Justice et incohérence
Justice et incohérence
Le gouvernement Harper semble n'en avoir que pour l'économie ces jours-ci, mais depuis la présentation du budget, on constate qu'il n'a pas perdu de vue une de ses marottes et marques de commerce: la lutte contre la criminalité. Des projets de loi ont été présentés, des décisions prises, et l'on ne s'y trompe pas, les conservateurs n'ont rien perdu de leur vision idéologique ni de leurs visées partisanes. Il faudra cependant repasser pour ce qui est des politiques publiques fondées sur les faits, la science ou la cohérence des principes.
Commençons par les plus récentes décisions. Vendredi dernier, le gouvernement a annoncé qu'il ne porterait pas en appel une décision de la Cour fédérale l'obligeant à abandonner sa politique du cas par cas au sujet des Canadiens condamnés à mort à l'étranger. Selon la cour, tous ont droit à son aide pour tenter de faire commuer leur sentence en peine d'emprisonnement. Pour le Canadien Roland Smith, condamné à mort au Montana pour le meurtre crapuleux de deux autochtones, il s'agit d'un revirement important puisque les conservateurs ont cessé de l'appuyer sous prétexte que les États-Unis étaient une démocratie et avaient un système judiciaire équitable.
Selon la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ottawa va de nouveau aider M. Smith, mais «le gouvernement du Canada continuera de considérer s'il demandera la clémence pour les Canadiens condamnés à mort à l'étranger au fur et à mesure que les cas surviendront». C'est exactement ce genre de politique du cas par cas que la cour a rejeté. Faut-il comprendre qu'Ottawa n'a pas l'intention de se soumettre au jugement de la cour, mais s'y pliera dans le cas de M. Smith parce qu'il est à l'origine de cette décision? Veut-on seulement gagner du temps, en espérant que le prochain cas passera inaperçu? Quand on s'oppose à la peine de mort, on s'y oppose en toutes circonstances.
Toujours vendredi, le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a fait savoir qu'il ne signerait pas les documents de voyage qui auraient permis au Canadien d'origine soudanaise Abousfian Abdelrazik de revenir au Canada en fin de semaine. L'homme poserait un risque pour la sécurité nationale, a-t-il dit. On se demande bien de quel risque il parle puisque la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ont écrit qu'ils n'avaient rien associant cet homme à des activités criminelles. Ottawa a-t-il tiré une conclusion contraire parce que M. Abdelrazik figure sur une liste d'interdiction de vol? Le Canada a pourtant tenté d'y faire biffer son nom en 2007, sans succès.
De plus, une résolution des Nations unies précise que cette liste ne peut empêcher un pays de rapatrier un de ses citoyens. De quelle sécurité nationale parle-t-on alors? Sûrement pas de celle du Canada puisque le pauvre homme vit à l'ambassade canadienne à Khartoum depuis mai 2008. Grosse menace...
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Et il y a ce projet de loi présenté la semaine dernière pour mettre fin à l'enregistrement des carabines et des fusils de chasse. Rien ne justifie cet abandon. Aucune étude, aucune statistique. En plus, les policiers s'y opposent. Qu'importe, les conservateurs restent fidèles à leur promesse et courtisent leur base.
Il en va de même pour ce projet destiné à éliminer la possibilité pour les juges de compter en double les années passées en détention préventive. Actuellement, ce calcul permet, si le juge l'estime approprié, de réduire la sentence imposée à un condamné. Tous les partis d'opposition ont donné leur accord de principe, ce qui n'en fait pas une mesure judicieuse pour autant. Elle est beaucoup plus une réponse à l'impression bien ancrée que trop de condamnés s'en tirent à bon compte et étirent même les procédures pour voir leur sentence réduite par la suite. Il y a des cas de ce genre, mais aucune étude n'a été fournie pour le démontrer. Qu'importe, au lieu d'étudier le problème pour y trouver une solution nuancée et mesurée, le gouvernement a opté pour la totale élimination de la discrétion judiciaire. Le choix est simple, accrocheur et rentable politiquement, mais est-il juste?
À la fin février, le ministre de la Justice, Rob Nicholson, a présenté deux projets de loi imposant des sentences minimales et plus musclées aux personnes reconnues coupables de crimes liés au gang, à la drogue ou perpétrés avec une arme à feu. À plusieurs égards, les mesures étaient inutiles puisque les crimes visés étaient déjà ciblés par le Code criminel. Certaines, par contre, étaient bienvenues. Mais encore une fois, la nuance a cédé le pas à l'argument politique et partisan, afin de plaire à la base réformiste et allianciste, et peut-être à des électeurs urbains traditionnellement réfractaires aux conservateurs.
Le portrait de la criminalité au Canada change avec l'émergence des gangs de rue, la montée de certains crimes, mais aussi la diminution de beaucoup d'autres. La donne évolue aussi en matière de sécurité nationale. Les outils pour s'attaquer à ces problèmes doivent être ajustés en conséquence. Une réponse unidimensionnelle et centrée sur la répression entretient l'illusion que la solution est simple. Elle a aussi le défaut de nier des réalités complexes et de prendre des libertés avec certains principes fondamentaux. Et ce ne sont pas des fantômes qui en souffrent, mais des Smith, des Tremblay et des Abdelrazik.
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mcornellier@ledevoir.com
Commençons par les plus récentes décisions. Vendredi dernier, le gouvernement a annoncé qu'il ne porterait pas en appel une décision de la Cour fédérale l'obligeant à abandonner sa politique du cas par cas au sujet des Canadiens condamnés à mort à l'étranger. Selon la cour, tous ont droit à son aide pour tenter de faire commuer leur sentence en peine d'emprisonnement. Pour le Canadien Roland Smith, condamné à mort au Montana pour le meurtre crapuleux de deux autochtones, il s'agit d'un revirement important puisque les conservateurs ont cessé de l'appuyer sous prétexte que les États-Unis étaient une démocratie et avaient un système judiciaire équitable.
Selon la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ottawa va de nouveau aider M. Smith, mais «le gouvernement du Canada continuera de considérer s'il demandera la clémence pour les Canadiens condamnés à mort à l'étranger au fur et à mesure que les cas surviendront». C'est exactement ce genre de politique du cas par cas que la cour a rejeté. Faut-il comprendre qu'Ottawa n'a pas l'intention de se soumettre au jugement de la cour, mais s'y pliera dans le cas de M. Smith parce qu'il est à l'origine de cette décision? Veut-on seulement gagner du temps, en espérant que le prochain cas passera inaperçu? Quand on s'oppose à la peine de mort, on s'y oppose en toutes circonstances.
Toujours vendredi, le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a fait savoir qu'il ne signerait pas les documents de voyage qui auraient permis au Canadien d'origine soudanaise Abousfian Abdelrazik de revenir au Canada en fin de semaine. L'homme poserait un risque pour la sécurité nationale, a-t-il dit. On se demande bien de quel risque il parle puisque la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ont écrit qu'ils n'avaient rien associant cet homme à des activités criminelles. Ottawa a-t-il tiré une conclusion contraire parce que M. Abdelrazik figure sur une liste d'interdiction de vol? Le Canada a pourtant tenté d'y faire biffer son nom en 2007, sans succès.
De plus, une résolution des Nations unies précise que cette liste ne peut empêcher un pays de rapatrier un de ses citoyens. De quelle sécurité nationale parle-t-on alors? Sûrement pas de celle du Canada puisque le pauvre homme vit à l'ambassade canadienne à Khartoum depuis mai 2008. Grosse menace...
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Et il y a ce projet de loi présenté la semaine dernière pour mettre fin à l'enregistrement des carabines et des fusils de chasse. Rien ne justifie cet abandon. Aucune étude, aucune statistique. En plus, les policiers s'y opposent. Qu'importe, les conservateurs restent fidèles à leur promesse et courtisent leur base.
Il en va de même pour ce projet destiné à éliminer la possibilité pour les juges de compter en double les années passées en détention préventive. Actuellement, ce calcul permet, si le juge l'estime approprié, de réduire la sentence imposée à un condamné. Tous les partis d'opposition ont donné leur accord de principe, ce qui n'en fait pas une mesure judicieuse pour autant. Elle est beaucoup plus une réponse à l'impression bien ancrée que trop de condamnés s'en tirent à bon compte et étirent même les procédures pour voir leur sentence réduite par la suite. Il y a des cas de ce genre, mais aucune étude n'a été fournie pour le démontrer. Qu'importe, au lieu d'étudier le problème pour y trouver une solution nuancée et mesurée, le gouvernement a opté pour la totale élimination de la discrétion judiciaire. Le choix est simple, accrocheur et rentable politiquement, mais est-il juste?
À la fin février, le ministre de la Justice, Rob Nicholson, a présenté deux projets de loi imposant des sentences minimales et plus musclées aux personnes reconnues coupables de crimes liés au gang, à la drogue ou perpétrés avec une arme à feu. À plusieurs égards, les mesures étaient inutiles puisque les crimes visés étaient déjà ciblés par le Code criminel. Certaines, par contre, étaient bienvenues. Mais encore une fois, la nuance a cédé le pas à l'argument politique et partisan, afin de plaire à la base réformiste et allianciste, et peut-être à des électeurs urbains traditionnellement réfractaires aux conservateurs.
Le portrait de la criminalité au Canada change avec l'émergence des gangs de rue, la montée de certains crimes, mais aussi la diminution de beaucoup d'autres. La donne évolue aussi en matière de sécurité nationale. Les outils pour s'attaquer à ces problèmes doivent être ajustés en conséquence. Une réponse unidimensionnelle et centrée sur la répression entretient l'illusion que la solution est simple. Elle a aussi le défaut de nier des réalités complexes et de prendre des libertés avec certains principes fondamentaux. Et ce ne sont pas des fantômes qui en souffrent, mais des Smith, des Tremblay et des Abdelrazik.
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mcornellier@ledevoir.com
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