Lors de sa prestation télévisée du 16 février dernier le président de la République a de nouveau appelé à une réforme du droit pénal des enfants. Ce serait la 8° ou la 9° depuis 2002. L’encre de la dernière -à travers la loi LOPPSI II en cours d’examen par le Conseil constitutionnel - n’est même pas encore sèche. L’idée du Chef de l’Etat est bien d’en finir avec un droit spécifique pour les adolescents 16-18 ans qu’il présente comme plus matures que par le passé au prétexte qu’ils sont plus grands et forts que les générations précédentes. L’argument scientifique vaut déjà son pesant de cacahuètes ! En tout cas, le ministre de la justice a dû faire fissa pour répondre à la (nouvelle) commande présidentielle afin de tenir l’échéancier annoncé pour un vote avant l’été 2011.
On passage il abandonne l’idée d’un Code de justice pénale pour les mineurs qui, dans la foulée du rapport Varinard remis le 3 octobre 2008 à Mme Dati, devait se substituer à l’ordonnance du 2 février 1945 sur la jeunesse délinquante pour « refonder » notre droit. A défaut d’avoir définitivement réglé la délicate question de la garde à vue et d’avoir tranché les non moins difficiles questions du devenir du juge d’instruction et du statut du parquet qui conditionnaient l’adoption de ce Code, on continuera donc la démarche de démantèlement, pierre par pierre, de l’édifice législatif élaboré depuis 1912. Plus question donc de révolutionner la justice pénale des mineurs en supprimant le juge des enfants comme acteur central de cette justice au profit du procureur : on en reste à la stratégie consistant à vider petit à petit de son contenu la réponse spécifique du fait de leur minorité prévue pour les 16-18 ans. On a déjà bien avancé en ce sens ces dernières années. M. Mercier propose un nouveau pas décisif. Faut-il rappeler que deux lois votées en mars et septembre 2007 ont quasiment privé les 16-18 ans du bénéfice de l’excuse de minorité qui veut que la peine encourue par un enfant soit la moitié de celle encourue à fait égal part un majeur. Soit le juge peut leur retirer le bénéfice de l’excuse de minorité en estimant que les faits sont particulièrement graves, soit la loi en prive automatiquement aux mineurs doublement récidivistes … quitte au juge à oser leur en rétablir le bénéfice. En pratique, avec ces deux textes, on est en quasiment rendu à la majorité pénale à 16 ans pour certains jeunes.
On avait déjà privé le juge des enfants de la liberté d’appréciation quant aux suites à donner certaines procédures concernant les 16-18 ans. La loi veut que si la peine encourue est de 7 ans au moins (par exemple, pour le vol d’un téléphone portable arraché par un jeune aidé d’un complice), le jeune doit obligatoirement être renvoyé devant le tribunal pour enfants pour y encourir une peine quand en cabinet le juge des enfants ne peut prononcer que des mesures éducatives. Peu importe que depuis les faits, grâce au juge, aux travailleurs sociaux, à ses parents et à ses propres efforts, le jeune soit revenu à un meilleur esprit en passe plus à l’acte. On se prive ainsi du levier consistant à dire au jeune qu’on tiendra compote de son évolution après les faits. Ajoutons à ces textes, le dispositif des peines-plancher applicable aux mineurs come aux majeurs qui lui aussi vise à brider la capacité d’appréciation judiciaire. On a fait mieux avec les lois de 2002 et de 2007 avec l’introduction de la procédure de présentation immédiate devant le tribunal pour enfants qui permet au procureur de la République de ne même plus saisir un juge des enfants au mépris de l’article 5 de l’ordonnance du 2 février 1945 qui veut que l’instruction soit obligatoire pour les mineurs. On se prive ainsi du temps pour faire évoluer le jeune grâce à une démarche éducative tenue pour inutile. On veut juger vite pour juger fort. On le jugera sur les faits et non, plus sur l’évolution de sa personne. En renonçant au délai minimum d’un mois prévu par la loi pour cette audience fixée par le parquet, à condition que ses parents et son avocat y renoncent également, ce jeune peut etre jugé à la première audience utile, soit quasiment d’un jour à l’autre dans une grosse juridiction.
Avec LOPSSI II un pas symbolique est franchi qui aurait valu il y a quelques années de mettre en nombre magistrats , travailleurs sociaux et avocats sur le pavé de la place Vendôme au nom d’un texte liberticide : on introduit carrément la comparution immédiate pour les mineurs. A l’initiative du parquet, le mineur de 16-18 ans au moment des faits, s’il est déjà connu de la juridiction dans les 6 derniers mois, pourra être présenté au tribunal pour enfants - et non au juge des enfants -, sauf faits criminels, pour y être jugé. Sous entendu là encore pour voir prononcé à son encontre une peine de prison ferme ou avec mise à l’épreuve. On en est donc quasiment rendu au flagrant délit. Comme pour les majeurs. Avec les limites de cette démarche : un jugement à l’émotion et surtout en se privant du temps pour transformer la situation. On est en contradiction avec ce qui fait la spécificité du droit pénal des enfants. Il est piquant de voir le Garde des Sceaux affirmer qu’il faudra revoir cette procédure pour l’accélérer encore alors même qu’elle vient à peine d’être adoptée par le Parlement, qu’elle n’a pas encore l’aval du Conseil Constitutionnel et surtout qu’elle n’est pas encore entrée en application et que dès lors il est difficile d’en apprécier l’impact. Que pourra-t-on gratter de plus ? Ouvrir cette procédure aux primo-délinquants ? S’en serait fait du droit pénal des mineurs. Quitte à aller vite on pourrait encore songer à transférer le pouvoir de juger au maire du domicile ou de la commission des faits en étendant les compétences qui lui ont été accordées par les lois de 2005 et 2007 ! Au passage, on peut être surpris de cette manière de faire la loi. M. Benisti, parlementaire UMP en mission qui n’a pas la réputation d’être un doux laxiste dénonce lui-même dans un récent rapport sur la prévention de la délinquance juvénile (décembre 2010), cette inflation législative et ce prurit répressif. Mais il y a d’autres points préoccupants dans ce qui est avancé par M. Mercier pour le printemps. Ainsi, par-delà quelques mesures de bon sens comme celle de légaliser la constitution d’un dossier de personnalité pour chaque jeune, le ministre de la justice reprend l’idée qu’on croyait abandonnée d’un tribunal correctionnel pour mineurs qui, composé de deux magistrats classiques et d’un juge des enfants, aurait demain à juger les plus de 16 ans.
Sous entendu, le tribunal pour enfants composé aujourd’hui juge des enfants et de deux assesseurs serait trop laxiste ! La remarque est piquante quand le président de la République demande à son Garde des sceaux d’introduire avant l’été des juges populaires en correctionnelle. On dispose de tels jurés populaires à travers les assesseurs des tribunaux pour enfants, et on entend les cantonner aux 13-16 ans et les supprimer pour les 16-18. Où est la cohérence ? La contradiction ne saute-t-elle pas aux yeux du ministre de la justice ? D’autant qu’il lui faudra franchir l’obstacle du Conseil Constitutionnel qui estime formellement depuis sa décision du 29 aout 2002 que les moins de 18 ans doivent bénéficier d’une spécificité de juridiction. On peut douter qu’un juge spécialisé sur trois réponde à cette exigence de principe. Il faut que le parlement refuse nettement cette disposition. Disons le nettement une fois de plus : la France s’est engagée dans une mauvaise voie en voulant aligner le statut des 16-18 ans sur celui des majeurs.
Elle commet une erreur sur le terrain psychologie : la taille et le poids ne font pas la maturité. Elle viole l’esprit et la règle des articles 37 et 40 de la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989. Par deux fois déjà en 2004 et 2008 le Comité des experts de l’ONU a déjà eu l’occasion de lui dire solennellement en condamnant cette orientation. Pour des raisons purement idéologiques et sur la base d’une approche scientiste on s’est attelé à démanteler notre droit des enfants. On entend contourner la position adoptée par le Conseil Constitutionnel en n’hésitant pas à forcer le trait. On avait eu quelques illustrations de cette démarche avec le projet Ciotti de rendre pénalement responsables les parents du non respect par leurs enfants des contraintes judiciaires ou de leur récidive ; encore récemment avec la proposition de loi Estrosi d’abaisser l’âge de la majorité pénale quand le Conseil constitutionnel a clairement affirmé que la loi de 1906 fixant à 18 ans cette majorité avait valeur de principe constitutionnel. Faut-il rappeler que le Conseil est loin d’être assoupi. En un trait de plume, il a annulé récemment la loi portant ratification, de l’accord franco-roumain qui visait à faire réexpédier des enfants sur simple décision du parquet sans voir un juge les privant ainsi d’un recours ! Il peut encore mettre à bât des textes mal ficelés tel que celui qui s’annonce. Apparemment ceux qui nous gouvernent n’en ont cure ! Il faut montrer à une certaine opinion que l’Etat à travers eux est ferme.
Notre justice des enfants est bien plus performante qu’on ne veut bien l’affirmer. Peu de jeunes qui ont été délinquants le temps de leur minorité le sont une fois devenus majeurs s’ils ont été bien pris en charge dans une démarche éducative. Il ne faut pas revenir au XIX° siècle comme nous y courrons réforme après réforme depuis 2002, mais au contraire il réunir les moyens de mieux encore appliquer la loi. Rien ne justifie qu’on continue à démanteler notre justice des enfants, sauf le souci en pré campagne électoral de jouer sur la corde sensible des jeunes bafouant la loi avec le soutien plus ou moins explicite de parents qualifiés rapidement de démissionnaires. En arrière fond, pas très loin, on trouve la représentation des banlieues, terreau de la violence et de l’immigration source de délinquance.. En tout cas, le pays n’a rien à gagner à une telle reforme. Il prend encore le risque de perdre de son crédit international quand notre dispositif a singulièrement servi de référence à l’extérieur. PS : A lire« Quelles réponses à la justice des mineurs ? », Claude Goasguen, député UMP du XVI° arrondissement de Paris et JP Rosenczveig, président du TE de Bobigny, 2010, La Croix-Autrement
Justice des enfants : le démantèlement continue (414)
A découvrir aussi
- La justice pénale internationale : les promesses de la lutte contre l’impunité
- Attribution du prix de thèse du Conseil constitutionnel 2014
- L'appréciation de l'âge exact d'un mineur (jurisprudence)
Retour aux articles de la catégorie information jdu jours -