droit de territoire, que seuls ils ont un titre universel, il faut au moins reconnoître que cette universalité n'est plus qu'une théorie et n'a jamais existé de fait, puisqu'il n'y a jamais eu d'époques où ces nouvelles justices , quoique investies de la jurisdiction ordinaire , aient eu , dans leurs attributions, les affaires dont la con- noissance est déférée aux juges extraordmaires. Nous venons de dire que les nouvelles juris- dictions ont été créées par la même loi; c'est celle du i[\ août 1790. Il est bon d'en connoître les ter«nes ; les voici : « Les juges de district connoîtront en première «instance de toutes les affaires personnelles, « réelles et mixtes en toutes matières , excepté «seulement celles qui ont été déclarées de la «compétence des juges de paix, les affaires de «commerce, dans les districts où il y aura des « tribunaux de commerce établis, et le conten- « tieux de la police municipale. » Il faut en convenir, en lisant ce texte, on a peine à se défendre de l'idée qu'il a été dans l'in- CHAPITRE TREIZE. l83 tention du législateur d'élever un mur de sépara- tion entre les tribunaux ordinaires que la loi ap- pelle tribunaux de district, et les juges extraor- dinaires, et de rendre les premiers incompétents , à raison de la matière, pour toutes les affaires attribuées aux autres. Enfin, quelque opinion que l'on prenne sur cette question , il sera toujours vrai qu'aujour- d'hui, le juge ordinaire qui statueroit sur une contestation déférée, par les lois nouvelles, aux tribunaux de commerce ou aux juges de paix, ne pourroit pas dire, comme autrefois: J'avois ori- ginairement le droit d'en connoître , et le retour à l'état primitif est toujours favorable. CHAPITRE XIV. De la Prorogation de la Jurisdiction. Sa définition. Deux espèces de Prorogation; l'une volontaire ^ Vautre légale. Deux sortes de Prorogation vo- lontaire. De la Prorogation légale, ou de la Reconvention. 1 ROROGER la jurisdiction d'un tribunal, c'est porter devant lui et soumettre à son jugement une l84 CHAPITRE QUATORZE. affaire dont la loi ne lui attribue pas la con- noissance (i). Mais le droit de jurisdietion ne peut émaner que de la puissance publique. Cela est incontes- table. Comment donc est-il possible que les justi- ciables, que de simples particuliers, incapables de conférer ce droit éminent , puissent néanmoins le proroger, c'est-à-dire Tétendre, et donner aux juges le droit de sortir du cercle dans lequel le législateur a cru devoir les circonscrire. Voilà la difficulté qui se présente d'abord. Elle est résolue par. les lois elles-mêmes. Si se suhjiciant aUqiii jurisdictioni et consentiant : inier consentientes cujusvis juclicis qui tribiinali prœest, vel aliam jurisdictionem habet , est ju- risdictio. Leg.e i , ff. de judiciis. Cet te loi, généralement admise dans la pratique, forme la jurisprudence de la majeure partie de l'Europe. Pour s'en convaincre, il ne faut qu'ou- (i) Prorogata duUur jurisdictio , cùm Uiigantiiim consensu prof erlur extra tertninos quibus includitiir. IVoodt, de Jurisd. et Imp. Lib. i , cap. 12. La définilion suivante est plus complète , parcequ'elle com- prend la prorogation légale : Prorogata jurisdictio est quœ va- lu ntate pa/tiuin, vel ex prœcepto le gis , extra terminas suas exercetur. Hejneckius, ad Pand. Lib. 2 , tit. 2 , nP 252. CHAPITRE QUATORZE. l85 vrir les auteurs allemands, italiens, et français, notamment Noodt, Woët, Faber, Loyseau, et d'Argentré (i). Ces jurisconsultes distinguent deux espèces de prorogation ; l'une volontaire , l'autre légale. Nous allons nous en occuper successivement. De la Prorogation 'volontaire. Il y a deux espèces de prorogation volontaire. La première, lorsque des parties, domiciliées hors du territoire d'un tribunal, soumettent à svLn jugement des difficultés dont il pourroit con- noître , si elles s'élevoient entre ses justiciables. La seconde, 'orsque l'on porte, devant un juge , une affaire qui n'est pas dans le cercle de ses at- tributions, et dont la loi ne lui confère pas la connoissance. La première de ces deux prorogations peut se faire de deux manières; formellement ou tacite- (i) Noodt, de Jurisdictione et Imperio. WoET , ad P and. Lib. 5 , tit. i, n° 85. Faber, in Cod. Lib. 3 , tit, i, decis. 3g. Loyseau, des Offices, liv. i, chap. 6 , no 86. D'Argentré , sur l'art, ii de la Coutume de Bretagne , verbo Jurisdiction. l86 CHAPITRE QUATORZE. ment: formellement, si les parties en convien- nent , soit clans les premiers actes de la procëdnre., soit en stipulant, dans un contrat, que les diffi- cultés auxquelles il pourra donner lieu seront portées devant un juge désigné par Tacte même. Tacitement, lorsqu'une partie assignée devant un juge qui n'est pas celui de son domicile , y procède sans réclamation, sans demander son renvoi, pourvu néanmoins que son silence ne soit pas l'effet de l'erreur ni de la crainte; autre- ment point de consentement , par conséquent point de prorogation (i). Dans ces différents cas , nous supposons que l'objet litigieux est dans les attributions du juge. Il ne pourroit donc être empêché d'en connoître, que par le seul molif que les deux parties ou le défendeur n'étoient pas domiciliés dans la cir- conscription de sa justice. Mais le droit de ne pouvoir être contraint de plaider devant un autre juge que celui de son domicile, \ie constitue qu'une prérogative per- sonnelle , et il est libre à chacun de renoncer aux (i) Voluntatc sublatâ è medio , omiùs actus est indijferens. Dumoulin. Modo judex incompetens per errorem non aditus su. Hei- îîECcius, ad Pand. Lib. 2, til. i, de Jai'isdictione, n» a55. CHAPITRE QUATORZE. 1 87 avantages qui ne sont introduits qu'en sa faveur. En un mot, dans ces différentes circonstances, le juge n'est incompétent qu'à raison de la per- sonne , ratione personœ; et il est de principe que cette incompétence se couvre et par le consente- ment, et même par le silence des parties. Nous avons annoncé une seconde espèce de prorogation volontaire qui a lieu lorsqu'on porte devant un juge une affaire qui nVst pas dans le cercle de ses attributions. Cette sorte de prorogation reçoit encore une distinction. 11 s'agit de proroger une jurisdiction ordinaire, ou une jurisdiction extraordinaire. Les juges ordinaires, comme nous l'avons déjà dit, sont investis de la plénitude de l'autorité judiciaire : les personnes et les choses , tout , dans leur enclave, est soumis à leur jurisdiction. 11 ne peut donc y avoir, à leur égard, qu'une sorte d'incompétence, celle qui résulteroit de la cir- constance que les parties ne seroient pas domi- ciliées dans leur enclave: c'est donc sous ce seid rapport que leur jurisdiction peut être prorogée. L'incompétence à raison des choses, ratione ma- teriœ , ne peut jamais leur être opposée; et, quel que soit l'objet soumis à leur décision, fût il nominativement attribué à une jurisdiction ex- traordinaire, ils ont le droit d'en connoître, non l88 CHAPITRE QUATORZE. par l'effet de la prorogation, mais en vertu du titre de leur office, puisque, suivant les expres- sions de Loyseau , ils ont jurisdiction entière et justice universelle sur les personnes et sur les choses. Voilà le principe. Mais est-il applicable à notre organisation actuelle? Il y a de fortes raisons pour la négative: nous les avons exposées; elles terminent le chapitre précédent. Si on les adopte, il y aura pour les juges ordinaires, comme pour les juges extraordinaires, deux espèces d'incom- pétence; lune réelle, l'autre personnelle; et il sera également défendu de porter, par proroga- tion, devant les juges ordinaires, des objets sou- mis à des juges extraordinaires ; et , devant ceux- ci, des affaires qui ne seroient pas nominative- ment placées dans le cercle de leurs attributions. Cependant , à l'égard des juges extraordinaires et relativement à la prorogation de leur juris- diction ^ il faut encore distinguer. Les juges extraordinaires se partagent en deux classes; les uns sont délégués pour juger jusqu'à une certaine somme, usqtie ad certain summani ; les autres n'ont, dans leur attribution, qu'un certain genre d'affaires, certurn genus causarum. Les juges de commerce et nos conseils de pré- fecture appartiennent à cette dernière classe, et nos juges de paix à l'une et à l'autre. La disposi- CHAPITRE QUATOR^fc 1 89 tion de la loi qui leur attribue la connoissance des actions personnelles et mobiliaires , jusqu'à la somme de cent francs , les place dans la pre- mière, et le texte de la même loi qui leur con- fère le droit de prononcer, sur toutes les actions possessoires , les range dans la seconde. Que la jurisdiction , concentrée dans un genre d'affaires , ne puisse pas être prorogée , cela ne me paroît susceptible d'aucune difficulté. Tous ceux qui ont écrit sur cette matière professent unanimement qu'il n'y a pas de prorogation de re ad rem; mais peut-elle avoir lieu de quanti^, tate ad quantitatem ? On peut dire que celte grande maxime: A la loi seule appartient de conférer l'autorité publi- que , est tellement générale , qu'il est indifférent , pour son application , que le juge soit délégué pour juger iisque ad certain summam, ou bien, certum genus causarum. Je réponds que la différence entre ces deux positions est très grande. Lorsqu'un juge est circonscrit dans un certain genre d'affaires, toutes les autres lui sont abso- lument étrangères; les lui soumettre, ce ne seroit pas étendre sa jurisdiction, ce seroit bien réelle- ment en créer une et la lui conférer. Au contraire, lorsque le tribunal a droit de igO (MpAPlTRE QUATORZE. connoître iisque ad cerlam summam , et que l'on porte devant lui une demande à fins.de paiement d'une somme double ou quadruple, déjà investi du droit de juger, jusqu'à concurrence du quart ou de la moitié de la somme demandée , il a , par le titre de son office, le ^erme , le principe de l'autorité qui lui est nécessaire à l'effet de statuer sur le tout. Pour le rendre habile à prononcer légalement, il n'est donc pas nécessaire, comme dans le cas où il s'agit de prononcer de re ad rem , de lui conférer une jurisdiction nouvelle ; il suffit de développer un germe préexistant. Enfin il suffit d'étendre une jurisdiction légalement con- stituée ; et il est tout simple que la loi se prête plus facilement à l'extension d'un pouvoir qui est son ouvrage, qu'à la création d'une autorité à laquelle elle seroit absolument étrangère. Aussi lisons-nous dans les lois romaines: Judex qui usque ad certain summaiïi judicare jussiis est , etiam de re inajori judicare potest , si inter liti- gatores convejiiat. §. i , L. 74, ff. de judiciis. Un autre texte, après avoir parlé des officiers municipaux qui, dans certaines villes de l'em- pire, avoient le droit de juger jusqu'à ime cer- taine somme , ajoute : Et de re majori inter con- venientes. L. 28, ad muuicipalem et incol. A l'autorité des lois se joint l'opinion des juris CHAPITRE QUATORZE. IQl consultes; voici celle de Woèt : Quod si , quand, tatis intuitu , judicis po testas limitata sit ex proro- gatione jurisdictionis Jactâ inter litiganteSj etiam de mafori quantitate j'udicare potest (ï). Il nous reste encore deux points à examiner. D'abord la prorogation volontaire peut-elle avoir lieu pour le dernier comme pour le premier res- sort? Par exemple, lorsqu'un juge ne tient de la loi que le pouvoir de prononcer en première in- stance, ou qu'il n'est autorise à statuer en dernier ressort que jusqu'à une certaine somme., les par- ties peuvent-elles, en se soumettant à sa décision, pour une somme supérieure , lui conférer le droit de les juger souverainement et sans appel ? Cette seconde espèce de prorogation me paroît être une suite très naturelle de la première. En effet, après m'avoir permis de substituer un juge de mon choix à celui qu'elle me donne, par quel motif la loi me défendroit-elle de renoncer à l'appel du jugement qui doit intervenir. Le premier pas étoit plus difficile à franchir que le second. D'ailleurs 1 appel des jugements n'est qu'une simple faculté, et chacun peut faire de ses facultés l'usage qui lui convient (2). (i) Jd Pandect. Lib. i , n» i85. (2) Aussi voyoBS-oous que Isi aulecrs pailojit de !a proro- iga CHAPITRE QUATORZE. La seconde question qui se présente à notre examen est celle de savoir si le juge peut repous- gation en termes indéfinis , et qu'il n'en est aucun qui la limite au premier ressort. Quant aux lois , nous en avons deux très explicites sur ce point. La })remiere est l'article 6 de la loi du 24 août 1790 , constitutive de l'ordre judiciaire, au titre 4- En voici les termes : « En toutes matiei-es personnelles, réelles ou mixtes, à quelque « somme ou valeur que l'objet de la contestation puisse monter, « les parties seront tenues de déclarer, au commencement de la « procédure, si elles consentent à être jugées sans appel. Elles « pourront encore en convenir pendant tout le cours de l'in- « struction ; auquel cas, les juges de district prononceront en « premier et dernier ressort. » La seconde de ces lois est consignée dans le titre i*»" du Code de la Procédure civile ; elle porte : a Les parties pourront tou - «jours se présenter volontairement devant un juge de paix ; « auquel cas , il jugera leur différent, soit en dernier ressort, « si les lois ou les parties l'y autorisent, soit à la charge de l'ap- t pel, encore qu'il ne fût pas le juge naturel des parties ni à « raison du domicile du défendeur, ni à raison de l'objet liti- « gieux. La déclaration des parties qui demanderont jugement « sera signée par elles , ou mention en sera faite , si elles ne « peuvent signer. « Ce texte dit bien clairement que si l'objet litigieux est tel, que la loi n'autorise pas le juge à prononcer en dernier ressort, les parties peuvent lui conférer ce droit. Ces mots , si les par- ties l'y autorisent , sont d'autant plus remarquables , qu'ils ne se trouvent j>oint dans l'article 1 1 du titre i^"' de la loi du 16 CHAPITRE QUATORZE. IqS ser les partie qui se présentent ainsi volontaire- ment devant lui, et refuser de connoître des af- faires qu'elles jugent à propos de lui soumettre. La loi 2, ff. §. 1 , de judiciis ^ répond que, con~ venire autem utriini inter privatos sufjicit , an vero etiam ipsiiis prœtoris consensus necessarius est? Lex jalia jadiciorum ait: quominus inter privatos conveniat. Sujjicit ergo privatorum consensus. De la Prorogation légale , ou de la Reconvention. Nous venons de parler de la prorogation qui a lieu par le seul concours de la volonté des parties. Il y a une autre espèce de prorogation que l'on appelle prorogation légale, parceque autorisée par la loi , elle s'opère par le fait seul du défen- deur, c'est la reconvention. On définit la reconvention : mutua litigantium coram eodem j'udice petitio. Ainsi il y a reconven- tion toutes les fois que, pour défense à une de- oclobre 1790, contenant règlement pour la procédure de la justice de paix ; article d'ailleurs entièrement conforme à celui que nous venons de transcrire. Une addition de cette impor- tance , qui ne peut être que l'effet d'une mûre délibéra lion , ne permet pas de douter que le législateur n'ait eu l'intention d'autoriser la prorogation pour le dernier comme pour le premier ressort. .i3 194 CHAPITRE QUATORZE. mande principale, on oppose une demande éga- lement principale. Dans ce cas , il y a deux procès bien distincts : Duplex negotium , alterum diver- sum ah altero ; sunt eiiim in mutais petitionihus duce hypothèses, vel causée , duo negotia vel ju- dicia{\). Par exemple , le débiteur et le créancier sont domiciliés dans deux jurisdictions différen- tes: le second fait assigner le premier devant le juge de son domicile; celui-ci répond: Je vous dois, j'en conviens; mais à raison des déboursés que j'ai faits pour vous , de denrées que je vous ai fournies , ou d'argent que je vous ai moi-même prêté, vous êtes mon débiteur d'une somme au moins égale. Si celte somme est liquide, il y a compensation, et la loi opère simultanément l'ex- tinction des deux créances. Mais si les avances et les fournitures que le défendeur prétend avoir faites sont de nature à donner lieu à des difficul- tés , en un mot , s'il y a un compte à faire, c'est le cas de la reconvention, et le défendeur peut dire à son adversaire : Ce compte, je vous le pré- sente , et je demande reconventionnellement qu'a- vant toute procédure ultérieure vous soyez tenu de le débattre. (1) Voyez k coiameii taire de Lauriere sur l'article io6'de la Coxxtiinit' de Paris. CHAPITRE QUATORZE. Ifv5 En proposant cette exception, le débiteur se constitue demandeur, reus excipiendo fit actor; et cette demande, distincte de la première, fon- dée sur des moyens qui lui sont particuliers, et susceptible d'un jugement séparé, devroit en conformité de la règle , actor sequiti i r foram rel ^ être portée devant le juge du demandeur origi- naire , devenu défendeur à cette nouvelle action. Mais vainement invoqueroit-il l'autorité de cette règle, et proposeroit-il un déclinatoire ; on lui répondroit: Dans cette circonstance la loi vous soumet à l'autorité que vous avez invoquée contre votre adversaire; elle la proroge, et l'étend jus- que sur vous (i). Cependant si la demande reconventionnelle présenloit des difficultés sérieuses, et de nature à entraîner des longueurs considérables, il seroit de la sagesse du tribunal de la renvoyer devant son juge naturel, et de statuer définitivement sur 1 action originaire. Cette importante restriction est de Dumoulin (2). (i) E.r prœxcripto eniin Icglsjtifàdictinprorogaturpcr recon- lentionem , qitœ est mutua lltigantluin corain eodein jiidice pe~ tilio. Loges enim probant hoc a.rinma : cvjus in agenda actor servat arbitrium , eum et contra se haherejudicem non dedignari débet. Heineccius, ad Paiid. L. 2 , lit.' i, n" aSG. (2) Je crois que c'est ce jurisconsulte qui a introduit la re- igS CHAPITRE QUATORZE. Mais si c'est par l'effet de la prorogation que la reconvention soumet le demandeur au juge du convention dans les tribunaux laïcs. Voici de quelle manière les clioses se sont passées. Jusqu'à des temps qui ne sont pas très éloignés, il y avoit en France deux espèces de justice , les justices laïques et les justices ecclésiastiques. Les premières étoient patrimoniales; les autres n'étoient pas regardées comme telles : en conséquence, la reconvention y avoit lieu. Mais on ne croyoit pas pouvoir l'admettre dans les justices laïques , par le motif que son effet étant d'étendre l'auU^i j(p d'un juge sur les justiciables d'un autre juge, c'eût été porter atteinte au principe de la patrimonialité des justices. Aussi lisons nous dans le livre intitulé : Coutumes notoires duChâtelet, ouvrage qui appartient au quinzième siècle : « Reconvention n'a pas lieu en cour laie , si ce n'est de clerc à « clerc. Se deux personnes doivent argent l'une à l'autre pour « diverses causes, et l'une fait semondre l'autre pour être payée, « le semonce ne peut employer, par manière d'exception, ce e que l'autre l'y doit. « Art. 120. En i5io on procéda, pour la première fois , à la rédaction de la Coutume de Paris. La disposition des coutumes notoires étoit si généralement reçue , qu'elle y fut consignée en ces termes : Recotn'ention n'a lieu en cour laie. Cette règle formoit tellement le droit commun de, la France, qu'on la retrouve dans plusieurs des coutumes qui furent ré- digées pendant les cinquante premières annéesdu seizième siècle, iiolamment dans celle du Bourbonnois, qui porte, comme celle de Paris : Reconvention n'a lieu. Art. 88. "Vers l'an i5Go, Dumoulin écinvit ses notes si célèbres sur CHAPITRE QUATORZE. I97 défendeur, pour compléter la théorie de cette matière , nous n'avons que peu de choses à ajou- les différentes coutumes du royaume. L'article 88 de celle du Bourbonnois le frappa. Il ne pouvoit pas échappera un esprit aussi juste que c'étoit porter trop loin les conséquences du principe de la patrimonialité ; et , sur cet article 88 , il mit la note suivante : Secùs si reconventio oriatur ex naturâ actionis intentâtes , vel ex mediis exceptionis , sed reconventio obscura non impedit JUS fieri in prima liquida. Eclairés par cette décision , les magistrats et les jurisconsultes qui présidèrent, en i58o, à la réformation de la Coutume de Paris, y insérèrent l'article 106 , conçu en ces termes : « Recon- vention n'a lieu en cour laie , si elle ne dépend de l'action, et a que la demande en reconvenlion soit la défense contre l'ac- •X tion ; et en ce cas , le défendeur se peut constituer demandeur. » Cette disposition de la Coutume de Paris devint bientôt le droit commun de la France : la reconvenlion fui admise dans tous les tribunaux laïcs, mais avec la restriction établie par Dumoulin et consacrée par la Coutume de Paris. Il est si vrai que cette restriction n'étoit fondée que sur la patrimonialité des justices, que le Maître, dans son commen- taire sur la Coutume de Paris , obsei've qu'elle n'avoit lieu que lorsque les parties étoient domiciliées en différentes jurisdic- tions, et non pas lorsqu'elles étoient domiciliées dans le détroit - de la même justice. Cependant le respect pour la patrimonialité des justices s'af- foiblissoit graduellement. Le temps arriva où les tribunaux furent plus touchés de l'intérêt des justiciables que de celui des juges; et la reconveution fut admise , quoiqu'elle ne dépendît 1()8 CHAPITRE QUATORZE. ter à ce que nous venons de dire. En effet que la prorogation soit volontaire ou qu'elle soit légale, les règles sont les mêmes. Conventio et recoîi- ventio pari passu ambulant, disent les juriscon- sfiiltes (i). Ainsi la reconvention ne peut pas être propo- sée devant les juges délégués pour juger un cer- tain genre d'aflaires, certiun genus causarwn {o). pas de l'action. M. le Camus , lieutenant civil du Châtelet de Paris , nous rend compte de cette importante innovation dans ses observations sur l'article 106 de la Coutume de Paris. Voici ses termes : « L'usage a prévalu à la disposilion de cet article. « On a admis enfin la reconvention en toutes sortes de causes , « en permettant au défendeur de faire ou de former toutes de- f. mandes incidentes par ses défenses; et la reconvention produit « naîurellement la compensation qui se fait lorsque les actions <i res])ectiv(S peuvent être décidées aussi proraptement les unes « que les autres. Mais la reconvention n'est pas admise d'une «matière réelle, comme d'une servitude, ou un délaissement « d'héritage avec des demandes qui requièrent célérité , ou des « causes momentanées. I.e juge , dans ce dernier cas , quand la « partie le requiert , doit disjoindre les demandes. « Ces observations présentent le dernier état de la jurispru- dence. (i) Heineccius, ad Pcnid. Lih. 2, tit. i, «» 257. (a) C'étoit une règle do la jurisprudence féodale, que la re- «onvcntion ne pouvoit pas être proposée coram pavibus feudi , CHAPITRE QUATORZE. 199 Ainsi le négociant traduit devant un tribunal de commerce , pour une dette commerciale , ne pourroit pas opposer, reconventionnellement , les actions civiles qu'il auroit à exercer contre son adversaire ; et quand même son exception seroit fondée sur un effet de commerce qui le constitueroit créancier du demandeur, il ne se- roit pas écouté, à moins que les échéances ne fussent identiquement les mêmes; mais alors ce seroit la loi qui , par l'effet de la compensation , éteindroit elle-même les deux créances, et non le juge qui statueroit par reconvention. Il en seroit de même dans Fespece d'une complainte posses- soire portée devant un juge de paix. Le défen- quia , dit Rosentlial , eorum jurisdictio limita ta est ad certum genus causarum. « La reconvention ne peut pas avoir lieu devant les juges députés ad certum genus causanim , et dont le pouvoir est borné et limité. » Brodeau, sur l'art. 106 de la Coutume de Paris. J urisdictioncm subsistere oportct in personâ ejus cujus juris- dictio prorogabilur.... Cùm jurisdictionem diciinus inlcUigi simi- lem ei qui prorogatur... quare de criininali causa in judiccm civilem non prorogahitur, nec contra.... nec afficialium qui ad certas causas deputatl sunt , qualcs sunt prœpositi mercatonim , qui nupcr sese consules appellaverunt. D'Aiv&kntrê, sur r«ar- licle II de la Coutume de Bretagne , re/-6o.Jurisdiction. 200 CHAPITRE QUATORZE. déiir, quoique également troublé dans la posses- sion d'un de ses immeubles par son adversaire^ neseroit pas recevable à demander, reconven^- tionnellement , que le tort qu'il a fait fut com- pensé avec celui qu'il éprouve. Il seroit du devoir du juge de paix de statuer sur les deux demandes par deux jugements distincts, si les deux parties étoient domiciliées dans son arrondissement, et , dans le cas contraire, de renvoyer la complainte reconventionnelle du défendeur devant le juge naturel du demandeur originaire. En un mot, la reconveution ne peut avoir lieu que dans les seuls cas où la jurisdiclion du tri- bunal, devant lequel elle est proposée, peut être prorogée conventionnellement. Conventio et rc- conventio pari passu ambulant. D'où il suit que, pour qu'un juge extraordinaire soit autorisé à statuer sur une demande reconventionnelle , il faut la réunion de deux circonstances; la pre- mière qu^il soit délégué pour juger usque ad cer- tain summam^ et la seconde qu'en paiement de la somme qui lui est demandée , le défendeur offre une autre somme qu'il prétend lui être due par son adversaire, somme qui n'est pas encore liquide, mais dont la liquidation est tellement facile, qu'elle ne peut pas relarder le jugement CHAPITRE QUATORZE. 201 de raction principale d'une manière préjudiciable au demandeur originaire (i). H nous reste encore une question à examiner, elle est relative au dernier ressort. Nos tribunaux civils, ceux de commerce, et ceux de paix , sont autorisés à juger , sans appel , jusqu'à certaine somme. Cette somme est de mille francs pour les tribunaux civils. Une partie assignée devant l'un de ces tribunaux, à fin de paiement d'une somme de six cents francs , de- mande, reconvenlionnellemenl, que son adver- saire soit condamné à lui payer une somme égale ou supérieure. Le tribunal est légalement saisi de ces demandes, et la loi l'autorise à statuer sur l'une et sur l'autre: cela est incontestable. Mais (i) Cela est très bien explique dans le passage suivant de Woët : Quod si quantitatis intuitu judtcis potestas liinilala sit ex prorogatione jurisdictionis factd inter liti gantes , etiain de tnajori quantitate judicare potest. Ita et ex reconventione : sicut is qui quantitate m minorein petit judicis potestatem non exce- dentern , rectè mutitâ convcnietur actione ad eatn quantitatem tendente , quœ supra judicis ipsius jurisdictionem est.... Non tamen indulgendum est rccoiiventionem fieri apud eos de causis talibus , quœ ne ex speciali quidem prorogatione possint per eos detenninari. Ad Pand. Lib. 5, tit. i , n** 85. 202 CHAPITRE QUATORZE. prononrera-t-il en dernier ressort, ou seulement à la cli;»ri][e de l'appel? La demande originaire est inférieure au taux fixé par la loi , pour le dernier ressort ; mais , réunie à la demande reconventionnelle , elle ex- cède ee taux, et le juge statue par un seul et même jugement. Si ce jugement est en première instance, il préjudicie au demandeur, en ce qu'il le soumet à un appel dont la loi l'affranchissoit; mais s'il est en dernier ressort, on dira que le juge a excédé ses pouvoirs, et qu'ayant à pro- noncer sur des sommes supérieures par leur ré- union , à celle de looo fr., il ne pouvoit juger qu'à la charge d'appel : voilà les raisons de douter. Cette difficulté se résout par le principe que la reconvention opère par la voie de la prorogation , qu'elle n'est autre chose qu'une prorogation lé- gale , enfin qu'elle est soumise aux mêmes règles que la prorogation conventionnelle. En appliquant ce principe à l'espèce que nous venons de proposer, on voit qu'à l'instant où le tribunal a été saisi de la demande originaire, la loi l'a constitué tribunal souverain, puisque cette demande n'a pour objet qu'une somme de six cents francs. C'est conséquemment devant un juge en dernier ressort que le défendeur a formé sa demande reconventionnelle. CHAPITRE QUATOllZE. 2o5 Or quel est l'effet de la reconvenlion? c'est uniquement de proroger la jurisdiction. Mais proroger une autorité , ce n'est pas la dénaturer ; c'est , et rien de plus , l'étendre au-delà de ses li- mites naturelles. A cette extension près, la juris- diction prorogée demeure donc, après la proro- gation , ce qu'elle étoit auparavant : si elle étoit en dernier ressort , elle conserve donc cette pré- rogative ; autrement les particuliers pourroient détruire l'ouvrage de la loi , et se jouer scanda- leusement de la nature des jurisdictions. En effet le défendeur, toujours maître de former une de- mande reconventionnelle, de s'en désister et de la reprendre ensuite , pourroit alternativement enlever et rendre à ses juges le droit éminent de statuer en dernier ressort. CHAPITRE XV. De la Jurisdiction en dernier ressort , et des Cours dappel. On appelle jurisdiction en dernier ressort celle qui confère au juge qui en est investi le droit de terminer les affaires, qui lui sont soumises, par 204 CHA.PITRE QUINZE. des jugements qu'aucune autorité judiciaire ne ])cut ni reviser ni reformer. Sous ce rapport, les tribunaux sont de deux sortes: les uns, autorises dans certains cas à juger en première et dernière instance, ont le dernier ressort immédiat; les autres n'ont qu'une juris- diction médiate, et ne peuvent connoître des af- faires que par dévolution, et lorsqu'ils en sont saisis par la voie de ra2)pel , si ce n'est dans cer- taines circonstances dont nous parlerons dans la suite. La compétence des premiers relativement au dernier ressort , resserrée dans des bornes fort étroites , ne peut donner lieu qu'à de légères dif- ficultés, dont la solution appartient à la juris- prudence des arrêts. On donne aux autres la qualification de cours d'appel. Elevées au premier rang de la biérarchie judiciaire , ces cours ont une si grande influence sur Tordre social, que je crois devoir traiter ce qui les concerne avec assez d'é- tendue. Je commencerai par la partie historique , c'est-à-dire par le tableau des changements que la jurisprudence des appels a successivement éprouvés. L'histoire de ces changements , depuis l'éta- blissement de la monarchie jusqu'au quatorzième siècle , est consi^ée dans le chapitre servant d'in- CHAPITRE QUINZE. 2o5 troduction à cet ouvrage , §. II et III. Je vais re- prendre les choses au point où je les ai laissées. Avant cette époque du quatorzième siècle , une partie des affaires se décidoit par la voie des armes. Le demandeur et le défendeur , l'accusateur et l'accusé, ou leurs champions, se battoient; le vaincu perdoit sa cause, et le procès étoit ter- miné. Mais lorsqu'il néchéoit pas gage de bataille , les juges, c'est-à-dire les pairs du fief, ou , ce qui est la même chose, les vassaux du seigneur, ju- geoient la question, et donnoient leur avis publi- quement et à haute voix. La partie condamnée avoit le droit d'appeler non seulement de la sen- tence lorsqu'elle étoit rendue , mais de l'opinion de chaque juge à l'instant où il la prononçoit(i). La formule de l'appel consistoit à dire : Je sou- tiens que tel juge a parlé comme faux , déloyal et menteur. Le juge, ainsi offensé dans son hon- neur, offroit de faire le jugement bon par gage de bataille. On se battoit, et l'événement du combat (i) Pierre Desfontaines , contraire en ce point à Beaumanoir, dit que l'appel n'étoit recevable que lorsque trois des juges avoient donné leur avis contre l'appelant. C'est que l'un parloit de& usa<j;es du Bcauvoisis , et l'autre de ceux du Ycrraandois. 2o6 CHAPITRE QUINZE. décidoit la question. Il en ëtoit de m^me lorsque la jiartie condamnée atlendoit, pour émettre son appel, que le jugement fût rendu; avec cette seule différence, qu'elle étoit obligée de se battre successivement avec tous les juges. Lorsque, par l'heureuse influence du génie de saint Louis, l'usage àe fausser , c'est-à-dire d'ap- peler sans combattre , eut prévalu , les affaires portées devant le juge supérieur y furent jugées sur les débats et les moyens des parties. Ce pre- mier changement ne tarda pas à être suivi d'un autre: sous le régime du combat judiciaire , les vilains et les serfs n'avoient pas le droit d'appeler, parcequ'ils n'avoient pas le droit de combattre. Ce qui fait dire à Beaumanoir: Il ny a , entre le seigneur et le vilain ^ autre juge fors Dieu. A peine le parlement fut-il sédentaire qu'il reçut indis- tinctement tous les appels. Mais l'innovation n'alla pas plus loin : les dé- lais, pour interjeter appel , restèrent les mêmes ; on continua d'appeler les juges pour défendre leurs sentences; enfin, comme du temps du com- bat judiciaire , chaque appel donna lieu à une amende, payable par le juge, si son jugement étoit infirmé, et par l'appelant, si la sentence étoit colifirmée. Comme cet ordre de choses a existé jusqu'à des temps qui ne sont pas très éloignés, CHAPITRE QUINZE. 207 qu'il est nécessaire de le c6nnoUre pour l'intelli- gence des anciennes ordonnances, et qu'il en reste encore des traces très sensibles, nous croyons devoir nous arrêter un instant sur chacun de ces trois points : ce qui concerne les amendes va d'a- bord nous occuper. On lit dans les établissements de saint Louis: Appel contient félonie et iniquité [\). Rien en effet de plus injurieux que cette for- mule adressée aux juges eux-mêmes: Votre juge- ment est faux , déloyal et menteur. Il falloit du sang pour laver un outrage aussi grave ; mais le sang ne suffisoit pas. Lorsque l'appelant succom- boit , il perdoit son cheval et ses armes , et payoit , à titre d'amende , soixante livres au seigneur, et soixante sous à chacun des pairs qui avoit con- couru au jugement (2). Lorsque l'appelant , après avoir dit aux juges , votre jugement est faux et mauvais , n'offroit pas (1) Liv. 2, chap. i5. (2) « Celui qui appelle de faux jugement , et ne le prouve « mauvais , il éclict en l'amende dou seigneur de Go livres, et à « chacun de ceux qui assistèrent au jugement, 60 sols ; mais « ceux qui ne furent au jugement rendre , ne doivent avoir <» point d'amende , parcequ'ils furent hors du péril d'être appel- « lés en leurs personnes. •» Bkaumakoir, chap. 67. 2o8 CHAPITRE QUINZE. de le faire tel par gages de bataille {i), son appel étoit nul; mais il n'enavoit pas moins offensé le tribunal , et , pour réparation de la villenie qu'il avoit dit, il étoit condamné à une amende de dix sous au profit du seigneur. Ces amendes étoienl fondées, comme nous ve- nons de le dire , sur Topinion que l'appel consti- tuoit un véritable délit. Alors cette opinion étoit juste; mais elle cessa de l'être lorsque le recours au tribunal supérieur n'eut plus rien d'offensant pour le juge inférieur : alors plus de délit, ainsi plus d'amende. Celte conséquence échappa. L'ef- fet survivant à sa cause, on continua de regarder l'appel d'une sentence comme injurieux au juge qui l'avoit rendue; et, encore aujourd'hui, l'ap- pelant qui succombe est condamné à l'amende, comme ayant manqué à la justice, ratione vexa- tionis curiœ (2). (i) « Si quelqu'un appelle nicement, comme se il dit : Ce ju- t gement est faux et mauvais , et il n'offre à le faire tel , li ap- a piaux ne vaut rien, ainchois doit amender la villenie qu'il a « dit en cour; et est l'amende de 10 sols au seigneur, et se il « étoit coutumier, il y auroit peine de prison. » Beauaianoir, cJiap. 61. ^ (2) Emendalur ratione ve.rationis curies. Dumoulin , de forma arrcslorura carias. CHAPITRE QLINZK. 209 Il y avoit même des circonstances où l'appelant encouroit une double amende. Par exemple, ce- lui qui succomboit dans un appel de déj'autc de droit étoit condamné à deux amendes ; l'une au piofit du seigneur qu il aceusoit de lui avoir dénié justice; l'autre envers le seigneur supé- rieur qui avoit statué sur son appel, ce qui avoit lieu, dit Beaumanoir, en moult d' autres cas(i). Cet usage s'étoit maintenu au conseil du roi, et vit encore à la cour de cassation , où le deman- deur, dont la requête est rejetée, est condamné à payer, à titre d'amende, 3oo fiancs au fisc, et i5o francs à son adversaire. (1) « Ceux qui appellent de défaute de droit (déni de jus- « lice), ne sont pas quittes à faire l'amende tant seulement « à rappelle, ils doivent aussi l'amende au seigneur à la cour «( duquel ils ont appelle. Si Tappellant est gentilhomme , l'a- « mende est de 60 livres , et s'il est homme de poote, l'amende « est de Go sols. Et par là peut-on voir qu'il y a deux amendes € dans un méfait. Et aussi est-il en moult d'autres cas. » Beau- manoir, c/iap. 61. « Si le procureur du roi contend , contre aucun, de l'infrac- « tion de sauve-garde, ou de quelque autre excès ou délit; ja- « çoit que la partie blessée n'en fasse aucune poursuite , et « l'excès est prouvé suffisamment , si le roi en a amende ; aussi « la doit-on adjuger à la partie blessée. » Le grand Coutuini^r, iiv. I, cJiap. 3. 14 2 1 O C II A. P 1 T R P, Q U r N Z E. On alla beaucoup plus loin. Raisonnant tou- jours dans l'opinion que l'appel est un outrage à la justice, et par conséquent un délit public, on porta la rigueur jusqu'à exiger Tiimende lorsque l'appelant transigeoit avec son adversaire , ou se désistoit de son appel par un acquiescement pur et simple à la sentence (i). Il faut convenir que cette manière de voir étoit conséquente. En effet, si tout appel étoit un dé- lit, à l'instant où l'appel étoit émis, le délit étoit consommé, et par conséquent la peine encourue. Bientôt on envisagea ce prétendu délit d'un œil moins sévère; et, dès l'an i344'>^"^^ ordon- nance accorda aux appelants un délai de huit jours, pendant lequel ils pourroient se désister, sans être tenus de payer l'amende (2). Mais ce (i) « Quand gages sont reçus, soit pour cas de crime , soit c pour faux jugement, les parties ne sont l'cçues à faire paix , « sans l'acc(;rd de sou seigneur. » Beai.manoir , chap. 67. « Aucun ne sera reçu en jugement, soit par nos lettres ou s autrement, sans payer l'amende à la discrétion de notredite 9 cour, en ayant égard au timps que l'assignation de la cause # sera échue en notredite cour. » Edit donné à Saint-Germain , e/i Janvieri^i^. Idtru, en octobre i535, chap. 21, art. 17. (2) Il falloit des moyens de constater que le désistement étoit fait dans les huit jours; la mémo ordonnance y ])Ourvoit. Comme l'appel devoitèlre interjeté à l'instant où la sentence étoit rcn- ( CH.\P1TRF QUllVZÏÏ. 211 délai étoit de rigueur. Plus d'un siècle après cette ordonnance. Fauteur du grand Coutumier disoit: Si tu veus renoncer à ton appel ^ il convient que ce soit dans les huit jours. Liv. 3 , chap. 5. Ilyavoit aussi une amende lorsque la sentence etoit infirmée; cette amende étoit au profit de raj)pelant, et c'étoit le seigneur de la cour qui avoit jugé qui^ la lui payoit fi). Cette jurispru- dence donna lieu à un usage fort bizarre, et qui cependant s'est maintenu pendant plus de deux siècles. Comme dans tous les appels, les ju^es avoient bien réellement un double intérêt , ceiui de soutenir le bien jugé de leurs sentences, et celui d'empêcher que le seigneur qui les avoit commis ne fût, par leur fait, condamné à une amende considérable, on imagina qu'il suffisoit d'intimer la partie pour être présente aux débats, si elle le jugeoit à propos, et quec éloient les juges due, et par conséquent en présence du juge, l'ordonnance exige tpie le désistement soit signifié à la personne , ou, en son absence, ù un préposé de sa part. Jude.x cjui scntentiain protu- leiity jiersonarn cvrtnm cleputare tenebàur, in loco in quo sen~ tenlias pronunciavit y coram quain appcllantes renunliare po- terunt infra tempus ante dictian. (i) On lit dans Beaumanoir que cette amende étoit de Go liv., somme alors fort considérable. ^la CHAPITRE QUINZE. eux-mèrnes que l'appelant devoit faire assigner pour procéder sur son appel (i). Lorsque l'appelant se contentoit de faire assi- gner les juges, la partie qui avoit obtenu la sen- tence etoit autorisée à la faire mettre à exécution ; cependant, à raison de l'amende, et pour l'intérêt du fisc, on n'en procédoit pas moins sur l'ap- pel (2). (P) Les lettres de relief d'appel étoient conçues dans les termes qui suivent : « Au premier notre huissier.... nous le mandons et commet- tons qu'à la requête dudit exposant lesdits juges présidiaux qui ont donné ladite sentence, et fait ledit tort et grief susdit , tu ajournes, en cas d'appel, à certain et compéleiit jour à notre- dile cour de parlement, pour iceux soutenir et défendre, écrire, corriger, réparer, et iceux mettre du tout au néant, si métier est et le doivent être.... et intimer et faire à savoir audit.... et à sa femme qu'ils soient et comparent audit jour, à notredite cour de parlement, s'ils pensent que bon soit, et que ladite cause et matière d'a})pel leur touche ou appartienne en aucune manière, et eu outre pour répondre et jirocéder comme de raison. » Boucheul , qui nous a conservé cette ancienne formule , ajoute : « Si la sentence est donnée par juges non royaux , res- sortissants au j)arlement , est mandé au premier huissier ou sergent d'ajourner, en cas d'appel, lesdits juges et intimer la partie. » BibUotlwqiic du Droit françois , Paris 1671, verbo Appellation, p. 207. ('2) « Si l'appelant n'a fait intimer sa partie, mais seulement CHAPITRE QUINZE. ai3 Tl y avoit une différence fort notable entre les juges royaux et ceux des seigneurs, différence fort au désavantage des premiers : ceux-ci ëtoient per- sonnellement condamnés à l'amende, et c'étoit le seigneur qui la payoit pour ses juges ; et même cette charge n étoit imposée qu'à ceux dont les justices ressortissoient nuement au parlement f i^. Comme , sous le régime du combat judiciaire, c'étoit un devoir, pour tous les juges, de faire leurs jugements bons, on ne vit rien d'extraor- dinaire dans cette forme de procéder, et les sei- gneurs s'y soumirent sans difficulté. Leur déter- ajourner le juge, la sentence doit être exécutée au profit de la partie , et le procès ne laïera d'être vu et jugé à la fin de l'année , comme a été dit par arrêt de Paris du i4 juillet i334 ; et le procès demeure conclu avec le procureur du roi pour l'a- mende, et la sentence sort son effet quant à la partie non inti- mée. » BoucHKTji. , idem , verbo Intimé, y>. 427- (1) OrcUnamus quod... si scntenùa per curiam fucrit infir- ma ta , tanquam tortionaria et irrationahilis , et appellationes bonœetvalidœjudicentnr,pr£Bdictusjustitiariusnoiter^percitjiti- justitiam idfactuififuerit, "io libras parisienses soh'crc tcnehitur thesaurano nostro. Ordonnance de i44^ » art. G. Voy. Guénois. a Les hauts-justiciers, ressortissants nuement en nos cours, «seront condamnés, suivant les anciennes ordonnances, eu « 60 livres parisis , pour le mal jugé de leurs juges, m Ordon- nance de Roussillon , i564 ■> ^^^- ^T- 2l4 CHA.PITRE QUINZE. minntlon à cet égnrd fut encore iiiiliience'e par un autre motif; l'espoir de l'anjonde que leur payoil rappelant lorsqu'il succomboit; mais bien- tôt cet espoir fut trompé. Le parlement étant de- venu le jui^e d appel universel, appliqua égale- ment au fisc, et 1 amende du seigneur au profit de l'appelant, et celle de l'appelant au profit du seigneur. 11 est si vrai que cettejurisprudenceavoitpour principal motif liimende que les juges royaux et les seigneurs payoient au fisc, que dans les pays de droit écrit, où, par des motifs dont le développement notis meneroit trop loin , cette amende n'avoit pas lieu (i), les juges n'étoient ( I ) Ditm appcllatur a scntenùd lata :n pairie Jiiris scrlpV y et per curiain ptotinnciahkur h(H(' judi?ataiti etrnalc appella*.utn , appclUins iiiillarn dehet emcndain ; .1/ sii pronunciarctitr in pa~ tria consuctiiilinann y quia appeilans coinpelleretur ad solven- dum n gi (>o Lihrcu parisiennes pro cinenda. Item, nhi proimiiciatur bcnè appellatiun et maiè judicatum , si judices .sint jitris scripti , à ^iiibiix est ajipcllatum , nullani dehent emendam ; seciis , si sint pa/rice consuetudiiiariœ. Du- moulin , Ancien Style du Parlement, part, i , chap. aS. Dans les pays de droit écrit, les appelants ont joui de cette exemption, jusqu'à l'ordonnance de li'iy, dont l'article 116 porte : « Les appc'anis , dans les pays de droit écrit, seront condamnés à une ammde pour le fol appel, comme les appe^ Jants du pays coutumicr. y CHAPITRE QUI ÎVZE. ai5 pas intimes sur Tappel de leurs sentences (r). Les juges royaux obtinrent lexeniption de cette amende vers le commencement du seizième siè- cle. On voit , par lordonnance de lloussillon , qu'en 1664, les seigneurs y ëtoient encore assu- jettis. Mais bientôt l'usage de faire assigïier les juges, pour défendre leurs sentences, dégénéra en une vaine formalité; et il ne fut plus question de l'amende à laquelle ils étoient condamnés. On lit dans la Pratique d'Imbert, imprimée en 161G : Combien que le Juge soit ajourné , il n'est tenu toutes fois de comparoitre et de défendre son ju- gement et appointement, et parce, semble être chose superflue de l'ajourner. L'auteur fait ensuite cette réflexion fort judicieuse: Ce seroit relever les parties de fraie , si on ordomioit que les justes ne seroieut plus ajournés , et qu ils seroient seule- ment intimés quand V appelant les voudroit pren- dre à partie. Le vœu d Imbert a été rempli. Il ne restoit, en 1790, d'autre vestige de cet ancien usage, que l'obligation où étoit le lieutenant civil du Châtelet d'assister à l'audience de la grand- (1) « Si on appelle d'un juge du pays de droit écrit , il faut intimer, non le juge, mais la partie. » Bouchkul , idem , veibo Appellation. 2lG CHAPITRE QUINZE. chambre du parlement, pendant la plaidoirie de la première cause du rôle de Paris. La manière de vuider les appels , sous le ré- gime du combat judiciaire , exigeoit qu'ils fussent interjetés à l'instant même de la prononciation du jugement ; un plus long délai, eût-il été borné à la durée de Faudience, auroit pu cumuler plu- sieurs appels, et si les juges eussent succombé sous les coups du premier appelant, les autres n'auroient eu aucun moyen possible de soutenir leur appel (i). Cependant si la partie condamnée par défaut se présentoit avant que Taudience fût levée, elle pouvait, dit Beau manoir, requérir qu'on ïy dit de rechef le jugé , et elle étoit à temps d'appeller. Depuis, les juges, au lieu de pronon- cer de nojiveau ces sortes de jugements , les ont annullés, et de là est venu ce que nous appelons aujourd hui le rabattement de défaut. Après (]ue le combat judiciaire eut fait place à des formes plus raisonnables , la rtgle fut moins sévère: d fut permis d'attendre, pour appeler, la (l) « II convient appellerparla coutume de la cour laïe, sitôt comme le jugement est fait. « Beaumanoir , chap. 67. « Déclarons que dorénavant nul ne soit reçu à appeller, sTI n'appelle incontinent la sentence donnée, à moins que par dol ou fraude , etc. » Ordonnance de i^Sj , art. 18. CHAPITRE QUINZE. 217 tin de l'audience; mais une fois que le juge étoit sorti de son auditoire, Tappel n'éloit plus rece- vable. Telle ëtoit encore la pratique du temps de Masiier (î). Long-temps encore la règle resta la même ; mais la chancellerie y derogeoit par des lettres de re- lief que l'on appeloit relief d'illico. Ces lettres s'ac- cordoient pendant trente ans, à compter du jour où la sentence avoit été rendue; et la facilite avec laquelle on les obtenoit avoit introduit la juris- prudence qui existoit encore au mois d'août 1790, époque des changements que tout le monde con- noît (1). Les cours d'appel, comme nous l'avons dëja dit, ont la plénitude de l'autorité judiciaire; leur jarisdiction est universelle, mais elle n'est pas (1) « Ou au moins franchement après que le juge seroit levé de son siège, et lui étant encore en son auditoire, autrement il n'est à recevoir comme appelant. » Pratique de Masuer , no 166. (2) « Anciennement on observait le délai de l'appel plus ri- goureusement qu'on ne fait aujourd'hui, parceque l'on obtient facilement les reliefs de Yillicd en la chancellerie. Et on tient en pratique que jusqu'à trente ans on peut appeler, qui est le temps des prescriptions des causes personnelles, entre les- quelles on nombre la cause d'appel. » Caroîîdas, Notes sur le chop. 27 du là'. 3 du grand Coutuinier. 2l8 CHAPITRE QUINZE. immédiate: bornées aux affaires dont la connois- sanee leur est dévolue par la voie de Tappel , il y auroit de leur part excès de pouvoir, si elles se perniettoient de statuer sur une demande prin- cipale , qui nauroit pas subi le premier degré de jurisdiction. Mais il est permis d'employer, en cause d'ap- pel, des moyens dont on nauroit pas fait usage en première instance, et même de corriger et de modifier ses conclusions. Par exemple, aprè§ a\oir demandé en première instance qu'une si- gnature fût vérifiée par experts, si l'on a suc- combé, on peut, sur l'appel, recourir à la preuve testimoniale ; on peut de même réclamer, n titre d'hérédité, '.'?^ q je ion avcit d abord demandé à titre de Gonation. Il est également permis de coiiclur.^ à ce qae plus'eurs personnes soient co-idinmées soli iairement, après n'avoir d'abord formé qu»^ des demandes personnelles (i). (i) Mutata opinio petàoris , nnnfacit pelidonem novam ; si modb e.r causa hofrcditad;: opinabatur hahere , deindèex caunâ donationis. L. 1 1 , de l\e judicatà. Titius conclut ainsi, disant : « Je requiers tel et tel être con- damné envers moi en telle somme » ; et après il augmente ou ctiange , en disant : « Je requim'S envers moi être condamnés tels et tels , et chacun d'eux solidairement et pour le tout. » Les CflAPITRE QUINZE. 2I9 Telle a toujours été la règle dans les provinces régies par le droit romain. Mais il n'en étoit pas de même dans la France coutumiere , où les juges étoient condamnés à l'amende, lox^sque leurs sen- tences étoient infirmées. Tout le temps que cet usage a subsisté , il n'étoit permis , sur l'appel , ni de corrii^er, ni de modifier ses conclusions, ni même d'employer des moyens de fait que l'oit auroit omis de présenter ?u premier juge (i). Cela éioit conséquent : si la sentence eût été ré- formée, parceque l'appelant auroit changé l'état de 1 Tffiire , il eût été trop inique de condamner le juge à l'amende. défendeurs disent qu'ils ne sont tenus d-i répondre, narceque la demande a été chanj,'ce. Le demandeur réplique vjue non; et il a raison, jtarcoque ce qu'il avolt premièrement l'equi? en général, maintenant il le déclaie : Et itd fuit judicatuin vro domini) de Monte fcriC contra dominuiK dunensem. Grand Coulumier, liv. 3 , chap. 52. (1) Après avoir remarqué qu'il y a des tribunaux où il est permis de corriger ses conclusions, Dumoulin ajoute : Et hoc obsenatur in judicihus qui cmendas non solvunt. Cet auteur continue : Ubiappeilnns estjuris scripti, et in sua appellatione , ad forlijîcandarn eani , oliqua giavarnina pro- posuit in scriptis , non sa lit m ex iilis poterit justificare sunm ap- pellationem, sed ulios ex aliis quiiuscumque. Stylus Curije Parlamenti, cap. ■!{{. 220 CHAPITRE QUINZE. Cependant la règle qui défend aux cours d'ap- pel de connoîlre des affaires omisso medio, toute générale qu'elle est, reçoit des exceptions. Il est des cas où les cours d'appel peuvent évoquer les procès qui s'agitent devant les tribunaux de pre- mière instance , et les juger en dernier ressort , quoiqu'ils n'aient pas subi le premier degré de jurisdiction. La dérogation à la règle s'étend encore plus ^oin. Dans certaines circonstances, les cours d'ap- pel sont autorisées à statuer sur des demandes portées directement devant elles. Les développements nécessaires , pour fixer les idées sur chacune de ces différentes exceptions, m'éloigneroient troj) de mon sujet; je me bor- nerai donc à les indiquer. Je commence par les évocations. Lorsque le tribunal de première instance a or- donné, par un avant faire droit, c'est-à-dire par un jugement inteilocutoire, une preuve, une vérification, ou une instruction qui préjuge le fond du procès, s'il y a app^l de ce jugement, qu'il soit infirmé, et que la matieie soit disposée à recevoir une décision déjirdtive , les cours et gé- néralement tous les tribunauxd'appel peuvent, en évoquant le principal , statuer définitivement sur le fond , pourvu que ce soit par lui seul et même CHAI-iTRE QUIiSZE. 221 jugement. Il en est de même dans tous les cas où les tribunaux d^ippel infirment, soit pour vice de forme , soit pour toute autre cause , des jugements définitifs. Ces mots , S'. la matière est disposée à recevoir un jugement définitif, sont remarquables. Il en résulte que le juge supérieur ne peut évoquer que dans les circonstances où le juge inférieur auroit pu juger, ou autrement que le tribunal d'appel ne peut faire, par la voie de l'évocation , que ce que le tribunal de première instance au- roit pu et dû faire lui même. Ainsi lorsque le demandeur en déclinatoire s est strictement renfermé dans l'exception d'incom- pétence, tt que le premier juge s'est déclaré in- compétent, la cour d appel à laquelle ce juge- ment est déféré doit , si elle 1 infirme, renvoyer l'affaire devant le même juge. Mais si la partie qui a proposé le déclinatoire avoit cependant conclu au fond , » n reformant la sentence par laquelle le juge se seroit déclaré incompétent, la cour d'appel seroit autorisée à statuer siirle tout, et à terminer le procès par un jugement défi» nitif. La différence entre ces deux espèces est sen- sible: dans la première, le juge éloit dans l'im- possibilité de staluer sur le fond de la contesta- 222 CHAPITRE QUINZE, tion, puisque le défendeur s'ëtoit borne à proposer l'exception d'incoiripëlence ; mais, dans la se- conde, les deux parties ayant également conclu au fond, la matière éloit disposée à recevoir ini jugement définitif. En un mot, l'évocation dépouille le premier juge Dépouiller un juge de si*, jurisdiction, c'est en quelque sorte lui infJiger une peine. Or une peine sur)pos( me faute ; et quel'e faute peut-on reprocher au j ge qui a fait tout ce nu'il pouvoit lég'timeiîient faire? La dérog.'ilioi à la règle générale s'étend, com- me nous venons de le dire, Ciicoie pliiS loin. Il est des demandes qu«. l'on peut po -ter directe- ment devant les cour? d aj rt-^ ^y- S(;ii! celles en compensation et en leccirvemion , lorsque la demande reconvjiilioûnerie eoiistit'ie 1 1 défense à l'action principale; celles relatives àTexé-ïiition des jugements rendus par ce*; mêmes cours, lors- que la sentence est infirmée (i); celles qui au- roient pour objet les intérêts, dommages et in- tëréls, arrérages, loyer; , et autres accessoires échus depuis le juge'uent de première instauce ; (i) Sdtif les cas de la demande en nidlilé de V criprisonne- ment , en c.rpropriation forcée , et autres dans lesquels la loi attribue jujisdiition. Arl. G72 du Code de Procédure civile. I CHAPITRE QUINZE. 2^5 celles qui sont connexes à la question soumise à la cour d'appel; enfin celles qui teudroientà faire lëprlnier des entreprises sur l'objet contentieux pendant le cours de la litispendance. Nous croyons devoir dire un mot de la litis- pendance et de ses effets. Lorsque des parties, qui se prétendent respec- tivement propriétaires d'un objet quelconque , saisissent un tribunal de leur différent, il se fait entre elles un quasi -contra^ par lequel elles re- noncent à toute innovation, à toute espèce de voie de fait, et mettent l'objet litigieux en dépôt entre les mains de la justice. Si une d'elles se permet de changer l'état des choses, et que cet^^e entreprise donn»lieu à un second procès , quel en sera le juge? ce ne peut être que celui q-. i est li^^si du fond de la diffi- culté, puis.^u'ayant reçu, le contrat et le dépôt c'est nécessairement lui qui est chargé de veiller à l'exécution de l'un et à la conserva tioa de l'au- tre. D'ailleurs qui sait mieux que Uii quel étoit l'état des choses au moment où le 'jroeès a com- mencé? et, sans cette connoissance, comment juger s'il y a innovation. Enfin toute voie de fait , pendant le litige, est un attentat à l'autorité du juge saisi de la contestation, et c'est à lui seul qu'il appartient de venger les injures qui lui sont 224 CHA-PITRE QUINZE. faites (i). Ajoutons que s'il en ëtoit autrement, il y auroit, dans deux tribunaux différents, deux procès pour le même objet , ce cpii choqueroit les règles de l'ordre judiciaire. lit [)eu importe cpiau moment de l'entreprise, le procès soit pendant devant un tribunal de première instance ou devant une cour d'appel ; dans les deux cas la règle est la même, dans les deux cas le juge du fond est également juge de cette espèce d'incident (2). Si donc il arrivoit qu'une cjuestion de propriété s'agitât devant une cour d'appel, que, pendant ce litige, celui qui a conservé la jouissance de l'objet contentieux fut troublé dans sa possession (i) Pendcnte lite , nlhil est innovandum. Tout ce qui se fait au mépris de cette règle est qualiJié à' attentat , non seulement par les lois romaines , mais par nos ordonnances et par plu- sieurs coutumes. Voir les art. 10 et i3 de la grande ordonnance de Charles VII de Tau i45'3, l'art. 5i du cliap. 54 des Chartres du Hainaut, et l'art 4!^ de la Coutume de Senlis. (2) J'dentatum est, sive lite , sue appellatione pendcnte , iî quidjiat in prajiidiciurn Ictis , vel appellationis. Siquandb , in prœjudiciiun litis vel appellationis attentatum proponatur, orn- ni modo id vindicandum est , etiain si adi'ersarius ciijus iiilerest vindicai i , non id pelle/ it in Ubelli conclusionc , diunniodb per média litis conquestus sit de altentatis. Le président Faiîre , ad Codicetii, llh. r, tit. 10, defn, 20. CHAPITRE QUINZl-, 22!^ j3ar quelque voie de fait, de la part de son adver- saire , et qu'il jugeât à propos d'intenter une complainte possessoire, ce seroit la cour d'appel qu'il devroit en saisir, quoique ces sortes d'ac- tions fussent attribuées aux juges de paix par une loi spéciale. Coninie il n'est permis de porter directement devant ces cours que certaines demandes, de même il n'est libre qu'à certaines personnes de se rendre parties dans les procès qui s'agitent de- vant elles. Celui-là seul peut intervenir dans une instance d appel qui auroit le droit d'attaquer l'arrêt par la voie de la tierce opposition. Enfin , indépendamment des litiges qui sont déférés aux cours par la voie de l'appel, indépen- damment des demandes qui peuvent être portées directement devant elles, et dont nous venons de faire l'énumération ; c'est encore dans leur main que la loi place l'administration judiciaire, et c'est à leur sagesse qu'elle confie la liante po- lice sur les tribunaux inférieurs. En conséquence c'est à chacune d'elles à régler, dans son ressort, les conflits de jurisdiction , et les juges qui lui sont subordonnés ne peuvent être pris à partie sans son autorisation. Le ministère des cours d'appel n'est pas entiè- rement consommé par l'arrêt définitif; on peut i5 226 CHAPlTrvE QUINZE. leur en demander la correction , s'il y a erreur dans les qualités, ou l'interprélation , s'il ren- ferme des dispositions obscures; on peut même se pourvoir devant elles contre leurs propres ar- rêts, en les attaquant par la voie de la tierce oppo- sition ou de la requête civile. Nous reviendrons sur ces objets dans le chapitre suivant. CHAPITRE XVI. De la Rétractation et de là Cassation des Jugements en dernier ressort SOMMAIRE. Section I. Des Circonstances dans lesquelles ou peut se pouTVoir contre les jugements en dernier ressort, et des Voies successivement ouvertes pour en obtenir la réformation. Section II. Des Supplications et des Lettres de grâce de dire contre les arrêts. Ces lettres étoient expédiées en chancellerie. Section III. Les Lettres de grâce de dire contre les arrêts prennent, vers l'an i344? ^^ dénomi- nation de Lettres de proposition d'erreur. Ces CHAPITRE SEIZE. 22^7 lettres étoient la seule manière de se pourvoir contre les jugements en dernier ressort, pour erreur de fait et pour erreur de droit; elles étoient adres- sées au parlement y seul réformateur de ces arrêts ^ sous la présidence du roi ou de ses commissaires. Des Séances royales. Qu'il ne faut pas les con- fondre avec les lits de justice. SECTiOiV IV. Influence des Désordres du règne de Charles VI sur V autorité de la chose jugée. Section V. Règne de Charles Fil. Retour aux principes. Louis XI les méconnoit souvent ^ et ce- pendant assure V indépendance de la magistrature, ( rêation de plusieurs Parlements. Influence de cette innovation. Mauvaise administration des cJianceliers Duprat et Pojet. Section VI. Résumé de ce tjui vient d'être dit. Les rois ayant , vers la fin du quatorzième siècle , abandonné V usage d'assister aux jugements des propositions d erreur, la réformation de celle de droit, c'est-à-dire , des contraventions aux lois, rentroit naturellement dans le domaine du coJiseil d'état. Cependant les ordonnances antérieures au seizième siècle sont muettes à cet égoj'd. Motifs de leur silence. Section VII. Etat de cette partie de la Ju/is 228 CHAPITRE SEIZE. prudence j depuis la fin du quinzième siècle jus- qu'à l'ordonnance de Blois. Première innovation. On distingue les eireurs de fait qui inculpent les juges , des erreurs qui procèdent du dol des parties ou de V impèritie de leurs défenseurs. On ouvre , contre ces dernières , un nouveau recours que l'on appelle Lettres en forme de requête civile, ^insi , à dater de cette époque, deux manières d'attaquer les arrêts pour erreur défait : la proposition d'er- reur et la requête civile. Forme des Lettres de pro- position d'erreur, et de la manière de les obtenir, ué litre innovation. Lettres pour être reçu à alléguer griefs , nullités et contrariétés. Ces lettres abolies par les chanceliers Olivier et l'Hôpital. Caractère de ces deux grands hommes. Dispositions des Or- donnances d'Orléans et de Moulins. Edit interpré tatif de la seconde. Section VIII. Dispositions de T Ordonnance de Blois. Toutes les voies ouvertes contre les arrêts ré- duites à trois : la proposition d'erreur, la rcauête civile , et la cassation. Secti,o\ TX . Ordonnance de 1667. Abolition de la proposition d'erreur. Plus de ressources contre les erreurs de fait que Ion voudroit imputer aux Juges. La requête civile et la cassation seules con- servées : la première . contre les erreurs de fait^ que CHAPITRE SEIZE. 22f) Ion peut ottrihiier à la mauvaise foi des parties^ à la négligence ou à l'impêritie de leurs déj'enseurs ; et la seconde , contre la violation des lois. De la Requête civile. Section X. De la Cassation des Jugements en dernier ressort. SECTION" I. Des Circonstances dans lesquelles on peut se pourvoir contre les jugements en dernier ressort, et des Koies successivement ouvertes pour en obtenir la rê.for- ' mation. Les jugements en dernier ressort, ainsi quali- fiés, parceque le tribunal qui les a rendus ne reconnoissant aucun supérieur dans la hiérarchie judiciaire, il n'est pas possible de les attaquer par la voie de l'appel, peuvent et doivent néanmoins être reformés dans deux circonstauces ; lorsqu'il y a erreur dans leur dispositif ou ^ice dans leur rédaction. Il y a vice dans la rédaction d'un arrêt, toutes les fois que les termes dans lesquels il est conçu présentent un sens équivoque et sont susceptibles de deux interprétations, ou lorsque le rédacteur s'est mépris dans les qualités des parties, en ne i6o ciiAPiTur sr:izE. leur donnant pas celles sous lesquelles elles figu- roient au procès. Il y a erreur clans le dispositif, toutes les fois qu'il est fonde sur des raisonnements, des faits, ou des actes faux , et lorsqu'il n'est pas revêtu des formes prescrites, ou qu'il n'est pas conforme à la loi qui slatuoit sur le point litigieux. Pour parvenir à faire réformer les vices de ré- daction , il suftit de présenter une demande en interprétation, ou en correction au tribunal qui a rendu le jugement. Il faut plus de'formalités pour obtenir la réforma lion des vices qui peuvent se trouver dans le dispositif. Ces vices résultent ou d'erreurs de droit, ou d'erreurs de fait. Ces dernières peuvent être de dieux sortes; il en est que Ton peut imputer aux juges, et d'autres qui leur sont étrangères. Au- jourd'hui il n'y a plus de remède contre les er- reurs de fait qui émanent des juges eux-mêmes. Quant à celles qui sont, ou qui peuvent être re- gardées comme étant l'ouvrage des parties ou de leurs défenseurs, elles se partagent en deux clas- ses. Les unes sont également sans remède; mais il en est un pour les autres ; c'est une demande en rétractation d arrêt , demande connue dans la pra- tique sous la dénomination de requête civile , et CHAPITRE SEIZE. zSl qui se porte devant le juge duquel l'arrêt est émané. Enfin, quant aux erreurs de droit, c'est- à-dire ti la violation des lois qui règlent soit le fonds des affaires , soit la forme des jugements, il n'y a qu'un moyen de se pourvoir, c'est la voie de la cassation. Mais on n'esl parvenu à ce point de précision qu'après bien des aberrations, et par des médita- tions prolongées pendant plusieurs siècles. Avant l'ordonnance de 1667, indépendamment de la cassation et de la requête civile, on pouvoit en- core att-îquer les arrêts en obtenant des lettres de proposition d'erreur, des lettres pour éirc reçu à alléguer nullités , griefs et contrariétés, des lettres de grâce de dire contre les arrêts, et plus ancien- nement, par la voie de la supplication. Toute l'histoire de cette partie si intéressante de notre législation est dans les détails relatifs à ces changements. Nous allons les exposer. SECTION II. Des Supplications et des Letlrcs de grâce de dire contre les .arrêts. Ces lettres étoient expédiées en chancellerie. On voit par différents textes des Etablissements 131 CHAPITRF SEIZE. de S. Louis (t),* qu'à cette époque les cours le roi^ c'est-à-dire les cours établies dans les domai- nes de la couronne, telles que les prévôtés de Paris et d'Orléans , jugeoient en dernier ressort; que cependant on pou voit attaquer leurs juge- ments, mais uniquement par la voie de la sup- plication; que ces supplications s'adressoient au roi lui-même, lorsque la partie condamnée se plaignoit d'une erreur de droit; et que toutes les fois qu'elle ne reprochoit aux juges que des erreurs de fait, c'éloit devant eux qu'elle devoit porter sa supplique. Le commencement du quatorzième siècle vit éclore un nouvel ordre de choses. î r •. justices du roi, qui jouissoient de la prérogative du dernier ressort, la perdirent; il fut libre d'appeler de leurs sentences. Le parlement, rendu sédentaire à Paris par la célèbre ordonnance du 23 mars i3o2, eut seul le droit de juger souverainement, et reçut tous les appels. Quoique dès- lors cette compagnie fût envi- ronnée de la considération et de l'éclat qu'elle a constamment répandu sur la magistrature , néan- moitis on sentit que, trompée par les parties ou (i) Ces textes sont les cliap. i et So du liv. i , et i5 du liv. 2. Je les ai transcrits dans los noies du §. ill , ci-dessuS page 35. xy^ CHA.PITRE SEIZR. 20:> entraînée par cette invincible fatalité qui soumet tous les hommes à l'erreur, elle pourroit quel- quefois rendre des arrêts dont la justice exigeroit la correction, la rétractation, ou même Tannul- lation. En conséquence, par l'article 12 de l'or- donnance du 23 mars i5o2, il fut statué que ja- mais l'appel ne pourroit être admis contre les arrêts du parlement, mais que cependant s'ils renfermoient des erreurs , ou des ambiguités qui en provoquassent l'interprétation ou la révoca- tion , il en seroit référé au roi ou au parlement lui-même, ce qui néanmoins ne pourroit jamais se faire qu'en vertu d'une permission spéciale du roi. On donnoit au diplôme qui contenoit cette permission la dénomination de lettres de grâce de dire contre les arrêts, dénomination qui indique bien le respect que l'on portoit alors à l'autorité de la chose jugée. L'ordonnance ne dit pas si ces lettres seront adressées au roi et à son conseil dans certaines circonstances, et, dans d'autres, au parlement, ou si, dans toutes, on pourra indifféremment renvoyer l'examen de l'affaire à l'un ou à l'autre. La manière la plus naturelle d'expliquer le silence de la loi, sur un point aussi important, éloit de dire qu'elle avoit entendu se réféf'cr à ce qui étoit 234 CHAPITRE SEIZE. réglé par les Etablissements, qui, comme on vient de le voir, soumelloient au roi et à son conseil les erreurs de droit, et rcnvoyoient la correction des erreurs de fait au tribunal duquel le jugement étoit émané. Il paroît cependant que tel n'étoit pas l'esprit de l'ordonnance. On voit en effet, par celles qui la suivirent , et dont nous rendrons compte dans un instant, que les lettres de grâce dédire contre les arrêts s'adressoient au parlement, que le roi s'y rendoit en personne, et qu'ainsi placée sous les regards du prince, cette cour réformoit elle- même ses propres décisions. Cette mesure , qui nous révèle la haute opinion que l'on avoit alors des magistrats, concilioit tous les intérêts. La justice étoit rendue, et l'autorité judiciaire n'étoit point ébranlée. La loi triom- phoit sans avoir à gémir sur la déconsidération de ses ministres, et la présence du roi avertissoit les citoyens que le chef de l'Empire veilloit à ce qu'aucun d'eux ne fût opprimé par des jugements arbitraires. Mais cet ordre de choses étoit à peine établi , qu'il fut sur le jjoint d'être renversé par un abus qui s'introduisit très peu de temps après l'ordon- nance de i3()2. Cette ordonnance , comme nous l'avons fait CHA.PITRE SEIZE. 2.1)0 remarquer, dit vaguement que les lettres de grâce (le dire contre les arrêts seront adressées au roi ou au j)arlement : profitant de ce défaut de préci- sion, les maîtres des requêtes, qui étoient chargés de la rédaction de ces lettres, ne tardèrent pas à s'arroger le droit d'adresser celles qu'ils jugeoient à propos au conseil qui révisoit les jugements qui en étoient Fobjet, comme si le prince leur en eût donné le droit par une attribution spéciale. Eclairé par les remontrances du parlement, Philippe-le-Long proscrivit cet abus par son or- donnance de i320, par laquelle, après avoir ex- posé , «que moult de requêtes ont été faites à nos « prédécesseurs et à nous qui passées ont été « frauduleusement, comme de moult de gens qui '(requièrent grâce de dire contre les arrêts, « où moult de fraudes et déceptions ont été faites», ce prince déclare qu'il veut et ordonne que les lettres de grâce de dire contre les arrêts soient renvoyées aux cours desquelles les jugements son t émanés, c'est-à-dire au parlement, ou à la cham- bre des comptes. a36 CHAPITRE SEIZE. sp:ction III. Les Lettres de grâce de dire contre les arrcls prennent , vers Van i344) ^^ dénomination de Lettres de pro- position d^ erreur. Ces lettres étaient la seule manière de se pourvoir contre les jugements en dernier res- sort, pour erreur de fait et pour erreur de droit , c'est-à-dire , pour contravention aux lois. Elles étoient adressées au parlement^ seul réformateur de ces arrêts , sous la présidence du roi ou de ses commissaires. Des Séances l'ojalcs. Qu il ne faut pas les confondre avec les lits de justice. Peu de temps après cette ordonnance de i32o, les lettres de grâce de dire contre les arrêts perdi- rent celte dénomination, on ne sait par quels motifs, et prirent celle de proposition d'erreur. A la faveur de cette nouvelle qualification, l'abus se reproduisit et même s'étendit et s'ag- grava , au point que Tordre judiciaire n'auroit pas tardé à éprouver une désorganisation totale, si PIj il ippe de -Valois, par une ordonnance du mois de d('cemhre i544) n'eût promptement et sévèrement réprimé les entreprises de son con-, seil. L'ordonnance qui les proscrit en présente le tableau. On y voit d'abord qu'aux termes des lois CHAPITRE SEIZE. :i3'] antérieures, les arrêts du parlemeniBI pouvoierit être attaqués que par la voie de la proposition d'erreur, et en vertu de lettres expédiées à cet effet; que ces lettres dévoient être délibérées dans le conseil, et contenir les erreurs que Ton repro- clioit à l'arrêt ; qu'on ne pouvoit les obtenir qu'a- près avoir donné caution de payer au roi une double amende, et à la partie des dommages in- térêts; que d'après les anciennes ordonnances et l'usage des temps antérieurs, ces lettres ne pou- voient être adressées qu'au parlement, qui seul avoit le droit de réformer ses arrêts ; enfin que le roi concouroit lui-même à ces grands actes de jus- tice en se rendant en personne au parlement, ou en s'y faisant représenter par des membres de son conseil qu'il déléguoit à cet effet [i). Après ce résumé des anciennes ordonnances , celle que nous analysons expose qu'au mépris de cet ordre de choses dicta oT'dinatione non ohs- (i) Cian pcr prœdecessores nostros Franciœ reges , propter aurtorilatein parlnnienti nostri , sempcrfuit irnùolabiliter obser- vatuni , ne arrcsta curiœ nostiœ, allquatcnùs , nisi'jjer ipsas gciitcs parlainenti nostii in noslnl prœscntid... vel nobis absen- tibuspcr ipsas quœ personain nostrain irnnicdiatè repra-senlant , vel per ipsas et aliquot alios consiliarios nostros , quandb ad hoc cum ipsis mittiinus , aliquando modo com'gantur, vel aliàs mutrntur. Ordonnance du mois de drcenibrc \l>t\'\ , art. 9. 238 CHAPITRE SEIZE. to«fe^ le cre(p^ et l'intrigue obtiennent souvent des lettres de révision, sans alléguer aucune erreur; que l'on parvient quelquefois à tromper la reli- gion du prince, au point d'en obtenir des ordres qui suspendent, au moins pour un temps, l'exé- cuiion des arrêts; enlin que, par un abus encore plus grave, les lettres à l'effet de réviser, corriger ou annuller les arrêts, ne sont pas toujours adres- sées au parlement ; Et quod est graviiis parti qiiœ arrestum obtlnuU..,, quod partes super ils super quibus arrestum fuit latum coram aliis quam co- ram geJitibus nostri parlamenti ^ et non in ipso paî'lajnento adjornatœ audiantur. Le législateur continue et dit : Nul ne pourra se pourvoir directement ou indirectement , ex- pressément ou tacitement contre un arrêt de no- tre parlement, sans avoir obtenu de nous des lettres de proposition d'erreur. Ces lettres ne pour- ront être expédiées que sur une requête exposi- live des erreurs que le réclamant entendra oppo- ser à Farrêt; afin que les gens de notre conseil puissent juger du mérite de ses griefs ; on ne pourra en articuler d'autres que ceux consignés dans celte requête, et, à cet effet, elle sera atta- chée sous le contre-scel de nos lettres; enfin ces lettres seront toujours adressées à notre parle- ment, cjui seul pourra réformer ses arrêts: et il CHAPITRE SEIZE. 239 n'en sera point donné contre les jugements inter- locnloires. Nec errores per parlamciilum noslrum non alibi ^ nec per alias personas lit prœdictum est , vel nisi solum inprœsentiâ noitrd si Jioc ordinave- rimus fieri , ipsis etiam prœsentibus corrigantur. Statuimus etiam quod nulli concedatur gratia pro- ponendi errores contra arresta interlocutoria. En- fin, porte la loi, la proposition d'erreur ne sera plus Un motif d'ordonner qu'il sera sursis à l'exé- cution des arrêts, parcequ'ils sont toujours pré- sumés conformes à la justice... Quia pro arresto, quod débite et absque intervcîitu errorum latuni et factum fuerit est veiisinùliter prœsumendum. L'usage où étoient les rois d'assister au juge- ment des propositions d erreur , avoit pour mo- tif celte présomption que tous les jugements sont conformes à la justice, et lopiuion que Tordre social rf-pose principalement sur !a stabilité des décisions judiciaires. Cette circt)nstance n'étoit pas la seule où les rois présidoient leurs parlements; il arrivoit assez souvent qu ils s'y rcndoient en cas de droits du domcdne des pairies ou des baron/iies (i). (i) Ordonnance du ii mars i344i «'■^- 5. Cet articie ajoute que le roi annoncera sa venue par une lettre adressée à son ])arleincnt , t et que la cause poiu' quoi il voudroit que sa venue 240 CHAPITRE SEIZE. Le roi aiinonçoit son intention au parlement par des lettres qui lui ordonnoient de surseoir au jugement de l'affaire jusqu'à ce qu'il fiit présent. Le cérénionial qui s'observoil alors ëtoitre'^jlé par deux ordonnances; l'une du 17 novembre i5i8, l'autre du 11 mai i3/î4.0n lit dans cette dernière, entièrement conforme à la précédente : Art. i/j. «Quand l'y roi viendra en parlement, « que le parc soit tout vuide; et aussi tout vuide « la place qui est devant son siège, si que il puisse « parler secrètement à ceux que il appellera pour « parler à lui. » Art. i5. «Que nul ne se porte de son siège, ne « ne vienne seoir devant le lict du roi , les cham- « bellans exceptés, ne ne vienne consulter à lui « se il ne l'appelle (i). » « fût attendue, sera écrite dans laquelle, par laquelle il man- « dera que la cause fût attendue à sa venue; autrement qu'on « la délivrera sans lui attendre. » (i) On lit dans La Roche - Flavin, des Parlements de France, liv. 4i art. 3i: « l.e roi Louis XIJ, pour montrer « l'honneur et la révéï'ence qu'il avoit à la justice , ayant quitté « son palais aux juges, se retira au bailliage, tout contre le a palais.... et lorsqu'il avoit besoin de son conseil , il montoit au « parlement, demandoit avis , et quelquefois assistoit aux plai- « doiries, jngeoit les causes, son chancelier prononçant en sa CHAPITRE SEIZE. Q^l Quoique ces ordonnances donnent la dénomi- nation de lictiiu siège du roi, cependant il ne faut pas confondre ces séances royales avec les lits de justice dont nous ne voyons aucune trace avant le quinzième siècle ( i ). « présence.... C'est où il voyoit en la plaidoirie les excellents eC « célèbres esprits , et ceux qui plus dignement faisoient leurs « fonctions en la justice, le remarquant pour s'en servir. » (i) On lit dans les Recherches de Pasquier, liv. 2 , cliap. 4 : « L'un des premiers qui, à son plaisir, força les volontés de la n cour, feignant de lui gratifier en tout et par-tout, fut Jean, « duc de Bourgogne (fléau ancien de la France), qui voulant, « pour gjgner le cœur du pape , faire supprimer les ordonnance* « qui avoient été faites contre les abus de la cour de Rome, « envoya par plusieurs fois édits révocatoires d'icelles, que c jamais la cour ne voulut homologuer, au moyen de quoi « messire Eustaclie de Laitre , chancelier fait de la main de ce «duc, le comte de Saint-Pol, lors gouverneur de Paris , le « seigneur de Mauteron , vinrent au parlement le 3o mars 14 18 , « et firent publier ces lettres révocatoires, sans ouïr le procu- « reur général, et en son absence, et commanda le chancelier « que l'on y mit : Lccta , puhiicata , etc. ; et après son parte- • ment, vinrent plusieurs conseillers au greffier remontrer • que, puisque c'éloit contre la délibération de la cour, il ne « devoit mettre lecta.... ou bien, s'il le vouloit mettre, devoit y « ajouter clause par laquelle il apparut que la compagnie n'avoit « approuvé cette publication. Lequel fit réponse qu'il se garde- « roit de méprendre. Et le lendemain, ceux des enquêtes vin- 16 a42 CHAPITRE SEIZF. Dans les séances royales, telles qu'elles ont eu lieu jusqu'à ces derniers tenîj)s , la majesté du trône se cachoit, en quelque sorte, sous l'appa- reil judiciaire; le prince jugeoit moins comme roi que comme président du sénat ; la liberté des suf- frages n'étoit pas gênée par sa présence, et les voix se recueilloient et se comptoient dans la forme ordinaire. Dans les lits de justice , le prince, après avoir annoncé qu'il venoit exercer la puissance législa- tive dans toute sa plénitude , déclaroit, du haut du trône , qu'après avoir mûrement examiné les représentations de ses cours, il persistoit dans sa volonté, qu'il entendoit qu'elle fût exécutée, et qu'il regarderoit toute résistance ultérieure com- me attentatoire à son autorité , et tendante à dé- truire l'unité de pouvoir qui constitue l'essence des gouvernements monarchiques. Je reviens à la proposition d'erreur. Il paroît que l'ordonnance de 1344? dont je viens de rappeler les dispositions, fut exécutée pendant tout le règne de Charles V, et que tous les efforts de l'intrigue , pour faire revivre les abus • rent à la grande cliambre faire pareilles remontrances. Sur « quoi fut dit que , nonobstant cette publication, la cour n'en- « tendoit approuver cette révocation. » CHA.PITRE SEIZE. a/j^ proscrits par cette ordonnance, échouèrent contre la sagesse de ce monarque. SECTION IV. Inflasnce des Désordres du règne de Charles VI sur V autorité de la chose jugée. Sous Charles VI, époque non moins funeste à la législation qu'à l'Etal, la foiblesse du prince, les divisions des grands , les guerres civiles sus- citées et fomentées par un voisin puissant, ou- vrirent un champ tellement libre à la force, à Tambilion , à l'injustice, et à la mauvaise foi , que les principes sur lesquels reposoit l'organisation judiciaire furent entièrement méconnus. «Tou tê- te fois, pour entendre ceci , il faut savoir que le « grand conseil du roi du commencement n'étoit « fondé en jurisdiction contentieuse ; car telles « matières étoient réservées pour la connoissance « de la cour de parlement, ains seulement connois- ff soit de la police générale de France concernantou « le fait des guerres , ou l'institution des édits dont « la vérification appartenoit au parlement. Et dura « longuement tel ordre, c'est-à-dire jusques sur le « commencement des factions qui intervinrent «entre les maisons de Bourgogne et d'Orléans, « auquel temps tout ainsi que toutes les choses 2^4 CHAPITRE SEIZE. « de France se trouvèrent étrangement brotiille'es « et en grand désarroi , aussi ceux qui avoient la «force et puissance par devers eux, pour gou- « verner toutes choses à leur appétit, faisoient « évoquer les négoces qu'il leur plaisoit par de- « vers le conseil du roi, qui étoit composé ou de «Bourguignons ou d'Orléannois, selon que les « uns ou les autres des deux factions avoient le «crédit en la cour du roi Charles VI, qui lors <t étoit mal disposé de son bon sens. Et par cette « voie frustroient ceux de la jcour de parlement « des causes qui leur étoient affectées.... Et à peu « dire, toutes et quanles fois que les seigneurs « qui gouvernoieiit avoient envie d'égarer quel- « ques matières en faveur des uns ou des autres, « ils en usoient en cette manière (i). » Par ce tableau trop fidèle des désordres de ce malheureux règne , on voit dans quel mépris étoient tombées la majesté des lois et l'autorité des cours. Il n'étoit pas question alors de lettres de proposition d'erreur, et encore moins d exa- miner si un arrêt renfermoit des vices tels qu'ils dussent en faire prononcer la rétractation. Ue pareils détails auroient trop long- temps retardé la marche du pouvoir. On prenoit une voie beau- (i) Pasquieu, Recherches , liv. 2 , chap. 6. CHAPITRE SEIZE. 24^ coup plus courte. La faction dominante ëvoquoit au conseil du roi, c'est-à-dire devant elle, les procès de ses partisans et les jugeoit elle-même, ou si, faute d'une évocation assez prompte , le parlement avoit prononce contre ses intérêts , elle cassoit Tarrét, et statuoit sur le fond de l'af- faire. Cependant, quoique affaissés sous le plus ex- travagant despotisme, les magistrats retrouvoient leur énergie, lorsqu'il s'agissoit de défendre les droits de la couronne et la majesté du trône. Ea voici un exemple: Un arrêt rendulcQaoùt iSSq, entre le procureur général du roi et le duc de Lor- raine, avoit ordonné que la ville de Neufchâleau seroit régie sous la souveraineté du roi. Quelque temps après un huissier ayant fait mettre les pa- nonceaux royaux sur une maison de cette ville qu'il avoit mise en saisie réelle, le duc de Lor- raine fit arracher les panonceaux et incarcérer l'huissier. Informé de cet attentat à l'autorité du roi , le parlement fit le procès au duc de Lorraine, le jugea par contumace, le déclara coupable du crime de félonie, le bannit à perpétuité , et con- fisqua la ville de Neufchâtoau. Fort de la protection du duc de Bourgogne ,1e duc de Lorraine se rendit à Paris , et osa deman- der l'annullation de l'arrêt rendu contre lui. O./iÔ CHAPITRE SEIZE. Présenté au roi et appuyé par le duc de Bourgo- gne, il éroit sur le point d'obtenir cette anniil- lation. r.e parlement averti envoya une députa- tion au roi , présidée par l'avocat général Jean Ju vénal des Ursins. La députation arriva au mo- ment où la cassation alloit être prononcée. « Le «chancelier les appercevant, leur demanda qui « lesavoil mandés en ce lieu. Sur quoi le seigneur «des Ursins, sans aucunement marchander ni « répondre, se jette aux pieds du roi, lui fait le « récit de l'affaire , le supplie de ne vouloir /ai/ e « brèche ni à sa majesté ni à l'autorité du parle- a ment. Le duc de Dourgogne, auquel rien n'étoit « difficile près du roi , commence à se courroucer, « disant avec paroles d'aigreur que ce n étoit la « voie que Ton y devoit observer ; à quoi le sei- « gneur des Ursins répondit doucement qu'il étoit « tenu d'obéir aux ordonnances de la cour, aux « choses mèmement où il alloit du seivice exprès « du roi; et à l'instant même, haussant sa parole, « requit que tous bons et loyaux serviteurs du « roi vinssent se joindre de son côté, et que ceux « qui étoient contraires au bien et repos du V royaume se tirassent du côté du duc de Lor« «raine. Cette parole, prononcée d'une grande « hardiesse , étonna tellement le duc de Bourgo- « gne , que soudain il quitta prise (car il tenoit CHAPITRE SEIZE. ^47 « le duc de Lorraine par la manche pour le prê- te senter au roi), et se retira du cote des Ursins «avec tous les autres princes et seigneurs; se « trouvant le duc de Lorraine seul et abandonné «de tous — il s'agenouille devant le roi, et, la « larme à l'œil, le supplie humblement de lui vou- « loir pardonner, qu'il n'avoit jamais consenti à « tout ce qui s'étoit passé dans la ville de JXeuf- « château, et qu'il promettoit d'en faire une pu- « nition convenable. Pour faire court, après plu- « sieurs soumissions et protestations, il obtint du «roi ce qu'il demandoit, avec le consentement « du parlement, sachant que les choses s'ëtoient « passées devant le roi sans dissimulation et hy- « pocrisie.... combien grand est leffort de la jus- « tice quand il tombe en un brave sujet (i). » Ces actes de courage éloient autant de protes- tations qui conservoient les, traditions des prin- cipes et en préparoient le retour dans des temps plus heureux. (i) Pasquier, Recherches, liv. G, cl;ap. i 5. Voyez dans le même chapitre une anecdote du même genre sous Louis XI. 248 CHAPITRE SErZE. SECTION V. Ticgne de Charles T^I I. Retour aux principes. Louis XI les méconnoit souvent , et cependant affermit V indépendance de la magistrature. Créa- tion de plusieurs Parlements. Influence de cette innovation. Mauvaise administration des chance- liers Duprat et Pojet. Ces temps reparurent sous le beau règne de Charles VII. Cependant quelquefois il arrivoit que 1 iinportunitë des grands lui surprenoit des ordres pour suspendre la décision des affaires ou arrêter rexécution des jugements. Il proscrivit cet abus; et pour en empêcher le retour, il prit la mesure la plus propre, peut-être la seule pro- pre à déconcerter Tintrigue. Il se mit dans l'heu- reuse impuissance d'interrompre à l'avenir le cours de la justice , par cette belle disposition de son ordonnance de i455 (1) : Voulant obvier à « leîles fraudes et malices, nous ordonnons que c( doresnavant telles lettres ne soient passées en « nos chancelleries; et en outre, que si , par im- « portunité, telles lettres d'état étoient données « et passées, nous ordonnons et commandons à (1) Art. G7. CHAPITRE SEIZE. 249 « tous nos baillifs et à tous les justiciers de notre « royaume, qu'ils n'obéissent ne obtempèrent en «aucune manière, et leur enjoignons que, non- ce obstanticelles lettres, ils fassent justice, raison , « punition et correction des crimes , ainsi qu'au « cas appartient , sur peine d'en être corrigés et « punis. » Louis XI, par une inconséquence qui n'est pas sans exemple , affermissoit l'indépendance de l'autorité judiciaire par des lois générales, tandis qu'il l'ébranloit par des actes particuliers. Il dé- pouilloit les tribunaux par des évocations et des commissions; mais on ne voit pas qu'il ait abusé du droit de casser les arrêts des parlements ; du moins , dans le cahier des doléances des états-gé- néraux tenus à Tours en i483, n'est-il question que des commissions et des évocations. Deux innovations qui eurent lieu à-peu-près à cette époque ne contribuèrent pas peu à familia- riser le conseil du roi avec l'idée de casser les ar- rêts des parlements. Long-temps le parlement de Paris fut la seule justice capitale et souveraine du rojaume (i). Les affaires et les hommes s'étant multipliés, une seule cour souveraine devint insuffisante, et il en ^ r^' ' I 1 II m ■ - — -* -II- ■ - r (i) Ce sont les termes des anciennes ordonnaoces. 230 CHAPITRE SEIZE. fut successivement érigé dans les principales pro- vinces : on en comptoit sept en i5oi (i). Aupara- vant, les conflits de jurisdiction ne pouvoient s'élever qu'entre des tribunaux secondaires. Le parlemeni les jugeoit , et tout finissoit là. Mais , après rétablissement de plusieurs cours souve- raines, on les vit, jalouses de conserver l'intégrité (i) Philippe-le-Bel avoit établi un parlement à Toulouse ver» l'an iHoa ; mais il fut supprimé quelque temps après. Recréé par lettres du 20 mars 1420 ( Voyez Ordonnances du Louvre y t. II, p. 59 ), il fut transféré à Beziers en 1425 , réuni en 142S à celui que Charles "VII avoit établi à Poitiers. (Voyez Ordon- nances du Louvre , t. i3, p. 140- ) Cette union subsista encore quelque temps après le retour du parlement de Poitiers à Paris. Enfin, le 11 octobre 1444 ? Charles VII, sur les réclamations des états de Languedoc , établit un parlement à Toulouse pour le Languedoc , l'Aquitaine , et les pays au-delà de la Dordogne. Le parlement de Grenoble fut créé en i453 , à la place du con- seil drlj)hinal. Celui de Bordeaux en 1462. Celui du duché de Bourgogne en 147G. Celui de Rouen en 1499, à la place de la chambre de l'échiquier, dont il conserva le nom jusqu'en i5i5. Celui d'Aix en i5oi. Celui de Bretagne en i553 , à la place des gi-ands jours de cette province. Celui de Pau en 1620. Celui de Metz en 1G02. Celui de fVanche- Comté eu 1674. Celui de Flandre en 168G, dont le siège fut d'abord à Touruay, ensuite à Cambray, ejifîn à Douay, par un édit de décembre 1713. Celui de IVancy en 177J , à la place de la cour souveraine de Lor- »?.ine. CHAPITRE SF.fZF. sSl <le leur territoire, figurer elles-mêmes dans les conflits, et donner respectivement des airêls qui faisoient défenses aux parties de procéder ailleurs que devant elles. Egnles en pouvoir et sans auto- rité les unes sur les autres , ces cours étoient dans l'impossibilité de juger la question qui les divisoit. Celte question étoit donc nécessairement dévolue au roi, et le roi ne pouvoit y statuer sans pro- noncer la cassation de l'un des deux arrêts. Le chancelier Duprat , qui ne voyoit pas que , dépouiller les tribunaux , c'étoit bien moins ajou- ter à l'autorité du roi qu'agrandir le domaine du crédit et de l'inlrigue, facilita les évocations delà manière la plus scandaleuse. Pour en obtenir, il ne faîloit que des prétextes : on alla plus loin, on imagina les récusations générales. Le parlement ainsi récusé, ne pouvant être juge dans sa propre cause, s'abstenoit; et l'affaire étoit portée devant le conseil du roi, qui, statuant sur la récusation, ëvoquoit le fond de l'affaire, la jugeoit ou la ren* voyoit à une cour souveraine établie par Char- les VIII, sous la dénomination de grand-conseil (i). (i) Voici dans quels termes François I" parle de cet abus , dans le pr(5ambule de son édit de 1^29 : « Informé que plusieurs «évocations, et jusqu'en nombre effréné, ont été ci- devant » dépêchées à came des récusations.... qui est grosses vexa-'' 202 CHAPITRE SEIZE. Les parlements réclamoient au nom de l'ordre public; et comme on affectoit de ne pas les en- tendre, il arrivoit quelquefois que, révoltes de la fausseté ou de la légèreté des motifs de ces récu- sations, ils continuoient l'instruction des procès, et le conseil ne manquoit j)as de casser les arrêts ainsi rendus comme attentatoires à l'autorité du roi. A la même époque, les lettres d'état fournirent encore au conseil de fréquentes occasions de cas- ser des arrêts. On appelle lettres d'état des ordres adressés aux cours de justice, à l'effet de sus- pendre les procédures dirigées contre des per- sonnes absentes pour le service du roi. Il devoit y avoir peu d'exemples de ces lettres , depuis l'or- donnance de i353; mais elles se multiplièrent avec les évocations et les récusations. La conduite des parlements et du conseil fut la même. Les parlements jugeoient nonobstant les lettres d'é- tat, lorsque leurs motifs étoient d'une fausseté reconnue , et le conseil cassoit les arrêts. Telle étoit la situation des esprits, lorsqu'en « lions , frais et mises intolérables aux parties liligaiites et grand « retardement de la justice. » On verra dans un instant que les mesures répressives prise» contre cet abus demeurèrent sans exécution. CHAPITRE SEIZE. ^53 i538 Guillaume Poyet fut élevé à la dignité de chancelier de France, « Ce magistrat , qui avoit « été nourri, dès le berceau, à façonner les pro- « ces , apporta tant de chicaneries, qu'il com- te menca de prêter l'oreille aux parties privées « pour matières mémement qui se dévoient déci- de der dans un chàtelet de Paris ou dans une cohue «de Rouen : laquelle coutume tellement a qu'icelle a introduit à la suite de la cour gens et qui font acte de procureurs et avocats en ce « conseil, tout ainsi qu'aux simples jurisdictions a subalternes : voire et y ont été quelquefois taxés <t les dépens par les maîtres des requêtes : cou- « tume véritablement indigne de ce grand tribu- « nal de la France (i). » Au milieu d'un pareil désordre, dans un temps où le chancelier lui-même favorisoit l'évocation au conseil des affaires les plus minutieuses, avec quelle facilité ne devoit-on pas casser les arrêts des parlements ? Effectivement il ne s'agissoit que de trouver des prétextes : on en imagina de nou- veaux. Mais, pour en donner une juste idée, il faut que je rappelle la manière dont les choses s'étoient passées jusqu'alors , et sur-tout l'état de (l) PASQlilER, liv. 2, cliap. 6. 254 CH.VPITRK ?Tl ZE. cette partie de notre législation au commence-^ meut du seizième siècle. SECTION VI. Hésumé de ce qui xneiit d'être dit. Les rois ajant , 'Vers la fin du quatorzième siècle, abandonné f usage d'assister aux jugements de proposition d'erreur^ la réforme des erreurs de droit, c est-à-dire , des contraventions aux lois , rentrait naturellement dans le domaine du conseil d'état. Ceperjdant les Ordonnances antérieures au seizième siècle sont muettes sur la cassation des arrêts pour violation des lois. Moiifs de leur silence à cet égard. On voit, par les Etablissements, que, du temps de S.Louis, on pouvoit attaquer les jugements en dernier ressort pour erreur de fait et pour erreur de droit ; que, dans le second cas, le roi statuoit lui-même, et que, dans le premier, le ju- gement étoit soumis à la révision du baillif ou du prévôt qui l'avoit rendu. La manière dt)nt les choses se passèrent après l'ordonnance de i3o.2 effara celte ligne de démar- cation. On obtenoit du conseil , sur le mpport des maîtres des requêtes, des lettres de grâce de dire contre les anêts. Ces lettres étoient adressées au parlement. Le roi s'y rendoit, accompagné des CHAPITRE SEIZE. ^55 membres de son conseil, et là ëloient jugées les erreurs de droit comme les erreurs de fait. Quelques années après, la dénomination de ces lettres changea; on les appela lettres de propo- sition d'erreur: mais la chose resta la même. La fin du quatorzième siècle fut Tépoque d'un nouveau cljangement, et beaucoup plus considé- rable. Les rois abandonnèrent l'usage de concou- rir, avec le parlement , aux jugements des propo- sitions d'erreur. La force des choses ramena à la distinction entre les erreurs de fait et les erreurs de droit, et ces dernières repassèrent dans le do- maine exclusif du conseil. Mais, dans l'état où étoit alors notre législation , il étoit presque impossible que le parlement com- mît des erreurs de droit, c est-à-dire, qu'il rendît des jugements contraires aux lois de l'Etat. En effet, les lois saiiques et ripuaires, les capi- tulaires, en un mot , tous les actes législatifs des deux premières races étoient, depuis longtemps, sans autorité : à peine en restoit-il un léger souve- nir. Les premiers rois de la troisième race, de toutes parts pressés par la prérogative des seigneurs, n'exerçoient la puissance législative que dans les terres de leurs domaines; et même encore , vers la fin du quinzième siècle , le code des Français, si l'on en retranche les établissements, qui n'eu- 256 CHAPITRE SFIZE. rent jamais force de loi que dans les domaines patrimoniaux de S. Louis, les chartes de com- munes et de bourgeoisies, les privilèges accordes aux villes et aux abbayes, les lettres portant éta- blissements de foires et marches, et les statuts pour les communautés d'arts et métiers , le code des Français, disons-nous, se réduisoit à quelques ordonnances relatives à la police (i), au com- merce, aux monnoies , à lusure, à la manuten- tion des forets , à l'administration des domaines de la couronne, à la perception des droits d'amor- tissement et de franc-fief, à la répartition des aides et subsides accordés par les états-généraux, à l'organisation du parlement , à celle de quelques tribunaux inférieurs, aux fonctions des avocats, au nombre des officiers ministériels, et à diffé- rents points de procédure (9.) ; mais point de loi générale ni sur les successions , ni sur les testa- ments, ni sur les donations, ni sur les substitu- tions, ni sur la communauté entre époux, ni sur (i) Le règlement concernant la police du royaume , du mois de février i35o, en 2^9 articles, mérite encore aujourd'hui d'être lu et médité. On le trouve dans le recueil des Ordon- nances du Louvre et dans celui de Fontanon. (2) L'ordonnance d'avril i453 , en laS articles, est sur-tout remarquable. C'est notre premier code de procédure. CHAPITRE SEIZE. 257 les droits des femmes mariées , ni sur le régime féodyl. Sur tous ces points, les cours de justice ii'avoient d'autres régulateurs que les priucijjes du droit romain, des souvenirs, et leur propre jurisprudence. Dans toutes les affaires, les parties alléguoient respectivement l'usage du pays, et, pour consta- ter cet usage, les juges ordonnoient des enqiié' tes (i). Ainsi les tribunaux ne pouvoient errer (i) Des nombreuses coutum<>s qui depuis ont surchargé la France, aucune alors n'étoit écrite. Charles VII, par l'art. laS de son ordonnance de i453 , ordonna qu'elles seroient rédigées et revêtues de la sanction de l'autorité publique; mais ce projet ne fut exécuté que dans le siècle suivant. On trouve , dans ce même article i25 , la manière dont les procès s'instruisoienC dans ces temps là; On y lit : « Les parties , en jugement tant « devant notre cour de parlement que devant les autres juges, « proposent et allèguent plusieurs usages , styles et coutumes « qui sont diverses, selon la diversité des pays de notre royau- « me, et les leur convient prouver, pour quoi les procès sont «- moult allongiés et les parties constituées en grands frais. . . . « car souventes fois advient que les parties prennent coutume «contraire, en un même pays, et aucunes fois les coutumes «I muent et varient à leur appétit , dont grands dommages et «inconvénients ad\iennentà nos sujets. » Aussi voit-on, dans les registres du parlement, connus sous la dénomination dColitn , que la plupart des arrêts de ces temps- là commençoient par ces mots : Inquatâ factâ ^ et que la for- 17 :?58 CHAPITRE SEIZE. qu'en fait, c'est-à-dire que dans la manière d'ap- pliquer les anciens exemples, ou d'apprécier et d'interpréter les actes et les dépositions des té- moins. Ainsi la violation des lois de l'Etat devoit être infiniment rare et presque impossible; les jugements en dernier ressort , du moins pour la très majeure partie , ne poiivoient donc être at- taqués que pour erreur de fait. Dans un pareil ordre de choses, on devoit s'oc- cuper fort peu de la cassation des arrêts pour contravention aux lois , et beaucoup de la ma- nière de les attaquer pour erreur de fait ; c'est aussi ce que nous voyons. Aucune de nos ancien- nes ordonnances ne parle des formalités à obser- ver pour se pourvoir en cassation ; et il est beau- coup question de la proposition d'erreur dans celles des quatorzième et quinzième siècles. mule du disposillf de ces arrêts étolt : Probatuin est, nonpro- batuin est. CHAPITRE SEIZE. sSg SECTION VII. £taf de cette partie de la Jurisprudence , depuis la Jia du çuinzieme siècle Jusqu'à rurdonnance de Blois. Première innovation. On distingue les erreurs de fait qui inculpent les juges , de celles qui proce-* dent du dol des parties , de la négligence ou de l'irnpéritie de leurs défenseurs. On ouvre, contre ces dernières , un jiouveau recours , que l'on appelle Lettres en forme de 7-equêt?. civile. Ainsi, à dater de cette époque , deux manières d'attaquer les arrêts pour erreur de fait : la pr- position d'erreur et la requête civile. De la forme de ces lettres , et de la manière de les obtenir. Autre innovation. Lettres pour être reçu à alléguer griefs, nullités et contra' riétés. Ces lettres abolies par les chanceliers Olivier et Lhopital. Caractère de ces deux gran^ds hommes. Dispositions des Ordonnances d'Orléans et de Moulins. Edit interprétatif de la seconde. ^ La fin du quinzième siècle fut l'époque d'une innovation notable dans cette partie. 7\uparavant ou confondoit toutes les erreurs de fait; alors on distingua celles qui inculpoient le juge de pré- vention ou d'ignorance , de celles qui procédoient du dol des parties et du fait des officiers minis- tériels, telles que les soustractions de pièces et les z6o CHAPITRE SEIZE. nullités de procédure. On établit, pour ces der- nières, de nouvelles lettres que Ton qualifia lettres en /orme de requête civile ; mais, comme il arri- voit rarement que l'on n'accusât pas les arrêts tout à la fois de ces deux espèces d'erreur, la chancellerie continua , pendant quelque temps encore 5 d'employer indislincleraent la dénomi- nation de proposition (Terreur. Il y a même des ordonnances postérieures à iSSg, dans lesquelles on lit que la proposition d'erreur est la seule voie ouverte contre les arrêts des cours souveraines. Nous n'avons pas encore parlé des formes à observer pour obtenir les lettres de proposition d'erreur; cependant il faut les connoître : elles sont réglées par plusieurs ordonnances (i), et réunies dans le texte suivant de l'ancien style de procéder en la cour de parlement de Norman- die (2), que Terien nous a conservé. « Il est loisible 4c de proposer erreur contre les arrêts de la cour «en toutes matières, fors des arrêts interlocu- « toires et possessoires, en consignant au greffe « delà cour i2oliv.parisis pour l'amende, laquelle « erreur proposée doit être erreur de fait ; car (i) Notamment par celle de Louis XI, de l'an 1474. (2) Commentaire du Droit civil normand, imprimé à Pari» en 1574. CHAPITRE SEIZE. 261 « aucun n'est recevahle à proposer erreur de « droit (1). Et telle est la forme de proposer er- « reur, que la partie qui entend la proposer doit « laisser les sacs au greffe , car en les retirant tai- « siblement, il renonceroit à l'erreur; et dans un « an après la date de l'arrêt, doit bailler lesdites « erreurs pardevers monseigneur le chancelier « qui les envoie clos , sous le contre-scel de la « chancellerie , aux maîtres des requêtes , pour les « visiter, et voir s'ils sont admissibles ou non : et « iceux trouves admissibles, lesdits maîtres des « requêtes renvoient à monseigneur le chancelier, « et obtient le proposant lettres de la chancellerie a pour faire. ajourner la partie en ladite cour de «parlement, pour voir prononcer et déclarer « ledit arrêt donné par erreur. » On voit par ce teste qui, comme nous l'avons dit plus haut , n'est que le résumé des anciennes ordonnances , i** Que les arrêts interlocutoires et possessoires V (1) « Seulement a lieu et peut être reçue la proposition d'er- « reur de fait , quand il se trouve clair et évident que la cour « n'a pas entendu, pris et conçu le fait.... Proposition d'erreur « n'est reçue, si on allègue erreur de droit. » BoocHEUL,Biblia- thcquc du Droit français , vcrbo Proposition d'erreur. 262 CHAPITRE SEIZE. ne ppiivoient pas être attaqués par la voie de la proposilion d erreur (i ). ■JL^ Qu'alors on commençoit à distinguer les er- reurs de fait des erreurs de droit , et que l'erreur de fait pouvoit seule donner lieu à cette espèce de recours. 3'* Que cette voie n'étoit ouverte que pendant un an , en suivant la prononciation de l'arrêt. 4° Que celui qui éloit dans l'intention de se pourvoir étoit obligé de laisser sa production au greffe; que cette production étoit adressée aux maîtres <les requêtes qui examinoient si Terreur alléguée existoit réellement (^2). 5*^ Enfin que l'affaire étoit renvoy.ée au parle- ment qui avoit rendu l'arrêt. Ces mesures et quelques autres que j'omets -, comme mouis importantes, 'sembloient suffisan- (i) Statuimus etiain quod nulli conceclatur gratta proponcndi errorcs contra arresta inlcrlocutaria. Ordon. de i344 , art. y. « AUendu que les parties peuvent avoir leur recours au p6- « liloire.... ordonnons qu'en raaliere possessoire , aucun doré- « navant ne sera reçu à proposer erreur. » Louis XII, Ordon- nance de i/iyH. (7) « Qu'auparavant de recevoir les articles d'erreur par nos « amés et féaux les maîtres des requêtes de notre hôtel, ils ver- « ront les faits avec les inventaires et les productions des par- « lies. » Ordonnance de i5'3y , art. i35. CHAPITRE SEIZE. iGZ tes pour garantir la stabilité des jng;eiiiiénts. On vil en effet l'obstination et la mauvaise fui reculer devant cette barrière successivement affermie par plusieurs ordonnances: mais ne pouvant la fran- chir, on l'élnda. Pour échapper aux formalités dont les lettres de proposition d'erreur étoient environnées , on en imagina de nouvelles que Ton appela lettres pour être reçu à alléguer nullités y griefs , et conti^ariétés. On entendoit par nullités , les vices de procé- dure; par griefs^ le mal jugé; par contrariétés^ l'opposition on le peu de concordance entre les différentes parties du même arrêt. Ainsi tout ce qu'il étoit possible d'imaginer, pour attenter à l'autorité de la chose jugée, étoit réuni dans ces lettres de nouvelle invention (i), cependant pos- (i) C'est ainsi que ces lettres sont qualifiées dans la rubrique de l'édit donn'é à Chanteloup, au mois de mars 1 5/1 5. Le pré- ambule de cet édit expose ce nouvel abus dans les termes qui suivent : « Combien qu'il ne soit loisible par les ordonnances « d'impugner les arrêts de nos cours souveraines , autrement « que par la proposition d'erreur, et en gardant les formalités « requises , néanmoins , depuis quelque temps , aucuns ont « trouvé moyen d'obtenir lettres 2)Our être reçus à alléguer « nullités, griefs et contrariétés contre plusieurs arrêts de nos- « dites cours : à quoi ont été reçus, et, i)ar cette voie, ont tenu « rexécution de plusieurs arrêts en suspens ; et, sur lu vérifica- s64 CHAPITRE SEIZE. terieures aux lois qui avoient environné de tant d obstacles 1 obtention des lettres de proposition d erreur ; elles n'étoient assujt^tties à aucunes for- nialitës, et, ce qui mettoit le comble à cette es- pèce d'anarchie judiciaire, ces lettres ëtoient adressées, non aux cours qui avoient rendu les arrêts, mais au tribunal que Charles VIII avoit créé sous la dénomination de grand-conseil. Sou- vent même le conseil délat évoquoit et s'attri- buoit la counoissaiice de l'affaire. C'en éloil fait de Tordre judiciaire; les troubles qui suivirent le règne de Henri II en auroient consommé la désorganisation, si deux hommes, geîis siijjisajis et de %wrtu non commune (i) , deux hommes dont l'un réforma cet abus, et l'autre l'cmpécha de renaître, si Olivier et Lhopital n'eus- sent, dans ces temps malheureux , été successive- t ment appelés à la dignité de chancelier de France. « tion desdites nullités et contrariétés d'arrêts, la procédure a « été quelquefois ])lus longue et de plus grande mise en notre «■ grand-cons( H i\\xv )a ])rincipale instance; et, pour faire droit «sur lesdites nullités et contrariétés d'arrêts, font apporter <( toutes les pièces et productions des procès et iccux font re- n \qir, comme si c'étoit une voie cV appel; ce qui est rendre tous a lesdits arrêts illusoires et sans effet. » (i) Montaigne, liv. 2, chapitre 17. CHAPITRE SKIZE. Q.S'j D'un caractère également eleve, d'un savoir éga- lement profond, ces deux grands boni mes étoient également dignes de la magistrature suprême, mais par des qualités différentes: l'un possédoit à un plus haut degré la science de l'administra- teur; l'autre étoit p^us éminemment pourvu du génie de la législation; et, par le hasard le plus heureux , ces deux qualités étoient précisément celles qui convenoient le mieux aux circonstances dans lesquelles chacun d'eux s'est trouvé. Olivier, né avec tous les talents, toutes les qualités d un grand administrateur, éloit fait pour réparer, dans des, temps calmes, tous les maux qui suivent le tumulte des armes; et lorsque fa- tigué de ses longues guerres, et après avoir donné la paix à ses peuples, François I"le plaça à la télé de la magistrature, le désordre, étoit dans toutes les parties de 1 administration : les soldats mal disciplinés, mal payés , étoient le fléau des cam- pagnes; les routes étoient infestées de brigands; les villes étoient sans police; les traitants dévo- roient le patrimoine de l'Etal, et les administra- teurs des hôpitaux celui des pauvres. Paris, qui s'agrandissoit tous les jours, eloit devenu un re- paire de brigands et l'asile de tous les vices. Un luxe effréné achevoit de corrompre les moeurs, et faisoit passer chez nos voisins le peu de numé- Ît66 CHAPITRE SEIZE. raire que nous avions alors. Enfin les besoins de l'Etat avoient fait créer une multitude d'offices de judicature qui surcliargeoient et dégradoient les tribunaux. Chacun de ces désordres sollicitoit un règlement : Olivier les fit tous, et, ce qui est encore plus remarquable , s||n inflexible fermeté les fit tous exécuter. Lliopital étoit un de ces génies que le ciel ne montre à la terre que dans les grandes crises, que lorsqu'il veut arrêter les nations sur le bord des abymes dans lesquels elles courent elles- inémes se précipiter; et le timon des affaires fut placé dans ses mains à cette époque peut être la plus désastreuse delà monarchie, à cette époque où la France, déchirée par une guerre tout à la fois religieuse , étrangère et civile , fut sur le point de perdre ses lois fondamentales, qui ne consis- toient guère alors qu'en souvenirs et en exemples. Lhopilal réunit ces éléments épars, les fixa dans ces ordonnances qui rendront son ministère à ja- mais célèbre, et parvint ainsi à les sauver des fu- reurs de la ligue, de l'ambition des grands, et de l'esprit de sédition qui s'éloit emparé de tous les corps de l'Etat. Les premiers regards d'Olivier se portèrent sur l'ordre judiciaire , et ce qui le frappa d'abord fut Xinvention nouvelle dont je viens de parler.^ c'est- CHAPITRE SF.IZE. 267 à-dire les lettres pour être reçu à alléguer 'nuHi les ^ griejs, et contrariétés contre les arrêt!. Le chance- lier les abolit par un édit de i545, dans lequel, après avoir judicieusement observe que ces lettres ouvrent la voie de l'appel contre tous les juge- ments en dernier ressort, le roi ajoute: «Déclar rons qu'à 1 avenir, nul ne sera reçu à contrevenir aux arrêts de nos cours souveraines par yoie de nullité et contrariété d'arrêts , ains se pourvoiront par proposition d'erreur avec les solennités et dans les délais prescrits par nos ordonnances. » L'édit va plus loin; il ordonne que tous les procès pendants au grand-conseil, en conséquenca de ces lettres, « soient renvoyés en icelles de nos « dites cours où ils auront été jugés. » On n'a pas oublié que, sous la dénomination de proposition d'erreur , éloit souvent comprise la requête civile, et qu'alors l'une et l'autre né- toient-, à cette époque, admises que pour de sim- ples erreurs de fait. Ainsi voilà les parlements res- saisis de la prérogative de réviser et de corriger eux-mêmes toutes les erreurs de fait. Nous conti- nuons de nous occuper de ce qui concerne ces sortes d'erreurs; nous reviendrons ensuite à celles de droit. L intrigue abattue par l'édit de i5/}5se relevoiî; Lliopital la comprima de nouveau par ces dispo- 268 CHAPITRE SEIZE. sitions des ordonnances d'Orléans et de Moulins : « Les prétendues nullités et contrariétés des ar- ec rets de nos cours souveraines seront jugées où « les arrêts auront été donnés , suivant les édits « sur ce faits ». Orléans, art. 58. « Les lettres en <c forme de requête civile seront renvoyées en la « chambre où le procès aura été jugé ». Moulins, ait. 6i. Deux points restoienl encore à régler. Le plus souvent, comme nous venons de le dire , à la re- quête civile étoit jointe , dans les mêmes lettres , la proposition d'erreur. Adresser ces lettres à la chambre qui avoit rendu l'arrêt, ainsi que le prescrivoit 1 ordonnance de Moulins , c'étoit met- tre les juges dans la nécessité de s'entendre dire à eux-mêmes qu'ils s'étoient trompés, ce qui cboquoit la dignité de la magistrature. Le parle- ment fit sentir cette inconvenance dans des re- montrances sur différentes dispositions de l'or- donnance de Moulins. En conséquence par le premier des deux édits qui furent rendus en in- terprétation de cette ordonnance, il fut statué que toutes les fois que la partie se plaindroit du fait et faute du juge , la requête civile sei oit ren- voyée à une autre chambre. Le second point à régler étoit relatif aux con- trariétés d'arrêts. L'aiticle o8 de l'ordonnance CHAPITRE SEIZE. 269 d'Orléans renvoyoit, sans distinction, toutes les affaires de cette espèce aux cours qui avoient rendu les arrêts contraires ou prétendus tels. Rien de plus sage lorsque les deux arrêts avoient été rendus par le même parlement ; mais cela deve- noit impraticable toutes les fois que ces arrêts étoient émanés de deux cours différentes. Comme ces cours étoient indépendantes, aucune d'elles ne pouvoit réformer ce que les autres avoient jugé: cela fut senti, et des règlements postérieurs attri- buèrent au grand-conseil les demandes en con- trariétés d'arrêïs rendus par deux cours diffé- rentes. SECTION VIIL Dispositions de l'Ordonnance de Blois. Toutes les voies ouvertes contre les arrêts j^éduites à trois : la proposition d'erreur, la requête civile, et la cas- sation, « Peu de temps après fut publiée l'ordonnance de Blois qui jette un nouveau jour sur cette ma- tière , notamment par les articles 92 et 208, dont voici les termes : « Déclarons que les arrêts de nos cours souve- « raines ne pourront être cassés ne rétractés que a par les voies de droit, qui sont la requête civile a'^O CHAPITRE SEIZE. « et la proposition d'erreur, et par la forme pres- «crite par nos ordonnances. Voulons que les or- « donnances faites , tant par nous que par les rois « nos prédécesseurs, soient inviolablement gar- «dées.... Déclarons les jugements, sentences et « arrêts donnés fcontre la forme et la teneur d'i- « celles, nuls et de nul effet et valeur. » On remarque dans ces textes, i^ qu'ils établis- sent deux modes d*e réformation des arrêts; la rétractation et la cassation , précision inconnue jusqu'alors, q!^ Qu'ils ne laissent subsister que trois manières d'obtenir cette réformation; la re- quête civile, la proposition d'erreur, et la forme prescrite par les ordonnances. 5° Qu'elle ne donne qu'aux deux premières la qualification de voies de droit , et la raison en est fort simple : la requête civile et la proposition d'erreur remettant la ques- tion en jur^ement et la soumettant aux mêmes j uges, les choses restent datis la spl lere de Tau tori té judiciaire. Au contraire, la troisième manière de se pourvoir, constituant un nouveau procès, bien inoins entre les parties qui avoient figuré dans le premier qu'entre l'arrêt et la loi , et plaçant le droit d'y statuer au-dessus du pouvoir des juges, n'est pas, à proprement [parler, une voie de droit, mais une voie extraordinaire que le législateur a CHAPITRE SEIZE. 27I cru suffisamment désigner en disant: Et par la forme prescrite par nos ordonnances. On auroit pu s'expliquer plus clairemen-t, et dire quelle étoit cette forme prescrite par les or- donnances, quelles e'toient les circonstances dans lesquelles on pouvoit y recourir. Nais il n'est pas possible de s'y méprendre ; ces mots , par la forme prescrite par nos ordonnan- ces , nous ramènent nécessairement aux erreurs de droit. On ne peut en effet leur donner un sens déterminé qu'en les appliquant à ces sortes d'e# reurs, puisque la requête civile et la proposition d'erreur avoient pour objet toutes celles de fait, quelle qu'en fût la nature et la cause. Ainsi , par ces mots de l'ordonnance,, il faut entendre ce que nous appelons aujourd'hui la cassation; et quant à la manière de se pourvoir, elle ne peut pas avoir varié. Dans tous les temps, elle a dû consister dans une requête tendante à ce que tel acte, quoique revêtu de la forme des jugements, fût néanmoins déclaré nul et de nul effet, comme n'étant pas un véritable jugement, attendu qu'il est contraire aux lois. Que ces requêtes aient été présentées au par- lement, lorsque les rois s'y rendoient, ou sy fai- soient représenter pour juger ces sortes d'affaires , 272 • CHApiTRF. srrzE. cela devoit être ainsi; mais lorsque cet usage a cesse, les demandes en cassation ont été néces- saii t'aient portées au conseil (i). Autrement , et si la répression des contraven- tions aux lois avoit été confiée aux auteurs de ces mêmes infractions, les magistrats, sans régula- teur, auroient pu se livrer impunément aux actes les plus arbitraires. Il y a plus; la puissance le'- gislative auroit, de fait, résidé dans les cours souveraines, et les rois, sous ce rripport , n'au- roient été que de vains fantômes ; enfin quel au- roitétéle sens de cette formule qui, depuis i3o2, termine toutes les ordonnances: «Mandons et or- «donnons à nos cours de parlement que notre présente ordonnance ils entretiennent, gardent « et observent et fassent entretenir, garder et ob- « server inviolablement.et sans les enfreindre en a quelque manière que ce soit. » (i) C'est, en effet , ce qui se pratiquoit : cela est prouvé par un règlement donné pour le conseil, en iSyS. Le chapitre intitulé Règlement pour le conseil d'état et privé , porte : « Les arrêts donnés par les cours souveraines ne pour- a ront être cassés et sursis , sinon par les voies de droit, u Dans le chapitre suivant , intitulé Règlement pour le conseil d'état et finances y on lit: « Qu'il connoîtra des contraventions « qui seront faites aux ordonnances , en ce qui concernera l'Etat « et repos public. >* Offices de France , par Gebakd , t. i. CHAPITRE SEIZE. 2'i3 Depuis l'ordonnance de Blqis cette partie de notre législation resta la même, à quelques nuan- ces près, pendant enviroii quatre-vingt-dix ans; en conséquence, je franchis l'espace qui s'est écoulé de 1679 jusqu'à l'ordonnance de 1667, et je m'arrête à cette époque. SECTION IX. Ordonnance de 1667. Abolition de la proposition d'erreur. Plus de ressources contre les erreurs de fait dont on voudroit inculper les Juges. La requête civile et la cassation sont seules conseruées. De la Requête civile. Les ordonnances d'Orléans , de Moulins , de Roussillon et de Blois, l'édit (Tes présidiaux , celui portant établissement des tribunaux de com- merce et quelques autres, avoient déterminé la nature, la compétence, et les attributions des différentes iurisdictions. Pour consommer leffrand œuvre de l'organisation judiciaire, il ne restoit, à très peu de chose près, que deux points à régler ; les formes de la procédure, et les moyens de se pourvoir contre les jugements en dernier ressort Les plus savants magistrats, réunis en 1667 aux plus savants jurisconsultes, furent chargés 18 274 CHAPITRE SEIZE. de la rédaction d'une loi sur cette importante matière. On vient de voir qu'il y avoit alors trois ma- nières d'attaquer les arrêts; la proposition d'er- reur, la requête civile, et la cassation. La proposition d'erreur, qui au fond n'étoit autre chose que la voie de révision, avoit deux grands inconvénients : elle dégradoit la magistra- ture , en inculpant les juges d'ignorance ou de partialité; et comme elle étoit fondée sur le motif que le tribunal avoit mal interprété les actes, ou Inal apprécié les faits , il n'y avoit pas de plaideur qui n'attribuât la perte de son procès à l'une ou à l'autre de ces deux causes : et celui qui , après les longueurs les plus fatigantes et les soins les plus ruineux, étoit parvenu à faire accueillir sa demande, en voyoif , dès le lendemain, la légiti- mité remise en problème. D'ailleurs où étoit la garantie que les juges verroient mieux la seconde fois que la première. Cette voie désastreuse fixa d'abord l'attention des rédacteurs de la loi, et ce mode de révision fut aboli par une disposition formelle. L'ordonnance défend aux juges de la permettre , à peine de nul- lité et de tous dommages et intérêts. La loi ajoute: « ISfe seront les arrêts et jugements en dernier CHAPITRE SEIZE. 2^5 V ressort rétractés sous prétexte de mal jugé au « fond. » Ce prétexte écarté, et toutes les voies contre les erreurs de fait que Ton pouvoit attribuer aux juges ainsi fermées, le législateur s'occupe des erreurs de fait auxquelles le dol des parties, la négligence et l'impéritie des ofticiers ministériels peuvent donner lieu. La forme à suivre, pour obtenir la réformation de ces sortes d'erreurs , étoit connue depuis long- temps. On obtenoit en chancellerie des lettres que l'on appeloit lettres en forme de requête ci- vile , et qui, dérogeant à la règle qui veut que les jugements en dernier ressort soient irrévocables, autorisoient la cour qui avoit rendu l'arrêt atta- qué à le rétracter et à soumettre l'affaire à une nouvelle discussion. Mais les circonstances dans lesquelles cette rétractation pouvoit être deman- dée n'éloientpasdéterminées avec précision, elles ouvertures de requête civile varioient, au gré des maîtres des requêtes qui expédioient ces lettres. C'est ce vague, cette indétermination qui fai- soient dire à Tavocal général de Pibrac, dans un discours au parlement de Toulouse : La requête civile est aujourd'hui aussi fréquente que les ap- pellations. 276 CHAPITRE SEIZE. Vivement frappés de cet abus, les magistrats, rédacteurs de l'ordonnance, prirent de toutes les mesures la plus efficace , et pour le détruire et pour l'empêcher de renaître. Ils spécifièrent tou- tes les erreurs, tous les griefs qui pourroient à l'avenir être employés comme ouvertures de re- quête civile , et défendirent d'en proposer d'au- tres. Dans l'énumération que la loi fait de ces er- reurs, il n'en est aucune qui accuse directement les intentions des juges; il n'en est aucune qui ne doive être attribuée ou à la mauvaise foi des parties, ou à l'impéritie de leurs défenseurs, ou au peu d'attention des greffiers rédacteurs des jugements; enfin il n'en est aucune que le jnge ne puisse promptement et complét-^menï répa- rer, sans compromettre la dignité de -an minis- tère et l'opinion de son intégxité. L'ordonnance ne place pas la violation des lois dans cette énumération ; cependant on y lit : « Les « jugements en dernier ressort ne pourront être « rétractés que par lettres en forme de requête « civile, à l'égard de. ceux qui y auront été par- ce ties ou duement appelés, de leurs successeurs « ou ayants cause. » Mais si les arrêts ne peuvent être rétractés que par la voie de la requête civile, et si la contra- CHAPITRE SEIZE. l'J'J vention aux lois ne forme pas une ouverture de requête civile, il faut donc tenir, comme règle certaine , que les arrêts les plus contraires aux lois ne peuvent jamais être rétractés. Cela est ■vrai, mais ils peuvent être déclarés nuls; c'est la disposition formelle de la même ordonnance. Après avoir parlé des erreurs de fait, après avoir dit que celles dont elle faitl'énumération pourront seules donner lieu à la rétractation des arrêts qui les renfi^rment,et que cette rétractation ne pourra être pronoin.ée que par le tribunal dont l'arrêt es^ émané, elle s'occupe des erreurs de droit, c'est-à-dire des contraventions aux lois, et voici ses termes: « Déclarons tous arrêts et jugements (f qui seront donnés contre la disposition de nos « oicîoii'iances , édits et déclarations nuls et de « nul effet et valeur, et les juges qui les auront cf rendus responsables des dommages et intérêts « àd2 parties, ainsi Qu'il sera par nous avisé. » On voit paiT le procès verbal de l'ordonnance que les magistrats du parlement se contentèrent de demander que le roi voulut bien retrancher de cet article, et de quelques autres , les peines pro- noncées contre eux, et qu'il ne leur vint pas même à l'esprit d'élever la plus légère critique sur la disposition par laquelle le roi se réserve la faculté de déclarer nuls et de nul effet leurs ar- in^ CHAPITRE SEIZE. rets, toutes les fois qu'ils contreviendront aux ordonnances, édits et déclarations- Telle est donc, à cet égard, l'économie de l'or- donnance de 1GG7, la plus sage, la plus profon- dément méditée de cellesqui régloient nos formes judiciaires. L'arrêt renferme-t-il quelques uns de ces vices qu'elle met au nombre des ouvertures de requête civile? on doit en demander la rétrac- tation au tribunal qui la rendu; contr^^vient-il aux lois? c'est par^^e demande er déclaration de nullité, présentée à l'autorité supérieure, qu'on doit l'attaquer. Dans tous les autres cas, il faut l'exécuter. Les choses réduites à :ett j Tîit'cision, il est fa- cile, et de définir la cassation et ae déterminer les circonstances dans lesquelles elle doit avoir lieu. SECTION X. De la cassation des Jugements en de.rnier ressort. L'action de la puissance législative cesse à l'in- stant où la loi est délibérée. Cependant cette loi , toute revélue qu'elle est de la sanction du légis- lateur , ne pourra recevoir son exécution que lorsqu'elle sera connue ; et vainement auroit-elle la plus grande publicité, s'il étoit permis de lui CHAPITRE SEIZE. 3yC) désobéir impunéirient. Il faut donc une autorité chargée de publier les lois et de les faire exécuter. Cette autorité existe ; c'est le pouvoir exécutif. Lors même que le pouvoir exécutif et la puis- sance législative sont réunis dans la même per- sonne, c'est comme investi de la première de ces deux attributions que le prince est chargé de promulguer les lois, de les appliquer aux cas particuliers, etde faire exécuter les arrêts rendus en conlormité. Ces trois obligations pèsent également sur le pouvoir exécutif , cependant avec une différence notable dans la manière dont il doit les remplir. Le pouvoir exécutif est personnellement chargé de la promulgation dca lois. Il est encore person- nellement tenu d'employer la force publique pour écarter tous les obstr-cles de fait que les uarties condamnées pouiToient o^^poser à l'exécution des jugements. Mais il n'en est pas de même de l'ap- plication des lois , ou , -^e qui est la même chose, de l'autorité judiciaire. Il ne peut pas l'exercer lui-même , il est obligé de la déléguer : mais cette délégation n'est pas tellement absolue, qu'elle le rende entièrement étranger aux fonctions judi- ciaires. Il ne peut, à la vérité, ni s'immiscer dans la connoissance des affaires qui sont pendantes de- X iiSo CHAPITRE SEIZE. vant les tribunaux, ni, après qu'elles sont jugées, les évoquer à lui, pour soumettre à un nouvel examen, soit les questions de fait qui consti- tuoient le procès, soit les actes dont l'intelligence divisoit les parties. Mais, comme gardien du dé- pôt des lois, il doit s'assurer, par la surveillance la plus sévère, si les décisions des tribunaux sont conformes à leurs dispositions et revêtues des formalités qu'elles exigent. En un mot, à l'instant où le ministère du juge est consommé , celui du pouvoir exécutif commence pour juger , non le procès, mais le jugement. Il ne faut pas s'y méprendre ; ce jugement du jugement n'est .pas un acte de ju^-isdiction, mais, comme no«s venons de le dire, un acte de sur- veillance, ou , si Ton veut, de haute police. Il est dans les attributions du prince d'exercer lui-même cette surveilluicc , m.ais la multiplicité des affaires le force à la déléguer. Fera-t-il cette délégation à ses conseillers ou à des mngistrats étrangers à son conseil , et consti- tués par la loi en tribunal , non de justice , mais de censure ? Les conseillers d'état et les membres de ceitte espèce de tribunal étant également choisis par le prince , ces deux modes , sous le rapport de la capacité des personnes, sont également bons; CHAPITRE SEIZE. 9-8l mais la publicité des audiences, des rapports et des jugements , assure la préférence au second. Cette ipublicité, qui, dans l'opinion, est une garantie de plus, est cependant une institution nouvelle. Avant 1790, les demandes en cassation se portoient au conseil du roi. Le conseil, comme le fait aujourd'hui la cour de cassation , déclaroit nuls les arrêts contraires aux dispositions des lois. La cassation des jugements en dernier ressort est donc un acte émané du pouvoir exécutif ou d'une autorité déléguée, qui déclare nulle une décision judiciaire qui, quoique rendue sous la dénomination de jugement, n'est cependamt pas un véritable jugement, et remettes parties dans l'état où elles étoient avant cette décision. Ainsi la cassation n'est autre chose que la dé- laration dure nuUité préexistante. Ainsi , pour qu'il y ait lieu à cassation , il faut jue , dans la réalité, il n'y ait pas de jugement j et que l'acte qui en porte les caractères n'en soit pas un aux yeux de la loi ; et cela arrive toutes les fois que le tribunal dont il est émané est sorti des bornes légitimes de ses attributions. Dans ce cas, la loi ne voit et ne peut voir dans les juges que des hommes sans caractère public; et les actes émanés d'eux , qitelle qu'en so't la forme , 282 CHAPITRE SEIZE. ne sont à ses yeux que des actes prives qu'elle frappe d'une nullilë radicale. Mais quelles sont les limites de l'autorité judi- ciaire ? quelles sont les circonstances dans les- quelles on peut dire que le juge s'est permis de les excéder ? Les limites de l'autorité judiciaire sont fran- chies par le juge : Toutes les fois qu'il n'observe pas les formes que la loi lui prescrit, Ou qu'ayant à statuer sur un point qu'elle dé- cide , il contrevient à sa disposition , et substitue sa volonté à celle du législateur. Les limites de l'autorité judiciaire sont encore franchies lorsque le juge entreprend Sur le pouvoir exécutif, en portant atteinte aux actes et aux titres émanés de lui ; 3ur le pouvoir administratif, en le troublant dans l'exercice de ses fonctions ; Sur les autres tribunaux, en s'attribuant la jurisdiction qui leur est exclusivement déférée. On ne trouve pas, dans cette énumération, les erreurs quo les juges peuvent commettre en ap- préciant les faits ou en interprétant les actes qui constituent le procès. La raison en est que, dans l'impossibilité d'assujettir le jugement des ques- tions de cette espèce à des règles fixes et appîi- CHAPITRE SEIZE. 285 cables à tous les cas, il a bien fiillu abanrlonner les juges à leurs lumières et à leur conscience : aussi voyons-nous que le pouvoir des juges, à cet cgard, n'est limité par aucune loi. Ainsi point de restriction à l'autorité judiciaire dans le jugement des procès qui ne présentent que des faits à ap- précier ou des actes à interpréter. Conséquem- ment, de queique manière que prononcent les tribunaux, ils statuent en vertu d'une mission légale ; ils agissent dans le cercle de leurs fonc- tions. Le jugement qu'ils rendent , quelque in- juste qu'il soit, est un véritable jugement (i) , et m peut renfermer autre cbose qu'un mal jugé. Or le mal-jugé, loin d'être un moyen de cassation, n'est pas même, comme on Ta vu dans la section précédente, un moyen de requête civile. Deux autorités bien graves nous garantissent la certitude de ces notions, les lois romaines et les principes de l'ancien conseil d'état. Les lois romaines distinguent avec bea^icoup de soin le cas où un jugement choque la loi , de celui où il ne blesse que l'intérêt des parties. Dans le premier cas, elles permettent de se refuser à (i) Prœtor qiioque jus reddere dicitur, etiam ciim iaiqiiè de- temit. L. 1 1 , ff. de Justiliû et Jure. a84 CHAPITRE SEIZE. son exécution et d'en demander la nullité , fiit-il rendu par le préteur lui-même. Dans le second , si la sentence éloit l'ouvrage d'un juge inférieur, on pouvoit en appeler ; mais si elle étoit émanée d'un juge qui ne reconnût aucun supérieur, il ne restoit aucune ressource à la partie condamnée , ciun pjcetor , cognitâ causât per errorem , vel etiam amhitiose juberet hœif-ditatem ut ex Jîclei coinmisso restUui : etiam publicè aderest restitui , propter rerum judicatarum auctoHtatem. L. 65, §. 1 , ff. ad Senatusc. trebellianum. 11 pouvoit paroître difficile de distinguer avec précision le cas où le jugemert choque la loi, de ceux où il ne blesse que l'ints-^èt des parties. L-. jurisconsulte prévoit cette difficuifé et nous do; ne , à cet égard , h. règle que voici . Contra con titutiones autem judicatur cùtp de jure constita- tionis i non dt^ jure litigatoris pronvnciatur. Nam si judeoi volend se ex cura muneris, vel tutelœ , benejîcio liberorum , vel œlatis , aut privilegii ex- cusare , dixerîi : Neque filios, neque artalem, aut uUuni privilegiaii ad muneris, vel tutelœ excu- sationem prodesse : de jure constituto pronun- ciasse intelligi'ur. Quod si de jure suo probantem adtniserit , sed idcirco contra ewn sententiam dixerit , quod ne gave rit, eum de aetate sua , aut de numéro liberorum probasse : de jure litigatoris CHAPITRE SEIZE. 285 pronunciasse intelligitur. L. i , §. 2 , ff. Quœ sen- tentiœ sine appellatione rescinduntur. Nous venons de parler des principes de l'an- cien conseil d'état ; ils sont consignés dans deux mémoires que nous devons aux circonstances suivantes. En 1762, le parlement de Paris fit à Louis XV des remontrances très fortement motivées sur la facilité avec laquelle , suivant lui , le conseil se prêtoit à casser les arrêts des cours souveraines. Le roi, qui sentit toute l'influence que cette lutte pouvoît avoir sur l'ordre public, voulut juger lui-même les remontrances de son parlement; et pour le faire en granae connoissaoce de cause, il •a&.rgea deux de ses conseillers d'état des plus sages ■^ des plus éclairés (M. Joly de Fleury et M. Gilbert de Voisins), de lui remettre des mémoires dans lesquels seroient exposés les principes sur lesqvels repose la théorie de la cassation ^ et la pratique suivie dans son conseil. Comme ces mémoires ne sont pas imprimés, nous allons en transcrire des fragments. Nous commencerons par celui de M. Joly de Fleury. Apres l'exposition des principes généraux , ce mémoire ajoute : « Le^ cassations sont assujetties " à des règles si rigoureuses j qu'il en est très peu «i qui puissent réussir. a86 CIIA.PITRF SEIZE. « Dans la forme, les majeurs n'ont que six mois « pour se pourvoir. Le demandeur est obligé de « consigner une amende et de faire signer sa re- a quête par deux anciens avocats , qui attestent « qu'il y a lieu à cassation ; eniln , la moindre « preuve qu'il ait exécute l'arrêt le rend non rece- « vable à s'en plaindre. « Au fond , dans l'examen des requêtes en cas- ce sation , tout s'interprète contre le demandeur. « On n'écoute que les moyens qui sont fondes sur « une contravention claire et précise aux ordon- « nances ; encore faut-il qu'il soit question d'une « disposition importante; car c'est l'intérêt public « et le respect de la loi, plus que l'intérêt de la «partie, que Ton consulte. On a toujours tenu « pour principe au conseil, que la cassation a été (.< introduite plutôt pour le maintien des ordon- « nances que pour l'intérêt des justiciables. Si la « contravention n'est pas claire et littérale, si l'on «peut croire que les circonstances du fait ont « influé sur le jugement , on rejette la demande « en cassation, parceque l'on peut croire que le «juge n'a pas méprisé la loi , mais qu'il a pensé « que ce n'étoit pas le cas d'en faire l'applica- « tion. » Le mémoire de M. Gilbert de Voisins, moins riche en vues générales, renferme une éuumé- CHAPITRE SEIZE. 287 ration plus détaillée des différentes ouvertures de cassation. On y lit : « Si dans la manière de procéder aux arrêts et a dans leur formation , il s'est trouvé quelques (c irrégularités vicieuses et quelques défauts es- «senliels, comme si les juges n'étoient pas au « nombre requis, ou qu'entre eux il y en eût qui « manquassent de caractère ou de pouvoir ; si « l'arrêt qui a\oit passé souffroit, dans sa rédac- « tion, quelques changements sans l'aveu de tous; « si , lorsqu'il y avoit partage , on a donné arrêt ; tt dans ces cas et autres du même genre , il faut « bien que Je roi y pourvoie , et qu'il casse ce qui « s'est fait irrégulièrement par des juges qui ne « sauroient le réparer. Car, l'arrêt une fois donné « et revêtu de sa forme , il ne leur est plus permis « d'y toucher; et le faire de leur propre autorité, « seroit le cas le plus marqué de la rétractation « d'arrêt, qui leur est si sévèrement interdit par « les ordonnances. Cette ouverture de cassation « est sans difficulté ; il faut seulement prendre « garde de ne la pas admettre trop aisément et « avec trop de rigueur, et de ne pas toujours faire (c dépendre le sort d un arrêt de la moindre irré- « gularilé qui pourroit s'y trouver, sur tout lors- « qu'on n'y voit pas d intérêt pour la justice. « Lorsque les cours excédent leurs pouvoirs , 288 CHAPITRE SEIZE. « soit en entreprenant sur ce qui est réservé au « roi par la législation , pour le règlement de Tor- « dre public , la dispensation des grâces et des « privilèges, et autres choses de ce genre , soit en « donnant atteinte aux titres émanés de sa puis- « sance, et revêtus des solennités légitimes , soit « en donnant à leur jurisdiction plus d'étendue « qu'elle n'en doit avoir, en entreprenant sur celle « des autres, il appartient au roi d'y mettre ordre « par la cassation de leurs arrêts. « La contravention aux ordonnances fait une « ouverture à cassation, qui est regardée comme « la principale. En effet , les ordonnances du « royaume , publiées et enregistrées dans les « cours, sont pour elles des lois inviolables. Ainsi « la contravention aux ordonnances , pourvu « qu'elles subsistent dans l'usage , et qu'elles ne « soient pas tombées en désuétude, comme il ar- K rive , faute d'avoir été pourvu à temps à leur « maintien, est ordinairement le moyen de cassa- te tion le plus clair et te plus précis, et a lieu en « toutes sortes de matières, soit du fond , soit de « la forme , excepté le cas où s'applique la voie de « droit de la requête civile. a II faut avouer cependant qu'entre l'applica- « tion des ordonnances pleinement confiées aux «cours, et leur interprétation, la différence est CHAPITRE SEIZE. 289 « souvent si délicate, que ce seroit souvent coii- « foudre les cours souveraines avec les juges de « lordi e le plus subalterne, et gêner leur conduite « de trop près, contre le bien même de la justice, « que de prendre, à la dernière rigueur, ce moyen « de cassation. « La cassation naturellement ne trouve sa place « que lorsque Tordre des jurisdiclionsest épuise, « ainsi que les voies de droit, et que les arrêts « ont reçu le dernier sceau de l'autorité publique. « On le remarque d'abord par rapport à la voie « de droit de la requête civile, qui, lorsqu'elle est « ouverte , exclut celle de la cassation. A plus forte « raison , il en est de même lorsqu'il y a la voie « d'opposition contre des arrêts par défaut ou « sur requête , ou celle de la tierce -opposition « contre des arrêts qui n'ont pas été rendus avec « celui qui veut les attaquer. De là vient que, ré- « gulièrement , on n'est pas reçu à se pourvoir en « cassation contre un arrêt, si on^ a été partie; « ce qui est regardé comme un principe en ma- a liere de cassation. Il n'y a qu'un cas où peut- (c être, contre des arrêts susceptibles d'opposition, « l'usage de la cassation ne paroitroit pas déplacé: « ce seroit celui de quelque entreprise de pouvoir « ou dejurisdictiond'un excès si manifeste, qu'elle «( sembleroit ne pouvoir être arrêtée trop tôt. 19 agO CHAPITRE SEIZE. «Une autre vpnsëquence de la nature de la « cassation est que, n'étant pas une voie de droit , « sa demande n'en doit pas être adjuise au hasard , « et que son introduction même gît en connois- « sauce de cause. « A plus forte raison elle ne doit être pronon- ce cêe que sur des moyens décisifs, solidement « établis , et avec rinstruction que peut demander « un objet aussi sérieux. « Enfin la voie de cassation , n'étant pas une <f voie de ressort, n engage pas le jugement du «fond, et il ne doit pas être cumulé avec elle. « C'est en quoi la cassation diffère de l'appel; dif- « férence qu'il importe essentiellement de main- « tenir, pour ne pas confondra instensiblement les (< tribunaux de premier ordre îivec ceux souTÇ|is « à l'appel. li'appel rçmot le fond en auestion ; la «( cassation, au contraire, attaque un arrêt revêtu « d'une pleine autorité , dont il ne peut être dé- « pouilîé qu'autant qu'il se trouve en excéder les c bornes légitimes. De là visjit que , lorsqu'il y a « lieu , ou y distingue en particulier ce qui donne « prise à la cassation , pour ne le casser qu'en ce « point, sans toucher au reste. » On trouve le résumé de cette doctrine dans le commentaire sur le règlement du conseil , ou- vrage commencé sous les yeux de M. le ch^^ncelier Ç H A. PITRE SEIZE. QQl d'Aguesseau , continue par une re'union de ma- gistrats très éclaires, et terminé par M. de Xolo- zan, conseiller d'état, infiniment recommandable par ses lumières et son expérience. Nous lisons dans cet ouvrage : « Un moyen de cassation ne peuf être solide « qu'autant qu'il renferme une contravention « claire et précise à une loi connue des juges , « c'est-à-dire, qu'autant qu'il fait voir que la dis- «. position de la loi et celle du jugement sont tel- « lement opposées, qu'elles se détruisent, pour « ainsi dire , respectivement, et ne peuvent sub- <f sister ensemble. Car, si la disposition du juge- ce ment peut être exécutée sans que la Vbi puisse « en recevoir d'atteinte , il seroit contre toute « raison de présumer que les juges eussent voulu « rerJre une décision contraire à ia le-. La pré- « somption esc, au cor.traire, qu ils n'ont mis « dans leur jugement Ui disposition dont or se « plaint que par des motifs qui peuvent être alliés « avec la loi. tc Ainsi trois conditions sont rrincipalerrient « requises pour qu'un mo^en de cassation puisse « réussir : ai" Qu'il y ait une loi vivante, et connue « des juges que l'on accuse d'y avoir contre- « venu ; 292 CHAPITRE SEIZE. « 2° Que la disposition de leur jugement soit « contradictoire avec celle de cette loi ; « 3° Qu'il n'y ait rien, dans le fait particulier, « qui puisse faire disparoître cette contradic- a lion. )) Telle étoît la doctrine du conseil d'ëtat , lors- que, par une concej)tion très heureuse, l'assem- blée constituante créa la cour de cassation. Ce nouvel établissement doit son existence à la loi du 1^' décembre 1790, qui porte : «La violation « des formes de procédure prescrites à peine de c( nullité et la contravention expresse au texte de « la loi donnent ouverture à la cassation. » La seconde partie de celte disposition, relative à la contravention expresse au texte de la loi , est parfaitement dans les principes , et nous n'avons plus rien à dire à cet égard; mais il n'en est pas de même de la première, qui fait , de la violation des faunes de la procédure, une ouverture de cassation : c'étoit une innovation. On se rappelle" en effet que l'ordonnance de 16G7 plaçoit , dans le nombre des moyens de requête civile , le cas où les procédures prescrites par les ordonnances n auraient pas été sui\'ies , et celui où le ministère public nauToit pas été entendu dans les affaires où la loi exigeait son intervention. Comme les procédures proprement dites sont CHAPITRE SEIZE. 2g3 toujours le fait des officiers ministériels, et jniiiais celui (lu juge , et qu'il est naturel clallribuer Tabsence du ministère public à quelque réti- cence , ou du moins à l'inadvertance des défen- seurs des parties , celte disposition de 1 ordon- nance avoit conduit à l'idée très juste de partager en deux classes les lois relatives aux formalités judiciaires, et l'on distinguoit celles qui com- mandent aux juges, de celles qui s'adressent aux officiers ministériels et règlent la forme des actes. La violation de ces dernières donnoil ouverture à la requête civile ; et le recours en cassation avoit lieu toutes les fois que le juge n'avoit pas rempli les obligations que la loi lui imposoit. Cette distinction sortoit de la nature des choses. Ne donner aux lois régulatrices des formes que les juges doivent observer d'autres vengeurs que les juges qui les auraient violées, ce seroit bien réellement leur conférer la puissance législative en cette partie ; mais aucun motif raisonnable ne s'oppose à ce que la loi confie aux tribunaux le pouvoir de réprimer des contraventions et d'annuller des procédures qui ne sont pas leur ouvrage. Cependant le nouvel ordre de choses établi par la loi du i*^"" décembre 1790 a subsisté pendant îseize ansj et pendant ce long espace de temps, 294 CHAPITRE SEIZE. combien n'a-t-on pas vu de citoyens traduils des exîiëmites du plus grand empire de l'Europe à la cour de cassation , pour quelques vices de pro- cédure , ou seulement sur le motif que l'arrêt qu'ils avoient obtenu n'avoit pas été rendu sur les conclusions du ministère public? et, ce qui est encore plus déplorable , combien n'en comp- teroit-on pas qui, faute de moyens, de temps, décourage ou de santé, ont préféré l'abandon des droits les plus légitimes à l'usage d'un remède souvent plus factieux que le mal qu'il étoil des- tiné à réparer? Enfin, le i*''^ janvier 1807, ^^^ ^^^^ ^ exécution le Code de Procédure civile , dont l'article 4'-<^> conformément à la saine doctrine et à la juris- prudence suivie jusqu'en 1790 , fait rentrer dans la classe des ouvertures de requête civile le défaut de conclusions du ministère public et les irrégu- larités que les officiers ministériels peuvent com- mettre dans les actes de la procédure, jyoi/rç'M^ ce sont les termes du Code, pourvu que la nullité 71' ait pas été couverte par les parties. Cependant l'édifice n'éloit pas achevé : Une difficulté restoit encore. Dans l'impossibilité de connoître du fond des procès, la c'our de cassa- tion, après avoir cassé un arrêt, est obligée de renvoyer l'affaire à une autre cour d'appel. Cette CHAPITRE SEIZE. SgS cour peut juger comme la première, et le second arrêt est, comme le précédent, soUmis à la cen- sure de la cour de cassation, qui peut encore le déclarer nul, et doit de même renvoyer le procès à une troisième cour d'appel; et comme non seu- lement le troisième strrét , mais un quatrième, un cinquième, etc. peuvent successivemetit èlre annullés", que la cour de cassation est totijourS obligée de renvoyer l'affaire, et que jamais ses décisions ne cortiiTlandetlt aux tribunaux, cette alternative d'arrêts annullés et reproduits pou- voil se prolonger indéfiniment. Un inconvénient aussi gravé, source intaris- iuhlê dé scandale pour le public, et dé ruine pour les plaideurs, avoil frappé l'assemblée consti- tuante', et elle y avoit pourvu par cette disposition de la loi du i^^ décembre 1790 : <c Lorsque le ju- « gement aura été cassé deux fois, et qu'un trôi- « sieme tribunal aura jugé en dernier ressort de « la même manière que les deux précédents , la « question ne pourra plus être agitée au tribunal « de cassation qu'elle n'ait été soumise au corps « législatif, qui, en ce cas, portera un décret dé- « claratôire de la loi ; et lorsque ce décret aura été «sanctionné par le roi, le tribunal de cassation « s'y conformera dans son jugement. » La constitution de l'an 8 ayant conféré au chef 296 CHAPITRE SEIZE. du gouvernement l'initiative des lois, et borne k quatre mois la durée des séances des députés au corps législatif, cette disposition de la loi du 1*=' décembre 1790, d'une exécution facile avec un corps législatif permanent et qui réunissoit la plénitude de la puissance législative, ne se trou- va plus en harmonie avec le nouvel ordre de chos-'s. Il falloit donc réorganiser la cour de cassation ; on le fit par une loi du 27 ventôse an 8, mais qui dit, et rien de plus : « Lorsqu après une cas- « satlon, le second jugement, sur le fond, sera « attaqué par les mêmes moyens que le premier, « la question sera portée devant toutes les sectiors <c réunies du tribunal de cassation. » Le législateur ne va pas jusqu'à porter ses vues sur une troisième cassation , sans doute par le motif que, dans l'in- tervalle qui s'étoit écoulé depuis 1790 jusqu'en l'an 8, l'occasion de recourir au corps législatif ne s'étoit pas offerte. Enfin le cas arriva : après une seconde cassation, la troisième cour d'ap- pel jugea comme les deux premières. On sentit alors la nécessité d'un remède plus efficace , et il n'étoit pas difficile à trouver. Un dissenti- ment aussi fortement prononcé, entre des tribu- naux égalem^t recommandables par leur droi- ture et par leurs lumières, prouvoit qu'il ne s'a- CHAPITRE SEIZE. 297 gissoit pas seulement de maintenir rext'culion de la loi, ce. qui constitue le domaine de la cour de cassation- mais de I interpréter , ce qui excède ses pouvoirs; et de cette vérité, une fois recon- nue, résultoit nécessairement la conséquence que la question ne pouvoit p^us être portée que de- vant l'Empereur, seul investi du droit d'inter- préter les lois et de faire les règlements d'ordre ]njblic ; et c'est ainsi qu'en dispose la loi du i6 septembre 1807, dont voici les termes : « Art. 1''''. Il y a lieu à interprétation de la loi , « si la cour de cassation annulle deux arrêts ou «jugements en dernier ressort rendus dans la cf même affaire, entre les mêmes parties , et qui « ont été attaqués par les mêmes moyens. « Art. 2. Cette interjirétation est donnée dans « la forme des règlements d'administration pu- ce blique. «Art. 3. Elle peut être demandée par la cour «de cassation , avant de prononcer le second « arrêt. « Art. 4' '^i fille n'est pas demandée , la cour de « cassation ne peut rendre le second arrêt qr.e les « sections réunies , et sous la présidence du grand- « juge. « 7\rt. 5. Dans le cas déterminé en l'article pré- « cèdent, si le troisième arrêt est attaqué, l'in- 2r)8 CHAPITRE SEIZE. a terprëtation est de droit , et il sera procède' « comme il est dit en l'article 2. >> Cette loi forme la clef de la voûte. CHAPITRE XVII. Du Pouvoir administratif envisagé dans ses rapi ports avec V Autorité judiciaire. (^u'e.«;t-ce que le pouvoir administratif? Quelle est sa nature? Quelles en sont les bornes? Je ne connois pas de réponse bien satisfaisante à ces questions. Je vais en hasarder une. Le pouvoir administratif fait partie du pouvoir exécutif; cela est sans difficulté. En décomposant le second de ces deux pouvoirs, on doit donc trouver en quoi consiste le premier. Te vois dans le pouvoir exécutif trois branches principales: 1^ Le pouvoir exécutif des choses qui dépen- dent du droit des gens ; Q^ Le pouvoir exécutif des choses qui dépen- dent du droit politique; 5*^ Le pouvoir exécutif des choses qui dépen- dent du droit civil. CHAPITRE niX-SKPT. ^QQ J'appelle droit des gens, celui qui établit les relations de nation à nation ; droit politique, celui qui constitue les rapports des gouvernants aux gouvernés ; droit civil, celui qui règle les intérêts respectifs des citoyens. Le droit des gens n'est autre chose que celui d'envoyer et de recevoir des am})assadeurs , de déclarer la guerre , de conclure des traités de paix, d'alliance et de commerce; en un mot , *lt? faire tout ce qu'exige le maintien ou le rétablis- sement des relations d'un peuple avec ses voisins. 11 est clair que rien de tout cela ne constitue le pouvoir administratif proprement dit: aussi est-il bien reçu qu'on n'appelle pas actes administra- tifs , mais actes de gouvernement , ce que fait le prince dans l'exercice de cette partie de ses pou- voirs. Ce n'est donc pas dans cette première branche du pouvoir exécutif qu'il faut chercher le pouvoir administratif. On ne le trouveroit pas davantage dans la troi- sième. Son objet étant, comme nous venons de le dire , de régler les intérêts privés par Tapplica- tion des lois générales, c'est elle qui constitue l'autorité judiciaire; ordre de choses qui n'a rien de commun avec le pouvoir administratif. Nous ne pouvons donc trouver ce pouvoir rjue dans la 3oO CHA.PITRE DIX-SEPT. partie rlu pouvoir executif charg("e de régler les ra])porls du gouvernant avec les gouvernés. Je dis les rapports du gouvernant aux gouver- nes , et non du souverain aux sujets. Pour sentir cette précision, il fiiut se rappeler que, dans les actes relatifs au régime intérieur de l'Etat, le prince agit en deux qualités bien distinctes :. celle de législateur, qui lui donne le droit de sta- idt^i' par des lois générales; celle d'administrateur suprême, qui lui impose l'obligation de prendre toutes les mesures d'ordre public, qui, plus en actions qu'en délibérations, sont hors du do- maine de la puissance législative. L'exercice des droits et l'accomplissement des devoirs attachés à cette obligation forment l'ob- jet du pouvoir administratif; et c'est pour rem- plir cet objet que le prince est constitué l'agent de la puissance législative, le dépositaire des for- ces communes, l'arbitre des mesures à prendre pour la sûreté de l'Etat, le gardien et le manu- tenteur des propriétés publiques, et le régulateur de tous les mouvements de la société. Le pouvoir administratif embrasse tous les actes qui dérivent de chacune de ces attributions; mais quels sont ces actes? la réponse se présente fort naturelle- ment. Comme agent de la puissance législative , le CHAPITRE DIX-SEPT. 3oi devoir du prince est de donner aux lois la publi- cité nécessaire pour qu'elles soient connues de tous ceux qui doivent les observer; d'en clioisir les organes; de les surveiller; de destituer, en cas de prévarication , ceux qui sont révocables; d'ac- cuser devant leurs juges naturels ceux qui ne peuvent èfre destitués que pour cause de forfai- ture jugée; de maintenir l'ordre des jurisdiclions; de prévenir la confusion des pouvoirs , en répri- mant avec autant de force que de célérité les en- treprises des tribunaux les uns sur les autres, et celles que les corps judiciaires et administratifs pourroient se permettre réciproquement : ce qu'il fera, soit en jugeant lui-même, avec son conseil, les conflits qui peuvent s'élever entre eux, soit en conférant ce pouvoir à un tribunal digne de cette importante fonction. Enfin , si la loi de l'Etat le dispense de l'obligation d'annuUer, sur la demande des parties intéressées, les juge- ments en dernier ressort dans lesquels les juges auroient substitué leurs volontés à la volonté du législateur, il n'en est pas moins tenu de recber- cber ces jugements et de les déférer au corps po- litique investi de cette haute prérogative. Comme dépositaire de la force publique , le prince est obligé de l'employer toutes les fois qu'elle est nécessaire pour écarter les obstacles de \ 3o2 CHAPITRE DIX-SEPT. fait qui poûrroient s'opposer à l'exécMition des ju- i;L*ments ; et à cet effet , il doit la mettre k la dis- position de ses procureurs judiciaires, qui sont, dans celte partie, non les hommes de la loi, mais les agents de l'administration. Cette même force, il doit la disposer de manière que toujours active , toujours présente dans tous les lieux dont la loi ne lui interdit pas l'accès, elle ait sans cesse le bras levé' sur tous ceux qui menaceroient la tran- quillité publique : et comme il agit , à cet égard , en vertu du pouvoir exécutif, il est tout-à-la-fois l'arbitre des mesures à prendre et le juge de leur application. Mais ce qu'il peut pour la sûreté publique étant limité par ce qu'il doit à la liberté individuelle, maître d'ordonner larrestation des prévenus , il ne l'est pas de prolonger arbitraire- ment leur détention : après un temps court et li- mité (i), il doit ou les rendre à la liberté, ce (juil a toujours le pouvoir de faire, ou les livrer aux tribunaux. Il seroit à désirer que, dans tous les cas et dans toutes les circonstances , le prince remplîtlui-mème des fonctions aussi importantes; mais ne pouvant ni tout voir ni tout faire , il est obligé de les déléguer, au moins eu partie. Des différents ministères , il n'en est pas qui exige (i) Esprit des Lois, liv. ii, cLap. 6. CHAPITRE DIX-SEPT. 3o5 un esprit plus calme, un coup d'œil plus jusle, une surveillance plus active, et sur-tout une con- noissance plus approfondie du cœur humain (i). Comme conservateur du domaine public et ordonnateur suprême des mesures qu'exige la sûreté générale , le prince fait fortifier les places qu'il juge à propos, et dispose des emplacements nécessaires pour les remparts, fossés et chemins de ronde. Il en est de même à IVgard des chemins publics (2) , de ceux qu'il juge convenable d'éta- blir ou dont il ordonne l'élargissement, des fossés et des plantations qui les bordent , des canaux navigables, de leurs bords et chemins de ha- (i) On pourroit donner ]a qualification de ministre de la sûreté publique au fonctionnaire lionoré de cette haute marque de confiance. (2) a II est certain que la vraie propriété des chemins n'ap- «s par tient pas au roi; car on ne peut pas dire qu'ils soient de « leur domaine , mais ils sont de la catlicgorie des choses qui « sont hors de commerce , dont partant la propriété n'appar- « tient à aucun , mais l'usage est à un chacun; qui, pour cette «cause, sont appelées publics; et, par conséquent, la garde « d'icclle appartient au prince souverain, non comme icelle « étant de son domaine, mais comme lui étant gardien et con- « servateur du bien public... Q uant à la surintendance d'iceux , tt sans doute elle appartient au roi seul. » Loïseau, des Sei- Çneuiics , chap, y, «'>* 7 5 et 77. 3o4 CHAPfTRK nrX-SEPT. lage(i); enfin, de tous les édifices destinés au service public. Le prince détermine les emplace- ments que doivent occuper ces édifices, ces rou- tes, ces canaux, fait les marchés avec les entre- preneurs et constructeurs, et régie les indemni- tés dues aux propriétaires dépouillés par ces éta- blissements; et comme, dans tous ces cas, il agit en vertu du pouvoir exécutif, sans rien emprun- ter (le la puissance législative, il est tout-à-la-fois l'ordonnateur de ces travaux, le régulateur des mesures d'exécution, et le juge des différents et des réclamations auxquelles ils peuvent donner lieu. Le curage des rivières et le dessèchement des marais sont également dans les attribu- tions du pouvoir administratif. Il arrête le mode de ces travaux, il en règle la dépense et la repartit entre les riverains dans la proportion des avantages qu'ils en retirent. Il en est de même des temples dans les communes, et des ponts, pourvu toutefois que des titres parti- (i) L'aiitorilé administrative a le droit de faire les ivgle- inents relatifs aux marche -pieds et chemins de halage. La raison en est que les bords , étant nécessaires à la navigation , sont censés, comme le fleuve lui-même, destinés à l'usage du public. Voy . Domat, Droit public , liv^ i , tit. 8 , sect. 2 , ««« 8 et 9. CHAPITRE DIX-SEPT. 3o5 culiers ne mettent pas ces dépenses à la charge de telle personne ou de telle commune. S'il s'é- levoit des difficultés sur Tintelligence et l'appli- cation de ces litres, la connoissance en appar- tiendroit aux tribunaux. De même, lorsque le mode de perception des impôts sur les denrées et marchandises n'est pas réglé par des lois formelles , c'est au pouvoir ad - ministratif qu il appartient de le déterminer. Il peut les faire lever par ses préposés , les mettre en régie ou les donner à ferme ; et s'il s'élève des doutes sur le sens des traités qu'il a faits, ou des difficultés sur leur exécution , il en est tout-à-la- fois l'interprète et le juge. Domat a consigné celte règle dans son Traité du Droit public, L. i, tit. 5, sect. 5, /2® lo. Voici ses termes : or Soit que les im- « jîositions sur les denrées et les marchandises « aient été données à ferme ou qu'il en ait traité «à forfait, les conditions des fermiers et des trai- « tants , les diminutions qu'ils pourroient pré- « tendre, et les autres suites des événements, se « règlent ou par leur traité ou par les conditions a de leur bail , s'il y a été pourvu; et s'il survenoit « des difficultés imprévues qui regardassent l'ii - « térèt du prince, elles seroienl réglées par son « conseil, m 11 en est de même des contestations qui peuvent s'élever entre les différentes admi-- 20 3o6 CHAPITRE DIX- SEPT. iiistrations et leurs proposes, relativement à la comptabilité de ces derniers ; la connoissance en appartient également au conseil d'ëtat. Chargé de même, et au même titre, de l'achat de toutes les munitions de guerre , de l'approvi- sionnement des places fortes et des armées, et de pourvoir à la subsistance des parties de l'Empire qui peuvent en manquer , il est encore l'ordon- nateur, l'interprète et le juge des marchés qu'il fait avec les fournisseurs; c'est à lui à déterminer la quotité des sommes qiii peuvent être respec- tivement dues ; et si le gouvernement a fait lui- même ses achats par des mandataires ou préposés, c'est à lui , et non à ceux avec lesquels ils ont traité directement (i), que ceux qui ont vendu les denrées et marchandises doivent en demander le prix. Le pouvoir administratif étend aussi son in- fluence sur les mines et minières. « La nécessité (i j II nen est pas de même des dif'lieuUt's auxquelles peuvent donner lieu les marchés entre les fournisseurs et les sous-trai- tants. Ces diflicultcs doivent être portées devant les tribunaux. 11 y a sur ce point plusieurs autorités, entre autres une décla- ration de iSSg, qui porte : « Connoitront nosdits prévôts et «châtelains, en première instance, des procès, différents.... « cjui ser oient mus entre nos fermiers et autres personnes pour " leurs actions privées, v CHAPITRE DiX-SEPT DOJ « des métaux,» dit Doniat (Droit public, L. i,tit. 2, sect. 2, 11*^ 19), « non seulement pour les mon- « noies , pour l'usage des armes, et pour celui de « l'artillerie, mais pour une infinité d'autres be- « soins et comraodilés, dont plusieurs rei^ardent a l'intérêt public , rend ces matières et celles des «autres métaux si utiles et si nécessaires dans « un état, qu il est de Tordre de la police que le a souverain ait sur les mines de ces matières un « droit indépendant de celui des propriétaires des « lieux où elles se trouvent; et, d'ailleurs, on peut « dire que leur droit , dans son origine, a été borné « à l'usage de leurs héritages pour y semer,. planter « et bâtir,... et que leurs titres n'ont pas supposé « un droit sur les mines qui étoient inconujues et « dont la nature destine l'usage aii public.,... » Mais si le prince a des droits incontestables sur les mines , il faut reconnoître que les proprié- taires en ont également sur le sol qui les couvre. Dans le nombre des difficultés qui peuvent s'éle- ver entre ces propriétaires et les concessionnaires des mines, il doit donc y en avoir et du ressort des tribunaux et de la compétence administrative. A cet égard , voici des distitictions qui paroissent fort raisonnables. Toutes les discussions relatives aux indemnités qui peuvent être dues p.'ir les exploitants aux 3o8 CHAPITRE DIX-SEPT. propriétaires des terrains superficiels ou à d'au- tres citoyens, les demandes formées contre eux ou leurs agents pour voies de fait ou dommages quelconques, sont du ressort des tribunaux; mais toutes les contestations relatives à l'existence des concessions ou permissions, au maintien des droits des concessionnaires à raison du titre qui leur a été conféré par le gouvernement, sont du ressort du pouvoir administratif, qui seul a le droit d'en connoître : il en est de même des difficultés qui peuvent naître entre les exploitants relativement aux limites de leurs travaux , à leur mode d'ex- ploitation, et aux dommages qu'ils seroient res- pectivement dans le cas d'en éprouver. Il est évi- dent que toute détermination relative au main- tien des concessions et permissions doit être prise par \i gouvernement, qui seul a le droit de les accorder. Si les questions de cette nature étoient soumises aux tribunaux , l'autorité judiciaire pourroit être, à cet égard, la réformatrice des actes du gouvernement, et détruire son ouvrage, sans connoissance des motifs qui lauroient dé- terminé. Enfin , comme régulateur de tous les mouve- ments de la société, le pouvoir administratif est encore chargé de la police de l'Etat; mais cette matière , exigeant des détails trop étendus pour CHAPITRK DIX-SEPT. Zog entrer daus ce chapitre , sera l'objet du suivant. Telles sont, du moins en très majeure partie, les attributions du pouvoir administratif. Dans toute l'étendue de cette sphère , ce pouvoir n'est limité que par la double obligation de se confor- mer aux lois en vigueur dans les cas prévus , ou d'en suivre l'esprit dans les circonstances ana- logues. Mais lorsqu'il n'en existe pas qui soit ap- phcable, et que cependant il faut agir, le prince n'a d'autre régulateur que ses lumières, sa sagesse, son amour pour le bien public, son respect pour les propriétés, et surtout pour la liberté civile ; et, comme rous l'avons neja dit . il est tout-à-la- fois le juge de l'util' té des mesures qu'il prend et des réclamations auxquelles leur exécution peut donner lieu ; et s'il en e&t le juge , il peut en délé- guer le jugement. Sans doute cette délégation appartient natu- rellement aux agents acn^inistrat'"^-^ sauf le re- cours au prince et à son conseil. Néanmoins , dans le nombre des difficultés auxquelles les actes de cette espèce peuvent don- ner lieu , il en est dont il seroit peut-être de la sagesse du prince d'attribuer la- connoissance aux tribunaux ; non que l'on puisse douter de la jus- lice de son conseil, mais par la raison très simple qu'il y a des circonstances où les formes judiciaires 5ro CHApnVï: bix-sept. sont plus propres à assurer le triomphe de la vé- rité que les procédés administratifs. Cette attribution aux tribunaux, dans certains cas, qhoqueroit à la vérité la règle c^iii séj^arfe les fonctions- judiciaires îdes fonctions administra- tives , et qui déftnid aux jug^s de pretidre ct>ti- ixoissancedes' actes d'administration ; règle qui, plaçant les différents rouages de la macîiine poli- tique* à dest distances telles qu'ils ne peuvent ja- mais s'entre-choquer, contribué piiissamnient au maintien de l'ordre public , mais qui ,; appliquée à tous les cas et sans aucune restriction, a aussi des inconvénientis. Quelques exceptions les feroielit disparoître, et ne détTuiroieat pas la ::ci^\e. Au surplus^ il faut tenir comme raaxinie con- stante, que s il arrivoit C|Ue des administrateurs se permissent de statuer sur des objets de la compétence des, tribunaux , les juges seroient obligés de s'arrêter devant l'acte de l'administra- lion , jusqu'à ce qu il eût été réformé pa*" le pou- voir administratif Fupérieyr. Cependant ces régies, toutes générales qu'elles sont, reçoivent une modification qui sort de la nature des choses. Les actes émanés des administrateurs se par- tagent en deux classes : ceux qui exigent la con- noissance et l'autorité, c'est-à-dire, ceux qui sup- CHAPITRE DIX-SEPT. 3ll posent une délibération préalable ; et ceux dans lesquels l'agent de l'administration est purement passif, et n'exerce qu'un ministère forcé. Que les premiers , qui exigent connoissance et autorité , ne puissent être soumis au jugement des tribunaux, cela doit être ainsi, puisqu'ils supposent une délibération préalable , et qu'il n'est pas possible de concevoir deux autorités indépendantes ayant le droit de délibérer sur le même objet. Mai: lorsque l'agent de l'administration n'exer- ce qu'un ministère passif, que forcé de faire ce qu'il a fait, il n'avoit pas le droit d'en délibérer, quel moti/ j^ oarroit soustraire des actes de cette e.«.j < j è. là jiJixàdiciion ordinaire? Il n'en est au- cun de raisonnao-e; aussi voyons-nous tous les jcurs le j tribunaux juger les broveis d'invention , et les innuller dans la main des brevetés : quelle €.1 est la raison ? c'est que le ministre accorde ces brevets à toi^s ceux qui en demandent , et sans délïLé^ation préalable. Ôli GIIAPITKE DIX- HUIT- CHAPITRE XVIII. De la Police. jLe mot police , dans le sens le plus étendu , si- gnifie règlement de la cité. Ainsi envisagée, on pourroit définir la police, la pratique de tous les moyens d'ordre, de sûreté et de tranquillité publique ; et sous ce point de "Vue , elle se partageroit en police civile , police criminelle, police militaire , police religieuse, et police économique. Dans un sens moins étendu, et suivant l'accep- tion commune , on appelle règlements de police ceux qui sont directement relatifs aux choses qui peuvent être regardées comme communes à tous , soit par leur nature, soit par leur destination , SQjii enfin parceque tous ont le droit et le besoin d'en user. Les choses communes par leur nature sont l'air, le feu^ et l'eau. A l'égard de Tair, la police n'a aucune mesure à prendre pour en procurer la jouissance ; mais elle doit écarter les obstacles qui pourroient s'op- poser à son libre et entier usage. En conséquence , CHAPITRE DIX-HUIT. 3l3 elle prohibera tout ce qui pourroit en intercepter la circulation , comme des édifices trop élevés dans les grandes villes; ou en altérer la salubrité, comme des immondices, des eaux croupissantes près les habitations, et des animaux morts laissés gisants sur la terre. Il en est de même de l'eau ; la police doit dé- fendre tout ce qui pourroit la rendre malsaine : mais son devoir s'étend plus loin ; elle doit empê- cher que ceux qui ont le droit d'en disposer ne le fassent d'une manière qui porte préjudice aux autres. C'est cette obligation qu'elle remplit lors- qu'elle règle la hauteur des déversoirs des usines , celle des digues et chaussées des étangs , celle enfin des batardeaux sur les petites rivières. Il appartient également à la police de régler l'usage du feu de manière à prévenir les accidents qu'il pourroit occasionner. A cet effet , elle a le droit d'inspecter les cheminées . de déterminer la distance des forets à laquelle il sera permis d'allumer des feux , et de défendre aux proprié- taires eux-mêmes d'entrer avec de la lumière dans des édifices qui renfermeroient des matières fa- ciles à s'enflammer. Les objets communs par leur destination sont les temples, les places et les rues des villes, bourgs, et villages; les théâtres, les maisons de jeu, les 5l4 CSàPITRE DIX-HTTIT. auberges, les cabarets, et généralement tous les lieux p-iblics (i). La police doit avoir sans cesse les yeux ouverts sur tous ces objets. Dans les temples , elle doit défendre tout ce qui pourroit causer du s'^andaie ou troubler Texer- cice du culte. Elle assurera la tranquillité, la sûreté, la libre circulation dans les rues et les places , en probi- bant les attroupements, les rixes, le port d'armes, dans certains cas, à certaines personnes , la diva- gation des animaux nuisibles, les encombrements, les dépôts de matériaux, l'exposition sur les fe- nêtres d'objets dont la chute pourroit occasionner des accidents, et en ordonnant le redressement de certaines rues, l'élargissement d'aut'es, et la démolition des édifices qui menaceroient ruine. . Les théâtres présentent quatre objets à la sol- licitude de la police : les spectateurs, les acteurs^ les pièces représentées , et les heures de repré- sentation. EVe doit veiller à ce que rien ne trouble la tranquillité des spectateurs , à ce que les acteurs ne choquent ni la décence ni le public, à ce que (i) Nous ne parlons pas des palais de justice et autres édi- fices consacrés à l'exercice de l'autorité pul)lique , parceque la police en appartient aux magistrats auxquels ils sont destinés^ CHAPITRE 1>TX-HUIT. 3l5 les auteurs respectent les ya -ars et le gouverne- ment, enfin à ce que les spectacles ouvrent et ferment aux heures les plus compatibles avec l'ordre public et les habitudes des citoyens. Ce <jue je pourroi« dire relativement aux mai- sons de jeu , aux auberges et aux cabarets , est connu de tout le monde. Je rappellerai seulement que la police a le droit d'enjoindre aux aubergistes de présenter aux magistrats la liste des étrangers qu'ils reçoivent, d'ordonner que les maisons de jeu et les cabarets seront fermés à telle ou telle heure, et même de les supprimer. Les choses communes, parcequ'elles sont plus ou moins nécessaires à l'existence de Ihomme , et que tous ont le droit et le besoin d'en user, sont les comestibles qui les nourrissent et géné- ralement toutes les denrées qui leur se t indis- pensables , les manufactures et métiers qui les habillent, enfin les chemins>^?s rivières naviga- bles et leurs bords envisagés comme moyens de transport des différents objets nécessaire i la vie et aux commodités de l'homme. Les droits et les devoirs de la police relativement aux denrées et comestibles sont d'en prévenir la pénurie, de régler le prix de quelques unes, d'en surveiller la qualité, et d'en déterminer le poids et la mesure. 5l6 CHAPITRE DIX-HUIT. De l'obligation de prévenir la pénurie des den- rées et dts comestibles, dérive le droit de régler le commerce des grains, d'en permettre ou den défendre l'exportation , et d'en extraire d'une province pour les faire passer dans une autre; de diriger également le commerce des animaux qui se débitent dans les boucheries de la manière la pUis convenable à l'approvisionnement des gran- des villes, et, à cet effet, d'établir le^ marchés et les foires qu'il croit propres à remplir cet objet; de surveiller l'emploi des combustibles , et , en conséquence , de permettre ou de défendre, sui- vant les localités , l'établissement des usines à feu ; de fixer, d'après la nature du sol, Fâge au-dessous duquel les bois ne pourront être coupés; d'or- donner qu'à telle distance de la capitale ou de telle autre grande ville , on ne pourra convertir en charbon que les bois de 3 ou 4 pouces de dia- mètre, et que ceux. d'une circonférence plus con- sidérable seront exploités en bois de chauffage; enfin d'empêcher la dépopulation du gibier et h, dévastation des rivières, en prohibant la chasse et la pêche dans certaines saisons, et dans toutes avec tels pièges ou tels instruments. La police doit aussi surveiller avec l'attention la plus scrupuleuse et la vigilance la plus active la qualité de toutes les denrées exposées en vente , CHAPITRE DIX-HUIT. Siy et qui sont nécessaires à la vie; ce qni comprend les drogues médicinales et tout ce qui renferme la pharmacie. Relativement à la taxe, l'influence de la police ne s'étend pas, à beaucoup près, aussi loin; elle se borne à régler le prix de quelques denrées, telles que le pain, la viande de boucherie , et le bois à brûler. Mais inutilement taxeroit-on les denrées , in- utilement soumettroit-on leur qualité à l'examen le plus attentif, inutilement enfin prendroit-on les voies les plus sages pour assurer la bonne foi du commerce, si les poids et les mesures n'étoient pas déterminés d'une manière invariable , et si leur fidélité n'étoit pas garantie par une em- preinte émanée de l'autorité publique. C'est en- core à la police qu'il appartient de donner cette garantie (i). (j) Avant la loi très récente qui établit runlformité des poids et des mesures en France , rien n'étoit plus varié. Les mesures de capacité, telles que les boisseaux ; celles de longueur, telles que les arpents , les perches , les toises , différoient dans pres- que toutes les provinces. Il y avoit moins de variété dans les poids. En voici les raisons. Le droit de donner mesure et de nommer des arpenteurs publics étolt attaché à toutes les grandes seigneuries , comme fait de baute-police. Les hauts barons ne manquoient pas d'a> 3l8 CHAPITRE DIX-HUIT. On place également dans la classe des choses communes, par le besoin que les hommes en ont, les étoffes pour les vélir, et une multitude d'objets qu'ils doivent aux travaux et à l'industrie des manufacturiers et des artisans. En consé- quence, les manufactures et les métiers sont en- core dans les attributions de la police: son devoir, ser de cette prérogative; et pour que Ton ne pût pas s'y mé- prendre , ils avoient soin d'adopter une mesure différente de celle de leur voisin. Il y avoit à la vérité un office de grand arpenteur du royaume , qui nommoit des arpenteurs jurés : mais d'abord ils ne furent établis que pour les domaines du roi; et lorsque l'ordonnance de i575 les autorisa à exercer leurs fonctions dans les ter'cs des seigneurs, le mal étoit fait. D'ailleurs cette ordonnance , rendue dans des temps de trouble, fut mal exécutée. Il n'y avoit pas la même vai'iété dans les poids , parceque , très anciennement, il existoit dans toutes les provinces ilcs rois des merciers , que l'on appeloit aussi visiteurs de poids et ba- lances , qvii étoient nommés par le grand cliambellan , et dont les fonctions étoient de visiter et vérifier, même dans les terres des seigneurs, les poids, crochets et balances de tous les mar- cîiands. François I^r ayant supprimé en i545 l'office féodal de grand chambellan, et réuni cet office à la couronne, les rois des merciers furent nommés par le roi jusqu'en 1697, époque à laquelle ils furent supprimés à raison des monopoles qu'ils commettoient, et sur les représentations de l'assemblée tenue à Rouen en celle même année. CHAPITRE DIX-HUIT. Sig à cet égard, consiste principalement à veiller à la bonne qualité des matières premières, à la ma- nière de les employer, à la bonne foi dans les in ■> dications, enfin à prendre les mesures les plu convenables pour que tous ceux qui exercent une profession aient non seulement les connoissances qu'elle exige, mais la facilité que donnent l'expé- rience et l'habitude, afin que la main-d'œuvre ne soit pas portée à un prix trop haut. Mais tout cela tient à des détails aussi multi- pliés que minutieux , dont la plupart échapperont nécessairement à la vigilance de la poiice; car les gouvernements ne peuvent ni tout voir ni tout faire : quelle est donc la meilleure manière de pourvoir à cette partie si importante de l'admi- nistration publique? Les législateurs les plus sages croyoient avoir résolu ce problème par l'établissement des ap- prentissages, des maîtrises; en un mot, des cor- porations d'arts et métiers. Alors rien de plus simple que la police des mé- tiers. « Elle consistoit (dit Loysf.au, des Seigneu- ries, ch. g, art. 49 et 5o) « dans le droit de réunir « en corporations ceux qui les exerçoient; leur « donner des statuts ou leur permettre d'en faire, « leur nommer ou leur permettre d'élire d(*s chefs « ou syndics; recevoir les plaintes des membres 320 CHAPITRE DIX-HUIT. « de la corporation , et y faire droit ; enfin rece- « voir et juger les rapports et procès-verbaux des « visites que les syndics ëtoient tenus de faire « chez chacun d'eux. » Cet ordre de choses n'existe plus en France. Les assemblées nationales n'ont vu dans les ju- randes, que des entraves imaginées par le despo- tisme; elles ont supjDrimé les corporations d'arts et métiers. La surveillance quelquefois inquiète, mais toujours active et toujours éclairée des jurés et syndics est aujourd'hui confiée à des fonction- naires qui \i'ont ni leur pratique ni leur con- noissance; de manière que le public n'a guère d'autre garantie de la perfection et de la bonne qualité des marchandises que la concurrence en- tre les manufacturiers et marchands, et la bonne foi de chacun d'eux. Cependant les raisons qui avoient fait établir les corporations n'ont rien perdu de leur force : si elles éloient bonnes , elles Je sont encore , et l'expérience peut y ramener ; il ne sera donc pas inutile de ra^jpeler les principales. Elles sont de deux sortes : les unes rela- tives à la prospérité du commerce ; les autres puisées dans le grand intérêt de la liberté ci- vile. CHAPITRE DIX- nui T. 321 On trouve les premières dans le Traite du Droit public de Domat (i). On j lit : « Il importe à l'Etat que tous ceux qui exercent « une profession aient les counoissanccs qu'elle « exige. La bonne qualité des matières premières, « la manière de les employer, la fidélité dans les « poids et mesures» importent également au com- « merce ; mais tout cela tient à une foule de pe- « tits détails, et surtout à une surveillance telie- « ment continuelle, que les gouvernements ont « senti que le mieux étoit de confier cette sur- « veillance à des hommes du même art et de la « même profession , ayant l'amour de leur état , « et dont la probité, depuis long-temps éprouvée, « ne souffriroit pas dans les autres ce qu'ils au- « roient rougi de se permettre à eux-mêmes. Pour « atteindre ce but si moral et si utile au com- « merce, on permet aux maîtres de chaque mé- « tier de former un corps, et de faire des statuts « et règlements, avec lapprobation du prince ou « de la justice; et c'est pour l'observation de ces « règlements qu'on nomme dans ces corps quel- ce ques uns d'entre eux, sous le nom de gardes et « de syndics jurés, qui sont préposés pour faire (i) Liv. 1 , tlt. lî, sect. I. il 322 CITA-PITRE DIX -HUIT. « observer les règlements, visiter les ouvrages, et «juger s'ils sont tels qu'ils doivent être par les « statuts. a Ces corps ont leurs officiers communs, leurs « droits , leurs privilèges , et leur police pour «4'observalion des statuts et des règlements qui « doivent maintenir le bon exercice de l'art et du « métier ; et ils doivent répondre des contraven- « tions à ces règlements. » Un de nos publicistes auquel Montesquieu doit beaucoup , et ce mot renferme un grand éloge , Bodin, s'élevantà de plus hautes considérations, envisage les corporations d'arts et métiers dans leurs rapports avec la liberté des citoyens, « H y « en a, dit-il, qui ont été et sont d avis que tous « les corps de communauté soient abolis ; ils ne « regardent pas que les républiques et les familles « même ne sont que des communautés. « Pour une absurdité qui advient d'une bonne « ordonnance , ils veulent abolir l'ordonnance « même. Les collèges mal réglés ont de grands « inconvénients ; il faut les bien régler. La répu- « blique peut s'en passer ; mais il est bon d'en «avoir, parcequ'il n'y a rien de meilleur pour « maintenir les états populaires et ruiner les ty- « rannies. Les justes royautés sont maintenues <( par la médiocrité de certains états , corps et \ CHAPlTIiE UIX-HUIT. 523 a communautés bien régies ; aussi le tyran s'ef- « force de les abolir, sachant bien que l'union de « ses sujets entre eux est sa ruine inévitable. » Liv. 3 , chap. y. L'histoire est d'accord avec ce profond publi- ciste. Le sage Numa établit des corporations d'arts et métiers; Tarquin le Superbe les abolit : elles furent recréées immédiatement après son expul- sion. Je reviens à la police. Comment pourvoiroit-elle à l'approvisionne- ment des marchés, des foires des grandes villes; comment parviendroit-elle à verser le superflu d'une province dans celles qui manquent du né- cessaire; comment enfin procureroit-elle aux dif- férentes parties de l'Etat les choses indispensables à la vie, si la surveillance des chemins et des ca- naux navigables ne lui appartenoit pas? Cette partie de la police a six objets principaux : 1^ La largeur des chemins (i); (i) Même des cLemins ■vicinaux. « L'administration jmblique « fera reclierchcr et reconnoître les anciennes limites des cbe- « mins vicinaux, et fixera, d'après cette reconnoissance , leur «largeur suivant les localités, sans pouvoir cependant , lors- « qu'il sera nécessaire de l'augmenter, la porter au-delà de « 6 mètres, ni faire aucuns changements aux chemins vicinaux 324 CHAPITRE DIX-HUIT. a^ Leur entretien et leur réparation; 3° L'établissement et le curement des fossés qui les bordent ; 4*^ I^eur commodité, ce qui emporte le droit de défendre de les encombrer (i); 5** Leur conservation , et par conséquent le droit de régler le poids des voitures, la hauteur et la largeur de leurs roues, et la longueur de leurs essieux (2); « qui excédent actuellement cette dimension. A l'avenir, nul ne n pourra planter sur le bord des cliemins vicinaux, même dans « sa propriété, sans leur conserver la largeur qui leur aura été «fixée en exécution de l'arîicle précédent. » Loi du 9 ventôse an i3 , art. 6 et 7. (i) Un arrêt du conseil, du 17 juin 1721 , entre à cet égard dans les délails suivants : « Le roi, en son conseil, ordonne « que les fossés faits tt ceux qui sont à faire seront entretenus « par les propriétaires riverains, chacun en droit soi.... fait sa « majesté défense à tous particuliers de troubler les entrepre- « neurs dans leurs travaux; de combler lesdits fossés, et de « labourer au dedans de leur largeur; d'y mettre aucuns fu- a miers , décombres ou immondices , soit en plaines , soit dans «les villes, bourgs ou villages où passent lesdites chaussées; « d"y faire aucune fouille , et de planter des arbres ou haies « vives, sinon à 6 pieds de distance des fossés séparant le che- « min de leurs héritages , et à 5 loises du pavé oii les fossés ne « seront pas faits. » (2) Un règlement du 4 mai 1G24 fixe à 5 pieds lo pouces la longueur des essieux. CHAPITRE DIX-HUIT. ZlS 6° Leur agrément, tels qye le pavé et les plan- tations d'arbres (ij. (i) Ce qui concerne la plantation des routes est réglé par une loi du 9 ventôse an i3 , dont \oici les dispositions : « Les gran- « des routes de l'Empire non plantées , rt suceptibles d'être « plantées , le seront en arbres forestiers ou fruitiers, suivant « les localités, par les propriétaires riverains. « Les plantations seront faites dans l'intérieur de la route et « sur le terrain appartenant à l'Etat, avec un contre-fossé qui « sera fait et entretenu par l'administration des ponts et cliaus- « sées. « Les propriétaires riverains auront la propriété des arbres « et de leurs produits; ils ne pourront cependant les couper, « abattre ou rrraclier, que sur une autorisation donnée par o l'administration préposée à la conservation des routes, et à « la charge du remplacement. « Dans les parties de routes où les propriétaires riverains < n'auront point usé , dans le délai de deux années , à compter « de l'époque à laquelle l'administration aura désigné les routes «i qui doivent être plantées, de la faculté qui leur est donnée « par l'article précédent, le gouvernement donnera des ordres « pour faire exécuter les plantations aux frais de ces riverains; « et la propriété des arbres plantés leur appartiendia aux mê- « mes conditions imposées par l'article précédent. « Dans les grandes routes dont la largeur ne permettra pas «de planter sur- le terrain a])partenant à l'Etat, lorsque le <i particulier riverain voudra j)lauler sur son terrain à moins € de 6 mètres de la route, il sera tenu de demander et d'obtenir « l'alignement à suivre , de la préfecture du dé])artement.^ans ?}'?.G CHAPITRE DIX-HUIT. Tels sont les objets soumis à l'autorité de la poliee. Cette nomenclature n'est pas tout-à-fait exacte; mais je fatiguerois, si je voulois entrer dans tous les détails 'de cette partie. Je me bor- nerai donc à rappeler que la règle générale est qu'il faut placer dans les attributions de la police toutes les choses communes, soit par la nature, soit par leur destination, soit parcequ'elles sont tellement nécessaires à l'homme, que tous ont le besoin et le droit d'en user. La police de lEtat appartient à l'autorité in- vestie du droit de faire sur ces différents objets des statuts, décrets ou règlements. Mais queHe est cette autorité ? est-ce la puis- sance législative? est-ce le pouvoir administratif? est-ce l'autorité judiciaire? D'abord, ce n'est pas l'autorité judiciaire. « Le « droit de police, dit Loyseau (i), consiste pro- « prement à pouvoir faire des règlements par- ti ticuliers pour tous Its citoyens de son détroit «et territoire; ce qui excède la puissance d'un « simple juge , qui n'a pouvoir c|ae de prononcer «t ce cas, ce pi'opriétaire n'aura besoin d'aucune autorisalion « pariiculiere jjour disposer entièrement des arbres qu'il aura « plantes. » (i) Traité des Seigneuries , chap. 9 , n^ 3. \ CHAPITRE DlX-nUIT. 3^7 tf entre le demandeur et le défendeur, et non pas « de faire des règlements sans postulation d'au- « cun demandeur ni audition d'aucun défendeur, « et qui concernent et lient tout un peuple. Mais « ce pouvoir approche et participe davantage de « la puissance du prince, que non pas celui du «juge, attendu que les règlements sont comme « lois et ordonnances particulières. » Mais dans les monarchies , le prince exerce tout-à-la-fois la puissance législative et le pouvoir administratif, et Loyseau laisse indécise la ques- tion de savoir si c'est le législateur ou l'adminis- trateur qui fait les actes relatifs à la police. Je réponds que le prince agit en l'une et en l'autre de ces deux qualités. Le législateur règle la manière de constater les contraventions, détermine les peines, crée et or^ ganise les autorités qui doivent les appliquer. La puissance législative s'arrête là , et laisse toute la partie réglementaire au pouvoir administra^ tif. Mais les règlements de police commandent à tous les citoyens; tous sont obligés de leur obéir: ce sont donc de véritables lois; leur confection ne peut donc appartenir qu'à la puissance légis- lative. Cette manière de voir ne seroit pas juste. Il 328 CIÏAPITRE DIX-HUIT. y a une différence essentielle entre les lois pro- prement dites et les rëglemenls de police. La loi , qui doit être puisée dans la nature des choses, dont l'objet est d'établir le meilleur ordre possible , est perpétuelle , au moins dans l'inten- tion du législateur. Les règlements de police , faits pour les circonstances, doivent changer avec elles. La loi est la même pour tous; les peines qu'elle prononce frappent également tous les ci- toyens. Comme l'objet de la police est moins de punir que de corriger, elle peut graduer les peines suivant l'état des personnes , leurs habitudes , leurs caractères, plus ou moins disposés à trou- bler l'ordre public, et même suivant les localités, tel délit de police pouvant avoir des conséquences plus graves dans les villes que dans les campa- gnes, dans les grandes cités que dans les com- munes moins populeuses. Enfin la police, ayant pour but non seulement de punir les délits, mais de les prévenir, mais de paralyser à l'instant même tout ce qui menaceroit la sûreté ou la tranquillité des citoyens, doit agir avec une activité égale à celle du cours des événements. Au contraire, de longues et profondes méditations doivent mûrir les délibérations de la puissance législative; et sa marche, déjà nécessairement si lente, est encore CHAPITRE DIX-HUIT, SsQ retardée par l'appareil qui doit environner ses résolutions. Il nous reste encore trois questions à examiner : 1^ Le prince peut il et doit-il déléguer le droit de faire des règlements de police? 2° A qui doit-il faire cette délégation? doit-il la faire au pouvoir administratif ou à Tautorité ju- diciaire? 3^ Convient-il qu'il réunisse la partie régle- mentaire à la partie contentieuse , c'est-à-dire, qu'il confère à la même autorité le droit de faire des règlements et celui de les r.ppliquer? , Sur la première de ces trois questions, il y a une distinction à faire. Les règlements de police sont de deux sortes : les uns intéressent la géné- ralité des citoyens; les autres ne disposent que pour tel'e commune ou tel territoire. A la pre-- miere classe appartiennent ceux relatifs aux ri- vières navigables, aux grandes routes, aux poids et mesures, et autres objets semblables. Ceux qui ne statuent que sur des objets d'un intérêt local appartiennent à la seconde. Les règlements généraux ne doivent et ne peu- vent émaner que du prince : cela sort de la nature des choses. Mais il est de sa sagesse de déléguer le droit de faire les règlements locaux et particuliers. 55o CHA.PITRE DIX-StTIT, Les motifs- en sont très bien déduits par Loy- seau fi), dans le texte que nous allons transcrire. « il est vrai que le roi, ne pouvant tout savoir ni G être par- tout, et par conséquent ne lui étant « pas possible de pourvoir à toutes les menues « occurrences qui arrivent en tous les endroits « de son royaume , et qui requièrent d'être réglées ff projnptement , permet à ses principaux offi- ce ciers, soit des cours souveraines, soit des villes , « de faire des règlements, chacun au fait de leurs « charges, qui ne sont pourtant que provisoires, « et faits sons le bon plaisir du roi , auquel seul rt appartient fi! ire lois absolues et immuables. Mais « ces réglemenls n'ont peint force, sinon jusques « à tant qu'ils soient révoqués , soit par le roi , ou « par les successeurs des magistrats qui les ont ce faits , ou encore par eux-mêmes. » Au chapitre 9 du même traité, ce judicieux écrivain continue en ces termes : ce Ces règlements doivent être fondés sur qucî- cc ques considérations particulières pour les lieux « où ils sont faits. Autrement ils appartiennent ^ au prince.,'.,.. Dans une ville où l'autorité est ce divisée , une seule doit être investie de la police. » Voyons maintenant à qui , de l'autorité judi- (i) Des Seigneuries, cliap. 3 , no 12. CHAPITRE DIX-HUIT. 33l ciaire ou du pouvoir administratif, le prince doit déléguer le droit de faire ces règlements, qui, s'ils ne sont pas de véritables lois, en ont le principal caractère , puisqu'ils commandent à tous , et que personne ne peut les enfreindre sans encourir les peines qu'ils prononcent. L'histoire de la législation des différents peuples présente beaucoup de variétés sur ce point (i). En France , le régime de la police n'étoit rien moins qu'uniforme. Avant ces derniers temps , le droit de faire les règlements de police étoit con- (i) Les luis romaines donnoient la police locale aux édiles, officiers de l'oi'dre administratif. Comme aujourd'hui les maires de nos communes sont substitués à ces édiles , nous allons rap- porter les textes qui les concernent. C'est le meilleur commen- taire de nos lois nouvelles sur ce point. AEdilcs studeant ut qiiœ secundiim cwilatcs sunt viœ ad- œquentur, et effluctiones non noceant domihiis , et pontes fiant ubicumque oportet. L. unie. lit. lo , ff. de Via publica et si quid.... etc. Curent autein ut nullus effodiat vins neque subruat , neque construat in viis aliquid,,.. A Ediles autein mulctent secundiim legem , et quodfactum est dissolvant, g. 2,eod. tit. Studeant autem ut antc qfficinas nihil projectum sit vel pro- positum , prœterquiiin sifiullo vcstinicnta sicet , aut faber cur- rus encttrius ponat ; ponant autem et hi , ut non prohibeant vehiculum ire. Eod. tit. §. 4. Non jjermitlant auteui rixari in viis , neque sterrora proji- cere.... neque pelles jaccre. F.od. tit. §. ult. 532 chapitre''dix-huit. fié, dans chaque territoire, à celle des autorite's locales qui , par sa composition et ses lumières , paroissoit devoir le mieux remplir cette impor- tante fonction : dans certaines villes , ce droit ëtoit annexé au pouvoir municipal ; dans d'au- tres , le bailliage ou la sénéchaussée en étoit in- vesti. Dans quelques unes , il étoit confié à un officier qualifié lieutenant-général de police; ail- leurs, les municipaux ne pouvoient l'exercer que conjointement avec les juges. Enfin , dans toutes les seigneuries particulières, et notamment dans les villages qui n'avoient pour administrateurs qu'un syndic, la |)olice appartenoit constamment à la justice du lieu. La nouvelle organisation judiciaire et l'aboli- tion des justices seigneuriales ayant nécessité sur tous les points de la France des changements dans cette partie , le droit de faire les règlements de police a été enlevé aux tribunaux et placé dans les attributions du pouvoir administratif. C'est le dernier état. De ces variétés , il résulte que l'on n'a jamais contesté au prince le droit de confier à qui bon lui semble la partie réglementaire de la police locale : par conséquent, il peut varier et l'inter- dire à ceux qu il en avoit d'abord investis, pour le transférer à d'autres; et même l'allribuerà de.s CHAPITRE DIX-HUIT. 355 agents administratifs dans un lieu , et à l'autorité judiciaire dans un autre. Ainsi point de règle générale, point de princi- pes absolus dans cette partie de l'administration publique ; et comme tout y est subordonné à des besoins locajjx et à des circonstances passagères, il faut sur-tout en écarter ces idées d'uniformité qui , dans ces derniers temps , ont séduit tant de bons esprits. Des trois questions que nous nous sommes proposées, il ne nous en reste plus qu'une à exa- miner ; celle de savoir s il convient que la police réglementaire et la police contentieuse soient réunies ou 'divisées, c'est-à-dire, si l'autorité qui a fait les règlements doit connoître des infractions et appliquer elle-même les peines qu'elle a déter- minées. Le problème étoit résolu depuis long-temps : «On ne donne point d'exemple, dit Do7nat(i), « de charges qui n'aient que des fonctions de po- « lice sans aucunes fonctions de justice ; car l'ad- « ministralion de la police renferme l'usage de « l'autorité de la justice : ainsi les charges même « municipales, dont une des fonctions est la police a des villes,... ont aussi la fonction de juger les (i) Traité du Droit public , liv. 2, lit. i , secl. i , n» 20. 354 CH/VPITRE DIX-nUlT. « différents qui naissent entre particuliers, pour « le fait de la police, et de faire, avec les officiers '( royaux, les règlements nécessaires, et en main- te tenir l'observation. » Domal ne parle que des villes royales , c'est-à- dire , de celles où la justice ordinaire s'exerçoit au nom du roi. Dans la majeure partie de ces villes, la police appartenait aux corps munici- paux: à la vérité, et celaétoit très sage, ils étoient obligés de se réunir aux juges royaux pour la confection des règlements ; mais ils étoient seuls juges des délits. Dans les justices seigneuriales, ces deux fonctions étoient également réunies , et presque toujours dans la main des juges. Enjûn la règle que la partie contentieuse de la police ne devoit jamais être séparée de la partie réglementaire étoit si généralement reçue , que l'ordonnance de Moulins ayant, dans chaque ville royale, confié la police à six notables élus chaque six mois, dont deux officiers de justice et quatre bourgeois , leur confère non seulement le droit de faire des règlements, mais celui de punir les délits. Cet ordre de choses n'existe plus. Voici la série d idées qui a conduit à l'état actuel. . On a d'abord établi qu'il existoit deux sortes de police, l'une administrative et l'autre judi- ciaire ; que l'objet de la première étoit de préve- CHAPITRE DIX-HUIT. 355 lîir les délits,' et, par suite, de faire les règle- ments ; que celui de la seconde etoit déjuger les prévenus et d'appliquer les peines. S'élevant en- suite à de plus hautes considérations, on a dit : Point de liberté civile, si les pouvoirs ne sont distincts et séparés. Il seroit donc également dan- gereux et de conserver aux tribunaux le droit de faire les règlements de police, puisque ce sont des actes administratifs , et d'autoriser les corps administratifs à juger les infractions à ces mêmes règlements , parceque ce seroit les admettre à l'exercice du pouvoir judiciaire. Cette théorie est belle; mais est-elle applicable au régime de la police? On peut en douter (i). La police s'exerce sur des actions de tous les jours, de tous les instants, sur des détails le plus souvent minutieux en eux-mêmes, et qui n'ont d'intérêt que dans un rapport assez éloigné avec l'ordre public. Son objet n'est pas de plmir les crimes , d'effrayer par des exemples , de retran- cher de la société des coupables qui en menace- roient l'existence; mais de corriger des habitudes (i) Le doute vient d'être résolu , au moins en partie , par le Code de Procédure criminelle , qui confère aux maires des communes le contentieux de la simple police, con<;urreniment avec le juge de paix. 356 CHAPITRE DIX-HUIT. inquiétantes pour la tranquillité des citoyens, de forcer les hommes à suivre certaines règles, de faire que personne ne jouisse être troublé dans l'usage des jouissances communes, enfin de ré- primer des délits légers par de légères punitions : ces délits, quoique essentiellement de même na- ture, puisque tous résultent de la contravention aux règlements, reçoivent néanmoins, des cir- constances et du caractère de ceux qui les com- mettent, des teintes toutes différentes. Deux hommes , l'un paisible , ami de l'ordre , l'exemple de la cité, l'autre turbulent, audacieux, l'effroi de ses concitoyens, seront tombés dans la même contravention : les deux délits seront ma- tériellement les mêmes; mais il n'y a personne qui ne sente que les moyens de répression doivent être différents, s'il est vrai , comme nous venons de le dire , que l'objet de la police est moins de punir que de corriger, que de réprimer des habi- tudes qui pourroient mettre en danger la tran- quillité publique, et de forcer ceux qu'un intérêt commun réunit, à vivre sous des, règles com- munes. C'est avec ces sages tempéraments que s'appli- iquentles statuts de police, lorsque la partie ré- £;lementaire et le contentieux sont dans la main du même magistrat. Maître de modifier et d'in- CHAPITRE DIX-HtIIT. OOy terpréter les règlements, puisqu'ils sont son ou- vrage , puisque personne, mieux que lui, n'en peut connoître l'esprit. A l'un, il en applique les peinesclans toute leur sévérité; il les adoucit pour un autre ; il se conteste de donner un simple avertissement à un troisième-, justice est rendue à tous , et les formes de la police, formes qui ont toujours une teinte d'arbitraire, n'effraient que les méchants. Lorsque l'administration de la police est par- tagée entre deux pouvoirs indépendants et sans aucune espèce d'action Tun sur l'autre, que c'est l'administrateur qui fait les règlements etie juge qui les applique , ce régime discrétionnaire est impraticable. Immobile devant la barrière qui sépare les deux pouvoirs, courbé sous l'auto- rité du règlement, le juge ne peut ni modifier ses dispositions ni adoucir les peines qu'il inflige. Obligé de frapper en aveugle , il ne lui est permis de prendre en considération ni les lieux, ni les circonstances, ni les personnes ; il n'a pas même, comme les jurés , le droit de mettre dans la ba- lance l'intention et la moralité des prévenus : de manière que les statuts de police prennent, dans leur exécution , le caractère des lois criminelles les plus absolues j ce qui choque la nature des 9.2 338 CHAPITRE DIX-HUIT. choses et confond tous les principes de cette matière. Il est sans doute inutile d'observer que ces ré- flexions ne s'appliquent qu'à cette police de tous les jours et de tous les instants, que j'appelle po- lice locale ; et que le prince , dans l'impossibilité de tout faire, est oblige de déléguer l'exécution, des règlements émanés de lui. CHAPITRE XIX. Du Commandement militaire envisagé dans ses rapports avec l Autorité judiciaire. L'objet de ce chapitre est de prouver, non par des raisonnements , mais par des exemples, que les princes ne peuvent s'opposer avec trop de sévérité aux entreprises que les rommandants militaires, et en général tous les dépositaires de la force publique, pourroient se permettre sur l'autorité judiciaire. Je puiserai dans nos fastes mêmes les faits qui établissent cette importante vérité. Lors de l'invasion des Francs, des Goths et des Bourguignons , la Gaule étoit divisée en dix-sept I CHAPITRE niX-NETTF. ù3g provinces (i) ; et dans chacune de ces provinces, Rome avoit un préposé chargé de l'administration publique et du recouvrement des imjjôts. Les conquérants adoptèrent ce mode d'admi- nistration. Comme les Romains, ils partagèrent les Gaules en arrondissements ou districts, et la manutention de ces arrondissements fut confiée à ces soldats d'élite que Tacite appelle comités; compagnons du prince , dont le privilège, comme le devoir, était de combattre à ses cotés, de vaincre ou de mourir avec lui. Il n'étoit pas possible de réduire à des fonctions purement civiles des hommes qui ne connois- soient et qui n'estimoieîit que la profession des armes. Il fallut donc ajouter à l'administration, dont étoiént chargés les préposés des Romains, le droit de conduire à la guerre et de commander les hommes de l'arrondissement. En réunissant ainsi le pouvoir militaire à l'ad- ministration civile, on commettoit une grande (i) C'étoient les quatre Lyonnaises, les deux Bclgiques, le» deux Gei manies, la Séquanique, les Alpes grecques et pen- nincs , la Viennoise, les deux Aquitaines , la INovempopulanie, les deux Narbonnaises , e^ les Alpes mariîiraes. C'est celte di- Tision que l'Eglise a suivie dan» l'élablissement des inéti'o- poles. 54o CHAPITRE DIX-NEUF. faute; ou en fit encore une plus grande, en con- férant à ces préposés, qui dès-lors prirent la qua- lification de comtes j Tcxercice de l'autorité judi- ciaire. Cependant on avoit pris les mesures les plus propres à contenir ces nouveaux magistrats. Ils n'avoient que des commissions révocables à vo- lonté; et des envoyés du prince, parcourant les comtés, surveiîloient toutes leurs opérations. Mais un prince ne sait jamais bien précisément ce qu'il donne lorsqu'il confère le commande- ment de la force , parcequ'il est impossible de prévoir jusqu'à quel point et de quelle manière on peut en abuser sous un gouvernement foible et dans des circonstances difficiles. Les comtes, mauvais administrateurs, plus mauvais juges, mais toujours bons capitaines, se montrèrent sujets fidèles tout le temps que leur ambition fut comprimée par le courage et l'éner- gie des rois ou des maires du palais, c'est-à-dire, jusqu'à la fin du règne de Charlemagne ; mais sous ses foibles et malheureux successeurs , l'es- prit d'insubordination éclata de toutes parts, et bientôt les comtes arrachèrent de Charles-le- Chauve le capitulairede l'an 87-7, qui rendit leurs offices héréditaires et leurs gouvernements patri- moniaux. De juges amovibles qu'ils étoient, ils CHAPITRE uix-Nrur. 3/41 devinrent les magistrats propriétaires de leur ter- ritoire ; et le prince, ainsi dépouillé des pjinci- paux attributs de la souveraineté, ne «onserva sur ces gouverneurs héréditaires d autres mar- ques de supériorité que le droit den exiger l'hommage et u-n vain serment de fidélité. Alors tout prit une face nouvelle ; le gouvernement cessa d'être monarchique; les rois ne furent plus que les chefs de la hiérarchie féodale; et soumis eux mêmes à la loi des fiefs , qui n'étoit guère alors que la loi du plus fort, ils trouvèrent con- stamment des ennemis et des rivaux dans les hommes qui, quelques années auparavant, n'é- toient que leurs mandataires. Cette lutte, qui renversa la deuxième race, a duré jusqu'au règne de Louis XI. A force de sa- gesse dans les conseils, de suite dans les plans, de vigueur dans leur exécution , ce prince et les rois ses prédécesseurs étoient enfin succes- sivement parvenus à réunir les grands fiefs au domaine de la couronne. Mais la réunion de chaque province avoit nécessité la nomination d'un gouverneur ou commandant chargé d*y maintenir l'ordre par l'action de la force publi- que. A peine ces nouveau-x gouverneurs furent-ils établis , qu'ils s'arrogèrent les prérogatives des premiers , et que la troisième race se trouva me- 3/|î2 CHAPITRE DIX-NEUF. nacée d'un événement semblable à celui qui avoit renversé la seconde. On a peine à concevoir de pareils excès. Pour y croire , il faut lu e les ordonnances qui les ont réprimés; on y voit que les gouverneurs et lieu- tenants-généraux pour le roi donnoient dans leurs commandements des lettres de grâce, de pardon , de légitimation, d'ennoblissement, dt foires et marchés; qu'ils nommoient aux offices de notaires et sergents ; qu'ils s'efforçoient de connoître des affaires tant civiles que criminelles de partie à partie^ et qu'ils évoquoient les causes pendantes devant les juges ordinaires. Cet ordre de choses appartient au quinzième siècle. L'ordonnance de i499 (*)» ^"^ ^^^^ ^^ ^^^ écarts le tableau que nous venons de tracer , les proscrit de la manière la plus impérative. Les cours de parlement n'avoient pas attendu que cette ordonnance de i499 éveillât leur zèle pour la conservation des droits de la couronne. On voit en effet qu'en 1484 i lorsque Louis XII , alors duc d'Orléans, présenta au parlement ses lettres de gouverneur de Paris, cette cour ne (i) Art. 70. Il faut y joindre l'art. 42 de celle de iSia. L'une et l'autre sont rapportées dans le tome 3 du Recueil de Fon- tanon , p. 83G. CHAPITRE DIX-NEUF. ^45 voulut les enregistrer qu'après que ce prince eut fait serment de ne rien entreprendre ni sur son autorité ni contre la justice ordinaire. En i5i4 et en iSig, la même cour- exigea un semblable serment du duc de Vendôme et du comte de Saint - Pol , nommes successivement gouverneurs de Paris. Placés sous les yeux du prince, comprimés par l'autorité toujours agissante du parlement , Ips gouverneurs de Paris ne paroissent pas avoir tenté de franchir les bornes de leurs pouvoirs ; mais dans les provinces, les entreprises conti- nuèrent, les vexations se multiplièrent au point que les états du royaume, successivement assem- blés à Orléans, à Moulins et à Biois , en firent le sujet le plus grave de leurs doléances. Les ordonnances rendues sur ces plaintes re- nouvellent les dispositions des précédentes; celle de Biois porte fi) : « Avons déclaré que lesdits te gouverneurs ne peuvent et leur défendons don- ce ner aucunes lettres de giace, pardon, légitima- it tion , foires et marchés, et autres semblables ^ « d'évoquer les causes pendantes par-devant les « juges ordinaires , leur interdire la connoissance « d'icelles et s'entremettre aucunement du fait de (i) Ordonnance de Blois de iJjg, art. 27. 344 CHAPITRE DIX-NEUF. a la justice; leur enjoignons toutefois , où besoin « seroit, de prêter aide et secours de force militaire « à justice, pour rexëcution des sentences et ju- « gements de nos prévôts de Paris, baillifs et sé- « néchaux , et arrêts de nos parlements ; et tenir « les pays à eux commis en sùretê, les garder de (f pilleries, visiter les places fortes , et nous avèr- es tir des entreprises qu'on pourroit faire en nos « royaumes , pays et terres de notre obéissance , « qui sont de leurs gouvernements. » Après la publication de cette ordonnance , les cours de parleiDent, qui, depuis un siècle, dé- ployoient contre les gouverneurs tout ce qu'elles avoient d énergie, redoublèrent d'efforts, et, puissamment secondées par l'autorité royale, elles les obligèrent enfin à reconnoître que le droit de donner des lettres de grâce, d'ennoblissement et de légitimation , appartient exclusivement à la couronne. Mais il ne fut pas si facile d'arrêter leurs en- treprises sur l'autorité judiciaire. On voit, par l'article 209 de l'ordonnance de 1629, qu'à celte époque le roi recei^oit des plaintes de divers endroits des fréquents empêchements donnés par les gouverneurs à V exécution des sen- tences et arrêts tant des Juges ordinaires que des cours de parlement. CH APTTRE DIX-JsEUF. 0/}5 Il falloit donc un remède plus efficace que les simples défenses portées dans Tédit de 1499 et dans les célèbres ordonnances d'Orléans, de Mou- lins etdeBlois. Ce remède, on le trouva en ordon- nant, sous des peines graves, non seulement aux parlements, mais auxjuges ordinaires, d'informer de toutes les vexations que les gouverneurs et commandants des places pourroient commettre. Ces injonctions sont consignées dans l'art. 204 de l'ordonnance de 1629 , que nous croyons de- voir transcrire. « S'il est fait. plainte contre aucun de ceux qui «commandent aux places fortes, de quelques « violences commises sur nos sujets, enjoignons «à nos juges ordinaires des lieux, à peine de « privation de leurs charges, de recevoir lesdites « plaintes de ceux qui s'adresseront à eux, et d'en a informer, et les informations étant faites, les « envoyer cloî^es et scellées aux procureurs géné- « raux de nos parlements, au ressort desquels ils « seront, pour être, par nosdits parlements, pro- « cédé contre ceux qui se trouveront avoir com- « mis lesdites vitJences , suivant la rigueur des « ordonnances; enjoignons , à cette fin, à nosdits « procureurs généraux de faire toutes les pour- « suites nécessaires, à peine d'en répondre en leur « propre et privé nom. » 346 CHAPITRE DIX-NEUF. Cette mesure en imposa. L'usurpation n'osa plus se montrer à découvert ; mais, toujours agissante, elle minoit sourdement ses digues, et les auroit de nouveau renversées , si les rois ne les avoient continuellement raffermies par des règlements qui, toutes les fois que les gouverneurs tentoient quelques entreprises sur l'ordre public et sur l'autorité judiciaire , les réprimoient à l'instant même. Ces règlements existent ; tous , conformes à celui donné le 8 mars i635 (i) sur les repré- sentations du parlement de Provence , font les défenses les plus expresses aux gouverneurs et lieutenants généraux des provinces de prendre connaissance des affaires de justice ,. . . . d'en- treprendre de casser , surseoir , ni empêcher di- rectement ni indirectement V exécution des ar' rets.... d'élargir les prisonniers , les changer de prison , ni faire emprisonner aucuns de leur auto- rité sans ordonnance précédente de justice , ni les envoyer dans les châteaux et forteresses, ni donner retraite dans les places fortes à ceux contre les- quels il j a décret de justice. (i) Il est rapporté en entier par Boniface , tome 3 , liv. i ; tlt. 5, chap. I. FIN. TABLE DES CHAPITRES. Introduction. De l'Administration de la Justice en France, et du Conseil d'Etat, depuis l'éta- blissement de la Monarchie jusque vers la fin du quinzième siècle. Page r §. I. De l'Administration de la Justice en France , et du Conseil d'Etat, depuis l'ccablibscment de la Monar- chie jusqu'à la fin de la seconde Race. 4 §. II. De l'Administration de la Justice et du Conseil d'Etal depuis Hugues Capet jusqu'en 1270. 19 §. III. De l'Organisation judiciaire et du Conseil d'Elat depuis l'an 1270 jusqu'en i3o2. 87 §. IV. Du Parlement depuis i3o2 jusqu'en i363. 48 §. V. Détails historiques sur le Conseil d'Etat , depuis le commencement du quatorzième siècle jusqu'à l'cta- blissement du Grand-Conseil en i497' ^7 Chapitre I. De l'Autorité judiciaire, de son Ob- jet, et de son Influence. 71 Chap. II. Le Prince doit-il s'immiscer dans l'exer- cice de l'Autorité judiciaire? 81 Cdap. III. Exception à la règle élahlie dans le 348 TABLE Chapitre précédent. Les Princes peuvent juj^er eux-mêmes toutes les fois que le droit en litige tient à l'essence de la Monarchie , ou en dérive immédiatement. Page 89 Chap. IV, Que l'Autorité judiciaire se compose de deux éléments, la Jurisdiction et le Com- mandement. Définition de la Jurisdiction. Du Commandement uni à la Jurisdiction, de son étendue, et de ses effets. ici Chap. V. Des Juges , des Qualifications qui les distinguent , et de la Hiérarchie qui existe entre eux. 107 Chap. VI. Des Prérogatives attachées à l'exercice de l'Autorité judiciaire. ii3 Chap. VII. Du Ministère puhlic. 120 Chap. VIII. Des différentes espèces de Juris- diction. i39 Chap. IX. De la Jurisdiction contentieuse et de la Jurisdiction volontaire. 142 Chap. X. De la Jurisdiction propre et de la Juris- diction déléguée. i4»^ Chap. XI. De la Jurisdiction ordinaire et de la Jurisdiction extraordinaire. i5t> Chap. Xll. Des Tribunaux d'exception , et parti- culièrement des Conseils de Préfecture. i63 Chap. XIII. Suite des deux Chapitres précédents; DES MATIERES. 349 Conséquences qui en résultent, et du Droit de territoire. Page 17? Chap. XIV. De la Prorogation de la Jurisdiction. Sa définition. Deux espèces de Prorogation; l'une volontaire, l'autre légale. Deux sortes de Prorogation volontaire. De la Prorogation lé- gale, ou de la Reconvention. i83 §. I. De la Prorogation volontaire. i85 §.II. De la Prorogation légale, ou de la Reconvention. 193 Chap. XV. De la Jurisdiction en dernier ressort, et des Cours d'appel. 2o3 Chap. XVI. De la Rétractation et de la Cassation des Jugements en dernier ressort. 226 Sect. I. Des Circonstances dans lequelles on peut se pourvoir contre les Jugements en dernier ressort , et des Voies successivement ouvertes pour en obtenir la réformation. 229 Sect. II. Des Supplications et des Lettres de grâce de dire contre les arrêts. Ces lettres étoienl expédiées en chancellerie. aBi Sect. III. Les lettres de grâce de dire contre les arrêts prennent, vers l'an i344, la dénomination de Lettres ^e proposition d'erreur. Ces lettres étoient la seule manière de se pourvoir contre les jugements en dernier ressort , pour erreur de fait et pour erreur d\^ droit . c'est-à-dire, pour contravention aux lois. Elles étoient adressées au parlement, seul réformateur de ses arrêts, sous la présidence du roi ou de ses commissaires. Des 35o TABLE Séances royales. Qu'il ne faut pas les confondre avec les lits de justice. Page 236 Sect.IV. Influence des Désordres du règne de Char- les VI sur raulorité de la chose jugée. 24^ Sect.V. Règne de Charles VII. Retour aux principes. Louis XI les méconnoit souvent, et cependant affermit l'indépendance de la magistrature. Création de plu- sieurs Parlements. Influence de cette innovation. Mau- vaise administration des chanceliers Duprat et Poyet. 248 Sect. VI. Résumé de ce qui vient d'être dit. Les rois ayant , vers la fin du quatorzième siècle , abandonné l'usage d'assister aux jugements des propositions d'er- reur, la réforme des erreurs de droit, c'est-à-dire, dei contraventions aux lois, rentroit naturellement dans le domaine du conseil d'état. Cependant les Ordon- nances antérieures au seizième siècle sont muettes sur la cassation des arrêts pour violation des lois. Motifs de leur silence à cet égard. 254 Sect. VII. Etat de cette partie de la Jurisprudence , depuis la fin du quinzième siècle jusqu'à l'ordonnance de Pilois. Première innovation. On dislingue les erreurs de fait qui peuvent inculper les juges, de celles qui pro- cèdent du dol des parties, delà négligence oudel'impé- ritie de leurs défenseurs. On ouvre, contre ces dernières, un nouvearu recours, que l'on appelle Lettres en forme de requête civile. Ainsi, à dater de cette époque, deux manières d'attaquer les arrêts pour erfeur de fait : la proposition d'erreur et la requête civile. De la forme de ces lettres , et de la manière de les obtenir. Autre innovation. Lettres pour être reçu à alléguer griefs , t DES MATIERES. 35 I nullités et contrariétés. Ces lettres abolies par les chan- celiers Olivier et Lhopital. Caractère de ces deux grands hommes. Dispositions des Ordonnances d'Orléans et de Moulins. Edit interprétatif de la seconde. Page 2.^9 Sect. VIII. Dispositions de l'ordonnance de Blois. Toutes les voies ouvertes contre les arrêts réduites à trois : la proposition d'erreur, la requête civile, et la cassation. 2G9 Sect. IX. Ordonnance de 1667. Abolition de la pro- position d'erreur. Plus de ressources contre les erreurs de fait dont on voudroit inculper les juges. La requête civile et la cassation sont seules conservées. De la Re- quête civile. 273 Sect. X. De la cassation des Jugements en dernier ressort. 278 Chap. XVII. Du Pouvoir administratif envisagé dans ses rapports avec l'Autorité judiciaire. 298 Chap. XVIII. De la Police. 3ia Chap. XIX. Du Commandement militaire envi- sagé dans ses rapports avec l'Autorité judiciaire. 338 FIN DE LA. TABLE. La Bibliothèque Université d'Ottawa Echéance The Librory Unirersity of Ottawo Date due
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