L'Angleterre élit ses «shérifs»
Pour la première fois, les chefs de la police locale sont élus au suffrage universel
Correspondant à Londres
Cela devait être une réforme démocratique majeure, cela risque de tourner au fiasco. Selon les prévisions, moins de 20 % des électeurs auraient l'intention de se rendre aux urnes ce jeudi, en Angleterre et au pays de Galles, malgré le caractère historique du vote. Pour la première fois, ils peuvent élire directement leurs chefs de la police. Le projet du gouvernement Cameron, voté en 2011, peine à intéresser le public. Il vise à remplacer les «police authorities», des cénacles d'élus locaux et de magistrats cooptés, par un puissant Police and Crime Commissioner (PCC) élu au suffrage universel, à la tête de chacune des 41 forces de police régionales du pays, à l'exception de celle de Londres, sous l'autorité du maire.
Ce nouveau «shérif» à l'américaine élu pour quatre ans définira la stratégie des forces de l'ordre, sera responsable du budget, nommera et pourra révoquer le commandant de la police. Pas question en revanche qu'il intervienne dans la conduite des opérations ou les enquêtes. «C'est la plus importante réforme démocratique de notre vie, estime Damian Green, ministre de la Police. Il s'agit de donner une voix aux citoyens, notamment les victimes de délits ou de crimes, et de rendre la police responsable. L'objectif est aussi de réduire la bureaucratie. La police ne peut pas lutter contre la criminalité si elle reste dans un bureau à faire des statistiques. On a vu cette méthode fonctionner efficacement dans d'autres pays.»
Le système vise à promouvoir la transparence, alors que les différentes polices du pays ont souvent été mêlées à des scandales. Dans le drame du stade de Sheffield en 1989, 2.400 policiers du South Yorkshire sont suspectés d'avoir incriminé les victimes (96 morts) pour tenter de justifier la faillite des secours et des forces de l'ordre. On découvre en ce moment l'apathie de plusieurs forces de police dans les enquêtes sur des affaires de pédophilie entre les années 1970 et 1990. Il y a eu aussi leur lenteur à réagir aux émeutes de l'été 2011, qui avait conduit à l'embrasement de nombreux quartiers.
Politisation
La réforme est pourtant très contestée. Les centristes du Parti libéral-démocrate, malgré leur appartenance à la coalition gouvernementale, sont fort discrets sur le sujet et ne présentent des candidats que dans une petite partie des circonscriptions. L'opposition travailliste n'en voit pas l'intérêt du tout. «Le Labour s'est constamment opposé à ces projets car nous croyons que c'est une mauvaise politique, une mauvaise priorité à un mauvais moment. Si nous revenions au pouvoir demain, nous arrêterions ce programme et nous investirions à la place dans le recrutement de milliers de policiers supplémentaires», affirme Yvette Cooper, en charge de l'Intérieur dans le «shadow cabinet»travailliste.
Cela n'empêche pas son parti de présenter des candidats dans les 41 régions concernées. Avec ceux du Parti conservateur, ainsi que de plusieurs petits partis, notamment d'extrême droite, l'élection risque de se transformer en consultation politique. Et, à mi-mandat du gouvernement Cameron, en vote sanction. Sur 191 candidats, 134 ont été investis par les partis. Les quelques dizaines d'indépendants se battent avec de faibles moyens contre les appareils. Ils se plaignent notamment de n'avoir pas eu accès aux registres électoraux pour leur campagne. Un quart des candidats sont d'anciens policiers ou militaires. On compte aussi pas mal d'ex-élus locaux, voire des figures nationales comme l'ancien vice-premier ministre de Tony Blair, Lord John Prescott, qui se présente dans le Nord-Est.
En lice sous les couleurs du Parti conservateur à Birmingham, Matt Bennett prône la «zéro tolérance». Ex-conseiller municipal, ce jeune homme blond prétend «incarner un changement en me présentant contre un candidat qui a été en charge de la police depuis la nuit des temps». «Je veux surtout que la police représente vraiment les gens, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, et restaurer la confiance», poursuit-il.
Cette politisation fait lever des sourcils dans une institution fière de son indépendance. Un ancien chef de Scotland Yard, lord Ian Blair, a appelé au boycott des élections. Les professionnels estiment aussi que cette réforme est une mascarade cachant le réel problème auquel ils sont confrontés: la diminution de 20 % de leurs budgets et la réduction d'autant des effectifs. Selon un sondage de Policy Exchange, seulement 34 % des Anglais soutiennent l'élection, autant jugent que c'est une «mauvaise idée» et le reste n'en sait rien, faute d'en avoir entendu parler.
A découvrir aussi
- Les services italiens sont accusés d'espionner des magistrats
- Elena Kagan sur le gril du Congrès
- Agir contre la corruption