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La parole de l’enfant en justice encore déniée

La parole de l’enfant en justice encore déniée (504)

 

 Le Défenseur des droits vient – 16 novembre - d’interpeller la ministre de la justice sur l’audition des enfants par les juges aux affaires familiales. Il s’étonne de ce que les enfants qui demandent à être entendus par leur juge ne puissent pas l’être soit que celui–ci refuse soit qu’il renvoie le recueil de la parole de cette à une enquête sociale.

M. Baudis pose une vraie question : si le droit prend mieux en compte que l’enfant comme toute personne a le droit de s’exprimer, il reste perfectible. Pour autant force est de constater que, déjà et encore, trop de magistrats trouvent tous les prétextes possibles pour ne pas entendre les enfants.

Un droit perfectible

Au risque de surprendre il n’est pas inutile de rappeler qu’il a fallu attendre la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l’enfance pour que soit consacré le droit de l’enfant à être entendu en justice dans toutes les affaires le concernant. Précisons qu’un enfant au sens de la loi est personne âgée de moins de 18 ans.

C’est bien évidemment dans le champ de la séparation parentale – couple marié ou non - que ce texte trouve son application principale car devant le juge des enfants il est acquis de longue date que l’enfant peut être entendu surtout s’il le demande. Il est même en droit de déclencher la procédure de protection en saisissant le juge.

Jusque-là, devant le JAF, l’enfant pouvait demander être entendu et le juge pouvait refuser. Il s’agissait donc plus d’une possibilité que d’un droit

Désormais « Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande.» (Article 388-1 alinéa 2)

Cette disposition a été difficile à obtenir. L’enfant ne sera-t-il pas l’objet de manipulation de la part des adultes ? Elle n’a été adoptée, après de nombreuses pressions, que dans la dynamique de la Convention internationale sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989 dont l’article 12 – un des articles phares – affirme :

« 1. Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

2. A cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’une organisation approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. »

Reste que même dans son écriture de 2007 le législateur français concède cette audition du bout des lèvres. Qu’on en juge !

Article 388 al. 1 :

« Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet. »

Tout logiquement le juge conditionne la demande de l’enfant au fait qu’il ait le discernement, référence juridique classique. C’est le même critère qui conditionne qu’un puisse imputer un délit ou un crime à une jeune personne ou à … une personne vieillissante ; il faut que celui qui a violé la loi pénale ait eu conscience du permis et de l’interdit, du bien et du mal au moment de passer à l’acte. On dit doctement que le discernement  est «l’aptitude de l’esprit à juger clairement et sereinement des choses ».

Reste que la loi ne définit pas un seuil d’âge. Elle demande au juge d’apprécier au cas par cas. Il devra prendre en compte l’âge, la maturité, mais encore le degré de compréhension et le contexte dans lequel évolue l’enfant. J’ai vu à 4 ou 5 ans des enfants être très clairs sur ce qu’ils ressentaient et capables d’exprimer par la parole, certainement pas en faisant de longs discours, mais par des paroles pesées,  leur ressenti et leurs désirs. Quand ce n’est pas la parole ce peut être par le comportement comme cette gamine assise sur les  accoudoirs des fauteuils où étaient installés ses parents prenait d’une main celle de sa mère et de l’autre celle de son père pour bien me montrer qu’elle était attachée à l’un comme à l’autre. Ou encore cette fillette de 4ans qui, installée à la place de  greffière, dessinait pour se donner bonne posture, mais en vérité très attentive aux propos échangés : elle n'hésitait pas à parler dans sa barbe et parfois très haut pour rythmer les échanges qui l'intéressaient et mêler son grain de sel.

Ce discernement le juge peut l‘apprécier par lui-même comme les parents le font au quotidien quand il s’agit d’évaluer si leur enfant est apte à rentrer seul à la maison avec la clé ou s’il doit être attendu à la sortie de l’école ; les commerçants, les policiers, les enseignants l’apprécient également au quotidien chez les enfants qu’ils croisent. De temps en temps, le juge devra recourir à une expertise.

Le juge peut refuser d’entendre l’enfant qui le demande, mais il doit motiver sa décision au regard du cas dont il s’agit. Il devra recevoir le jeune pour évaluer … s’il peut l’entendre.

Le plus grave n’est pas là : le législateur a reconnu le droit au juge de déléguer cette audition préalable pour évaluer le discernement à une tierce personne : un psychologue ou un enquêteur social.

L’audition elle-même peut être déléguée à une tierce personne quand l’intérêt de l’enfant le commande. L’enfant demande à être entendu, on ne voit pas ce que son intérêt vient faire là. Un droit et un droit ; il s’exerce au bon  vouloir de son titulaire. A la SNCF le guichetier ne peut pas refuser de vendre un billet à un client potentiel pour Lille au prétexte qu’il y ferait trop froid et lui vendre un billet  pour Nice où il ferait plus beau !

« Je vous assure ; c’est votre intérêt de ne pas aller à Lille ! « La personne qui veut acheter un billet pour Lille est en droit de l’acheter.

Par ailleurs quand un adulte se rend à l’hôpital ou rencontrer un médecin il  ne se satisfait pas d’être reçu par un infirmier.

C’est un droit de l’homme fondamental que tout justiciable soit entendu par son juge s’il le souhaite.

On voit bien que l’enfant n’est pas encore tenu pour un sujet de droit à part entière dans notre droit.

C’est le refus d’audition de l’enfant qui a pu susciter des inquiétudes du législateur. Tel parent ne faisait-il pas pression sur lui. Que faire ?

La loi s’est prononcée.

Art. 388-1 suite : « Lorsque le mineur refuse d'être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. Il peut être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n'apparaît pas conforme à l'intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d'une autre personne. »

La loi ajoute pour répondre à certains dérapages judicaire que  « L'audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure. »

Le plus important est à la fin : « Le juge s'assure que le mineur a été informé de son droit à être entendu et à être assisté par un avocat. » Comment le juge respecte-t-il cette obligation ? Le courrier adressé à l’enfant lui parvient-il ? Ne faudrait-il pas tout simplement développer des campagnes d’information et de communication sur ces dispositions ? Ce serait sûrement la voie la plus efficace.

Des pratiques contestables

Cette faille législative permet à nombre de juges aux affaires familiales pressés par temps ou inquiets à l’idée d’échanger avec un enfant de se défausser.

Dans les années 90  tel président de chambre de la famille de Bordeaux affirmait urbi et orbi qu’il refuserait systématiquement d’entendre un enfant si celui-ci le demandait.

Le juge peut souhaiter entendre l’enfant sur les points qui le concernent, l’entendre ne signifiant pas se rallier à son point de vie et le laisser décider. Il ne s’agit qu’un avis. L’enfant doit en parallèle pouvoir être entendu par son juge s’il l’estime utile pour lui.

Nous n’en sommes pas encore là.

Le Défenseur des droits a donc raison de s’inquiéter et d’appeler le ministre de la justice à veiller notamment à une meilleure formation des juges, mais, au fait,  ceux-ci ont-ils reçu une formation pour auditionner les personnes âgées, les malades mentaux, les hommes politiques, etc. ?

Est-ce si difficile  d’écouter un enfant qui a des choses à dire ? D’autant qu’il  peut être assisté d’un avocat.

Le juge des enfants le fait régulièrement sans avoir reçu de formation spécifique, mais simplement avec un peu de bon sens et d’expérience humaine. La plupart des magistrats ne sont-ils pas parents ? Et sans être parents sont-ils vraiment incapables de parler avec un enfant !

En vérité ce n’est as tant d’une formation spécifique dont les magistrats ont besoin que d’être convaincus que l’enfant est une personne qui doit pouvoir auditionné en lui ménageant les conditions d’audition dues à sa personne comme on se doit de le faire pour tout justiciable.

On pourrait aussi s’inspirer de ce la police nationale a développé comme pratiques pour auditionner les enfants victimes sous l’impulsion de la capitaine Carole Mariage et du lieutenant Thierry Terraube. Avec à la base beaucoup de bon sens et de finesse. Il faut déjà créer un climat de confiance et convaincre l’enfant que ses dires ne seront pas retournés contre lui. Il faut encore soulager le poids  qui pourrait poser sur ses épaules en lui réaffirmant qu’il ne donne qu’un point de vue, mais qu’il n’est pas décideur. Ce sont à ses parents sous le contrôle du juge de décider. A défaut d’accord ou en cas de mauvais accord, le juge décidera.

Changer la loi à la marge et un brin de sensibilité : on doit pouvoir progresser à peu de frais



04/01/2014
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