Le conflit de loyauté peut se définir comme un conflit intra-psychique né de l'impossibilité de choisir entre deux situations possibles, ce choix concernant le plus souvent les sentiments ou ce que nous croyons en être, envers des personnes qui nous sont chères.
Le conflit
de loyauté pourrait se définir ainsi : Si je choisis X, cela signifie que je
rejette Y. Et inversement, si je choisis Y, cela signifie que je rejette X. Mais
comme cela est insupportable, je ne peux choisir. Sinon au prix d'une éventuelle
culpabilité ...
C'est une
situation qui entraine le sujet dans un émoi névrotique, tel le chien de Pavlov,
que l'on a conditionné à réagir à la vue d'un cercle, puis à la vue d'un
rectangle, et auquel on propose un jour la vue d'un ovale : Cercle ou rectangle
? Le chien ne sait plus choisir ni même ce qu'il
voit.
Le conflit
de loyauté est un trouble majeur auquel se trouvent confrontés bon nombre
d'enfants de parents séparés, qui doivent « jouer » entre le désir du père et
celui de la mère, et non seulement entre les désirs, mais les obligations et
interdictions diverses et parfois contradictoires de
ceux-ci.
Exemple,
avec des noms d'emprunt, bien entendu : Sylvia vient me voir parce qu'elle ne
"va pas bien". Elle a 12 ans. Jusqu'à l'été dernier, elle vivait avec et chez sa
mère. Le juge a décidé, sur requête du père, qu'elle vivrait maintenant chez son
père et sa compagne. Outre le fait que la situation est difficile pour cette
jeune fille, elle me fait part de sa difficulté à gérer ce que l'on peut appeler
un « conflit de loyauté » :
Sylvia
s'appelle Panier, nom d'état civil, nom de jeune fille de sa mère. Son père
s'appelle Balai. Jusqu'à dernièrement, sur ses documents scolaires, cahiers,
inscriptions à la danse, etc, elle était Sylvia Panier. Mais depuis qu'elle vit
chez son père, celui-ci lui demande de se nommer Balai, Sylvia Balai. Ce que la
mère refuse. Le papa a donc proposé Balai-Panier. Refus de la maman, qui, à
chaque fois qu'elle voit ce nom sur un document (y compris cahiers d'école), le
gomme, rature, voire déchire la page. Le papa a alors proposé Panier-Balai,
espérant que la maman accepterait, son nom à elle étant en premier. Refus de la
maman. Refus d'autant plus incompréhensible d'ailleurs que la maman s'appelle
maintenant Brosse, du nom de l'homme qu'elle a épousé depuis. Le papa refuse que
sa fille -ne- s'appelle -que- Panier.
Et Sylvia
ne sait pas comment se sortir de cette imbroglio parental. Si elle choisit
Panier, elle trahit son père. Si elle « choisit » Balai, elle trahit sa mère (du
moins se représente-t-elle les choses comme cela !). Conflit de loyauté.
Situation impossible.
Les parents
séparés -qui parfois "jouent" leurs conflits au travers de leur enfant- placent
parfois celui-ci dans ces situations impossibles : Interdiction de parler de
maman quand on est chez papa. Interdiction de parler de ce qu'on fait chez papa
quand on est chez maman. Interdiction de prononcer le prénom de l' «autre»,
interdiction de porter chez l'un la gourmette ou le tee-shirt offert par
l'autre... Négation de l'autre, négation d'une part de la vie de l'enfant, dans
l'interdiction qui lui est faite de mentionner l'autre parent. Comme si le faire
était trahir...
Les
conflits de loyauté sont destructeurs, véritablement destructeurs. Ils placent
l'enfant au centre d'un enjeu parental de possession, de règlement de compte et
dans une démarche qui, quoi que soit son choix, le conduit à insatisfaire, voire
trahir l'un de ses parents. Avec toute la culpabilité qui s'en suit.
Le ou les
parents utilisent là leur enfant comme une arme contre l'autre, en fait ou en
font un objet de lutte contre l'autre, un objet tout court, ce qui ne va
certainement pas dans le sens de la -bonne- construction de sa personne.
L'abandon
de la revendication du père, dans le cas de Sylvia, serait sans doute une bonne
chose (celui de la mère aussi !), mais son histoire (au père), sa notoriété
(Je veux que ma fille soit partout reconnue comme la fille Balai ), son
désir de vengeance ainsi que celui de possession... engendrent chez sa fille un
désarroi immense... qu'il ne comprend pas, en tout cas pas encore ! En
attendant, déjà fragilisée par la décision du juge, Sylvia s'enfonce dans un
état dépressif malsain...
Ne pas
plaire est une chose, trahir en est une
autre...
Il en va de
même pour tout un tas de choses banales et non dites... A chaque fois que
l'enfant est placé (ou se place lui-même -c'est pour cela qu'il est important de
mettre des mots sur les maux) dans un tel choix impossible, cela ravive ce genre
de conflit intra-psychique.
Les adultes
sont eux aussi face à ces choix cornéliens, et en cette bientôt période de fêtes
de fin d'année, bien des familles vont se retrouver face à ces conflits dits de
loyauté : Allons-nous fêter Noël chez tes parents ou chez les miens ? Si l'on va
chez tes parents, les tiens vont penser qu'on ne les aime pas, si on va chez les
tiens, les miens ne vont pas être contents... ils vont penser qu'on les
trahis... Jusqu'ici, ce n'est pas trop grave. Ce qui l'est , c'est de ne pas
pouvoir se défaire de ce questionnement, c'est d'accepter d'être l'objet et
l'enjeu d'autre chose qu'un simple repas de Noël, ce qui le serait, ce serait de
rester tout seul ce soir-là... parce qu'on n'a pu dire oui ou non, parce qu'on
n'a pas pu choisir...
La question
est toujours la même... Si je dis à celui-ci que je l'aime, cela
signifie-t-il que je n'aime pas celui-là ?
La petite
fille qui met sa robe rouge et à qui sa mère demande Tu n'aimes donc pas ta robe bleue ?
se trouve sensiblement dans
le même tourment... Si elle avait mis sa robe bleue, sa mère lui aurait demandé
pourquoi elle ne mettait pas la rouge... Ou comment satisfaire sa mère
?
A l'heure où
j'écris cette note, je projette quelques éventuels conflits que l'on pourra sans
doute qualifier "de loyauté" le jour où les enfants portant les noms de leurs
deux parents devront choisir lequel des deux ils transmettront à leurs enfants
le jour où ils en auront... Mais j'en reparlerai...