Les enfants et les châtiments corporels: « Le droit à l’intégrité physique, aussi un droit de l’enfant »
Les enfants et les châtiments corporels: « Le droit à l’intégrité physique, aussi un droit de l’enfant »
TABLE DES MATIÈRES
Définition du châtiment corporel
La protection contre les châtiments corporels est une question de droits de l’homme
Vers la fin des châtiments corporels infligés aux enfants au niveau mondial
Vers la fin des châtiments corporels infligés aux enfants en Europe
Interdiction des châtiments corporels au niveau national
Documents thématiques du Commissaire
Les documents thématiques sont commandités et publiés par le Commissaire aux droits de l'homme afin de contribuer au débat ou de faire avancer la réflexion sur une question importante et d'actualité en matière de droits de l'homme. Toutes les opinions exprimées dans ces documents d'experts ne réflètent pas forcément la position du Commissaire. Les documents thématiques sont disponibles sur le site web du Commissaire: www.commissioner.coe.int
La majorité des États membres du Conseil de l’Europe s’est engagée à mettre un terme à tous les châtiments corporels infligés aux enfants. A ce jour, l’interdiction totale dans le droit a été adoptée par 18 États membres, et au moins 7 autres ont promis publiquement de faire bientôt de même.
Le Commissaire aux droits de l’homme a salué ces progrès et invité d’autres pays à interdire et à éradiquer toute forme de châtiment corporel infligé aux enfants. Le présent dossier thématique contient des informations générales et des explications sur les mesures déjà prises par la Cour européenne et par d’autres mécanismes internationaux et européens des droits de l’homme.
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Le problème est enraciné et sérieux. Dans toute l’Europe, des enfants sont quotidiennement fessés, corrigés, giflés, secoués, pincés, frappés à coups de pied, de poing, de bâton, de fouet, de ceinture, battus et martyrisés par des adultes, principalement par ceux en qui ils ont le plus confiance.
Ces violences peuvent correspondre à un acte de punition ou à la réaction impulsive d’un parent ou d’un enseignant irrité. Dans tous les cas, elles constituent une violation des droits de l'homme. Le respect de la dignité humaine et le droit à l’intégrité physique sont des principes universels. Pourtant, le fait de frapper un enfant ou de lui infliger tout autre traitement humiliant est accepté socialement et juridiquement dans la plupart des pays du monde.
Le châtiment corporel des enfants devient souvent inhumain ou dégradant ; et viole systématiquement l’intégrité physique des intéressés, témoigne d’un manque de respect pour leur dignité humaine et compromet leur estime de soi. De plus, les exceptions concernant les enfants dans certaines lois contre la violence, qui seraient sinon applicables à tous, vont à l’encontre du principe de protection égale devant la loi.
Les notions juridiques telles que « châtiment raisonnable » et « correction légitime » viennent du fait que l’enfant est perçu comme la propriété de ses parents. Il s’agit de l’équivalent moderne des lois en vigueur il y a un ou deux siècles qui autorisaient les maîtres à battre leurs esclaves ou serviteurs, ainsi que les maris à battre leur femme. Ces « droits » reposent sur le pouvoir imposé par le plus fort au plus faible, et sont exercés par la violence et l’humiliation.
Ce n’est que récemment que les enfants ont été protégés juridiquement au même titre que les adultes contre les violences délibérées, protection que nous, adultes, tenons généralement pour acquise. Comment est-il possible que les enfants, qu’on reconnaît particulièrement vulnérables aux atteintes physiques et mentales du fait de leur stade de développement et de leur petite taille, bénéficient d’une protection moindre contre les violences infligées à leur corps, à leur psychisme et à leur dignité fragiles ?
La lutte contre l’acceptation juridique et sociale de la violence, notamment celle subie quotidiennement dans le foyer, a été un élément fondamental de la lutte pour l’égalité de statut entre les femmes et les hommes. Il en va de même pour les enfants : quelle marque de leur dévalorisation plus frappante que l’idée des adultes selon laquelle ces derniers auraient le « droit », et même le devoir, de frapper les enfants ?
Définition du châtiment corporel
Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies1 définit le châtiment corporel en ces termes :
« tout châtiment dans lequel la force physique est employée avec l’intention de causer un certain degré de douleur ou de gêne, même légère. Le plus souvent, cela consiste à frapper (« corriger », « gifler », « fesser ») un enfant de la main ou avec un objet : fouet, bâton, ceinture, soulier, cuiller de bois, etc. Mais cela peut aussi consister, par exemple, à lui donner des coups de pied, à le secouer ou à le jeter par terre, à le griffer, à le pincer, à le mordre, à lui tirer les cheveux ou à le frapper sur les oreilles, à l’obliger à rester dans une position inconfortable, à le brûler, à l’ébouillanter, à lui faire ingérer de force telle ou telle chose (par exemple en lui lavant la bouche au savon ou en le forçant à avaler des piments rouges). De l’avis du Comité, le châtiment corporel est invariablement dégradant. De plus, il existe d’autres formes non physiques de châtiment tout aussi cruelles, dégradantes et donc incompatibles avec la Convention. Cela consiste, par exemple, à rabaisser l’enfant, à l’humilier, à le dénigrer, à en faire un bouc émissaire, à le menacer, à le terroriser ou à le ridiculiser. ».” |
La protection contre les châtiments corporels est une question de droits de l’homme
Aujourd’hui, on parle de droits de l'homme également pour les enfants, qui ne sont donc plus considérés des « demi »-personnes possédant un nombre restreint de droits. Cette évolution témoigne d’un changement d’attitude majeur qui a rendu possibles les traités internationaux comme la Convention des Nations Unies sur les droits des enfants.
Cette convention est la plus ratifiée en matière de droits de l’homme, puisqu’elle l’a été par l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe. Il s’agit du premier instrument international des droits de l’homme contraignant traitant expressément de la protection des enfants contre la violence.
L’article 19 de la Convention des droits de l’enfant dispose que les états prennent :
« toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toutes formes de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.
D’autres articles renforcent le droit de l’enfant à l’intégrité physique et à la protection de sa dignité. Le Préambule affirme qu’en raison justement de son « manque de maturité physique et intellectuelle », l’enfant a besoin « d’une protection et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée ». L’article 37 impose aux États parties de veiller à ce que « nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
Les mécanismes des droits de l’homme du Conseil de l’Europe ont dénoncé pour la première fois le châtiment corporel des enfants il y a 30 ans. En 1978, la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a statué que la condamnation à des coups de fouet d’un jeune de 15
ans enfreignait son droit à la protection contre les châtiments dégradants2. Par la suite, les décisions prises dans les années 1980 et au début des années 1990 ont condamné les châtiments corporels en milieu scolaire, tout d’abord dans les écoles publiques, puis dans les écoles privées au Royaume-Uni3.
D’autres décisions importantes de la Commission européenne des droits de l’homme et de la Cour européenne ont rappelé que les droits à la vie privée ou familiale, à la liberté ou à la croyance religieuse n’étaient pas des arguments valables pour refuser l’interdiction des châtiments corporels4.
La Cour européenne a rendu son arrêt décisif A c. Royaume-Uni en 1998, sa première décision concernant le châtiment corporel parental et l’une des rares affaires portées devant la Cour par un plaignant mineur5. « A », un jeune anglais, avait été battu par son beau-père à coups de canne, à l’origine de contusions. Le beau-père a été poursuivi mais acquitté, invoquant comme moyen de défense le droit commun et la notion de « châtiment raisonnable ».
La Cour européenne a décidé que le droit du garçon de ne pas subir de châtiment dégradant avait été enfreint. De plus, le Royaume-Uni était responsable car son droit, qui permet le « châtiment raisonnable », n’offrait ni protection adaptée, ni prévention efficace. La Cour a enjoint le Royaume-Uni de verser 10.000 Livres sterling au garçon.
L’exécution de cet arrêt par les autorités du Royaume-Uni est toujours suivie par le Comité des Ministres, près de 10 ans plus tard6. A ce jour, le pays a revu la notion de « châtiment raisonnable », sans pour autant la supprimer totalement. Comme l’affirment les Commissaires des enfants du Royaume-Uni ainsi qu’une vaste alliance d’ONG7, avec cette voie d’approche, les enfants sont encore moins protégés que les adultes par le droit pénal contre la violence.
De son côté, le Comité européen des droits sociaux (ECSR) a déclaré que les châtiments corporels ne correspondaient pas aux normes de droits de l'homme définies par la Charte sociale. Il a considéré que « l’article 17 [de la Charte sociale] exige une interdiction en droit de toute forme de violence à l’encontre des enfants que ce soit à l’école ou dans d’autres institutions, à leur foyer ou ailleurs. Il considère en outre que toute forme de châtiment ou traitement dégradant infligés à des enfants doivent être interdits en droit et que cette interdiction doit être assortie de sanctions pénales ou civiles adéquates8. Cette interdiction couvre toutes les formes de châtiment n’impliquant pas forcément l’usage de la force physique, comme par exemple le fait d’isoler ou d’humilier un enfant.
Lors de l’examen des rapports des États membres au titre de l’article 17, le Comité a soulevé la question de la légalité des châtiments corporels à la maison, à l’école et au sein d’autres institutions telles que les garderies. Dans ses conclusions sur de nombreux pays, le Comité européen des droits sociaux fait observer depuis 2003 une violation de la Charte sociale puisqu’en effet, le châtiment corporel n’est pas interdit9.
En 2005, le Comité a publié ses décisions sur une série de réclamations collectives, dans le cadre le protocole additionnel à la Charte sociale, déposées par l’Organisation mondiale contre la torture. Dans trois cas, les États n’étaient pas conformes en raison de l’absence de législation efficace interdisant le châtiment corporel. Dans deux autres décisions concernant des réclamations contre l’Italie et le Portugal, le Comité a décidé que les arrêts de la Cour suprême dans les pays qui avaient déclaré le châtiment corporel illégal étaient suffisamment conformes à l’article 1710.
Néanmoins, en 2006, la Cour suprême du Portugal a prononcé un arrêt tolérant le châtiment corporel, par conséquent, annulant ses décisions précédentes. Une autre réclamation collective a été déposée et, dans une décision unanime et détaillée publiée en décembre 2006, le Comité européen des droits sociaux a conclu : « pour se conformer à l’article 17, le droit national doit interdire et pénaliser toute forme de violence contre les enfants, c’est-à-dire actes ou comportements susceptibles d’affecter leur intégrité physique, leur dignité, leur développement ou leur bien-être psychologique.
« Les dispositions pertinentes doivent être suffisamment claires, contraignantes et précises de sorte que les cours ne puissent refuser de les appliquer à la violence contre les enfants. De plus, les États doivent agir avec une diligence raisonnable pour garantir que ce type de violence est éliminé en pratique »11.
Le Comité européen des droits sociaux a donc montré qu’il ne suffit pas d’interdire simplement par des arrêts de cour de haut niveau : la législation explicite est nécessaire, parallèlement à d’autres mesures éducatives. En 2007, le Portugal a adopté une législation confirmant l’interdiction expresse de la violence.
Vers la fin des châtiments corporels infligés aux enfants au niveau mondial
Le contexte mondial est propice à une évolution rapide : l’étude du Secrétaire Général des Nations Unies sur la violence infligée aux enfants, présenté à l’Assemblée générale en octobre 2006, véhicule le message essentiel qu’aucune violence à l’encontre des enfants n’est justifiable et que toute violence peut être évitée. L’étude invite l’ensemble des États membres à agir rapidement pour interdire toutes les formes de mauvais traitement sur les enfants – y compris les châtiments corporels – d’ici 2009.
« L'étude devrait marquer un tournant : la fin de toute justification par les adultes de la violence à l'encontre des enfants, qu'elle soit sanctionnée par «la tradition» ou déguisée comme étant de la « discipline ». Aucun compromis n'est possible lorsqu'il s'agit de s'attaquer à la violence à l'égard des enfants. Le caractère unique des enfants – leur potentiel et leur vulnérabilité, leur dépendance à l'égard des adultes – fait qu'il est impératif de les protéger davantage – et non pas moins – de la violence.»8.
A l’heure actuelle, environ 23 États ont interdit tous les châtiments corporels, y compris au sein de la famille.
Le Comité des droits des enfants des Nations Unies recommande constamment l’interdiction de tous les châtiments corporels, y compris au sein de la famille, et propose de mener à bien des campagnes pour faire prendre conscience de ses effets négatifs et pour encourager
l’adoption de pratiques positives, non violentes pour élever et éduquer les enfants12. Rappelons que les droits de l’homme sont universels. Les Comités des Nations Unies qui suivent la mise en œuvre d’autres instruments internationaux, notamment des deux Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels, ont également condamné les châtiments corporels infligés aux enfants.
La vive opposition à l’interdiction du châtiment corporel émane dans certains pays de groupes religieux minoritaires, citant des textes qui, selon eux, leur donne leur droit ou même le devoir de discipliner les enfants par la violence. Si la liberté de croyance religieuse doit être respectée, en revanche, ces croyances ne sauraient justifier des pratiques à l’encontre des droits d’autrui, notamment du respect de l’intégrité physique et de la dignité des enfants.
Les principales communautés religieuses et les dirigeants respectés soutiennent désormais l’interdiction et la suppression de toute violence à l’encontre des enfants. Par exemple, la Conférence mondiale des religions pour la paix, qui a rassemblé plus de 800 leaders religieux, a adopté « un engagement multireligieux pour faire face à la violence infligée aux enfants » en 2006. Elle en a appelé aux gouvernements pour qu’ils « adoptent la législation interdisant toutes les formes de violence contre les enfants, y compris le châtiment corporel, et garantissent les pleins droits des enfants conformément à la Convention des droits de l’enfant et à d’autres accords internationaux et régionaux. [Elle les invite] à établir des mécanismes appropriés pour assurer la mise en œuvre efficace de ces droits et garantir que les communautés religieuses s’associent formellement à ces mécanismes »13.
Vers la fin des châtiments corporels infligés aux enfants en Europe
Malgré les progrès réalisés dans la lutte contre le châtiment corporel, il est incontestable que cette forme d’abus est d’une fréquence et d’une importance alarmantes dans le monde entier. Les statistiques montrent que cette évolution est mondiale et affecte tous les enfants, quel que soit leur pays ou leur origine sociale. La prévalence des châtiments corporels a été mise en lumière par des enquêtes menées dans plusieurs pays auprès de parents ou autres responsables et – de plus en plus – des enfants eux-mêmes, afin d’en apprendre davantage sur la motivation des châtiments corporels et la manière dont ils sont appliqués.
Dans sa Recommandation 1666 (2004) « Interdire le châtiment corporel des enfants en Europe », l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a considéré que :
« tous les châtiments corporels infligés aux enfants violent leur droit fondamental au respect de leur dignité humaine et de leur intégrité physique. Le maintien de la légalité des châtiments corporels dans certains États membres est une violation du droit tout aussi fondamental des enfants à une protection devant la loi à égalité avec les adultes. Il faut casser l’acceptation sociale et juridique du châtiment corporel des enfants. »
C’est pourquoi, dans la recommandation précitée, l’Assemblée appelait de ses vœux une campagne coordonnée et concertée pour l’abolition totale du châtiment corporel des enfants. Rappelant le succès obtenu par le Conseil de l'Europe dans l’abolition de la peine de mort, elle préconisait que l’on fasse « de l’Europe, sans tarder, une zone exempte de châtiment corporel pour les enfants ».
Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe encourage depuis plus de 20 ans les États membres à interdire le châtiment corporel. Ce combat a commencé en 1985 avec une recommandation dont le préambule stipule que « la défense de la famille comporte la protection de tous ses membres contre toute forme de violence qui trop souvent surgit en son sein ». Le rapport explicatif assimile le châtiment corporel à « un mal qu’il faut au moins décourager dans une première phase pour finir par l’interdire. En effet c’est la conception même qui rend légitime le châtiment corporel d’un enfant, qui, d’une part, ouvre la voie à tous les excès et, d’autre part, rend acceptable par des tiers les marques ou les symptômes de ces châtiments ». Cette condamnation a été reprise dans d’autres recommandations en 1990 et 199314.
Le Comité des Ministres a également insisté sur la nécessité d’entreprendre dans chaque Etat membre une campagne coordonnée et concertée pour l’abolition de toute violence contre les enfants. C’est pourquoi il a annoncé, en vue d’atteindre cet objectif, la mise en œuvre d’un programme d’action triennal sur le thème « Les enfants et la violence », ayant pour buts :
§ d’aider les États membres à appliquer aux niveaux national et local les normes internationales, en particulier celles énoncées dans la Convention des droits de l’enfant des Nations Unies, la Charte sociale européenne et la Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants ;
§ d’ici 2008, de proposer une série exhaustive et cohérente d’instruments et de lignes directrices méthodologiques couvrant tous les aspects de la question ;
§ d’améliorer la visibilité et l’impact des travaux du Conseil de l'Europe en la matière15.
Interdiction des châtiments corporels au niveau national
On constate des progrès rapides et encourageants dans les 47 États membres du Conseil de l’Europe vers l’objectif d’éradiquer tout châtiment corporel infligé aux enfants. Jusqu’en janvier 2008, 18 États membres ont adopté l’interdiction totale et au moins sept autres se sont publiquement engagés à faire rapidement de même. En outre, la Cour suprême italienne a déclaré les châtiments corporels hors la loi, toutefois, l’arrêt correspondant ne s’est pas encore traduit par une loi spécifique. Si ces États remplissent leurs engagements, l’Europe aura parcouru plus de la moitié du chemin vers l’interdiction universelle.
Pays européens qui ont interdit les châtiments corporels dans la législation : Allemagne (2000), Autriche (1989), Bulgarie (2000), Chypre (1994), Croatie (1999), Danemark (1997), Espagne (2007), Finlande (1983), Grèce (2006), Hongrie (2004), Islande (2003), Lettonie (1998), Norvège (1987), Pays-Bas (2007), Portugal (2007), Roumanie (2004), Suède (1979) et Ukraine (2001). Pays européens qui se sont engagés à l’interdire prochainement : Estonie, Irlande, Lituanie, Luxembourg, République tchèque, Slovaquie et Slovénie. |
En 2007, le Commissaire a écrit aux Chefs de gouvernement des États membres dont la législation n’est toujours pas conforme. Dans les réponses, aucun État n’a défendu le recours au châtiment corporel. Sept ont précisé que des réformes pour interdire l’ensemble des
châtiments corporels étaient en cours. D’autres ont répondu que leur législation actuelle suffisait, mais ont fait preuve d’ouverture concernant des progrès supplémentaires et ont envisagé une réforme explicite.
Si l’on fait tomber tous les châtiments corporels sous le coup de la loi, ce n’est évidemment pas pour poursuivre et punir davantage de parents, mais plutôt pour satisfaire aux exigences des droits de l'homme en accordant aux enfants la même protection de leur intégrité physique et de leur dignité humaine qu’aux adultes. Il est essentiel de bien faire comprendre que frapper les enfants est mal, tout autant que de frapper un adulte. Ainsi confère-t-on un fondement cohérent à la protection de l’enfant et à une éducation publique promouvant des formes positives de discipline. À mesure que les attitudes changeront, il sera moins nécessaire de lancer des poursuites et de procéder à des interventions formelles dans les familles afin de protéger les enfants.
En Suède, l’interdiction des châtiments corporels avait pour buts de modifier les attitudes à leur égard, de mettre en place un cadre clair pour l’éducation et le soutien des parents, ainsi que de faciliter une intervention plus précoce et moins intrusive dans les affaires de protection d’enfants. L’opinion publique en faveur des châtiments corporels a nettement diminué. Alors qu’en 1965, une majorité de Suédois étaient pour, une enquête récente a démontré que 6% seulement des moins de trente-cinq ans se disaient favorables à l’usage de formes même les plus douces de châtiment corporel. Les pratiques ont aussi changé : parmi ceux qui ont grandi peu après l’interdiction, seuls 3% signalent avoir été giflés par leurs parents et 1% déclare avoir été frappé avec un objet. Les taux de mortalité dus à des violences sont extrêmement bas chez les enfants suédois.
La forte sensibilisation aux violences contre les enfants en Suède a fait augmenter le nombre de signalements de voies de fait, mais parallèlement, on note moins de poursuites à l’encontre des parents, moins d’interventions forcées de la part des travailleurs sociaux et moins d’enfants placés dans des structures d’accueil. Le public a commencé à voir différemment le fait de frapper les enfants, ce qui a rendu possibles dans certains cas des interventions de soutien précoces.
Comme on peut s’y attendre, il faut bien plus que des lois pour éradiquer les châtiments corporels. En effet, il est indispensable d’informer le public en continu, particulièrement sur la loi et sur le droit de l’enfant d’être protégé, de même que d’encourager les relations positives et non violentes avec les enfants. Une recommandation du Comité des Ministres adoptée en 2006 définit la parentalité positive comme un « comportement parental fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant qui vise à l’élever et à le responsabiliser, qui est non violent et lui fournit reconnaissance et assistance, en établissant un ensemble de repères favorisant son plein développement »16.
En 2008, le programme « Construire une Europe pour et avec les enfants » encouragera à l’échelle européenne la réforme législative, la parentalité positive et l’éducation publique en produisant des informations et un matériel de communication adapté aux usagers et conçus pour servir de ressources de campagnes dans les 47 États membres.
Dans les États qui ne sont pas encore au stade de l’interdiction totale, il importe de rassurer le public sur le fait que le premier objectif de l’interdiction du châtiment corporel au sein de la famille est éducatif et non punitif. L’existence même de la loi montre qu’il n’est pas plus acceptable ni légal de frapper un enfant qu’un adulte ; et la loi permet le cas échéant de protéger les enfants contre les préjudices graves. La poursuite judiciaire des parents et les autres interventions formelles, en opposition avec les interventions de soutien, doivent être réservées aux affaires graves. Comme le conseille le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies :
« L’impératif primordial d’une révision législative destinée à interdire les châtiments corporels à l’égard des enfants dans leur famille est la prévention : il s’agit de prévenir la violence contre les enfants en faisant évoluer les attitudes et la pratique, en insistant sur le droit des enfants à une égale protection et en instituant un cadre dépourvu d’ambiguïté pour la protection de l’enfant et la promotion de formes positives, non violentes et participatives d’éducation des enfants. […]
Le principe de protection égale des enfants et des adultes contre les voies de fait, y compris dans la famille, ne signifie pas que tous les cas de châtiments corporels administrés par des parents à leurs enfants qui sont signalés devraient aboutir à l’ouverture de poursuites contre les parents. En vertu du principe de minimis − à savoir que la loi ne s'intéresse pas aux peccadilles − les voies de fait simples entre adultes ne donnent lieu qu'à titre très exceptionnel à une action judiciaire ; ce même constat s’appliquera aux voies de fait simples à l’égard d’enfants. Les Etats doivent mettre au point des mécanismes efficaces de signalement et d’instruction. Tous les signalements de violence à enfant devraient donner lieu à des investigations et à une protection de l’intéressé contre tout préjudice notable, le but devant être d’empêcher les parents de recourir à des châtiments violents, cruels ou dégradants en mettant en œuvre des interventions d’accompagnement et de soutien plutôt que des mesures punitives. »17
Dans le cadre de la mise en œuvre de l’interdiction, il importe de guider tous ceux qui travaillent avec des enfants et des familles, de même que d’informer en continu le public pour combattre la tradition profondément enracinée de discipline violente et humiliante.
Les principes des droits de l'homme imposent de retirer aux adultes le droit supposé de frapper les enfants. Il n’est donc besoin de prouver que d’autres moyens – positifs, ceux-là – assurent plus efficacement la socialisation des enfants. Toutefois, les recherches effectuées sur les effets nocifs sur le plan physique et psychologique des châtiments corporels appliqués durant l’enfance et la suite de l’existence, et sur les liens avec d’autres formes de violence, ne font que justifier davantage – et de manière impérieuse – l’interdiction de la pratique en question et, par conséquent, la rupture du cercle vicieux de la violence.
Le Commissaire espère que les États membres du Conseil de l’Europe – désormais une minorité – qui n’ont pas encore réformé leur législation, ou qui ne s’y sont pas engagés, en feront une priorité. Parmi cette minorité de pays, un nombre restreint dispose de moyens de défense explicites en droit pénal, civil, ou commun, confirmant la liberté des parents de recourir à un certain degré de violence disciplinaire. Il importe bien évidemment de supprimer totalement ces dispositions. Si la loi est silencieuse dans d’autres États, le « droit » des parents d’utiliser le châtiment corporel est néanmoins supposé. Les conseils du Comité des droits de l’enfant, repris par le Comité européen des droits sociaux, laissent entendre que l’interdiction expresse est nécessaire pour ôter tout doute quant au fait que le droit pénal relatif à la violence s’applique également aux enfants, que les brutalités soient ou non qualifiées de « discipline ».
L’avènement d’une Europe sans châtiments corporels ne peut se faire sans un amendement des lois nationales et une interdiction des pratiques en question. Toute stratégie nationale qui tend à l’élimination des châtiments corporels doit comporter à la fois des mesures à court terme, notamment une réforme juridique consistant à interdire clairement toute forme de châtiment corporel, et des mesures à plus long terme visant à influer sur l’opinion publique ainsi qu’à promouvoir des moyens différents et positifs d’entretenir des relations et de communiquer. Une telle stratégie doit comprendre les étapes suivantes :
· examiner la législation en vigueur pour garantir l’interdiction effective de tout châtiment corporel ;
· conseiller les parents et les professionnels qui s’occupent d’enfants en vue d’abandonner les châtiments corporels en tant que forme de discipline à la maison et en institution ; diffuser des informations sur les réformes juridiques menées dans d’autres pays pour interdire les châtiments corporels, et sur leurs effets positifs ;
· informer les enfants sur leurs droits, y compris le droit d’être traités avec respect, par le biais de programmes scolaires et des médias ;
· orienter clairement les enseignants et le personnel préscolaire et de santé, les travailleurs sociaux et d’autres professionnels de premier plan sur leur rôle dans la prévention de la violence et sur la manière de réagir à des situations concrètes lorsqu’il y a des raisons de penser qu’un enfant est victime de maltraitance et a besoin d’aide ;
· effectuer des recherches visant à mieux comprendre l’ampleur et la nature de la pratique des châtiments corporels, ainsi qu’à identifier les groupes d’enfants qui y sont particulièrement exposés ;
· proposer des cours et discussions pour former les parents – avec la participation des principaux intéressés – aux pratiques d’éducation des enfants ainsi qu’aux formes positives et non violentes de discipline à pratiquer à la maison, à l’école et en institution.
Pour mettre en œuvre ces mesures, il est nécessaire de sensibiliser les membres de la classe politique et autres décideurs. Les ONG, les associations professionnelles et les médias sont donc d’une importance stratégique.
La question des châtiments corporels a eu malheureusement tendance à perdre du terrain parmi les priorités de la classe politique et d’autres milieux adultes, y compris les plus vigoureux défenseurs des droits de l'homme. Cette situation tient sans doute à la nature personnelle du problème : dans le monde entier, la plupart des adultes ont été frappés étant enfants et frappent peut-être même, à leur tour, leurs propres enfants. La classe politique, qui voit là une question impopulaire, trouve plus facile de braquer le projecteur uniquement sur les formes extrêmes de violence contre les enfants et sur la violence des enfants, contre lesquelles existe déjà un consensus populaire. De même, beaucoup de politiques se méfient particulièrement de toute ingérence dans le domaine de la famille, considéré depuis toujours comme « privé ».
Tous ces éléments sont compréhensibles mais n’excusent pas les châtiments corporels pour autant. La résolution non violente des conflits, la tolérance et le respect d’autrui sont à enseigner par le bon exemple. Comment peut-on attendre des enfants qu’ils prennent les droits de l'homme au sérieux et qu’ils construisent une culture de droits de l'homme si le monde des adultes, non content de persister à les corriger, à les fesser, à les gifler et à les battre, va jusqu’à défendre ces pratiques soi-disant « pour leur bien » ? Gifler un enfant n’est pas seulement un mauvais exemple de comportement, c’est aussi une puissante manifestation de mépris pour les droits fondamentaux de personnes plus petites et plus faibles que soi.
1 Observations générales n° 8 du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies sur le droit de l’enfant à une protection contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments, CRC/C/GC/8, 2 juin 2006. http://www.ohchr.org/english/bodies/crc/docs/co/CRC.C.GC.8.pdf
2 Cour européenne des droits de l’homme, Tyrer c. Royaume-Uni, 1978. L’intégralité des arrêts de la Cour est disponible sur http://hudoc.echr.coe.int/hudoc/
3 Cour européenne des droits de l’homme ; voir notamment Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, 1982 ; Y c. Royaume-Uni, 1992 ; Costello-Roberts c. Royaume-Uni, 1993.
4 Commission européenne des droits de l’homme, décision sur la recevabilité, Sept personnes c. Suède, 1982, requête no. 8811/79 ; Cour européenne des droits de l’homme, décision sur la recevabilité, Philip Williamson et autres c. Royaume-Uni, 2000 ; requête no. 55211/00.
5 Cour européenne des droits de l’homme, A c. Royaume-Uni, 1998.
6 Comité des Ministres, supervision de l’exécution d’arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ; l’ordre du jour annoté est disponible sur http://www.coe.int/t/cm/humanRights_en.asp.
7 Commentaires des Commissaires des enfants en Angleterre, en Irlande du Nord, en Ecosse et au Pays de Galles (mai 2007) ; également de Dame Mary Marsh, Directrice Générale de la National Society for the Prevention of cruelty to children et de l’Alliance « Children are unbeatable! » (« Les enfants sont imbattables ! ») ; mai, octobre et novembre 2007.
8 Conclusions XV-2, Vol. 1, Introduction générale.
9 Pour plus de détails sur le processus des rapports conformément à la Charte sociale européenne et à la Charte sociale révisée, voir http://www.coe.int/t/e/human_rights/esc/3_Reporting_procedure/default.asp#TopOfPage
10 Comité européen des droits sociaux, décision sur les réclamations collectives No. 17/2003 OMCT c. Greece, No. 18/2003 OMCT c. Irlande et No. 21/2003 OMCT c. Belgique. Dans deux autres décisions, le Comité a statué que les décisions de la Cour suprême en Italie et au Portugal étaient conformes : No. 19/2003, OMCT c. Italie et No. 20/2003, OMCT c. Portugal ; une autre requêté a été déposé contre le Portugal en 2006 – voir note 11. Pour plus de détails, voir :
11 Réclamation collective No. 34/2006, OMCT c. Portugal, décision sur les mérites, décembre 2006, paragraphes 19 – 22)
12 L’intégralité des documents du Comité des droits des enfants est disponible sur http://www.ohchr.org/english/bodies/crc/index.htm. Pour l’analyse des commentaires du Comité relatifs au châtiment corporel, voir www.endcorporalpunishment.org.
13 Déclaration sur la violence contre les enfants, approuvée à la 8e Assemblée mondiale de la Conférence mondiale des religions pour la paix qui s’est tenue à Kyoto en août 2006.
14 Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, Recommandations sur « la violence au sein de la famille » (R (85) 4), « les mesures sociales concernant la violence au sein de la famille » (R (90) 2) et « les aspects médico-sociaux des mauvais traitements infligés aux enfants » (R (93) 2). Toutes les recommandations sont disponibles sur http://www.coe.int/t/E/Committee_of_Ministers/Home/Documents/
15 Réponse adoptée par le Comité des Ministres à la Recommandation 1666(2004) de l’Assemblée parlementaire, 20 avril 2005, CM/AS(2005)Rec1666 final.
16 Recommandation (2006) 19 du Comité des Ministres relative aux politiques visant à soutenir une parentalité positive, 13 décembre 2006.
17 Comité des droits de l’enfant, Observation générale n°8, paragraphes 38 et 40.
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