Les enfants et les châtiments corporels : « Le droit à l'intégrité physique est aussi un droit de l’enfant »
Les enfants et les châtiments corporels : « Le droit à l'intégrité physique est aussi un droit de l’enfant »
Dans toute l’Europe, des enfants sont quotidiennement fessés, corrigés, giflés, secoués, pincés, frappés à coups de pied, de poing, de bâton, de fouet, de ceinture, battus et martyrisés par des adultes, principalement par ceux en qui ils ont le plus confiance.
Ces violences peuvent correspondre à un acte de punition ou à la réaction impulsive d’un parent ou d’un enseignant irrité. Dans tous les cas, elles constituent une violation des principes fondamentaux des droits de l'homme. Le respect de la dignité humaine et le droit à l’intégrité physique sont des principes universels. Pourtant, le fait de frapper un enfant ou de lui infliger tout autre traitement humiliant reste accepté socialement et juridiquement dans la plupart des pays.
Le châtiment corporel des enfants devient facilement inhumain ou dégradant ; toujours, il viole l’intégrité physique des intéressés, témoigne d’un manque de respect pour leur dignité humaine et compromet leur estime de soi. En outre, les exceptions dont les violences physiques à enfant font l’objet dans une législation par ailleurs universellement applicable contre les coups et blessures, contrevient au principe d’égalité de protection devant la loi.
L’invention de concepts juridiquement déshonorants comme ceux de « châtiment raisonnable » et de « correction licite » tient à ce que l’enfant est perçu comme la propriété de ses parents. C’est là un équivalent moderne des lois qui, en vigueur il y a un ou deux siècles, autorisaient les maîtres à battre leurs esclaves ou serviteurs, ainsi que les maris à battre leur femme. De tels « droits » reposent sur le pouvoir que le plus fort impose au plus faible, et on les fait valoir par la violence et l’humiliation.
Les enfants ont dû attendre jusqu’à une époque récente pour être juridiquement protégés au même titre que n’importe qui contre les violences délibérées, protection que toute autre personne considérait jusqu’alors comme acquise en sa faveur. Il est extraordinaire que les enfants, dont on reconnaît qu’ils sont particulièrement vulnérables aux atteintes physiques et mentales du fait de leur état de développement et de leur petite taille, bénéficient d’une moindre protection contre les violences infligées à leurs corps, à leur psychisme et à leur dignité fragiles.
La lutte contre l’acceptation juridique et sociale de la violence, notamment celle subie quotidiennement dans le foyer, a été un élément fondamental de la lutte pour l’égalité de statut des femmes par rapport aux hommes. Ainsi en va-t-il pour les enfants : rien n’est plus symbolique de leur dévalorisation que l’idée des adultes selon laquelle ces derniers auraient le « droit », et même le devoir de frapper les enfants.
Droits de l’enfant et châtiments corporels
Aujourd’hui, on parle de droits de l'homme également en ce qui concerne les enfants, qui ne sont donc plus des « demi »-personnes possédant un nombre restreint de droits. Cela reflète un important changement d’attitude qui a permis la ratification, par tous les États membres du Conseil de l'Europe, de la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant, devenue d’ailleurs l’instrument de droits de l'homme le plus ratifié du monde.
Cette convention est le premier instrument international en matière de droits de l'homme qui traite expressément de la protection des enfants contre la violence. Son Article 19 impose aux États de prendre :
« toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toutes formes de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. »
Étant donné la nature holistique de la Convention, plusieurs
autres articles renforcent le droit de l’enfant à l’intégrité physique et à la
protection de sa dignité humaine. Le Préambule reconnaît la « dignité inhérente
à tous les membres de la famille humaine ainsi que l’égalité et le caractère
inaliénable de leurs droits […]. » Il affirme aussi qu’en raison justement de
son « manque de maturité physique et intellectuelle », l’enfant a besoin « d’une
protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique
appropriée ». L’article 37 impose aux États parties de veiller à ce que « nul
enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants ».
De même, les Etats parties doivent faire en sorte
que « la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la
dignité de l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente
Convention » (Article 28). Enfin, ils doivent reconnaître « le droit de l’enfant
de jouir du meilleur état de santé possible » et prendre « toutes les mesures
efficaces appropriées en vue d’abolir les pratiques traditionnelles
préjudiciables à la santé des enfants » (Article 24).
L’application de cette
Convention est surveillée par le Comité des droits de l’enfant des Nations
Unies. Cet organe a recommandé de manière constante la prohibition de tout
châtiment corporel, y compris au sein de la famille. Il a aussi suggéré
l’organisation de campagnes pour sensibiliser les esprits aux effets nocifs des
châtiments corporels ainsi que pour encourager la conception de manières
positives et non violentes d’élever et d’éduquer des
enfants.
Définition du châtiment corporel
Dans ses récents
Commentaires généraux n° 81, le Comité des droits de l’enfant a
défini avec précision ce qui était à considérer comme des châtiments corporels :
« tout châtiment dans lequel la force physique est employée avec l’intention de causer un certain degré de douleur ou de gêne, même légère. Le plus souvent, cela consiste à frapper (« corriger », « gifler », « fesser ») un enfant de la main ou avec un objet : fouet, bâton, ceinture, soulier, cuiller de bois, etc. Mais cela peut aussi consister, par exemple, à lui donner des coups de pied, à le secouer ou à le jeter par terre, à le griffer, à le pincer, à le mordre, à lui tirer les cheveux ou à le frapper sur les oreilles, à l’obliger à rester dans une position inconfortable, à le brûler, à l’ébouillanter, à lui faire ingérer de force telle ou telle chose (par exemple en lui lavant la bouche au savon ou en le forçant à avaler des piments rouges). De l’avis du Comité, le châtiment corporel est invariablement dégradant. En outre, il existe d’autres formes non physiques de châtiment qui sont également cruelles et dégradantes, donc incompatibles avec la Convention. Cela consiste, par exemple, à rabaisser l’enfant, à l’humilier, à le dénigrer, à en faire un bouc émissaire, à le menacer, à le terroriser ou à le ridiculiser. »
De son côté, le Comité européen des droits sociaux (ECSR) a déclaré que les châtiments corporels ne correspondaient pas aux normes de droits de l'homme définies par la Charte sociale. Il a considéré que « l’article 17 [de la Charte sociale] exige une interdiction en droit de toute forme de violence à l’encontre des enfants que ce soit à l’école ou dans d’autres institutions, à leur foyer ou ailleurs. Il considère en outre que toute forme de châtiment ou traitement dégradant infligés à des enfants doit être interdit en droit et que cette interdiction doit être assortie de sanctions pénales ou civiles adéquates »2. Cette prohibition couvre toutes les formes de châtiment n’impliquant pas forcément l’usage de la force physique, comme par exemple le fait d’isoler ou d’humilier un enfant.
En outre, l’ECSR a déclaré : «même si le Code pénal punit les voies de fait et prévoie des sanctions aggravées si elles sont commises à l'égard des enfants, cela ne constitue pas une interdiction en droit suffisante au regard de l'article 17§1 de la Charte révisée »3. En examinant les rapports des États membres au titre de l’article 17, le Comité a soulevé la question de la légalité des châtiments corporels à la maison, à l’école et au sein d’autres institutions telles que les garderies. Dans ses conclusions de 2003 portant sur plusieurs pays, l’ECSR a relevé une violation de la Charte sociale due à l’absence d’interdiction du châtiment corporel des enfants.
La définition et l’interdiction des châtiments corporels ne
doivent cependant pas être perçues comme excluant les notions positives et
fondamentales de discipline ou d’éducation. Le développement de chaque enfant
nécessite une orientation et une direction de la part des parents, des proches,
des enseignants et d’autres adultes.
La fonction parentale et les soins aux
enfants, notamment les plus jeunes, exigent de fréquentes actions et
interventions physiques aux fins de protection. Ces situations sont à distinguer
de l’usage délibéré et punitif de la force en vue de causer un certain degré de
douleur, de gêne ou d’humiliation. En tant qu’adultes, nous connaissons bien la
différence entre une action protectrice et une agression punitive ; cette
distinction n’est pas plus difficile à faire avec les actions concernant des
enfants. Dans tous les États, la législation autorise – explicitement ou non –
l’usage de la force non punitive et nécessaire pour protéger des
personnes.
Vers la fin du châtiment corporel des enfants en
Europe
Au cours des dernières décennies, le châtiment corporel des
enfants est devenu un phénomène beaucoup plus visible, dont on constate avec
inquiétude la fréquence et la prévalence croissantes. Les statistiques
démontrent que cette évolution est mondiale et affecte tous les enfants, quel
que soit leur pays ou leur origine sociale. La prévalence des châtiments
corporels a été mise en lumière par des enquêtes conduites dans plusieurs pays
auprès des parents, d’autres soignants et – de plus en plus – des enfants
eux-mêmes, afin d’en apprendre davantage sur les motifs des châtiments corporels
et la manière dont ils sont appliqués.
Dans sa Recommandation 1666 (2004)
« Interdire le châtiment corporel des enfants en Europe », l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe a considéré que « tous les châtiments
corporels infligés aux enfants violent leur droit fondamental au respect de leur
dignité humaine et de leur intégrité physique. Le maintien de la légalité des
châtiments corporels dans certains États membres est une violation du droit tout
aussi fondamental des enfants à une protection devant la loi à égalité avec les
adultes. Dans nos sociétés européennes, frapper un être humain est prohibé et
l’enfant est un être humain. Il faut casser l’acceptation sociale et juridique
du châtiment corporel des enfants. »
L’Assemblée a noté que quoique tous
les Etats membres eussent interdit les châtiments corporels à l’école, y compris
les établissements privés et les autres institutions d’enseignement, cela ne
s’étendait pas nécessairement au foyer des enfants et aux autres formes de
garde. En outre, ces interdictions n’étaient ni systématiquement, ni
universellement respectées.
C’est pourquoi, dans la recommandation précitée,
l’Assemblée appelait de ses vœux une campagne coordonnée et concertée pour
l’abolition totale du châtiment corporel des enfants. Rappelant le succès obtenu
par le Conseil de l'Europe dans l’abolition de la peine de mort, elle
préconisait que l’on fasse « de l’Europe, sans tarder, une zone
exempte de châtiment corporel pour les enfants ».
Le Comité des Ministres
du Conseil de l'Europe condamne depuis plus de quinze ans l’usage des châtiments
corporels et des autres formes de traitement dégradant comme moyen
d’éducation4. Plus récemment, il a souligné la
nécessité, dans ce domaine, d’une législation appropriée qui corresponde aux
normes internationales, bien que la prohibition de la violence contre les
enfants puisse fort bien être incluse dans les dispositions générales du droit
pénal ayant trait aux coups et blessures. Il a souligné aussi l’importance des
campagnes d’information dont le but est de sensibiliser l’opinion aux droits de
l’enfant en la matière.
Le Comité des Ministres a insisté également sur la nécessité d’entreprendre dans chaque Etat membre une campagne coordonnée et concertée pour l’abolition de toute violence contre les enfants. C’est pourquoi il a annoncé, en vue d’atteindre cet objectif, la mise en œuvre d’un programme triennal d’action sur le thème « Les enfants et la violence », dont les buts sont les suivants :
· aider les Etats membres à appliquer aux niveaux national et
local les normes internationales, en particulier celles énoncées dans la
Convention des droits de l’enfant des Nations Unies, la Charte sociale
européenne et la Convention européenne sur l’exercice des droits de
l’enfant ;
· d’ici 2007, proposer une série exhaustive et cohérente
d’instruments et de lignes directrices méthodologiques couvrant tous les aspects
de la question ;
· améliorer la visibilité et l’impact des travaux du Conseil
de l'Europe en la matière5.
Interdiction des châtiments corporels au niveau
national
Seuls quatorze pays européens ont introduit dans leur
législation l’interdiction explicite de tout châtiment corporel des enfants. Ce
sont l’Allemagne (2000), l’Autriche (1989), la Bulgarie (2000), la Croatie
(1999), Chypre (1994), le Danemark (1997), la Finlande (1983), la Hongrie
(2004), l’Islande (2003), la Lettonie (1998), la Norvège (1987), la Roumanie
(2004), la Suède (1979) et l’Ukraine (2001). En outre, la Cour suprême italienne
a mis les châtiments corporels hors la loi, mais l’arrêt correspondant ne s’est
pas encore traduit par une loi spécifique.
Lorsque la loi suédoise est entrée
en vigueur, il y a vingt-sept ans, un fonctionnaire du ministère de la Justice a
déclaré :
« En prohibant les châtiments corporels, le législateur a voulu montrer qu’un enfant est un individu indépendant qui peut exiger le respect intégral de sa personne et qui doit donc jouir, contre les châtiments ou violences physiques, de cette même protection que nous autres adultes considérons comme entièrement naturelle pour nous-mêmes. »
La disposition juridique suivante est inscrite, en Suède, dans le
droit (civil) de la famille : « Les enfants ont droit à des soins, à la sécurité
et à une bonne éducation. Ils doivent être traités avec respect pour leur
personne et leur individualité et ne peuvent être soumis à un châtiment corporel
ou à tout autre traitement humiliant ». Elle a principalement pour but de
souligner, au-delà de tout doute possible, qu’en matière de voies de fait, les
châtiments physiques sont couverts par le code pénal, quand bien même les
infractions bénignes restent impunies, tout comme les voies de fait bénignes
entre adultes ne peuvent faire l’objet de poursuites.
Si l’on fait tomber
tous les châtiments corporels sous le coup de la loi, ce n’est évidemment pas
pour poursuivre et punir davantage de parents. C’est pour satisfaire aux
exigences des droits de l'homme en accordant aux enfants la même protection de
leur intégrité physique et de leur dignité humaine qu’aux adultes. C’est pour
bien faire comprendre que frapper les enfants est mal, au moins aussi mal que de
frapper tout autre personne. Ainsi confère-t-on un fondement cohérent à la
protection de l’enfant et à une éducation publique promouvant des formes
positives de discipline. À mesure que les attitudes changeront, on verra
diminuer la nécessité d’exercer des poursuites et de procéder à des
interventions formelles dans les familles afin de protéger les enfants.
En
Suède, l’interdiction des châtiments corporels avait pour buts de modifier les
attitudes à l’égard de ceux-ci, de mettre en place un encadrement clair pour
l’éducation et le soutien des parents, ainsi que de faciliter une intervention
plus précoce et moins intrusive dans les affaires de protection d’enfants. Le
soutien de l’opinion publique aux châtiments corporels a nettement diminué.
Alors qu’en 1965, une majorité de Suédois étaient pour, une enquête récente a
démontré que 6% seulement des moins de trente-cinq ans se disaient favorables à
l’usage des formes même les plus douces de châtiment corporel. Les pratiques ont
changé aussi : parmi ceux dont l’enfance s’est déroulée peu après
l’interdiction, seuls 3% signalent avoir été giflés par leurs parents, et 1%
seulement déclarent avoir été frappé à l’aide d’un objet. Les taux de mortalité
dus à des violences sont extrêmement bas chez les enfants suédois.
La
sensibilisation aux violences contre les enfants s’est accrue, en Suède, le
nombre de cas signalés de voies de fait, mais il y a eu aussi moins de parents
poursuivis, moins d’interventions forcées de la part des travailleurs sociaux et
moins d’enfants placés dans des structures d’accueil. L’opinion s’est mise à
considérer autrement le fait de frapper les enfants, ce qui a rendus possibles
dans certains cas des interventions de soutien précoces.
En Finlande,
l’interdiction des châtiments corporels s’inscrivait dans une réforme exhaustive
du droit de l’enfance. La loi de 1983 sur la garde et les droits des enfants
commence par un énoncé des principes positifs en matière de soins aux enfants et
poursuit en ces termes : « Tout enfant doit être élevé dans un esprit de
compréhension, de sécurité et d’amour. Il ne doit être ni assujetti, ni puni
corporellement, ni humilié d’autre manière. Il faut encourager, soutenir et
assister la croissance qui le conduit à l’indépendance, à la responsabilité et à
la maturité ». Là encore, la réforme du droit de la famille ne laisse planer
aucun doute quant au fait que le droit pénal s’applique aussi aux voies de fait
commises contre les enfants par leurs parents ou d’autres personnes affectées à
leur garde.
La Norvège et l’Autriche ont procédé à des réformes analogues à
la fin des années quatre-vingt. En 1997, le Parlement danois a approuvé un
amendement de la loi sur la garde et les soins parentaux ainsi rédigé : « Un
enfant a droit aux soins et à la sécurité. Il doit être traité avec respect en
tant qu’individu et ne peut être soumis à des châtiments corporels ou autres
traitements dégradants ». En 1986, le Parlement danois a apporté au code civil
un amendement aux termes duquel « la garde parentale comporte l’obligation de
protéger l’enfant de toute violence physique ou psychologique et de tout autre
traitement nocif ». Mais cela devait être interprété comme une autorisation des
formes plus douces de châtiment corporel, et il fut d’ailleurs démontré que
celles-ci restaient fréquentes, d’où la nécessité d’une réforme supplémentaire
et plus explicite.
Dans un arrêt déterminant de 1996, la Cour suprême
italienne a déclaré que : « l’usage de la violence à des fins éducatives ne peut
plus être considéré comme légal, et ce pour deux raisons. La première tient à
l’importance primordiale que le droit reconnaît à la protection de la dignité de
l’individu ; cela s’étend aux mineurs, qui ont aujourd’hui des droits et ne sont
plus simplement des objets à protéger par leurs parents ou, pire encore, des
objets à la disposition de leurs parents. La seconde tient au fait qu’étant le
but même de l’éducation, le développement harmonieux de la personnalité d’un
enfant, qui permet à celui-ci de faire siennes les valeurs de paix, de tolérance
et de coexistence, ne peut se faire par le recours à des moyens violents en
contradiction avec ces valeurs. »
Enfin, de nombreux Etats européens
envisagent actuellement d’interdire les violences corporelles.
Conclusions
Ce sont les principes des droits de
l'homme qui imposent de retirer aux adultes le droit supposé de frapper les
enfants. Point n’est donc besoin de prouver que d’autres moyens – positifs,
ceux-là – assurent plus efficacement la socialisation des enfants. Toutefois,
les recherches effectuées sur les effets physiques et psychologiques nocifs que
les châtiments corporels exercent sur l'intéressé durant son enfance et dans la
suite de son existence, de même que sur les liens avec d’autres formes de
violence, ne font que justifier davantage – et de manière impérieuse –
l’interdiction de la pratique en question et, partant, la rupture du cercle
vicieux de la violence.
L’avènement d’une Europe sans châtiments corporels ne
passe pas que par un amendement des lois nationales et une interdiction des
pratiques en question. Toute stratégie nationale qui tend à l’élimination des
châtiments corporels doit comporter à la fois des mesures à court terme,
notamment une réforme juridique consistant à prohiber clairement toute forme de
châtiment corporel, et des mesures à plus long terme visant à influer sur
l’opinion publique ainsi qu’à promouvoir des moyens différents et positifs
d’entretenir des relations et de communiquer. Une telle stratégie doit
comprendre les étapes suivantes :
· examen de la législation en vigueur pour assurer la prohibition
effective de tout châtiment corporel ;
· orientation des parents et des
professionnels qui s’occupent d’enfants pour ce qui est des motifs d’abandonner
les châtiments corporels en tant que forme de discipline à la maison et en
institution ; cela pourrait passer par une information sur la réforme juridique
conduite dans d’autres pays en vue d’interdire les châtiments corporels, de même
que sur ses effets positifs ;
· information des enfants au sujet de leurs
droits, y compris celui d’être traité avec respect ; elle devrait être inscrite
dans les programmes scolaires, mais aussi diffusée par les moyens de
communication de masse ;
· claire orientation des enseignants et du personnel
préscolaire, du personnel de santé, des travailleurs sociaux et d’autres
professionnels-clés concernant leur rôle dans la prévention de ce genre de
violation et la manière de réagir à des situations concrètes lorsqu’il existe
des raisons de penser qu’un enfant est peut-être victime d’abus et a besoin
d’aide ;
· recherches visant à mieux comprendre l’ampleur et la nature de la
pratique des châtiments corporels, ainsi qu’à identifier les groupes d’enfants
qui y sont particulièrement exposés ;
· cours et discussions en vue de la
formation des parents – avec la participation des principaux intéressés – aux
pratiques d’éducation des enfants ainsi qu’aux formes positives et non violentes
de discipline à appliquer à la maison, à l’école et en institution.
Toutes ces mesures nécessiteront la sensibilisation des membres de
la classe politique et des autres décideurs, ce pourquoi les ONG, les
associations professionnelles et les médias présentent une importance
stratégique.
La question des châtiments corporels a eu malheureusement
tendance à reculer sur l’ordre du jour de la classe politique et des autres
milieux adultes, y compris les plus vigoureux défenseurs des droits de l'homme.
Cela tient sans doute à la nature personnelle du problème : dans le monde
entier, en effet, la plupart des adultes ont été frappés étant enfants et
frappent peut-être même, à leur tour, leurs propres enfants. La classe
politique, qui voit là une question impopulaire, trouve plus facile de braquer
le projecteur uniquement sur les formes extrêmes de violence contre les enfants
et sur la violence des enfants, contre lesquelles existe déjà un consensus
populaire. De même, beaucoup de politiques se méfient particulièrement de toute
ingérence dans le domaine de la famille, considéré depuis toujours comme
« privé ».
Tous ces motifs sont peut-être compréhensibles, mais ne
constituent pas de bonnes excuses pour autant. La résolution non violente des
conflits, la tolérance et le respect d’autrui sont à enseigner par le bon
exemple. Comment peut-on attendre des enfants qu’ils prennent les droits de
l'homme au sérieux et qu’ils contribuent à construire une culture des droits de
l'homme alors que le monde des adultes, non content de persister à les corriger,
à les fesser, à les gifler et à les battre, va jusqu’à défendre ces pratiques
comme étant « pour leur bien » ? Gifler un enfant n’est pas seulement une leçon
de mauvais comportement, c’est aussi une puissante manifestation de mépris pour
les droits de l'homme de personnes plus petites et plus faibles que soi.
1 Commentaires généraux n° 8 du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies sur le droit de l’enfant à être protégé des châtiments corporels et autres formes de châtiment cruelles ou dégradantes, CRC/C/GC/8, 2 juin 2006. http://www.ohchr.org/english/bodies/crc/docs/co/CRC.C.GC.8.pdf 2 Conclusions XV-2, Tome 1, Introduction générale. 3 Conclusions 2003, Tome 1, France, pp. 184-189. 4 Recommandation (90) 2 sur les mesures sociales concernant la violence au sein de la famille, 15 janvier 1990. 5 Réponse adoptée par le Comité des Ministres à la Recommandation 1666 (2004) de l’Assemblée parlementaire, 20 avril 2005, CM/AS(2005)Rec 1666 final.
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