ARCHIVES. L’écrivain martiniquais Edouard Glissant, grande figure de la créolité, est décédé jeudi matin à Paris à l’âge de 82 ans, a-t-on appris auprès des éditions Galaade | AFP
Affaibli, en fauteuil roulant, il était monté sur la scène de l’Odéon à Paris. Il y avait invité treize artistes pour interpréter son anthologie «La terre, le feu, l’eau et les vents», recueil de textes d’autres auteurs choisis par le poète qui définissait la Caraïbe comme un archipel où cohabitent Africains, Européens, Asiatiques et Amérindiens dans une «unité-diversité».
Après l’élection du premier président noir américain, il avait écrit en 2009 «L’intraitable beauté du monde. Adresse à Barack Obama» (éditions Galaade). Si Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor se réclamaient de la négritude, Edouard Glissant défendait lui le concept de «créolisation».
Cité à plusieurs reprises parmi les «nobélisables», cet écrivain amoureux de sa terre natale est l’auteur d’une oeuvre complexe, scandée entre poétique et politique, dans laquelle souvenirs, légendes, poésie, propos polémiques et réflexions théoriques se mêlent.
C’est lui qui a ouvert la voie aux écrivains de la créolité, plus jeunes, que sont Patrick Chamoiseau, prix Goncourt 1992 pour «Texaco», ou Raphaël Confiant, auteur d’«Eau de café» ou de «La jarre d’or» qui écrit en langues créole et française.
Edouard Glissant a aussi publié des essais poétiques comme «Traité du Tout-monde», du théâtre avec «Monsieur Toussaint», une pièce inspirée par l’histoire du révolutionnaire haïtien Toussaint Louverture, et des romans comme «Malemort», «Le quatrième siècle», «Mahagony» ou «La case du commandeur». Il est le concepteur du «Tout-monde» (ou du «chaos-monde»), pensée de l’errance et de l’accueil.
Aimé Césaire fut son professeur
De ce métissage, le monde caraïbe est un exemple privilégié. «La Caraïbe est une réalité culturelle (…) toujours ouverte sur les autres cultures», écrivait-il.
Né le 21 septembre en 1928 à Sainte-Marie, au nord de l’île, dans une famille modeste, élève brillant qui aura Aimé Césaire comme professeur, Edouard Glissant entreprend ensuite des études de philosophie à la Sorbonne en 1946.
Docteur es lettres, il fonde l’Institut martiniquais d’études (IME), tout en collaborant à de nombreuses revues. Il obtient le prix Renaudot en 1958 pour «La lézarde». Militant anticolonialiste, opposé à la guerre d’Algérie, il est expulsé des Antilles et assigné à résidence en métropole au début des années 1960 par le pouvoir gaulliste.
De 1982 à 1988, il dirige la revue Le Courrier de l’Unesco. Il a enseigné en Louisiane, à Bâton-Rouge, et à la City University de New York où ses cours sur William Faulkner ont fait autorité.
Audrey Pulvar pleure son oncle par alliance
De nombreuses personnalités ont rendu hommage à l’écrivain. Nicolas Sarkozy a salué «la mémoire de ce grand penseur des Antilles et du monde» qui a mis «l’Homme et la pluralité des cultures au coeur des grands mouvements de notre temps».
La journaliste Audrey Pulvar a confié être «profondément touchée» par la disparition d’Edouard Glissant, son oncle par alliance, qui avait énormément compté pour elle et dont la mort représente une «perte considérable».
«Nous perdons un des très grands représentants de la culture créole, antillaise et tout particulièrement martiniquaise», a souligné Frédéric Mitterrand. C’était «un homme de plume et un homme de coeur, qui a toujours su prendre ses risques et aller jusqu’au bout de ses forces pour défendre la vision poétique et les convictions qui le faisaient vivre».
Martine Aubry regrette la disparition d’une «grande figure de la créolité et héraut du métissage» est «une perte immense pour la littérature française et notre pays tout entier.»
LeParisien.fr