Le cri d'alarme de la protection de l'enfance
Entre 70 et 130 enfants confiés au conseil général de Loire-Atlantique ne disposent pas de solution d'accueil (selon les chiffres de l'Aide sociale à l'enfance ou les juges des enfants). Ces faits, aussi troublants qu'alarmants, sont relatés par le Service investigation de l'Association d'action éducative de Loire-Atlantique dans la revue Lien Social et dans les Actualités sociales hebdomadaires et relayés par la presse locale. "[Ces enfants] restent dans leur environnement familial alors même qu'une décision de justice est venue signifier le danger pour eux d'y rester", déplore l'équipe éducative.
Ces chiffres comme les exemples donnés surprennent au regard de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, quand celle-ci est censée améliorer le dispositif en matière de signalement et de prise en charge. Ils étonnent moins quand on sait que cette loi s'inscrit dans la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et qu'au nom du ''qui paye décide'' d'une certaine décentralisation, la justice civile des mineurs est mise sous tutelle du président du conseil général. Celui-ci étant promu "chef de file de la protection de l'enfance", en position désormais de juge et partie, tandis que la notion de danger tend à devenir une variable d'ajustement entre les dépenses de RSA, d'APA (personnes âgées) et de PCH (personnes handicapées), en pleine expansion dans un contexte d'assèchement des moyens du département.
Parallèlement, le remplacement des mesures d'investigation et d'orientation éducative (IOE) et d'enquêtes sociales par la mesure judiciaire d'investigation éducative (MJIE), applicable depuis janvier, réduit les moyens d'aide à la décision des magistrats en matière d'assistance éducative : plus de mesures par intervenant, moins de temps pour les réaliser, à l'encontre d'un savoir-faire reconnu, au détriment des réponses attendues.
On observe par ailleurs que la contractualisation supposée alternative à la judiciarisation – leitmotiv de la loi – fait coïncider la réduction des dépenses publiques et un ''parler contrat'' teinté de familialisme qui tend à dissoudre l'intérêt de l'enfant dans celui de la famille. Une certaine famille, celle chère aux libéraux du XIXe, supposée précéder la société, contre laquelle s'est élevée l'école de la République. Quand Philippe Bas, ministre délégué à la famille, avance dans son projet de réforme de la protection de l'enfance que "l'opposition entre droits des parents et droits de l'enfant est stérile" (une évidence hormis que cette opposabilité fonde la saisine du juge des enfants), il signe la volonté de substituer à l'Etat social une ''Famille providence''.
C'est bien ce qu'illustre l'inquiétant constat de Loire-Atlantique quand – une fois ordonnée sa protection, l'enfant l'attend des mois – ou quand l'enfant est maintenu délibérément dans son milieu familial "par défaut" comme l'énonce un magistrat nantais. Ce cri d'alarme fait écho à notre interrogation dans le Journal du droit des jeunes : "Réforme de la protection de l'enfance : le débat politique aura-t-il lieu ?", ainsi qu'aux plus de cent doléances de 85 organismes intervenant dans le champ de l'enfance, regroupées lors des "Etats générEux pour l'enfance". Le débat sur les enjeux cliniques et idéologiques de la réforme de la protection de l'enfance devient-il enfin d'actualité ?
Charles Ségalen, président de l'association Education, art du possible
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