Avant de solliciter la mise en place d’un tel mode de résidence, et de pouvoir l’obtenir, il est fondamental de savoir ce qui va guider le Juge lorsqu’il prend sa décision.
Si l’enfant peut demander à être entendu par le Juge (et alors ce dernier n’a pas d’autre choix que de l’entendre dans son cabinet), il arrive très souvent que le magistrat prenne sa décision sans même avoir vu le ou les enfants concernés.
Pour autant, le principe qui guide le magistrat est bien l’intérêt de l’enfant, principe qu’il examine à travers plusieurs critères que l’on peut résumer ainsi : l’âge et la maturité de l’enfant, l’entente entre les parents, la distance entre les domiciles de chaque parent et les caractéristiques matérielles de l’accueil de l’enfant (confort des domiciles, disponibilité des parents…).
Ces critères sont examinés en détail dans le cadre d’un divorce conflictuel (ou d’une séparation conflictuelle entre concubins), c’est-à-dire lorsque l’un des parents demande la résidence alternée et que l’autre parent la refuse.
Dans le cadre d’un divorce amiable, même si les parents sont d’accord sur le principe de la résidence alternée, il revient au Juge de vérifier que les intérêts de l’enfant sont respectés et que la résidence alternée est réalisable. Il se base alors aussi, plus sommairement, sur ces mêmes critères.
Bien évidemment, l’appréciation de ces éléments, dont l’application ne peut pas être mathématiquement rigoureuse, varie d’un magistrat à un autre…
- l’âge et la maturité de l’enfant
Si les généralités sont à bannir en la matière, il n’est pour autant pas très risqué d’avancer le fait suivant : il est assez rare qu’une résidence alternée soit ordonnée alors que l’enfant a moins de trois ans.
Ainsi, la Cour d’appel de DOUAI dans un arrêt en date du 26 mai 2011 ( n° 10/04663) refuse la mise en place d’une résidence alternée pour des enfants âgés de 4 ans et 2 ans.
Dans cette décision, la Cour expose les raisons qui la font considérer le jeune âge des enfants comme un obstacle à ce mode de résidence :
« Il est constant qu’un très petit enfant presque encore bébé a un besoin vital au niveau psychique d’établir dans une continuité un lien sélectif avec un adulte qui réponde à ses besoins physiques et affectifs et que c’est ainsi qu’il peut construire une bonne relation d’attachement. Que si ces conditions de stabilité ne sont pas réunies il pourrait présenter un attachement perturbé traduisant un sentiment de sécurité interne ».
Toutefois, il arrive très souvent que le très jeune âge de l’enfant ne soit pas le seul argument sur lequel se base un magistrat pour refuser la résidence alternée et qu’il le combine avec les éléments ci-dessous.
- l’entente entre les parents
Bien sûr, si Monsieur et Madame sont devant un Juge aux Affaires Familiales, c’est qu’ils ne s’entendent plus. Pour autant, s’ils ne s’aiment plus, ils n’en restent pas moins des parents, qui doivent pouvoir réussir à mettre de côté leurs griefs personnels pour pouvoir continuer à échanger au sujet des enfants.
La mésentente ne sera pas un obstacle en soit à la résidence alternée tant qu’elle n’aura pas de conséquences tangibles sur son organisation. Il n’est pas possible, dans ce cadre, que les parents soient dans l’impossibilité de s’adresser la parole calmement. Une médiation familiale pourra être utile pour faciliter cette communication.
Le magistrat ne fait d’ailleurs pas qu’examiner le degré d’animosité existant entre les parents, il prend aussi en compte la cohérence éducative et la culture parentale. Les règles de vie applicables chez l’un des parents ne doivent pas être à l’opposé de celles en vigueur chez l’autre parent, afin que le quotidien de l’enfant ne soit pas par trop clivé.
Par ailleurs, la résidence alternée sera écartée si cette mésentente fragilise le ou les enfants. Ainsi, la Cour d’appel de Limoges, dans un arrêt du 17 août 2011 (N° 09/01318) explique que : « le bilan psycho-social a mis en évidence la souffrance du jeune Alexandre, lequel est pris dans un conflit de loyauté qui s’exerce dans le cadre de relations exacerbées existant entre ses deux parents et que ceux-ci n’apparaissent pas à même de dépasser, serait-ce dans l’intérêt de leur fils. ».
Il semble en effet assez logique, si les parents sont à couteaux tirés, qu’une résidence alternée ne soit pas la meilleure des solutions, dans la mesure où ce mode de résidence implique de continuer à gérer ensemble le quotidien des enfants.
L’arrêt précité rendu par la Cour d’appel de Douai l’explicitait d’ailleurs en des termes très précis : « la mésentente entre Laurent X et Marylène D est telle qu’ils ne parviennent pas à en extraire leurs enfants et à communiquer raisonnablement à leur propos. Attendu que dans un tel climat conflictuel, les deux enfants ne peuvent pas en permanence passer d’une maison à une autre, semaine après semaine, dans des conditions de sérénité et d’apaisement nécessaires à leur équilibre et à la construction de leur personnalité. »
- la proximité des domiciles des parents
Pour qu’une résidence alternée puisse être mise en place, il est impératif que les domiciles des parents soient proches. Sans cette condition, les autres critères ne sont pas examinés.
Qu’entend-on par « des domiciles proches » ? L’idée principale est que l’enfant doit être près de son école. On raisonne donc en temps de trajet entre chaque domicile et l’établissement scolaire, celui-ci devant être de moins d’une demie heure. Le mode de transport est bien sûr envisagé, trente minutes dans une voiture étant moins fatiguant pour un enfant que trente minutes en RER.
Concrètement, le magistrat vérifie que les parents habitent dans la même commune ou dans des communes limitrophes, voire dans le même arrondissement ou des arrondissements mitoyens pour les Parisiens.
Dans une autre décision de la Cour d’appel de DOUAI en date du 26 mai 2011 (N° 10/08753), les magistrats ont pris en compte ce critère pour écarter la résidence alternée sollicitée par le père : « (les enfants) ont tous deux déploré d’avoir à se lever vers 6 heures du matin chaque jour avant d’effectuer un trajet relativement long jusqu’à chacune de leurs deux écoles et d’attendre dans une salle d’étude parfois longuement jusqu’à ce que commencent les cours ».
Certains parents font preuve d’originalité et, souhaitant moins perturber leurs enfants en leur évitant de changer de domicile toutes les semaines, décident que la résidence alternée sera inversée : ce seront les parents qui, alternativement, habiteront au domicile de leurs enfants.
Cette solution est, en général, peu viable, car elle entraine un coût important pour chaque parent qui ont donc, chacun, deux domiciles à assumer financièrement.
En outre, les contraintes domestiques viennent souvent envenimer la situation (les querelles sur les courses alimentaires et l’entretien du linge des enfants ne manquant pas d’intervenir rapidement…).
Il est parfois imaginé, pour des parents n’habitant pas dans le même pays, d’instaurer une résidence alternée une année chez un parent, une année chez l’autre parent.
Il est assez rare qu’un magistrat accepte cette formule ; pourtant certains le font, lorsqu’elle émane de l’accord des parents. Pour autant, cette solution rencontre souvent certaines difficultés d’application : à la fin de la première année, quand l’enfant doit changer d’école, quitter ses amis et son environnement, les problèmes surgissent…
- les caractéristiques matérielles de l’accueil de l’enfant
Lorsqu’une demande de résidence alternée lui est présentée, le Juge aux Affaires Familiales prend aussi en compte les caractéristiques matérielles de l’accueil de l’enfant.
Ainsi, il faut que chaque parent dispose d’un logement lui permettant d’accueillir confortablement le ou les enfants. Les parents pourront alors produire au magistrat, outre le bail ou l’acte de propriété, des photographies de leur appartement, montrant, par exemple, que l’enfant a une chambre pour lui ou, s’ils sont à plusieurs dedans, que la chambre est vaste.
Ce mode de résidence implique aussi que les enfants aient tout en double, que ce soit les vêtements, les jouets ou encore le matériel scolaire, pour éviter de courir en permanence entre les deux domiciles. Or une telle contrainte représente un coût certain.
Par ailleurs, le Juge aux Affaires Familiales s’assure que la situation professionnelle de chaque parent leur permette d’être assez disponible pour leurs enfants. Car c’est une chose de vouloir avoir ses enfants le même temps que son futur ex conjoint, mais c’en est une autre d’organiser sa nouvelle vie en fonction d’eux…
A titre d’exemple, dans la décision de la Cour d’appel de DOUAI en date du 26 mai 2011 (n° 10/08753) illustre très clairement le raisonnement tenu par le magistrat : « si les deux enfants ont protesté de leur égal amour pour chacun de leur deux parents, ils ont néanmoins tous les deux souligné les difficultés d’ordre matérielles existant lorsqu’ils se trouvent chez leur père, à la nécessité de s’adapter aux horaires professionnelles de leur père qui commence à travailler tôt le matin,Qu’ainsi, ils ont tous les deux déploré d’avoir à se lever vers 6 heures du matin chaque jour avant d’effectuer un trajet relativement long jusqu’à chacune de leurs deux écoles et d’attendre dans une salle d’étude parfois longuement jusqu’à ce que commencent les cours, Qu’Alexis a en outre indiqué que lorsqu’il passe la semaine chez son père, il doit l’attendre en permanence environ une heure à la sortie des classes,Que Luanne a indiqué que son frère et elle ne peuvent guère profiter de leur père lorsqu’ils se trouvent à son domicile (en dehors des fins de semaine) dès lors qu’ils doivent toujours se presser, qu’ils n’ont pas le temps de parler et que le soir ils sont fatigués,Attendu que les deux enfants ont souligné que ces difficultés n’existaient pas lorsqu’ils se trouvaient chez leur mère qui habite à proximité de leurs écoles respectives et dont les contraintes horaires sont inexistantes, Attendu qu’il est regrettable que Luc Z… n’ait pu s’organiser pour atténuer ses contraintes professionnelles au niveau de ses horaires afin de les rendre plus compatibles avec la vie scolaire de ses enfants,Que si les enfants sont certes fort adaptables (…), il est opportun de ne point abuser de cette faculté d’adaptation quand il s’agit de leur sommeil et de leur fatigabilité ».
Les parents doivent donc détailler auprès du Juge la façon dont ils comptent organiser le quotidien de leurs enfants et dont ils ont l’intention de s’occuper d’eux.
Chaque famille étant différente, il revient à chaque parent de présenter au Juge aux Affaires Familiales un projet de résidence alternée adapté aux besoins et au quotidien du ou des enfants. L’alternance n’étant pas forcément mathématique, il n’est pas obligatoire que le temps passé chez chaque parent soit strictement égal. Il est important, lorsque l’on présente une telle demande devant le Juge aux Affaires Familiales, de prendre en compte ces critères afin que le magistrat réalise qu’il s’agit de la meilleure solution pour l’intérêt de l’enfant.